Pour clore en forme de triptyque les commentaires au sujet des ouvrages consacrés à la liberté par les éditions Berg International, voici, après ceux consacrés à Edmond About et Victor Cousin, quelques mots au sujet d’un texte de Paul Janet (1823-1899), intitulé “La Liberté de Penser”, et réédition d’un article paru en 1866 dans la Revue des Deux Mondes.
Bien qu’il soit difficile de porter un ouvrage majeur au crédit de ce philosophe, qui fut l’élève puis le secrétaire de Victor Cousin, on peut lui reconnaître une manière de penser plutôt sensée et pragmatique, digne d’intérêt.
L’originalité de ce texte est sans doute de présenter la liberté intellectuelle sous un jour relativiste, assez novateur pour l’époque.
Janet commence notamment par écarter soigneusement toute conception excessive de la liberté qui pourrait la rapprocher de l’anarchisme ou d’une sorte de nihilisme intellectuel. Ainsi il rejette l’idée selon laquelle “la libre pensée serait synonyme de scepticisme et d’incrédulité”, qui selon l’auteur conduit à considérer comme libre penseur “quiconque ne croit à rien”, et conclure que “moins l’on croit, plus on est réputé capable de penser librement…”, ou pareillement affirmer que “celui qui nie tout principe en politique sera plus libre penseur que celui qui en reconnaît quelques uns, par exemple la liberté et la justice…”
Bien qu’il soit difficile de porter un ouvrage majeur au crédit de ce philosophe, qui fut l’élève puis le secrétaire de Victor Cousin, on peut lui reconnaître une manière de penser plutôt sensée et pragmatique, digne d’intérêt.
L’originalité de ce texte est sans doute de présenter la liberté intellectuelle sous un jour relativiste, assez novateur pour l’époque.
Janet commence notamment par écarter soigneusement toute conception excessive de la liberté qui pourrait la rapprocher de l’anarchisme ou d’une sorte de nihilisme intellectuel. Ainsi il rejette l’idée selon laquelle “la libre pensée serait synonyme de scepticisme et d’incrédulité”, qui selon l’auteur conduit à considérer comme libre penseur “quiconque ne croit à rien”, et conclure que “moins l’on croit, plus on est réputé capable de penser librement…”, ou pareillement affirmer que “celui qui nie tout principe en politique sera plus libre penseur que celui qui en reconnaît quelques uns, par exemple la liberté et la justice…”
Il pondère également le fameux principe cartésien qui recommande de “ne reconnaître pour vrai que ce qui paraît évidemment être tel, c’est à dire ce que l’esprit aperçoit si clairement et si distinctement qu’il est impossible de le révoquer en doute.”
Car selon lui, c’est une application trop zélée de ce principe qui a “ouvert la voie à toutes sortes d’interprétations hasardeuses laissant la liberté à chacun d’apprécier où se trouvait la vérité. Or si chacun ne peut juger qu’avec son jugement, s’il ne peut que penser avec sa pensée, il ne s’ensuit pas que la vérité soit individuelle et qu’il n’y a pas en soi une vérité absolue que chacun atteint dans la mesure où il le peut, et qu’il transmet aux autres dans la mesure où ils sont capables de la recevoir…”
C’est aussi cette conception qui conduit à l’étrange paradoxe qui fait “qu’en matière de philosophie, de politique et de religion, on puisse continuer de prétendre tout et son contraire, tandis qu’en matière scientifique il ne viendrait à l’idée de personne de combattre un calcul ou une expérience par un nom, par un texte, par une autorité…” En d’autres termes, “On ne serait guère accueilli à l’Académie des Sciences en invoquant l’autorité d’Aristote ou de Saint Thomas contre une démonstration de Laplace ou d’Ampère…”
En somme, “ce n’est pas parce qu’on admet le principe cartésien, qu’on en déduit que l’homme ait le droit de penser, selon sa fantaisie et selon son caprice, tout ce qui peut lui passer par la tête, et que je puis volontairement et à mon gré déclarer vrai ce qui est faux et faux ce qui est vrai.”
Si la liberté ne doit donc pas mener au laisser-aller en matière de pensée, elle ne doit pas davantage être le moyen de promouvoir des croyances ou des principes ne reposant sur aucune preuve tirée du réel.
S’il ne rejette pas totalement l’existence de vérités surnaturelles ou inexplicables, Janet met toutefois en garde contre celles qu’on prétend révélées, c’est à dire “lorsque la pensée rencontre la parole divine, l’autorité de la révélation”. Trop souvent pour les dévots en effet, la foi s’apparente à l’ignorance et lorsqu’ils évoquent Dieu, “s’il s’agit d’une fausse religion, ils prennent pour vérité surnaturelle ce qui n’en est pas; leur foi n’est que superstition, leurs espérances ne sont qu’illusions, leur culte n’est qu’idolâtrie…”
Cette remise en cause des a priori irrationnels et de l’absolu des principes n’est pas franchement nouvelle puisqu’elle est l’essence même de la pensée des Lumières, mais elle annonce le concept du “trial and error” développé par certains penseurs libéraux modernes comme Karl Popper, notamment lorsqu’on lit sous la plume de Janet que “L’erreur n’est souvent qu’un moyen d’arriver à la vérité : ce n’est que par des erreurs successives, chaque jour amoindries, que se font le progrès des lumières et le perfectionnement des esprits…”
C’est également une manière de réaffirmer la prééminence de la raison :”Combien donc faudra-t-il de temps jusqu’à ce que cet instrument des instruments, j’entends la raison, soit assez cultivé et perfectionné pour être manié par tous les hommes !”
Associée à la raison, la liberté de penser constitue le meilleur rempart contre les fanatismes, les totalitarismes et d’une manière générale l’obscurantisme : “Dans ce va-et-vient des puissances de ce monde, dans ces oscillations de principes qui se renversent l’un l’autre et viennent successivement se déclarer principes absolus, il n’y a qu’une garantie pour tous, c’est la liberté réciproque.”
Et dans cet ordre d’idées, si la liberté de penser est un droit, elle ne peut occulter la nécessité du devoir, car “Tout droit suppose un devoir, le devoir d’écarter toutes les causes d’erreur et d’illusion qui nous captivent et nous égarent...”
Pour achever son discours de manière résolument libérale, Janet s’en prend enfin directement à l’Etat, notamment lorsque ses représentants manifestent la volonté d’imposer au peuple ce qu’ils croient vrai, oubliant “qu’une vérité dont on n’a pas douté est une vérité problématique…” Il se désole également “qu’il se trouve encore des esprits qui, même dans l’ordre de la foi, voudraient que l’Etat intervint pour fixer ce qu’il faut croire et ce qu’il est permis de ne pas croire...”
On pourrait donc avec Damien Theillier, soutenir comme il le fait en guise de postface à l’ouvrage, qu’il découle des idées défendues par Paul Janet, “que l’Etat n’est pas juge du vrai ni du faux, et qu’il est seulement garant des droits de chacun, la liberté de penser n’étant donc susceptible de répression qu’en tant qu’elle porte atteinte aux droits des individus…”
Car selon lui, c’est une application trop zélée de ce principe qui a “ouvert la voie à toutes sortes d’interprétations hasardeuses laissant la liberté à chacun d’apprécier où se trouvait la vérité. Or si chacun ne peut juger qu’avec son jugement, s’il ne peut que penser avec sa pensée, il ne s’ensuit pas que la vérité soit individuelle et qu’il n’y a pas en soi une vérité absolue que chacun atteint dans la mesure où il le peut, et qu’il transmet aux autres dans la mesure où ils sont capables de la recevoir…”
C’est aussi cette conception qui conduit à l’étrange paradoxe qui fait “qu’en matière de philosophie, de politique et de religion, on puisse continuer de prétendre tout et son contraire, tandis qu’en matière scientifique il ne viendrait à l’idée de personne de combattre un calcul ou une expérience par un nom, par un texte, par une autorité…” En d’autres termes, “On ne serait guère accueilli à l’Académie des Sciences en invoquant l’autorité d’Aristote ou de Saint Thomas contre une démonstration de Laplace ou d’Ampère…”
En somme, “ce n’est pas parce qu’on admet le principe cartésien, qu’on en déduit que l’homme ait le droit de penser, selon sa fantaisie et selon son caprice, tout ce qui peut lui passer par la tête, et que je puis volontairement et à mon gré déclarer vrai ce qui est faux et faux ce qui est vrai.”
Si la liberté ne doit donc pas mener au laisser-aller en matière de pensée, elle ne doit pas davantage être le moyen de promouvoir des croyances ou des principes ne reposant sur aucune preuve tirée du réel.
S’il ne rejette pas totalement l’existence de vérités surnaturelles ou inexplicables, Janet met toutefois en garde contre celles qu’on prétend révélées, c’est à dire “lorsque la pensée rencontre la parole divine, l’autorité de la révélation”. Trop souvent pour les dévots en effet, la foi s’apparente à l’ignorance et lorsqu’ils évoquent Dieu, “s’il s’agit d’une fausse religion, ils prennent pour vérité surnaturelle ce qui n’en est pas; leur foi n’est que superstition, leurs espérances ne sont qu’illusions, leur culte n’est qu’idolâtrie…”
Cette remise en cause des a priori irrationnels et de l’absolu des principes n’est pas franchement nouvelle puisqu’elle est l’essence même de la pensée des Lumières, mais elle annonce le concept du “trial and error” développé par certains penseurs libéraux modernes comme Karl Popper, notamment lorsqu’on lit sous la plume de Janet que “L’erreur n’est souvent qu’un moyen d’arriver à la vérité : ce n’est que par des erreurs successives, chaque jour amoindries, que se font le progrès des lumières et le perfectionnement des esprits…”
C’est également une manière de réaffirmer la prééminence de la raison :”Combien donc faudra-t-il de temps jusqu’à ce que cet instrument des instruments, j’entends la raison, soit assez cultivé et perfectionné pour être manié par tous les hommes !”
Associée à la raison, la liberté de penser constitue le meilleur rempart contre les fanatismes, les totalitarismes et d’une manière générale l’obscurantisme : “Dans ce va-et-vient des puissances de ce monde, dans ces oscillations de principes qui se renversent l’un l’autre et viennent successivement se déclarer principes absolus, il n’y a qu’une garantie pour tous, c’est la liberté réciproque.”
Et dans cet ordre d’idées, si la liberté de penser est un droit, elle ne peut occulter la nécessité du devoir, car “Tout droit suppose un devoir, le devoir d’écarter toutes les causes d’erreur et d’illusion qui nous captivent et nous égarent...”
Pour achever son discours de manière résolument libérale, Janet s’en prend enfin directement à l’Etat, notamment lorsque ses représentants manifestent la volonté d’imposer au peuple ce qu’ils croient vrai, oubliant “qu’une vérité dont on n’a pas douté est une vérité problématique…” Il se désole également “qu’il se trouve encore des esprits qui, même dans l’ordre de la foi, voudraient que l’Etat intervint pour fixer ce qu’il faut croire et ce qu’il est permis de ne pas croire...”
On pourrait donc avec Damien Theillier, soutenir comme il le fait en guise de postface à l’ouvrage, qu’il découle des idées défendues par Paul Janet, “que l’Etat n’est pas juge du vrai ni du faux, et qu’il est seulement garant des droits de chacun, la liberté de penser n’étant donc susceptible de répression qu’en tant qu’elle porte atteinte aux droits des individus…”