Dans l’optique de la déconstruction du passé et des repères culturels traditionnels, qu’il me soit permis de recommander deux films récents particulièrement édifiants. Tous deux sont sortis en 2018 et tous deux concernent l’histoire du Royaume Uni et de ses reines.
Le premier porte le nom de la souveraine dont il conte la triste histoire, Marie Stuart (1542-1587), indissociablement liée par le destin à sa cousine Elisabeth Ire Tudor, et il est mis en scène par Josie Rourke. Le second, La Favorite, se situe plus d’un siècle plus tard et s’intéresse sur un ton beaucoup plus léger, à la cour d’Anne d’Angleterre (1665-1714), dernière représentante de la Maison Stuart. Il est l'œuvre du cinéaste grec Yórgos Lánthimos.
S’agissant des qualités cinématographiques, disons que le premier, de facture très classique, offre de magnifiques vues de l’Écosse et une reconstitution très soignée de la vie de l’époque. N’étaient les longueurs et le déroulement très linéaire, pour ne pas dire statique des évènements, on pourrait dire qu’il s’agit d’un beau spectacle. Ajoutons à cela que les rôles principaux sont remarquablement bien distribués et que les actrices portent de manière impressionnante les destinées dramatiques qu’elles incarnent, Saoirse Ronan en Marie Stuart et plus encore Margot Robbie en Elisabeth I.
On ne peut en dire autant de La Favorite, de conception formelle certes plus audacieuse mais tellement boursouflée qu’elle agace rapidement. Le réalisateur fait en effet assaut d’artifices supposés rendre vivant le récit qu’il propose, mais c'est en pure perte. L’abus des travelling angulaires, façon jeu vidéo, réalisés avec un objectif fish-eye, donne le tournis. En dépit du soin apporté à la confection des costumes, les prises de vue sont souvent imprécises ou bien crépusculaires à force de vouloir rendre avec réalisme l’éclairage aux chandelles. On est loin de Kubrick…
Rien à dire sur la qualité intrinsèque des acteurs, surtout des actrices en l’occurrence. Olivia Colman (la reine Anne), Rachel Weisz (l’impétueuse Sarah Churchill, duchesse de Marlborough), et Emma Stone (Abigail, l’intrigante favorite) se démènent pour s’inscrire au mieux dans le scénario bouffon que le réalisateur leur fait jouer, qui relève de l’histoire vue par le petit bout de la lorgnette.
Le vrai problème est là : on n’apprend rien de ces mises en perspectives pseudo-historiques. Rien sur les époques, ni sur les grands enjeux politiques et sociaux qui les marquèrent. Et rien de rien sur leur foisonnement culturel. Ce n’est certes pas l’objectif poursuivi lorsqu’on cherche avant tout à faire ressentir le destin dramatique de l’infortunée Marie Stuart, mais face à elle, Elisabeth I (1533-1603) paraît bien terne et timorée malgré son maquillage outrancier. On peine à imaginer qu’elle incarne l’âge d’or anglais, pendant lequel s’illustrèrent nombre d’écrivains à commencer par Shakespeare…
S’agissant de la reine Anne, c’est bien pire encore. On la fait passer pour une personne passablement évaporée, capricieuse si ce n’est idiote, totalement sous la coupe de sa première favorite Lady Sarah. Cette souveraine qui endura 17 grossesses dont aucune ne permit d’offrir à son pays un héritier adulte, aurait passé, si l’on en croit ce film, le plus clair de son temps à cajoler ses lapins qui pullulaient dans les salons du palais, à se goinfrer de pâtisseries, et à hurler de manière hystérique sur tout et n’importe quoi, tout ça pour finir rongée par la goutte et les crises d’apoplexie ! On passe totalement sous silence qu’elle fut une mécène avisée, qui apporta un soutien financier au musicien Haendel, et dont le règne fut caractérisé par l’émergence d’un style architectural novateur, et d’une belle floraison d’artistes et de littérateurs parmi lesquels on compte Daniel Defoe, Jonathan Swift, et Alexander Pope.
C’est bien là une étrangeté que de voir ces cinéastes réaliser des œuvres qui furent qualifiées de féministes par nombre de critiques enthousiastes, mais qui donnent si peu d’importance à la stature politique de leurs héroïnes. Alors qu’elles ont fait face avec courage et détermination à leurs responsabilités, on insinue qu’elles n’auraient été que les jouets d’hommes, par nature tous néfastes, cupides, lubriques, inconstants ou méchants. Pire, on les montre préoccupées avant tout de considérations domestiques dérisoires ou scabreuses. Et pour faire moderne on brode ou bien on invente des relations homosexuelles débridées dans l’entourage intime de Marie Stuart, en soulignant sa grande indulgence, très peu vraisemblable, vis à vis de comportements exhibitionnistes, voire franchement obscènes. Chez la reine Anne, encore une fois c’est pire. Les femmes sont lesbiennes et l’affichent sans vergogne et sans aucun état d'âme. La gent masculine est quant à elle grotesque, stupide et les rôles de ses représentants, quasi inexistants.
Passons enfin sur les incongruités et anachronismes qui nous donnent à voir des lords “de couleur” au XVIè siècle, des dames de compagnie aux yeux bridés, et qui donne à entendre un langage plein de trivialités et d’expressions quelques peu décalées.
Au total, en fait de reconstitution rigoureuse, on a droit à une destruction en règle de faits communément établis et on assiste à un travestissement sans grand intérêt de l’histoire puisqu’il n’a pour seul dessein que de satisfaire aux codes idéologiques et à la mode d’un temps qui ne sait pas vers quels abimes il dérive…
Le premier porte le nom de la souveraine dont il conte la triste histoire, Marie Stuart (1542-1587), indissociablement liée par le destin à sa cousine Elisabeth Ire Tudor, et il est mis en scène par Josie Rourke. Le second, La Favorite, se situe plus d’un siècle plus tard et s’intéresse sur un ton beaucoup plus léger, à la cour d’Anne d’Angleterre (1665-1714), dernière représentante de la Maison Stuart. Il est l'œuvre du cinéaste grec Yórgos Lánthimos.
S’agissant des qualités cinématographiques, disons que le premier, de facture très classique, offre de magnifiques vues de l’Écosse et une reconstitution très soignée de la vie de l’époque. N’étaient les longueurs et le déroulement très linéaire, pour ne pas dire statique des évènements, on pourrait dire qu’il s’agit d’un beau spectacle. Ajoutons à cela que les rôles principaux sont remarquablement bien distribués et que les actrices portent de manière impressionnante les destinées dramatiques qu’elles incarnent, Saoirse Ronan en Marie Stuart et plus encore Margot Robbie en Elisabeth I.
On ne peut en dire autant de La Favorite, de conception formelle certes plus audacieuse mais tellement boursouflée qu’elle agace rapidement. Le réalisateur fait en effet assaut d’artifices supposés rendre vivant le récit qu’il propose, mais c'est en pure perte. L’abus des travelling angulaires, façon jeu vidéo, réalisés avec un objectif fish-eye, donne le tournis. En dépit du soin apporté à la confection des costumes, les prises de vue sont souvent imprécises ou bien crépusculaires à force de vouloir rendre avec réalisme l’éclairage aux chandelles. On est loin de Kubrick…
Rien à dire sur la qualité intrinsèque des acteurs, surtout des actrices en l’occurrence. Olivia Colman (la reine Anne), Rachel Weisz (l’impétueuse Sarah Churchill, duchesse de Marlborough), et Emma Stone (Abigail, l’intrigante favorite) se démènent pour s’inscrire au mieux dans le scénario bouffon que le réalisateur leur fait jouer, qui relève de l’histoire vue par le petit bout de la lorgnette.
Le vrai problème est là : on n’apprend rien de ces mises en perspectives pseudo-historiques. Rien sur les époques, ni sur les grands enjeux politiques et sociaux qui les marquèrent. Et rien de rien sur leur foisonnement culturel. Ce n’est certes pas l’objectif poursuivi lorsqu’on cherche avant tout à faire ressentir le destin dramatique de l’infortunée Marie Stuart, mais face à elle, Elisabeth I (1533-1603) paraît bien terne et timorée malgré son maquillage outrancier. On peine à imaginer qu’elle incarne l’âge d’or anglais, pendant lequel s’illustrèrent nombre d’écrivains à commencer par Shakespeare…
S’agissant de la reine Anne, c’est bien pire encore. On la fait passer pour une personne passablement évaporée, capricieuse si ce n’est idiote, totalement sous la coupe de sa première favorite Lady Sarah. Cette souveraine qui endura 17 grossesses dont aucune ne permit d’offrir à son pays un héritier adulte, aurait passé, si l’on en croit ce film, le plus clair de son temps à cajoler ses lapins qui pullulaient dans les salons du palais, à se goinfrer de pâtisseries, et à hurler de manière hystérique sur tout et n’importe quoi, tout ça pour finir rongée par la goutte et les crises d’apoplexie ! On passe totalement sous silence qu’elle fut une mécène avisée, qui apporta un soutien financier au musicien Haendel, et dont le règne fut caractérisé par l’émergence d’un style architectural novateur, et d’une belle floraison d’artistes et de littérateurs parmi lesquels on compte Daniel Defoe, Jonathan Swift, et Alexander Pope.
C’est bien là une étrangeté que de voir ces cinéastes réaliser des œuvres qui furent qualifiées de féministes par nombre de critiques enthousiastes, mais qui donnent si peu d’importance à la stature politique de leurs héroïnes. Alors qu’elles ont fait face avec courage et détermination à leurs responsabilités, on insinue qu’elles n’auraient été que les jouets d’hommes, par nature tous néfastes, cupides, lubriques, inconstants ou méchants. Pire, on les montre préoccupées avant tout de considérations domestiques dérisoires ou scabreuses. Et pour faire moderne on brode ou bien on invente des relations homosexuelles débridées dans l’entourage intime de Marie Stuart, en soulignant sa grande indulgence, très peu vraisemblable, vis à vis de comportements exhibitionnistes, voire franchement obscènes. Chez la reine Anne, encore une fois c’est pire. Les femmes sont lesbiennes et l’affichent sans vergogne et sans aucun état d'âme. La gent masculine est quant à elle grotesque, stupide et les rôles de ses représentants, quasi inexistants.
Passons enfin sur les incongruités et anachronismes qui nous donnent à voir des lords “de couleur” au XVIè siècle, des dames de compagnie aux yeux bridés, et qui donne à entendre un langage plein de trivialités et d’expressions quelques peu décalées.
Au total, en fait de reconstitution rigoureuse, on a droit à une destruction en règle de faits communément établis et on assiste à un travestissement sans grand intérêt de l’histoire puisqu’il n’a pour seul dessein que de satisfaire aux codes idéologiques et à la mode d’un temps qui ne sait pas vers quels abimes il dérive…
Au moment même où la monarchie britannique est à nouveau ébranlée par les caprices et les inconséquences de certains de ses héritiers, ces images distillent avec une délectation morbide le mortel parfum de la décadence.