08 juin 2021

Les Tontons Taxeurs

L’incapacité notoire de nos gouvernements à résoudre les problèmes que leurs administrés rencontrent au quotidien, genre sécurité, éducation ou emploi, est largement compensée par les trésors d’imagination qu’ils déploient en matière de normes et de taxes.
La dernière réunion du G7 en fut une sublime illustration. Sous la belle photo de famille des ministres des finances, les cris de joie soulignaient le caractère paraît-il “historique” du sommet, dont la dernière trouvaille fut une résolution ouvrant la voie à un “impôt minimal de 15% sur les sociétés”.
Notre représentant Bruno Lemaire frétillait de plaisir, saluant le pas de géant accompli et assurant qu’il se battrait lors des négociations à venir, pour que le taux retenu soit “le plus élevé possible”. Avec des trémolos joyeux dans la voix il claironna qu’il s’agissait “d’une mauvaise nouvelle pour les paradis fiscaux”. Le pauvre homme! A l’apogée de sa brillante carrière de technocrate, il donne une fois encore raison au vieux Clemenceau : “La France est un pays extrêmement fertile : on y plante des fonctionnaires et il y pousse des impôts….”

Il faut préciser que cet accord fut salué par un consensus quasi unanime. A l’exception des pays qui doivent une bonne partie de leur essor économique et de leur prospérité au faible niveau de leurs taxes, tout le monde ou presque applaudit à cette initiative insane, sortie paraît-il du cerveau quelque peu racorni de daddy Joe Biden. Normal, car les sociétés internationales relèvent du concept fantasmatique qui réjouit les bien-pensants de petite vertu sociale et qui laisse supposer aux péquins moyens qu’ils ne seront pas touchés par cette vague fiscale hautement moralisatrice.
Personne toutefois pour l’heure ne comprend bien comment se concrétisera cet accord, qui a toutes les chances de tourner rapidement à l’usine à gaz, voire de finir en vœu pieu façon accords de Paris sur le climat.
On a beau chercher un peu partout dans la Presse plus ou moins spécialisée, rien de clair n’est avancé quant à la mise en œuvre de cette nouvelle machine à produire de l’argent magique. Au départ, l’idée du président américain était d’imposer davantage les 100 plus grandes et rentables multinationales. On sait d’autre part que l’OCDE souhaite moduler l’impôt des grandes entreprises en fonction des bénéfices réalisés dans chaque pays, indépendamment du lieu du siège (vaste programme…) On peut aussi apprendre qu'à terme, 20% des bénéfices mondiaux devront être répartis différemment quand la marge dépasse 10%, selon une clef de répartition qui doit encore être négociée (Les Echos).

La machinerie sera monstrueusement complexe, c’est à peu près certain. Son efficacité paraît quant à elle beaucoup plus aléatoire. Si par hasard comme chantait Brassens cette pompe à phynances se met en branle, il paraît qu’elle pourrait produire 50 milliards d’euros par an pour l'Europe dont 4 milliards pour la France. Même si c’était vrai, ce ne serait qu’une goutte d’eau face aux dépenses publiques en inflation permanente; peau de zob face aux 424 milliards déversés sur 3 ans par l’État français pour le seul COVID-19 de l’aveu du ministre “chargé des comptes publics”, Olivier Dussopt (Figaro).
Et qui se demande in fine, d’où viendraient ces milliards, si ce n’est, par voie de conséquence, de la poche des consommateurs ? Autrement dit, des hausses de prix qui ne manqueront pas de survenir, dans une période où l’inflation guette. Tout va très bien, madame la Marquise….

28 mai 2021

Le Monde d'Hier 2

L'ambiguïté, les contradictions et l’aveuglement dans lesquels se perdent parfois l’esprit humain forment une sorte de toile de fond dramatique à l’ouvrage de Stefan Zweig et pourraient expliquer en partie la montée irrépressible des périls durant le XXè siècle. Sans doute pourrait-on en tirer des leçons pour notre époque pleine de paradoxes et d’inconséquences…

En Allemagne et en Autriche comme ailleurs en Europe, on assista à un enchaînement infernal des évènements, conduisant progressivement mais inéluctablement à quitter “le monde d’hier” fait de stabilité et de sécurité, pour entrer dans celui du chaos et de l’horreur fanatique. Le monde politique lui-même fut saisi d’impuissance et de fatalisme face à cette molle mais insane dérive, creusant de ce fait le lit des extrêmes. A maintes reprises, les dangers ont été négligés ou tout simplement édulcorés par des gouvernants pusillanimes et une opinion publique naïve.
Deux personnages furent emblématiques de l’époque, Walter Rathenau et Engelbert Dolfuss. Du premier, Zweig fut proche et même ami, lui reconnaissant d’éminentes qualités: “malgré ses occupations, il avait toujours du temps”, et une “incommensurable intelligence”. Mais l’homme était “pétri de contradictions”. “Il possédait des millions et jouait avec les idées socialistes, il était très juif d’esprit et coquetait avec le Christ, il était commerçant mais voulait sentir en artiste…”
A force de louvoyer, à l’instar de ce qu’il est convenu d’appeler la République de Weimar, dont il fut un éminent ministre, il devint impopulaire et finit assassiné par des militants d’extrême-droite en 1922.
Le même sort funeste fut réservé en 1934 au chancelier autrichien Dolfuss dont l’anti-nazisme et l’anti-communisme tournèrent à la dictature. Triste sort pour un pays aussi distingué que l’Autriche, et solution inefficace puisqu’elle n’empêcha pas l’Anschluss…

En réalité, dès la première conflagration mondiale, 
une incroyable spirale s'était enclenchée. Selon Zweig, “si on se demande à tête reposée pourquoi l’Europe est entrée en guerre en 1914, on ne trouve pas un seul motif raisonnable, pas même un prétexte. Nous sommes entrés dans une époque de grands sentiments de masse, d’hystérie collective, dont on ne peut mesurer la puissance en cas de guerre.../… Le 28 juin 1914, éclate à Sarajevo ce coup de feu qui en une seconde fracassa en mille miettes comme un vase de terre creux ce monde de la sécurité et de la raison créatrice, dans lequel nous avions été élevés , avions grandi et nous étions naturalisés…”

L’entrée en guerre fut paradoxalement euphorique en Autriche et Zweig écrit que “l’inquiétante ivresse de millions d’êtres qu’on peut à peine peindre avec des mots, donnait pour un instant au plus grand crime de notre époque, un élan sauvage et presque irrésistible../… On vit des foules de jeunes gens chanter et pousser des cris de joie dans les trains qui les menaient à l’abattoir…"
La guerre révéla vite son lot d'atrocités, pour se terminer quatre ans plus tard au terme de l’inutile et vaine boucherie qu’on connaît. Les suites furent si chaotiques qu'elles ouvrirent la voie au second conflit mondial.
De l’aveu de Zweig, les années 1919, 1920, 1921 furent les trois plus dures de l'après guerre en Autriche : "En raison de la crise économique et de l’inflation galopante, il se trouva bientôt qu’en Autriche, le loyer annuel d’un appartement coûta moins au locataire qu’un seul repas.../... Les riches s’appauvrissaient parce que l’argent placé dans les banques ou en obligations de l’État fondait”. En revanche “qui avait contracté des dettes en était déchargé…”
Dans le même temps, on assista selon Zweig à une dérive touchant à la fois les mœurs, la culture et les arts : “l’homosexualité fut la grande mode, non pas par un penchant inné, mais par esprit de protestation contre les formes traditionnelles, les formes légales et normales de l’amour. La nouvelle peinture entreprit les plus folles expériences cubistes et surréalistes. Partout on proscrivait l’élément intelligible, la mélodie en musique, la ressemblance dans un portrait, la clarté de la langue… On n’eut soudain plus qu’une seule ambition, celle d’être jeune. C’était l’âge d’or de tout ce qui était extravagant et incontrôlable…”

L’inflation prit fin en 1924 en Allemagne. De cette date à 1933, ce fut, raconte l’écrivain, “une pause dans la succession des catastrophes dont notre génération a été le témoin et la victime depuis 1914. Mais sous sa surface apparemment pacifiée, notre Europe était pleine de dangereux courants souterrains. Le mal était profond. Rien n’avait rendu plus mûr l’Allemagne pour le régime d’Hitler, comme l’inflation…”
Hélas, personne ou presque n’eut vraiment conscience de la tempête qui s’approchait, car affirme Zweig, “c’est une loi inéluctable de l’histoire, qui défend au contemporains des grands mouvements qui déterminent leur époque de les reconnaître dans leurs premiers commencements.”

La maison de Stefan Zweig à Salzbourg était si proche de la frontière qu’on pouvait voir à l'œil nu la montagne de Berchtesgaden où se trouvait le nid d'aigle d’Adolphe Hitler. Si cette vision lui faisait horreur, le dictateur n’effrayait pas la plupart de ses contemporains qui voyaient en lui “le rempart au bolchevisme”. On fit semblant de croire qu’on pouvait temporiser et beaucoup de dirigeants et de politiciens crurent dans la stratégie hasardeuse et lâche de “l’appeasement” et du “try and try again”.
Zweig qui fut pourtant un des plus clairvoyants, ne s’exonère pas de l’aveuglement collectif: “nous tous en Allemagne et en Autriche, nous n’avons jamais jugé possible en 1933, en 1934 un centième, un millième de ce qui devait éclater quelques semaines plus tard.” Il avait quand même plus qu'un doute car c’est cette année-là, alors que le jeu semblait déjà “perdu”, qu'on ne pouvait “plus rien attendre de l’Autriche”, et que la “stupidité” à laquelle il était quotidiennement confronté lui était devenue insupportable, que Stefan Zweig décida de quitter son pays pour s’établir en Angleterre.

Il évoque avec la même affliction la montée du bolchevisme en Russie, relatant notamment les propos de son ancien éditeur à Leningrad, qui se disait autrefois riche et depuis la révolution, ruiné : “qui aurait pu croire alors qu’une chose telle que la République des ouvriers et des soldats pourrait durer plus de quinze jours?”
Lui qui fut, comme beaucoup d’intellectuels, assez bluffé par ce qu’il avait vu lors du périple qu'il avait entrepris en Soviétie, à l’occasion du centenaire de la naissance de Tolstoï, raconte qu’il trouva à son retour une lettre anonyme, probablement glissée subrepticement dans sa poche. On pouvait y trouver les prémices de l’horreur d’un régime trop longtemps méjugé : “Ne croyez pas tout ce qu’on vous dit.../… les personnes qui parlent avec vous ne vous disent pas en général ce qu’elles voudraient vous dire, mais seulement ce qu’il leur est permis de vous dire. Nous sommes tous surveillés et vous ne l’êtes pas moins…”
En somme, si les périls du nazisme furent sous estimés, ceux du communisme furent tout simplement occultés, voire niés...

Lors d’un dernier voyage en Autriche en novembre 1937, Zweig fut témoin de la parodie de dictature installée par Dolfuss et des préparatifs de l’Anschluss, qui allait être “le suicide de l’indépendance autrichienne”, mais qui se fit dans un calme sépulcral, tant les esprits étaient résignés !
La suite fut pour lui l’exil définitif, prison dorée à laquelle il était condamné et qui fut une souffrance intolérable en dépit de sa célébrité internationale, intacte.
Il continua toutefois de suivre l’actualité, peut-être avec une secrète espérance...

En 1939, il n’était plus temps de faire machine arrière. On savait que les armes allaient à nouveau parler. Mais contrairement à 1914, il n’y avait plus de romantisme. On savait ce qu’était la guerre, mais “on méprisait la diplomatie depuis qu’on avait constaté avec amertume qu’elle avait trahi à Versailles les espoirs d’une paix durable.../… On n’avait du respect pour aucun homme d’État.”
De son point de vue, dans l'enchaînement fatal des causes du désastre, “le plus grave a été que les politiciens européens pas plus que les américains n’ont exécuté le plan simple et clair de Wilson [de 1918], mais qu’ils l’ont mutilé. C’était de donner liberté et indépendance aux petites nations, en la conditionnant à la mise en place d’une entité supérieure, la Société Des Nations.“
En 1942, le lendemain du jour où il envoya le manuscrit du “Monde d’hier”, il se suicida avec son épouse, dans la jolie villa qu’il occupait à Petropolis, au Brésil, tout près de Rio de Janeiro...
 

27 mai 2021

Le Monde d'Hier 1

En pleine épidémie de COVID-19, les prévisionnistes tentent d’imaginer “le monde d’après”. Les utopistes quant à eux espèrent avec opiniâtreté l’avènement d’un “nouveau monde”, naturellement meilleur que celui dans lequel nous vivons.
L’Histoire hélas se répète souvent, et les rêves de révolutions et de grands changements se transforment en cauchemars et au réveil on n'a plus que ses larmes pour regretter un passé, bien meilleur qu'on le pensait.
La lecture du dernier ouvrage écrit par Stefan Zweig (1881-1942) est de ce point de vue édifiante. Lorsqu’il le publia en 1942, le monde avait déjà basculé dans l’horreur. Lui ne croyait plus depuis bien longtemps aux lendemains qui chantent ni aux illusions portées par les idéologies et il célébra avec un terrible désespoir “Le Monde d'Hier.”
Pour l’écrivain autrichien comblé de gloire littéraire, mais vacillant au bord de l’éternité, l’avenir s’inscrivait depuis plusieurs années dans un désastre hélas prévisible.
Ce qu’il décrit dans cet ouvrage à la fois lumineux et terriblement sombre, ce sont, avec un brin de nostalgie, les quelques belles décennies qui précédèrent la première guerre mondiale, les fastes de sa ville natale Vienne, puis les années tragiques de l’entre deux guerres et de la montée irrésistible des fascismes et du communisme, tellement terribles qu’il ne voulut pas leur survivre. 

Ça commence par une vision édénique : “C’était l’âge d’or de la sécurité. Tout dans notre monarchie autrichienne vieille de près d’un millénaire, semblait fondé sur la durée, et l’Etat lui-même paraissait le suprême garant de cette pérennité.” Le souci qu’avaient les gouvernants d’assurer à tous la sécurité avait ouvert “l’âge d’or du régime des assurances”, dont les bienfaits donnèrent un sentiment d’infaillibilité. La prospérité gagnait régulièrement du terrain et “le XIXè siècle avec son idéalisme libéral, était sincèrement convaincu qu’il se trouvait sur la route droite qui mène infailliblement au meilleur des mondes possibles.”
“Déjà l’on croyait en ce Progrès plus qu’en la Bible, et cet évangile semblait irréfutablement démontré par les merveilles sans cesse renouvelées de la science et de la technique.../... La haine entre les pays, les peuples, les classes ne s’étalait pas quotidiennement dans les journaux.../… L’odieux instinct grégaire n’avait pas encore la puissance qu’il a acquise depuis dans la vie publique."
C’était en quelque sorte le bon vieux temps, “Les machines, l’auto, le téléphone, la radio, l’avion n’avaient pas encore imposé aux hommes les rythmes des nouvelles vitesses, le temps et l’âge avaient une autre mesure….”

Il y avait certes un revers de la médaille à ce tableau idyllique. Tout n’était pas rose et l’ordre bourgeois qui régnait alors, manifestait un conformisme étriqué et une rigidité excessive, confinant parfois au puritanisme.
L’école était l’objet d’un contrôle quasi militaire, transformant ce qui aurait dû être l’antichambre de la liberté et de la connaissance en une “geôle de la jeunesse” distillant “une éducation sans amour et sans âme”. La morale y était corsetée. L’opinion des maîtres était “infaillible”, la parole des pères “irréfutable.”
“La sexualité était refoulée, traitée ni à l’école, ni dans la famille, ni en public, et l’on étouffait tout ce qui pouvait y faire songer. Les lignes du corps d’une femme devaient être dissimulées. La morale de ce temps avait pour souci capital de cacher et de dissimuler.”
On comprend toute la répugnance de Zweig contre un tel système de refoulement, lui qui devait devenir ami intime avec Freud…
Ce carcan étouffant fit naître chez le futur écrivain comblé de gloire “une passion de la liberté qui se manifesta de bonne heure.” Sa soif d’émancipation s’exprima dans le champ culturel. Avec ses condisciples étudiants, ils s'éyaient donné l'objectif d’incarner “les troupes de choc de l’Art nouveau.”
Fatigués d’entendre les leçons sur “la poésie naïve et sentimentale de Schiller”, ils glissaient les poèmes de Rilke sous leurs grammaires latines. A leurs yeux enthousiastes, “Nietzsche révolutionnait la philosophie, Schoenberg la musique…”
Entre tous les artistes de leur époque, une figure les fascinait tout particulièrement : Hugo Von Hofmannsthal, dans lequel leur jeunesse “ne voyait pas réalisées seulement ses plus hautes ambitions, mais encore la perfection poétique la plus achevée et la plus absolue, et cela en la personne d’un jeune homme qui avait à peu près leur âge…”

Zweig fréquenta tellement de célébrités que le récit de ses rencontres est un vrai tourbillon. Ses voyages à travers le monde étaient incessants. A Paris, “ville de l’éternelle jeunesse”, il passa “sa première année de liberté conquise après les études". Il y fit la connaissance de Rainer Maria Rilke, ce poète “ombrageux et réservé”, à “l’existence mystérieuse”,” invisible”, qui fuyait la renommée, “cette somme de tous les malentendus qui s’accumulent autour d’un nom”. Il fit avec lui des promenades enchantées, car les choses les plus insignifiantes prenaient de l’importance et étaient perçues par des yeux en quelque sorte illuminés.
Plus tard, il côtoya Emile Verhaeren, “le premier de tous les poètes français (sic) qui ait tenté de donner à l'Europe ce que Walt Whitman a donné à l’Amérique: une profession de foi en son époque, une profession de foi en l’avenir…”
Parmi les nombreux écrivains qu’il fréquenta, certains devinrent de vrais amis. Romain Rolland par exemple, dont le savoir écrivait-il “vous humiliait par son étendue”. Pourtant, s’il était ébahi par l’étendue de ses connaissances : “littérature, philosophie, musique, pas un domaine échappait à sa curiosité”, il restait quelque peu dubitatif quant à sa naïveté idéologique, très portée à gauche.
Il admirait pareillement le talent de conteur de Maxime Gorki mais comprenait moins bien sa proximité avec le régime bolchevique. Il le rencontra à plusieurs reprises, notamment lors d’un émouvant voyage en Russie en 1928. Ce fut l’occasion d’un pèlerinage à Iasnaïa Poliana où vécut Tolstoï et où il est enterré sous un simple tumulus herbeux, sans croix ni monument : “Ni la crypte de Napoléon sous la coupole de marbre des Invalides, ni le cercueil de Goethe dans le caveau des princes, ni les monuments de l’abbaye de Westminster n’impressionnent autant que cette tombe merveilleusement silencieuse, à l’anonymat touchant, quelque part dans la forêt, environnée par le murmure du vent, et qui ne livre par elle-même nul message, ne profère nulle parole.”
Dans l’effervescence culturelle viennoise, c’est naturellement Freud qui ressort le plus, tant les deux hommes furent intimes. Fasciné par l’intelligence et les théories du psychanalyste, Zweig lui vouera une immense et durable admiration, et l’accompagna lors des derniers mois de sa vie à Londres, en 1939.
Il noua également des liens très forts avec Richard Strauss. Il écrivit plusieurs livrets pour accompagner ses opéras, (notamment La Femme Silencieusse), mais comme avec Rolland ou Gorki, s’interrogeait sur l’ambivalence du personnage, longtemps choyé par les Nazis. Stefan Zweig ne douta toutefois jamais de la sincérité et de l’honnêteté intellectuelle de son ami. Lui-même avait d’ailleurs bénéficié un temps de la faveur de Hitler, peut-être en partie grâce à sa collaboration avec le musicien...
Parmi les artistes dont Zweig fut proche et dont il raconte les rencontres, on peut encore citer Auguste Rodin, James Ensor, Paul Valery, Arthur Schnitzler, James Joyce, Bernard Shaw, HG Wells, Pierre-Jean Jouve, et les musiciens Feruccio Busoni, Arturo Toscanini, Alban Berg, Bruno Walter...
Non content d’approcher maints grands esprits contemporains, Zweig fut un chasseur invétéré d’autographes et de manuscrits célèbres : Leonard de Vinci, Napoléon, Balzac, Nietzsche, Bach Haendel, Gluck, Beethoven... Il y cherchait frénétiquement le secret du génie, la magie de l’instant créateur...

(à suivre...)

22 mai 2021

Une Tragédie Palestinienne

Alors que le vieux conflit israélo-palestinien reprend de plus belle, il devrait être impossible de prendre parti, tant le contexte historique et géographique de cette partie du Proche-Orient est complexe.
Pourtant sur le sujet, la radicalisation des opinions est habituelle et l’exacerbation des passions et de l’esprit partisan est une des causes principales aux flambées de violences récurrentes, faisan
t désespérer qu’une paix raisonnable soit un jour possible.
Avant de s'aventurer à juger les événements qui se déroulent là bas, il faudrait en toute logique pouvoir répondre à deux questions primordiales: Qu’est-ce que la Palestine ? Qu’est-ce que le peuple palestinien ?
Or, même avec la meilleure volonté du monde, il est extrêmement difficile de le faire.

La Palestine est une région quasi mythique. Ses contours géographiques sont indéfinis précisément.
Grossièrement comprise entre l’extrémité méridionale du Mont Liban au nord et le Mont Sinaï au sud, elle est bordée à l’ouest par la Méditerranée et à l’est par le fleuve Jourdain. En réalité, elle déborde sur la Jordanie, sur la Syrie et même sur le Liban.
Surtout, elle n’a jamais été à proprement parler un pays. Elle est avant tout le berceau des religions du Livre qui font de Jérusalem une ville trois fois sainte. C’est le cœur de la Terre promise aux enfants d’Israël, mais aussi celle où vécut, mourut et ressuscita le Christ. Enfin, la ville est le troisième lieu saint de l’Islam, en raison du fantasmagorique voyage nocturne qu’y fit Mahomet.

Au cours de l’Histoire, la Palestine connut des fortunes diverses. On retient surtout qu’elle fut pendant plus de six siècles réduite au rang de province de l’empire ottoman. C’est lorsque ce dernier mord la poussière en 1918, qu’une vraie confusion s’installe et que les rivalités inter-confessionnelles montent en puissance. Chacune revendique cette Terre.
Sous l’égide de l’empire britannique, plusieurs territoires sont individualisés, dont la Cisjordanie et la Bande de Gaza. Parallèlement, la population juive, initialement assez minoritaire, se met à croître sous l’effet de vagues migratoires successives. Ce mouvement s’accentue brutalement à l’occasion du drame de la Shoah, vécu par le peuple juif lors de la seconde guerre mondiale. Avec la bénédiction des Nations Unies, la naissance de l’Etat d’Israël est proclamée en 1948. Cette décision supposée solutionner “par le haut” la problématique du “juif errant”, a pour effet de provoquer quasi immédiatement la première guerre opposant la nouvelle nation aux pays arabes avoisinants. Ce conflit qui tourne à la défaite de ces derniers, a pour conséquence l’exode massif des populations non juives vers Gaza, vers la Cisjordanie et vers certains pays proches (Liban, Syrie, Jordanie). Parallèlement, les Juifs qui vivaient dans les pays arabes sont chassés et affluent vers Israël, contribuant à faire de ce dernier une entité pérenne qu'ils dotent d’institutions démocratiques solides et d’une armée de plus en plus redoutable.

C’est à cette époque qu’on commence à parler de “réfugiés palestiniens”, puis de “peuple palestinien” (expression forgée paraît-il par les services d'agit-prop du KGB....).
Un fossé se creuse irrémédiablement au sein du cosmopolitisme qui régnait dans ces lieux depuis des temps immémoriaux. Les adversaires se transforment en ennemis irréconciliables et les failles deviennent des précipices infranchissables.
Plusieurs guerres sont déclenchées par les pays arabes pour tenter de reconquérir le terrain perdu, celle des Six-Jours en 1967, puis celle du Kippour en 1973. Elles conduisent à chaque fois à l'effet inverse. L'armée israélienne, très déterminée, réagit vigoureusement, repousse les assaillants, et annexe de nouvelles terres pour garantir sa sécurité (le plateau du Golan au nord, le Sinaï au sud).
Au fil des années, les Palestiniens s’organisent quant à eux en groupes armés, revendiquant tantôt la souveraineté sur "la Palestine", tantôt la destruction pure et simple d’Israël. Pour cela, ils basculent dans le terrorisme sous l’impulsion des frères ennemis Georges Habbache, fondateur du FPLP, d'obédience marxiste, et de Yasser Arafat créateur de l’OLP, socialiste. Leur rage guerrière s’exerce non seulement contre l’Etat d’Israël mais aussi contre la Jordanie, pays pourtant quasi  frère, dont la population est d'origine palestinienne pour près de la moitié. Plusieurs tentatives consistant à renverser le roi Hussein échouent et se soldent par une répression en forme de massacre en 1971, connue sous le nom de Septembre Noir.
Parallèlement, au sein des rebelles palestiniens on assiste à la montée du courant islamiste, conduisant à l’individualistion du Mouvement du Jihad Islamique en 1970 puis du Hamas en 1987.
Toutes ces formations, factions et groupuscules entrent bien souvent en concurrence entre eux si ce n’est en conflit. Le Hamas a rejeté par exemple les clauses des accords d'Oslo signés par le Fatah en 1993, qui laissaient entrevoir une embellie pacifique.
C’est bien là le plus grand drame des Palestiniens. Ils ne parviennent pas à s’entendre entre eux et finissent même par s’aliéner leurs alliés comme on l’a vu avec la Jordanie. Aujourd’hui le Fatah (ex OLP) dirigé par Mahmoud Abbas, alias Abu Mazen, règne en Cisjordanie et le Hamas contrôle sans partage la Bande de Gaza. La démocratie n’est pas le fort de ces régimes et le Hamas est toujours classé comme organisation terroriste par de nombreux pays dont la France…

Officiellement, c’est la dispersion musclée de manifestants par la police israélienne sur l’Esplanade des Mosquées qui motiva le 10 mai dernier le déversement d’un déluge de roquettes sur Israël, en provenance de Gaza.
En fait, il est bien hasardeux de faire la part des choses. Les premiers heurts auraient eu pour cause la menace d’expulsion de Palestiniens de Jérusalem-Est, mais d’autres explications peuvent également être avancées.
Il y a tout d’abord le rejet par un nombre croissant de Palestiniens de Mahmoud Abbas, ancien bras droit de Yasser Arafat, devenu vieillard de 86 ans, autocrate accroché au pouvoir en Cisjordanie, qui repousse sans cesse les élections depuis 15 ans, de peur de les perdre.
Pour masquer ces considérations peu avouables, il rejette la faute sur le gouvernement israélien qui n’a pas autorisé la tenue de ces élections à Jérusalem. 
L’occasion fut saisie par le Hamas, lui aussi en quête de légitimité populaire, pour afficher une solidarité de circonstance.  Selon son habitude, il déclencha un feu roulant de bombes sur Tel Aviv (en pure perte car plus 90% d’entre elles ont été interceptées par le fameux “dôme de fer” de Tsahal).
A côté de l’alibi douteux avancé par le Fatah, deux éléments ont probablement favorisé la reprise des hostilités : d’une part l’instabilité actuelle du régime israélien, incapable de former un gouvernement, suite àu morcellement du paysage poltique, d’autre part, la perspective désastreuse de voir un nombre croissant de pays arabo-musulmans signer des traités de paix ou de non agression avec Israël (après l’Egypte, et la Jordanie, les Emirats Arabes Unis, Bahrein, le Maroc, et bientôt sans doute l’Arabie Saoudite...)

En somme, la cause palestinienne paraît de plus en plus confuse et désespérée. Ayant refusé nombre d’ouvertures et de propositions, s’étant attiré l’inimitié de plusieurs anciens alliés, lassés de ce conflit sans fin, ses représentants, dévorés par une haine revancharde inextinguible, courent de défaites en défaites. Ils peuvent encore compter sur l’Iran et ses nombreux relais dont le Hezbollah au Liban; ils béneficient toujours de quelque sympathie dans une partie de l'opinion publique occidentale, de gauche et des extrêmes, mais la fuite en avant paraît sans issue. La situation générale des territoires palestiniens est catastrophique. Le taux de chômage est de 70% à Gaza et guère meilleur en Cisjordanie. La fourniture en eau et en électricité est de plus en plus aléatoire et la survie économique n’est possible que grâce à l’aide financière internationale. L’argument selon lequel tout cela serait la faute exclusive d’Israël est de moins en moins convaincant. Comment sortir de ce qui ressemble à une impasse ? c’est la question qui taraude les esprits. Après 10 jours de combats et plusieurs centaines de morts, un cessez-le-feu précaire a été obtenu. Pour combien de temps ? Et pour quoi faire ?

10 mai 2021

Poésies du Temps et de la Liberté

Les voyages forment la jeunesse dit-on...
J'ai fait la plupart des miens en rêve.
Sans souci du temps ni des contraintes.
Ces rêves sont devenus poèmes... 

Extraits à feuilleter chez Coollibri (et sur ce blog sous le label Poésie...)

29 avril 2021

Du Protectionnisme et de ses méfaits

On oublie souvent que la science économique est régie par des lois naturelles. Point n’est besoin d’en rajouter d’autres, artificielles, l’essentiel étant de bien comprendre celles qui s’imposent d'elles-mêmes, pour les exploiter à notre avantage, comme en physique, en chimie ou bien en médecine.

Le protectionnisme fait partie de ces lieux communs qui reviennent sans cesse sur le tapis comme solution miracle alors qu’il relève des lubies dont l’inanité a cent fois été démontrée.
Supposé s’opposer au Libre-Échange, il couvre en réalité un champ beaucoup plus étendu. On le trouve aussi bien dans les lois “protégeant” les locataires de la cupidité supposée des propriétaires, on le trouve dans nombre de celles qui ont la prétention de défendre les salariés contre la rapacité des employeurs, dans celles qui encadrent de leur bienveillance asphyxiante certaines professions, et plus généralement, dans toutes celles qui rognent les libertés au nom de l’intérêt des “usagers”, en matière de santé, d’enseignement, d’installation commerciale… La quasi totalité de ces protections sont des leurres, certes bien intentionnés, mais dont l’effet aboutit souvent à l'inverse de ce qui était souhaité.
Au nom du protectionnisme, il n’est pas difficile de démontrer qu’on dénature les échanges commerciaux, en créant de l’inflation, en diminuant le pouvoir d’achat, en bridant concurrence et progrès, en alimentant la contrebande et au bout du compte, en transformant de paisibles marchands en dangereux criminels.

Le commerce reposant sur des échanges “gagnant-gagnant”, il est extravagant qu’on veuille pervertir le marché par des taxes ou des réglementations contraignantes à seule fin de faire rempart aux importations de produits étrangers. Cela conduit en effet à empêcher ses partenaires de vendre leurs produits au juste prix, c'est-à-dire celui dicté par la loi naturelle de l’offre et de la demande.
La conséquence la plus immédiate généralement constatée, est l’augmentation réciproque des taxes à titre de représailles (le protectionnisme prend
dans ce cas de figure tout son sens et sa seule légitimité…). Ainsi, ce qu’on gagne en limitant les importations, on le perd en freinant les exportations. Le bilan est nul, sauf bien sûr si l’on n’a rien à exporter, ce qui n'est certainement pas une situation enviable…
Il s’ensuit généralement une dégradation des relations internationales, et l’enclenchement d’une spirale infernale conduisant à l’augmentation des prix et à la raréfaction de l’offre, voire à la pénurie comme on le voit régulièrement dans les pays jusqu’au-boutistes en matière de socialisme.
Au surplus, ces taxations agressives masquent souvent l’incurie des Pouvoirs Publics, qui de facto en profitent pour désigner des boucs émissaires. Ainsi, on accuse régulièrement la Chine et toute l’Asie de casser nos emplois par leurs exportations massives de produits bon marché. Si c’était vrai, comment expliquer que notre voisin direct, l'Allemagne, soumise à la même pression commerciale, soit beaucoup plus épargnée que nous par le fléau du chômage, et qu’elle reste envers et contre tout une grande puissance exportatrice ?
Selon la même logique, l’opinion publique a tendance à croire que l’automatisation de certaines tâches conduit à supprimer des emplois. Mais comment se fait-il que les pays les plus robotisés au monde, le Japon, les États-Unis, et l’Allemagne, soient parmi ceux qui affichent les plus faibles taux de chômage ?

En économie, comme le faisait remarquer avec beaucoup de justesse et d’humour Frédéric Bastiat, il y a ce que l’on voit et ce que l’on ne voit pas. Les belles théories, les gentils principes et certaines évidences apparentes sont souvent mis en défaut par la brutale réalité.
Dans un ouvrage désopilant, l’économiste et philosophe américaine Deirdre McCloskey s’amuse à pointer “les péchés secrets de la science économique” et à démêler le faux du vrai. A cette occasion, elle rappelle un épisode historique méconnu, qui montre clairement le caractère généralement malfaisant du protectionnisme.
Sur une période de dix ans au XVIIIè siècle, selon l’historien suédois Eli Heckscher, dont elle cite l’ouvrage consacré au mercantilisme, l’État français a envoyé des dizaines de milliers d'êtres humains aux galères et en a pendu au bas mot 16.000, au motif qu’ils avaient commis le crime épouvantable…. d’avoir fait venir à des fins commerciales de la toile de calicot fabriquée et imprimée en Inde !
En France, parmi les innombrables et parfois ubuesques réglementations protectrices et corporatistes promulguées par Colbert, figuraient en effet l’interdiction d’importer ces tissus. En Angleterre, des législations similaires introduites en 1700 et 1721 sévirent jusqu’en 1774.
Outre leur sauvagerie meurtrière à l’encontre de ceux qui osaient les transgresser, ces lois se révélèrent largement inefficaces, tant il y eut de contournements (notamment par le biais des futaines que la loi avait oubliées...). Au surplus, elles pénalisèrent les échanges avec l’Extrême-Orient, et contribuèrent à étouffer le dynamisme industriel, qui se réveilla, surtout chez nos voisins britanniques, dès lors que ces ukases absurdes furent abrogées…

Les péchés secrets de la science économique Deirdre McCloskey Editions Markus Haller 2017 (édition française)
Mercantilism Eli Heckscher 1935
Ce qu’on voit et ce qu’on ne voit pas Frédéric Bastiat

28 avril 2021

Controverse vaccinale

Le COVID-19 n’a pas fini de susciter débats et controverses. Autour de ce maudit virus, la communauté scientifique s’écharpe depuis des mois et les béotiens ont pu entendre ou lire à peu près tout et son contraire. Les Pouvoirs Publics, qui doivent toujours donner l’impression de maîtriser les situations les plus difficiles et montrer en toute circonstance qu’ils ont une stratégie claire et déterminée, sont quant à eux dans une panade noire, contraints qu'ils sont de faire alterner dans la plus grande confusion ordres, contre-ordres et toutes sortes d’injonctions contradictoires.

L’arrivée des vaccins, dont l’efficacité s’impose comme une évidence, laissait entrevoir une embellie radieuse, voire la fin du cauchemar.
Las ! Alors qu’une campagne vaccinale intensive porte ses fruits dans plusieurs pays et qu’elle prend de l’ampleur en France, la confiance du public, déjà fragile, est ébranlée par une série d’aléas touchant plusieurs vaccins, dont celui produit par la firme Astra Zeneca.
Il cristallise en effet tout ce qu’on peut faire de pire, à tous points de vue. Pour tout dire, il s’agit d’un vrai fiasco dans lequel les responsabilités sont multiples. Celle du Gouvernement n’est pas des moindres...

Les premiers ennuis sont apparus très précocément, lors des études cliniques. En septembre 2020, on apprenait en effet l’interruption de l’essai multicentrique en raison de la survenue d’un incident potentiellement grave (dont on ne dévoila jamais la nature).
A peine reprise, l’expérimentation fut à nouveau chahutée suite à une erreur technique qui fit paradoxalement découvrir qu'une demi-dose était plus efficace qu’une entière…
Suivirent plusieurs micmacs dans les livraisons. Bien que le laboratoire ait fait le choix louable de commercialiser son produit à prix coûtant, de nombreux griefs lui ont été reprochés. Des commandes ne furent pas honorées à hauteur de ce qui avait été promis, et pire, des suspicions de détournement de stocks entiers ont été évoquées. Bref, c’est toute l’Europe qui s’est trouvée quasi ridiculisée.

Mais le plus grave était à venir:
En début d'année on décréta qu'il fallait éviter d’utiliser ce vaccin chez les gens de plus de 65 ans, pour cause d'inefficacité (dixit Emmanuel Macron en personne). En conséquence, on proposa le produit aux jeunes personnes “éligibles”, notamment les soignants, avant de constater des effets indésirables rares mais gravissimes. On assista dès lors à un complet revirement. On stoppa la vaccination de ces populations et on repartit sur celle des plus de 55 ans, chez lesquels on décida qu'il était redevenu efficace, mais sans que personne n'expliquât le choix de ce nouveau seuil puisque les accidents touchaient à l’évidence tous les âges... Dans la foulée, on préconisa pour les infortunés jeunes primo vaccinés un autre vaccin pour la 2e injection ! Merci pour eux, mais pas très rassurant, ce d’autant que dans le même temps, on éprouva le besoin de changer le nom du vaccin. D’astrazeneca, il est devenu l’imprononçable vaxzevria, pour faire oublier les fâcheux désagréments...

Cerise sur le gâteau, si le vaccin a une efficacité acceptable sur le variant anglais, désormais majoritaire en France, force est de constater que les variants sud-africain et probablement brésilien et indien lui sont résistants (son utilisation a d'ailleurs été proscrite en Moselle pour cette raison).
Comment justifier la poursuite de l’utilisation de ce produit alors que tout porte à croire que ces mutants constituent dès à présent la nouvelle menace ? Que dira-t-on aux gens vaccinés si la menace devient réalité d’ici quelques semaines ?
Rappelons au passage que sur les formes "classiques" du virus, l'efficacité généralement constatée n'est que de 76% alors qu’elle atteint en général 97% pour les vaccins à ARN messager.
Rappelons enfin que le vaccin d’Astra Zeneca n’est toujours pas autorisé au États-Unis, et qu’il ne le sera probablement jamais. En Europe, beaucoup de pays ont imposé des limites strictes à son utilisation et d'autres, tel le Danemark, l'ont déjà stoppée.

Décidément, les vaccins classiques n’ont plus la cote. Conçus à partir de virus vivants “non replicatifs”, modifiés génétiquement pour porter le message antigénique du COVID, ils entraînent des effets secondaires certes très rares mais très graves, possiblement par stimulation d’auto-anticorps interférant avec la coagulation. Ces accidents peuvent être mortels ce qui est difficile à accepter, sachant que les nouveaux produits basés sur l’ARN messager paraissent eux totalement dépourvus de tels inconvénients, qu’ils sont sensiblement plus efficaces, et au surplus,
 faciles à faire évoluer en cas d’apparition de variants.
Même si on nous rabâche que la fameuse “balance bénéfice-risque” reste “globalement favorable” à l'astrazeneca, comment ne pas préférer être immunisé par les nouveaux produits puisqu’il y a le choix ?
Le Gouvernement a-t-il raison de s’entêter à convaincre les hésitants et les récalcitrants de se faire injecter envers et contre tout ce vaccin (jusqu’à en imaginer la promotion par la malheureuse Sheila ) ?
Sous la férule de leur général en chef, nos sémillants ministres ont déclaré la "guerre" au virus, mais ils ont hélas à ce jour perdu toutes les batailles… Ne s'exposent-ils pas par leur obstination, à devoir affronter un nouveau scandale sanitaire ?
Heureusement, comme en 44 les Américains ont débarqué avec leurs armadas nommée Pfizer et Moderna. Puissent-ils parvenir à bouter enfin cet agent infectieux loin, très loin, au fin fond des mauvais souvenirs...

23 avril 2021

Par delà le Bien et le Mal ? (3)

A côté des grandes thématiques philosophiques dont il faut rassembler les éléments épars à la manière d’un puzzle, on trouve dans Par delà le Bien et le Mal, quantité d’incises sur des sujets très divers.
On trouve parmi celles-ci des considérations sur la femme qui pourraient rendre fou plus d’un(e) féministe. Qu’on en juge par quelques citations explicites :
“En comparant, dans leur ensemble, l’homme et la femme, on peut dire: la femme n’aurait pas le génie de la parure, si elle ne savait pas par instinct qu’elle joue le second rôle…”
“La femme veut s’émanciper: et cause de cela elle se met à éclairer l’homme sur la femme en soi. C’est là un des progrès les plus déplorables de l’enlaidissement général de l’Europe….”
“La femme dégénère… Depuis la Révolution française l'influence de la femme a diminué dans la mesure où ses droits et ses prétentions ont augmenté.. Nier l’antagonisme profond et la nécessité d’une tension hostile entre l’homme et la femme, Rêver de droits égaux, d’éducation égale, de prétention et de devoirs égaux, voilà des indices typiques de la platitude d’esprit..”
“Qu’importe la vérité à la femme ? Son grand art est le mensonge…”
“N’est-il pas vrai que, tout compte fait, “la femme” a surtout été mésestimée par les femmes et non par nous ?”
“Même les femmes, au fond de leur vanité personnelle, ont toujours un mépris impersonnel pour “la femme”...”

Et pour finir, voici quelques réflexions ciselées dans le marbre d’un froid mais étincelant nihilisme :
“Les cloîtres, maisons de correction de l'âme…”
“L’amour d’un seul est une barbarie, car il s’exerce aux dépens de tous les autres. De même l’amour de Dieu…”
“Celui qui a plongé son regard au fond de l’univers devine très bien quelle profonde sagesse il y a dans le fait que les hommes sont superficiels..”
“Vivre, n’est-ce pas précisément l’aspiration à être différent de la nature ?”
“Gardez-vous des principes téléologiques superflus”
“Personne ne ment autant que l’homme indigné”
“Tout ce qui est profond aime le masque”
“Le criminel n’est souvent pas à la hauteur de son acte: il le rapetisse et le calomnie…”
“L’objection, l’écart, la méfiance sereine, l’ironie sont des signes de santé. tout ce qui est absolu est du domaine de la pathologie”
“C’est dans la France contemporaine, comme il est facile de le montrer et de le démontrer, que la volonté est le plus malade.”
“Le philosophe en sa qualité d’homme nécessaire de demain et d'après-demain, s’est toujours trouvé et a dû se trouver toujours en contradiction avec son époque...”

Au sortir de cet ouvrage, l’impression est plus que jamais confuse, car si les idées, les concepts et les théories volent parfois très haut, c’est en toutes directions, sabrant souvent le bon sens, décapitant nombre de préjugés, tordant le cou à quantité d’idées reçues, mais ne permettant pas l’édification d’une construction solide.
Avec Gustave Thibon*, on peut faire le constat que “chez Nietzsche, la doctrine est toujours déterminée par les passions et les réactions de l'homme.” Dans son discours, on trouve de tout : “l’aigle et le serpent, l'éclair et le nuage, le démon qui ricane et l’ange qui bénit.../… La mesure apollinienne s’allie à l’ivresse dionysiaque, la lucidité, la réserve ondoyante du sceptique rejoignent l’ardeur aveugle du mystique; du pessimisme le plus sombre, jaillit l’espérance la plus radieuse; chaque chose est grosse de son contraire et tout cela alterne et se mêle dans une ronde à laquelle il faut participer pour en percevoir la mystérieuse harmonie…”

D’une seule phrase, terrible, Nietzsche révéla le superbe mais tragique isolement dans lequel il s’était lui-même enfermé : “Depuis ma plus tendre enfance”, écrivit-il à sa sœur, “je n’ai jamais trouvé personne qui partageât la détresse de mon cœur et de ma conscience.../… Je n’ai ni dieu, ni amis…” Tout est dit… A force d’avoir rejeté le monde, il se trouvait confronté à l’impossibilité de son fabuleux dessein et à l'absurdité de son projet...

* Nietzsche où le déclin de l'esprit. Gustave Thibon. Fayard.

17 avril 2021

Par delà le Bien et le Mal ? (2)

Dans sa démarche de destruction des valeurs morales, loin de s’arrêter aux considérations sociétales,
Nietzsche s’attaque à "un autre préjugé moral", qui est de “croire que la vérité vaut mieux que l’apparence.”
Cette attitude, qui ressemble à un retour en arrière anti-copernicien, l'amène, à force de pousser le raisonnement jusqu’à l’absurde, à poser une question existentielle fondamentale : “Pourquoi le monde qui nous concerne ne serait-il pas une fiction ?” et à se demander in fine, “pourquoi une fiction nécessiterait-elle un auteur ?”
Il évacue au passage la problématique du libre arbitre. Ses propos sur le sujet sont lapidaires : “Ce n’est certes pas le moindre charme d’une théorie que d’être réfutable. Je crois que la théorie cent fois réfutée du libre arbitre ne doit plus sa durée qu’à cet attrait…”
Pour Nietzsche, cette notion n’exprime tout au plus “qu’une supériorité vis-à-vis de celui qui doit obéir : Je suis libre, il doit obéir…”
Comme il n’est pas avare de contradictions, il précise que si quelqu’un s’avise de “la naïveté grossière de ce concept monstrueux, et qu’il souhaite le retrancher de son cerveau, je le prierai de faire un pas de plus et se retrancher également le concept contraire de déterminisme !” 
Mais que reste-t-il, si nous ne sommes ni libres, ni déterminés ?

Le nouveau démiurge ayant décrété que le monde était une fiction dénuée de morale et même de créateur, il peut, à la manière de Prométhée, s’arroger le droit de proclamer que “Dieu est mort”.
Dès lors que le feu sacré est tombé des cieux, tout devient permis. Il n’y a plus ni bien ni mal, et la religion doit être honnie comme étant “le sacrifice de toute indépendance, de toute fierté, de toute liberté à l'esprit. Ravalée au rang de “servilité”, “d’insulte à soi-même”, de “mutilation de soi”, la foi n’a plus de raison d’être ici-bas et pas davantage évidemment ses “trois dangereuses prescriptions: la solitude, le jeûne, la chasteté..”
Curieusement Nietzsche garde toutefois une certaine indulgence pour l’Ancien Testament. Ce qu’il ne supporte pas, c’est qu’on lui ait accolé le Nouveau, “au goût si rococo”, pour en faire la Bible. C’est à ses yeux, “le plus grand péché que l’Europe littéraire ait sur la conscience !”

Les deux religions qui ont régné durant des siècles sur l’Europe seraient donc pour l’imprécateur moustachu, “une des principales causes qui ont maintenu le type “homme” à un niveau inférieur…” Elles auraient grandement contribué à “briser les forts, affadir les grandes espérances, rendre suspect le bonheur dans la beauté, abattre tout ce qui est souverain, viril, conquérant et dominateur, écraser tous les instincts qui sont propres au type “homme” le plus élevé et le mieux réussi, pour y substituer l’incertitude, la misère de la conscience, la destruction de soi…”
Le résultat d’un tel avilissement, nous l’avons sous les yeux : c’est “une espèce amoindrie, presque ridicule, une bête de troupeau, quelque chose de bonasse, de maladif et de médiocre, l’Européen d’aujourd’hui..”
De ce point de vue, les nouveaux philosophes (issus des Lumières…) sont les alliés de facto des Églises. Ce sont des niveleurs : “ce à quoi ils tendent de toutes leurs forces, c’est le bonheur général des troupeaux sur le pâturage, avec la sécurité, le bien être et l’allègement de l'existence pour tout le monde” Les deux rengaines qu’ils chantent le plus souvent, sont “égalité des droits” et “pitié pour tout ce qui souffre”, et “ils considèrent la souffrance elle-même comme quelque chose qu’il faut supprimer.”
Après avoir éliminé Dieu, il faudrait donc abandonner le mouvement démocratique qui est “une forme de décadence, c'est-à-dire de rapetissement chez l’homme, comme le nivellement de l’homme et sa diminution de valeur”; c’est en d’autre termes, “l’abêtissement de l’homme jusqu’au pygmée des droits égaux et des prétentions égalitaires.”
Pour contrecarrer cette évolution débilitante, Nietzsche prône l’avènement du fameux “surhomme”. “Quel bien-être”, s’exclame-t-il, “quelle délivrance d’un joug, insupportable malgré tout, devient, pour ces Européens, bêtes de troupeau, la venue d’un maître absolu !”
C’est à Napoléon qu’il pense en l’occurrence, lui qui vint après “l’horrible farce” de la Révolution française, et qui résume à lui seul “l’histoire du bonheur supérieur, réalisé par ce siècle tout entier, dans ses hommes et dans ses moments les plus précieux.”

On a trop souvent assimilé ce désir d’ordre et de puissance aux diktats totalitaires qui allaient faire tant de ravages au XXème siècle, et on a fait un peu trop vite de Nietzsche le mentor de Hitler. S'il en fut hélas l'un des inspirateurs, il paraît clair que le national-socialisme ne fut qu’un avatar grossièrement dénaturé de sa pensée.
Il n’est pas difficile de s’en convaincre, car il est évident que Nietzsche détestait par avance à peu près tout ce que ces idéologies désastreuses portaient aux nues.
Il avait par exemple en horreur le nationalisme, opposé à l’union des peuples, qu’il souhaitait ardemment : “Grâce aux divisions morbides que la folie des nationalités a mises et met encore entre les peuples de l’Europe.../… on méconnaît ou on déforme mensongèrement les signes qui prouvent de la manière la plus manifeste que l’Europe veut devenir une…”
S’il voyait au sein de l'Humanité, des hommes "supérieurs", le racisme lui était manifestement étranger, et s’il faisait le constat que l’Allemagne avait “largement son compte de juif”, il ne partageait nullement l’anti-sémitisme qui commençait à monter dans l’esprit de ses contemporains. Il redoutait avec beaucoup de clairvoyance “les déchaînements et les malfaisantes et honteuses manifestations que provoque ce sentiment une fois débridé…”
Dans ses écrits, il exprime d’ailleurs une sincère admiration pour les Juifs, “incontestablement la race la plus énergique, la plus tenace et la plus pure qu’il y ait dans l’Europe actuelle !” Dans le même temps, il constate qu’ils “ont soif d’avoir un endroit où ils puissent enfin se poser et jouir enfin de quelque tolérance et de considération.” Étonnante anticipation de la création d’Israël…
On ne trouve enfin aucune sympathie pour le socialisme dont il donna dans un autre ouvrage (Humain trop humain) une définition très percutante, applicable aussi bien au national-socialisme qu’aux régimes d’inspiration marxiste-léniniste : “Le socialisme est le frère cadet du despotisme mourant dont il s’apprête à recueillir l’héritage: aussi ses efforts sont, en profondeur, réactionnaires. Il est avide en effet, de porter la puissance de l’État à un degré de plénitude que le despotisme n’a jamais connu; mieux encore, il renchérit sur tous les excès du passé, en ce sens qu’il poursuit méthodiquement la destruction de l’individu qu’il considère comme un luxe injustifié de la nature et qu’il prétend corriger en en faisant un membre bien réglé de l’organisme collectif…”
A suivre...

11 avril 2021

Par delà le Bien et le Mal ? (1)

Après avoir tourné pendant des années, qui me semblèrent des siècles, autour de cet astre tout à la fois ténébreux et flamboyant, je me suis enfin risqué à l'approcher…
J’ai donc plongé dans l’ouvrage de Friedrich Nietzsche (1844-1900) que j’avais à portée de main, afin d’explorer le monde étrange et redouté qui se situe Par delà le Bien et Le Mal.
Et j’ai découvert un étonnant patchwork anti-philosophique, fait de maximes, d’aphorismes et de sentences disparates. Une sorte de kaléidoscope multicolore dans lequel on peut trouver de vraies pépites mais aussi un foutoir confus, sans structure autre qu’une foule d’affirmations péremptoires, jetées tous azimuts, sans transition mais non sans périphrases et contradictions.
Pourquoi cette impression ?

Nietzsche commence par envoyer en enfer la philosophie et avec elle tous les philosophes qui ont eu le malheur de le devancer. De Platon à Schopenhauer, tout le monde y passe. Le premier parce qu’il a commis l’erreur d’inventer le socratisme qui introduisit l’utilitarisme dans la morale, autrement dit le ver dans le fruit....
Le ton est donné, mais ce n’est que le début du festival dévastateur.
Plus proche de nous, le vénérable Kant est méchamment tourné en dérision. Son “impératif catégorique”, et sa découverte de “la faculté morale de l’homme”, sont qualifiés “d’amphigouri germanique”, “prolixe, solennel”, “un étalage de profondeur”...
Dans la foulée, le lecteur est invité à se méfier “des jongleries mathématiques dont Spinoza a masqué sa philosophie” et des pensées de Pascal, trop marquées par la foi, laquelle s’apparente “à un continuel suicide de la raison”...
L’école anglo-saxonne n'est pas davantage épargnée. Elle est même traitée avec le plus profond mépris. Hobbes, Locke et Hume sont condamnés sans appel pour avoir été la cause, plus d’un siècle durant, “d’un ravalement et d’un amoindrissement de l’idée même de la philosophie…” Il faudrait donc, entre autres jugements expéditifs, réfuter absolument “l’esprit superficiel de Locke en ce qui concerne l’origine des idées…” mais aussi rejeter l’enseignement de Bacon, qui constitue “une attaque contre tout esprit philosophique”. Enfin, si Darwin, John Stuart Mill, Herbert Spencer sont qualifiés “d’Anglais estimables”, leur apport se cantonne à “des vérités qui ne pénètrent nulle part mieux que dans les têtes médiocres, parce qu’elles sont faites à leur mesure”...

En somme, pour Nietzsche, le péché fondamental des philosophes est de “créer toujours le monde à leur image”. Ils ne peuvent pas faire autrement car “la philosophie est cet instinct tyrannique, cette volonté de puissance la plus intellectuelle de toutes, la volonté de créer le monde, la volonté de la cause première…”
Mais comment suivre les errements d’un tel guide, fussent-ils parfois éclairés par des trouvailles géniales, fussent-elles incandescentes comme des scories sous le marteau brûlant du forgeron ? Comment trouver une cohérence à un discours aussi destructeur, aussi bourré de contradictions ? Et qu’est-il donc, s’il n’est pas philosophique ?
Son architecture a beau paraître claire, décomposée en chapitres sobrement intitulés, et subdivisée en réflexions numérotées avec un zèle d’entomologiste, il s’avère difficile d’y trouver un chemin logique. Tout au plus peut-on rassembler sous des chapeaux idéologiques les quelques constantes d’une pensée très éparpillée.

Prenons l’exemple de la Morale qui est un des sujets récurrents de l’ouvrage, dont le titre est au demeurant explicite de ce point de vue.
On comprend vite que celui qui se targuait de pouvoir faire parler Zarathoustra se positionne ailleurs qu’à l’endroit où végète selon lui le commun des mortels, en tout cas pas dans un monde régi par des canons éthiques classiques.
On a déjà vu comme il bouscule les concepts kantiens en la matière, on verra comme il piétine avec jubilation les fondamentaux religieux.
Pour Nietzsche, c’est simple, la morale, dans le sens de la “morale d’intention”, n’est rien d’autre “qu’un préjugé , une chose hâtive et provisoire peut-être, de la nature de l'astrologie et de l’alchimie…” C’est tout dire !
On a beaucoup glosé sur la distinction qu’il fait entre “morale des esclaves” et “morale des maîtres”, mais elle est tout sauf morale, et paraît tellement ambiguë dans son esprit qu’il en vient à admettre que “parfois les deux sont accommodées au sein de la même civilisation”, voire “au sein d’une même personne à l’intérieur d’une seule âme”... Comprenne qui pourra !
On ne peut toutefois pas lui retirer une certaine prescience lorsqu’il déclare consterné, que “partout où la morale des esclaves arrive à dominer, le langage montre une tendance à rapprocher les mots “bon” et “bête”...” N’est-ce pas la préfiguration de la correction politique, de la cancel culture, et du fatras de bien-pensance, de bienveillance, de remords et de mauvaise conscience qui rongent à présent nos sociétés ? (à suivre...)

31 mars 2021

In Memoriam Bertrand Tavernier

Je ne suis pas de ceux qu'on pourrait ranger parmi les aficionados de Bertrand Tavernier (1941-2021). Son cinéma m'a souvent paru un peu lourdingue et les causes pour lesquelles il crut bon de s'engager, un peu trop conformistes.

Il y a toutefois quelques films qui valent le détour, dans lesquels il s'est laissé allé sans trop de scrupules ni de préjugés mais avec le souci tout simple de rendre une atmosphère, un climat, ou de saisir par petites touches le cours fluctuant d'existences plus ou moins contrariées, plus ou moins passionnées. Il en est ainsi des charmantes saynètes familiales d’Un Dimanche A La Campagne, des subtiles notes bleues d’Autour De Minuit, ou de la plongée poisseuse Dans La Brume Électrique du bayou de Louisiane
La télévision nous a donné l’occasion de revoir à l’occasion des hommages rendus au cinéaste récemment disparu, le caustique Quai d’Orsay, un de ses derniers films, daté de 2013.
Cette satire de la vie à la Cour Républicaine met en scène un clone survitaminé de Dominique de Villepin, en pleine crise “lousdémistanienne”, alors que lui et ses conseillers préparent fiévreusement un important discours onusien. Le parallèle avec l'affaire irakienne est clair.
Tiré d’une bande dessinée, ce long métrage peine à en transcrire les ressorts comiques. Mais on ne s’y ennuie pas et, derrière les outrances et le cabotinage jubilatoire de Thierry Lhermitte dans le rôle principal, on trouve une satire de tout ce qui fait la folie française. Lourdeurs bureaucratiques, confusion dantesque des administrations, coutumes protocolaires archaïques, fastes inutiles, et pour finir, grandiloquence et boursouflure dans le verbe à défaut d’action. Tout cela conduit à une théâtralisation grotesque de la vie politique qu'incarnait à merveille le sémillant ministre des affaires étrangères de l'époque, mais dont on retrouve bien des travers aujourd’hui encore, en pleine pandémie de COVID-19.

“Responsabilité”, “Unité”, “Efficacité” sont les 3 piliers idéologiques, plus vrais que nature, autour desquels s’articule la fameuse oraison qui fut prononcée à New York, devant l’aréopage des nations. Elle se voulut point d’orgue de la diplomatie française, et se révéla chef d’œuvre de la vacuité politique !
En cette occasion comme dans beaucoup d’autres, l’État fit le contraire de ce qu’il annonçait pompeusement à la pointe de ses grandes charges rhétoriques, aussi clinquantes que vaines. On vit, en l’occurrence, jetés dans une exaltation féroce à la face des États-Unis d’Amérique, de grands principes, non seulement lâches mais totalement irresponsables, qui contribuèrent grandement à rompre l’unité fragile de la Communauté Internationale. S’ils n’empêchèrent pas au bout du compte, le déroulement d’une intervention militaire rapidement couronnée de succès, ils la rendirent inefficace à long terme, faute d’une détermination unanime des acteurs impliqués. En même temps qu'il avait trahi ses amis, le "vieux pays" avait instillé un poison dévastateur dans les esprits et dans l'opinion publique...
Il est dommage que la critique tourne à la pantalonnade, se limitant en somme à quelques pitreries plutôt bien-pensantes. Le propos est moqueur mais il reste bien aimable, et s’il vise l’homme dans son donquichottisme, il épargne le système, dont on rit mais qui demeure indemne.
Dans ce film, comme dans d’autres, Tavernier aurait pu se faire imprécateur, mais faute d’avoir osé attaquer en profondeur, il est resté dans l’écume, brillant mais éphémère...

29 mars 2021

Romance au Botswana

Qui connaît Seretse Khama ? Qui connaît la capitale du Botswana ? Et qui connaît mieux qu’à peine ce pays, presque aussi grand que la France mais dont on ne parle quasi jamais ?
Il est situé entre la Namibie et le Zimbabwe (ex-Rhodésie), au nord de l’Afrique du Sud. Sa capitale est Gaborone, ville quasi frontalière avec cette dernière, et que 300 kilomètres à peine séparent de Pretoria.
Parfois qualifié de Suisse de l’Afrique, le Botswana fut le siège d’une aventure assez extraordinaire, alors que le monde se remettait tout juste des horreurs de la seconde guerre mondiale.

Connu à l'époque sous le nom de Bechuanaland, le Botswana était un protectorat britannique et Seretse Khama (1921-1980) était l’héritier putatif de la couronne royale de la dynastie tribale des Khama dont son père était le dernier représentant en fonction. A la mort de ce dernier en 1925, le fils était bien trop jeune pour assumer la charge, confiée à la régence de son oncle Tshekedi Khama.
Parti pour l’Angleterre en vue d’y faire ses études et parfaire sa connaissance du monde et notamment des liens qui unissaient l'empire anglo-saxon à sa nation, réduite à l'état de vassale, un évènement imprévu bouleversa le cours du destin. Il arriva que le jeune prince s’éprit d’une compatriote de Shakespeare, nommée Ruth Williams, avec laquelle il se trouva beaucoup d’affinités dont un amour immodéré pour le jazz... 
Mais ce qui allait devenir une grande histoire d’amour se heurta très vite à de nombreux obstacles. Ce fut tout d'abord la famille de Ruth, qui exprima sa réprobation, surtout lorsque Seretse manifesta l’intention d’épouser celle pour laquelle il avait une si forte inclination.
En dépit des réticences, le mariage fut toutefois célébré en 1948, mais de retour au Botswana, le prétendant au trône et son épouse furent accueillis plutôt fraîchement, notamment par l'oncle tuteur, pour lequel il paraissait impensable que la future reine fut blanche et d’origine étrangère.
Le Conseil des Anciens fut plus compréhensif et donna raison au jeune prince plutôt qu’à son oncle, lequel préféra l’abdication à ce qu’il pensait être le déshonneur. La partie était loin d'être gagnée toutefois.
Alors que Seretse était reparti en Angleterre pour y plaider sa cause, il rencontra des réticences très vives de la part des autorités. Celles-ci voyaient également cette union d’un très mauvais œil, craignant en effet qu'elle entraine la détérioration des relations avec l’Afrique du Sud dont l’or et l’uranium étaient plus que jamais nécessaires au sortir de la guerre.
Résultat, le gouvernement travailliste de l’époque s’opposa au retour de Seretse dans son pays natal et Churchill, parvenu peu après au pouvoir, fit de cet exil un bannissement définitif, en dépit semble-t-il d’engagements pré-électoraux…

Ce n’est qu’en 1956, alors qu’il avait déjà donné naissance à deux enfants, que le couple fut enfin autorisé à repartir pour le Botswana, mais en tant que simples citoyens...
Bien que contraint de renoncer au trône, Seretse Khama ne se découragea pas. Il entreprit une carrière politique et fonda le Parti Démocratique du Bechuanaland. Grâce à sa popularité et peut-être aussi à la sincérité et au courage dont il sut faire preuve, son ascension fut rapide et après avoir gagné les élections, il devint premier ministre puis président de la république en 1966 lorsque son peuple obtint l’indépendance.
Le Botswana qui était alors un des trois pays les plus pauvres d’Afrique vit peu à peu sous son autorité sa situation s’améliorer et son organisation politique prendre la forme d’une démocratie moderne. Resté tel jusqu’à nos jours, il fut nettoyé de la corruption, mal endémique en Afrique, doté d’une fiscalité incitative et d’une gestion intelligente des ressources minières. Hélas ce brillant parcours fut interrompu par la mort prématurée de Seretse, atteint d'un cancer du pancréas à l'âge de 59 ans. Son fils, Ian, fera à son tour de la politique et accédera lui aussi à la présidence de la république 28 ans après la mort de son père.

Jusqu’à la disparition de Seretse, jamais l’union des amants hors normes ne fut prise en défaut. Cette aventure méconnue et à peine croyable, a été portée au cinéma par la réalisatrice Amma Asante. C’est le mérite de cette dernière que d’avoir fait sur ce sujet délicat mais très actuel, une œuvre mariant avec efficacité et pudeur la romance avec l’Histoire, sans sombrer dans le mélo, le sermon ou la grandiloquence. Le film, United Kingdom, interprété par David Oyelowo et Rosamund Pike, reçut un accueil mitigé de la critique. Il est certes classique dans la forme et sa narration s’inscrit dans un schéma très linéaire. Inspiré de faits réels qui sont racontés sans discours inutilement moralisateur ni victimaire ou revanchard, et sans fioriture par trop mélodramatique, il n’en est pas moins édifiant et pourrait être érigé en modèle par nombre de champions de l’anti-racisme, beaucoup plus à l’aise dans les accusations et la révolte que dans la glorification de visions apaisées ou l’éloge de personnes constructives...


22 mars 2021

L'Heure des Comptes

Alors que la France semble devoir pour la troisième fois faire face à une importante poussée contagieuse liée au funeste COVID-19, il est sans doute encore un peu trop tôt pour tirer des enseignements définitifs de cette interminable épidémie.
Pourtant la sortie de crise n’est peut-être plus si lointaine lorsqu’on voit la situation s’éclaircir et l’horizon se dégager dans les pays ayant précocement misé sur la vaccination. Par comparaison, la stratégie française, quoique bienveillante, reste hélas quelque peu erratique. Depuis le début de la pandémie, il s’avère que nous sommes toujours en retard à chaque rendez-vous. Même si l’on peut faire preuve d’indulgence pour nos dirigeants qui n’ont pas une tâche aisée, on est sidéré d’entendre leur auto-satisfaction, lorsqu’ils vantent leur politique qui selon eux aurait mieux permis que dans nombre d’autres pays d’éviter les pics dramatiques de contamination. Dimanche soir encore, on pouvait entendre Thierry Breton, “monsieur vaccin pour l’Europe”, prétendre avec une intrépidité indécente, que notre continent était en tête s’agissant de la production vaccinale, et assurer que tout se passait pour le mieux en matière de logistique. Il alla jusqu’à affirmer que tant de doses allaient arriver prochainement, qu’on pouvait balayer avec dédain l’hypothèse d’un recours au vaccin Sputnik V que les Russes peinent paraît-il à fabriquer, proposant même avec un culot d’acier l’aide de nos usines de production !

Si l’heure n’est pas encore au bilan, la Cour des Comptes quant à elle en est à celle des rapports. Comme à l’accoutumé, ils ne sont guère flatteurs pour nos Pouvoirs Publics. Spectacle toujours cocasse que cette institution payée par l'État nous donne, en “épinglant” régulièrement les lacunes et erreurs de ce dernier, sans qu’aucune conséquence pratique n’en soit jamais tirée !
Récemment les censeurs de la rue Cambon s’en sont donné à cœur joie pour critiquer l’organisation du système de santé.
En octobre dernier, on avait eu droit à un réquisitoire au vitriol concernant les réformes Bachelot, Touraine, Véran & Co qui avaient institué les Groupements Hospitaliers de Territoires (GHT), plusieurs fois évoqués depuis des années avec rage et désespoir au fil de ce blog (la santé enfin soviétisée, Diplodocus and Co, l’Etat voit tout, L’Hôpital au bord du gouffre…).
Pour faire simple, ce texte concluait à l’échec sur à peu près tous les volets de cette réforme. Les GHT, véritables monstres administratifs regroupant de manière autoritaire les établissements de santé publics d’un même territoire de santé (entité géographique créée pour la circonstance...), n’ont pas permis l’amélioration promise de la qualité des soins. Ils ont en revanche provoqué un accroissement des coûts et des dépenses de santé et compliqué considérablement leur gouvernance, ajoutant des tonnes de bureaucratie, multipliant à l’infini les instances plus ou moins décisionnelles et rendant inintelligible la gestion sur le terrain. C’est donc un fiasco monumental auquel on assiste, dont l’issue était comme souvent, prévisible. Pour y remédier en revanche, rien de rien à l’horizon. Dont acte...

Plus récemment, le rapport annuel de la même Cour des Comptes pointait sévèrement l’impréparation de la machine étatique face à la crise du coronavirus. Comment faire autrement après que chacun a vu les retards à agir, l’impossibilité de produire un vaccin, l’inertie et les errements qui ont entaché la stratégie française à chaque étape de la progression du virus ?
Le fait le plus frappant, souligné par ce constat, est sans doute l’incapacité des services de réanimation à faire face à un afflux exceptionnel de patients. Sans être méchant, on pourrait dire que tout a été fait par les kyrielles de ministres qui se sont succédé rue de Ségur depuis des décennies pour en arriver là. Diminution arbitraire du nombre de lits, sectorisation et cloisonnement absurde des unités, normalisation délirante des ratios de personnels, tout s’est conjugué pour empêcher l’augmentation rapide des capacités de réanimation en cas de nécessité. C’est un vrai scandale organisé par l’État et ses succursales de tutelle, les Agences Régionales de Santé (ARS), auquel ont hélas collaboré avec candeur nombre de médecins. Ravis de jouer au Monopoly territorial institué par l’Administration, ils ont pris plaisir, au vu de critères arbitraires, à fermer des services ou contraindre l’activité de leurs confrères pour mieux la quadriller et la centraliser.
Aujourd’hui, on entend qu’on a trop fermé de lits dans les hôpitaux, qu’on a trop réduit le nombre de médecins, qu’on a cherché la rentabilité au détriment de la qualité. Il n’y a rien de plus faux. Partout dans le monde on a procédé à des ajustements similaires, rendus logiques par  l’allègement de beaucoup de prises en charge. Le problème de la France est qu’elle n’a pas su développer des alternatives, notamment mettre sur pied des services à géométrie variable, déléguer certains actes au personnel para-médical et réduire enfin les dépenses administratives.
Résultat,  notre système est asphyxié par les réglementations, et croule sous les normes. Les capacités des services de réanimation étant rendues inextensibles en cas d’afflux, on bricole en les faisant déborder vers des unités inadaptées, tant pour leurs locaux que pour leur matériel et leur personnel. Surveillance Continue, Soins Intensifs, Déchoquage, ou même Salles de Surveillance Post-Interventionnelle, et pour finir, transferts inter-hospitaliers dispendieux, tout est mis à contribution à la va comme je te pousse.
Facteur aggravant, la crise n'a pas déclenché d'actions correctives. Depuis un an, aucune mesure pratique n’a été envisagée pour revenir sur ce mécano archaïque. Malgré quatre réformes, depuis le début de l’ère Macron, aucune vraie réorganisation du système de santé n’a été proposée, aucun allègement de la technostructure n’a été pensé. On s’est borné à quelques augmentations de salaires, qui n’ont pas calmé le malaise général des soignants. La soviétisation de la santé semble arrivée à un point de non retour et plus personne ne sait ou n’ose quoi entreprendre. Beaucoup de personnels lassés continuent de déserter l’hôpital public dont les difficultés pourraient donc encore s’accroître prochainement.

Ces tout derniers jours encore, les recommandations vaccinales contradictoires, le confinement sans confinement, les attestations sans attestation, l’inaptitude à empêcher les rassemblement monstres, sources évidentes de foyers de contagion, et cerise sur le gâteau, le comportement irresponsable de la ministre de la culture, anciennement ministre de la santé, démontrent de manière désespérante l’insistance des pouvoirs publics, à préférer subir les évènements plutôt que les anticiper ...

12 mars 2021

Tristes règnes

Dans l’optique de la déconstruction du passé et des repères culturels traditionnels, qu’il me soit permis de recommander deux films récents particulièrement édifiants. Tous deux sont sortis en 2018 et tous deux concernent l’histoire du Royaume Uni et de ses reines.
Le premier porte le nom de la souveraine dont il conte la triste histoire, Marie Stuart (1542-1587), indissociablement liée par le destin à sa cousine Elisabeth Ire Tudor, et il est mis en scène par Josie Rourke. Le second, La Favorite, se situe plus d’un siècle plus tard et s’intéresse sur un ton beaucoup plus léger, à la cour d’Anne d’Angleterre (1665-1714), dernière représentante de la Maison Stuart. Il est l'œuvre du cinéaste grec Yórgos Lánthimos.
S’agissant des qualités cinématographiques, disons que le premier, de facture très classique, offre de magnifiques vues de l’Écosse et une reconstitution très soignée de la vie de l’époque. N’étaient les longueurs et le déroulement très linéaire, pour ne pas dire statique des évènements, on pourrait dire qu’il s’agit d’un beau spectacle. Ajoutons à cela que les rôles principaux sont remarquablement bien distribués et que les actrices portent de manière impressionnante les destinées dramatiques qu’elles incarnent, Saoirse Ronan en Marie Stuart et plus encore Margot Robbie en Elisabeth I.
On ne peut en dire autant de La Favorite, de conception formelle certes plus audacieuse mais tellement boursouflée qu’elle agace rapidement. Le réalisateur fait en effet assaut d’artifices supposés rendre vivant le récit qu’il propose, mais c'est en pure perte. L’abus des travelling angulaires, façon jeu vidéo, réalisés avec un objectif fish-eye, donne le tournis. En dépit du soin apporté à la confection des costumes, les prises de vue sont souvent imprécises ou bien crépusculaires à force de vouloir rendre avec réalisme l’éclairage aux chandelles. On est loin de Kubrick…
Rien à dire sur la qualité intrinsèque des acteurs, surtout des actrices en l’occurrence. Olivia Colman (la reine Anne), Rachel Weisz (l’impétueuse Sarah Churchill, duchesse de Marlborough), et Emma Stone (Abigail, l’intrigante favorite) se démènent pour s’inscrire au mieux dans le scénario bouffon que le réalisateur leur fait jouer, qui relève de l’histoire vue par le petit bout de la lorgnette.

Le vrai problème est là : on n’apprend rien de ces mises en perspectives pseudo-historiques. Rien sur les époques, ni sur les grands enjeux politiques et sociaux qui les marquèrent. Et rien de rien sur leur foisonnement culturel. Ce n’est certes pas l’objectif poursuivi lorsqu’on cherche avant tout à faire ressentir le destin dramatique de l’infortunée Marie Stuart, mais face à elle, Elisabeth I (1533-1603) paraît bien terne et timorée malgré son maquillage outrancier. On peine à imaginer qu’elle incarne l’âge d’or anglais, pendant lequel s’illustrèrent nombre d’écrivains à commencer par Shakespeare…

S’agissant de la reine Anne, c’est bien pire encore. On la fait passer pour une personne passablement évaporée, capricieuse si ce n’est idiote, totalement sous la coupe de sa première favorite Lady Sarah. Cette souveraine qui endura 17 grossesses dont aucune ne permit d’offrir à son pays un héritier adulte, aurait passé, si l’on en croit ce film, le plus clair de son temps à cajoler ses lapins qui pullulaient dans les salons du palais, à se goinfrer de pâtisseries, et à hurler de manière hystérique sur tout et n’importe quoi, tout ça pour finir rongée par la goutte et les crises d’apoplexie ! On passe totalement sous silence qu’elle fut une mécène avisée, qui apporta un soutien financier au musicien Haendel, et dont le règne fut caractérisé par l’émergence d’un style architectural novateur, et d’une belle floraison d’artistes et de littérateurs parmi lesquels on compte Daniel Defoe, Jonathan Swift, et Alexander Pope.

C’est bien là une étrangeté que de voir ces cinéastes réaliser des œuvres qui furent qualifiées de féministes par nombre de critiques enthousiastes, mais qui donnent si peu d’importance à la stature politique de leurs héroïnes. Alors qu’elles ont fait face avec courage et détermination à leurs responsabilités, on insinue qu’elles n’auraient été que les jouets d’hommes, par nature tous néfastes, cupides, lubriques, inconstants ou méchants. Pire, on les montre préoccupées avant tout de considérations domestiques dérisoires ou scabreuses. Et pour faire moderne on brode ou bien on invente des relations homosexuelles débridées dans l’entourage intime de Marie Stuart, en soulignant sa grande indulgence, très peu vraisemblable, vis à vis de comportements exhibitionnistes, voire franchement obscènes. Chez la reine Anne, encore une fois c’est pire. Les femmes sont lesbiennes et l’affichent sans vergogne et sans aucun état d'âme. La gent masculine est quant à elle grotesque, stupide et les rôles de ses représentants, quasi inexistants.
Passons enfin sur les incongruités et anachronismes qui nous donnent à voir des lords “de couleur” au XVIè siècle, des dames de compagnie aux yeux bridés, et qui donne à entendre un langage plein de trivialités et d’expressions quelques peu décalées.

Au total, en fait de reconstitution rigoureuse, on a droit à une destruction en règle de faits communément établis et on assiste à un travestissement sans grand intérêt de l’histoire puisqu’il n’a pour seul dessein que de satisfaire aux codes idéologiques et à la mode d’un temps qui ne sait pas vers quels abimes il dérive…
Au moment même où la monarchie britannique est à nouveau ébranlée par les caprices et les inconséquences de certains de ses héritiers, ces images distillent avec une délectation morbide le mortel parfum de la décadence.