28 février 2007

L'hôpital dans tous ses états


Début Octobre 2006, la Fédération Hospitalière de France lançait un grand débat sur l'avenir des hôpitaux. Elle ouvrait à cette fin sur l'internet un gigantesque blog censé déboucher sur une « nouvelle plate-forme pour l’avenir de l’hôpital public ».
L'intention était fort louable, mais les résultats deux mois après ce lancement très médiatisé sont plutôt décevants.

On pourrait commencer par reprocher le manque de convivialité du dit blog, prolixe mais un peu brouillon. Les contributions ont fusé tous azimuts, mais plutôt disparates, sans vraie cohésion, sans organisation. On aurait dit un grand défouloir avec l'impression qu'il n'y avait personne derrière. Pire, le projet accouché début décembre ne paraît en rien se référer aux interventions postées.
S'abreuvant aux grands principes, il se résume à un catalogue pompeux mais pas très pragmatique: huit priorités et 65 propositions qui ne s'aventurent guère au delà des conventions établies et de la tiède correction politique.

Ce qui frappe avant tout c'est le retranchement frileux et jaloux derrière la notion emblématique mais nébuleuse de Service Public. Le terme ayant fait florès en matière fiscale, on avance même la notion de « bouclier de service public ». Ce dispositif qui ne cache pas sa nature défensive, s'appuie sur un certain nombre de mesures probablement complexes à mettre en oeuvre, coûteuses et pas très efficaces : par exemple, la nomination de « médiateurs de santé », supposés garantir « l'équité de l'accès aux soins dans ses composantes géographiques, financières et sociales »... Ou bien la suggestion de faire signer à tout professionnel un curieux « contrat de service public de santé ».

Comme pour aggraver cette impression de vouloir faire de l'hôpital une tour d'ivoire inexpugnable, réglementant à son avantage l'ensemble du système de santé, la FHF propose d'accroître les contraintes pesant sur les cliniques, et de limiter les conventionnements de médecins libéraux dans certaines régions jugées surpeuplées. Elle réclame l'arrêt de la convergence tarifaire entre le secteur public et le secteur privé, au motif un peu usé que le premier supporterait davantage de charges et traiterait un type particulier de patients. Mais comment diable, peut-on encore prétendre, à prestations comparables, qu’il soit normal de payer plus cher celles effectuées en secteur public ? N’est-ce pas l’aveu de l’inanité des financements spéciaux des "Missions d'Intérêt Général et l'aide à la Contractualisation" (MIGAC) ou plus grave, de la gabegie hospitalière ?

Enfin, elle demande l'accroissement de l'emprise administrative pyramidale, appelant de ses voeux la création d'une monumentale Agence Nationale de Santé Publique assujettissant à la tutelle étatique, l'ensemble de l'hospitalisation, les soins de ville, les médicaments, et le secteur médico-social. La belle perspective ! Destiné à remplacer ou à se superposer au réseau déjà tissé entre la Direction de l'Hospitalisation et de l'Organisation des Soins (DHOS) et les Agences Régionales de l'Hospitalisation (ARH), cet organisme central étendrait comme autant de bras tentaculaires ses rejetons régionaux, en décuplant le poids de la chape qui pèse déjà sur notre malheureux système de santé...
A côté de ces grandes orientations, figurent des propositions auxquelles il serait inconvenant de s'opposer tant elles sont bien intentionnées, mais qui laissent dubitatif quant aux moyens concrets de leur réalisation : « améliorer la continuité et la permanence des soins », « permettre à chacun de devenir acteur de sa propre santé », « adapter aux besoins la formation et la répartition des professionnels », « donner aux établissements les moyens d'améliorer leur gestion », « organiser la prise en charge des personnes âgées », « relancer la recherche biomédicale ». Vaste programme. J'ose espérer que les dirigeants de la FHF n'imaginent pas être les premiers à y avoir pensé !


Il est vain en revanche de chercher quelque suggestion pratique pour alléger l’incroyable pression bureaucratique qui étouffe la forteresse, pour tenter d’enrayer la machine infernale de la « Nouvelle Gouvernance » et de ses ubuesques Pôles, pour assainir et simplifier la monstrueuse usine à gaz de la T2A, pour redonner un peu d’autonomie et de capacité d’initiative aux établissements, pour les évaluer avec bon sens, pour libérer vraiment la télémédecine qui devrait permettre en souplesse de rapprocher les gens, de partager les compétences, et d’éviter des transports inutiles…
Serait-il possible d’imaginer qu’on laisse enfin respirer les hôpitaux ? Qu’on fasse davantage confiance à leur capacité d’initiative. Qu’on crée les conditions d’une saine émulation et non celles conduisant aux monopoles, ou aux destructions et phagocytoses mutuelles. Qu’on cesse de planifier d’en haut leur fonctionnement au nom de principes idéologiques.
« L'affaiblissement, voire la disparition d'offre de soins sur certains territoires de notre pays », les problèmes de démographie médicale déplorés par le président de la Fédération Hospitalière ne sont-ils pas pour partie le résultat de ce planisme imbu de certitudes ?

Serait-il envisageable de juger les établissements de santé de manière raisonnable, sur la qualité réelle et le coût de leurs prestations, et non sur des seuils d’activité résultant d’à priori stakhanovistes, de normes théoriques issues des SROS, ou sur leur adhésion supposée à des procédures formelles, à des Objectifs Quantifiés déconnectés de la réalité ? Qu’on les laisse se gouverner de la manière la plus simple qui soit, en allégeant l’architecture et les contraintes administratives. Qu’on rémunère leur activité à sa juste valeur en contrôlant l’adéquation des soins prodigués à ceux nécessaires. Qu’on délègue au personnel paramédical de vraies responsabilités permettant d’économiser le temps médical et de réduire certains délais de prise en charge. Enfin, qu’on responsabilise les usagers en cessant de leur laisser croire qu’ils n’ont que des droits et que la santé est gratuite.
Malheureusement, l'initiative de la FHF qui revendiquait selon son président Claude Evin*, une place « au coeur des débats démocratiques à venir », reste bien loin de ces considérations et l'espoir s'estompe décidément d'aller vers un monde un peu plus responsable et libre, et un peu moins soumis aux directives théoriques, si complexes et si éloignées du terrain.
On peut regretter enfin des propos assez vindicatifs à l'encontre du corps médical accusé à demi-mots d'être trop rétif au progrès et aux grandes manoeuvres de la réforme : « il suffit qu'un PH s'oppose à ces réorganisations pour pénaliser fortement l'ensemble de l'institution .../... il faudrait que l'établissement puisse se séparer du praticien en question ». Faut-il en déduire que Mr Evin, préconise désormais le licenciement pour délit d'opinion ? (Publié dans DH Magazine No110, janvier 2007)
* : Le Quotidien du Médecin, 6/12/2006

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