18 janvier 2020

Expectatives 3

A part ça tout va bien madame la marquise... Si l’on excepte évidemment les gigantesques incendies qui ravagent depuis quelques semaines une partie de l’Australie. Les images pour l’occasion sont à foison, et elles ne laissent pas d’impressionner, donnant à certains un avant-goût de l’enfer. Le plus terrible étant toutefois l’impuissance apparente des pouvoirs publics à contenir ces feux géants, dont on nous dit qu’ils risquent de durer encore longtemps voire de s’amplifier.
Nul doute, il s’agit bien d’un désastre. Tout le monde est bien d’accord sur cela. Qu’on y songe : pour l’heure, une superficie grande comme l’Irlande a déjà été “rayée de la carte” comme ils disent ! Des habitations dévastées, une végétation consumée à perte de vue, des victimes humaines et un nombre incalculable d’animaux carbonisés ou étouffés. Les supputations vont bon train. On parle d’un demi milliard de bêtes occises. Comment ce compte a-t-il été fait peu importe. A-t-on compté les insectes, on s’en tamponne. Il faut du chiffre on en a, c’est l’essentiel.
Dans la confusion, et comme si cela ne suffisait pas, on nous annonce que des “snipers” ont été commandités pour abattre 10.000 dromadaires ! Il semble que cela n’ait aucun rapport avec le reste, mais tant pis, cela ne peut qu’apporter de l’eau, dont on a plus que jamais besoin, au moulin des écologistes atterrés de voir ces coups ainsi portés à la planète.
Nul besoin pour eux d’aller chercher loin le coupable, il est là, terrifiant dans toute sa puissance et son impunité : le réchauffement climatique !
Inutile d’argumenter devant une telle évidence. On avait déjà "des dizaines de milliers de scientifiques" à l’appui de cette thèse, cette fois le forfait est commis au grand jour. Des températures largement supérieures à 40°C ont été relevées, preuve irréfutable qu’à côté d’un brasier, ça chauffe…

Foin de provocation, admettons que le climat joue un rôle dans le développement de ces catastrophes, voire même que l'Humanité ait une part de responsabilité. Mais une fois qu’on a dit ça, que fait-on ? Continue-t-on de croire que les incendies s’allument tout seuls et que la combustion spontanée soit une fatalité satanique ourdie par Trump, Bolsonaro & Co ? Feint-on de penser qu’il suffise d’enrayer la montée des températures sur la planète pour résoudre le problème ? Qu’il suffise pour cela d’ordonner la décroissance économique, de mettre à terre le Grand Capital, et de revenir au bon vieux temps préindustriel où comme chacun sait, on vivait sereinement d’amour et d’eau fraîche ?
Ou bien va-t-on commencer enfin à se dire qu’il y a peut-être des solutions plus pragmatiques que les anathèmes pour empêcher les pyromanes criminels ou inconscients de jouer avec le feu, pour éviter la propagation insensée des flammes, ou à l’inverse d‘empêcher le déferlement anarchique des eaux de pluie débordant des fleuves et autres tempétueuses submersions côtières ? Pour rendre grâce aux mânes de Darwin, saura-t-on mettre à profit nos capacités adaptatives, source d’évolution créatrice, ou bien donnera-t-on  libre cours à nos pulsions destructrices pour faire la révolution, cause à coup sûr de malheurs et de mort ?

A côté de ces enjeux planétaires, les remous de l’affaire Matzneff qui n’en finissent pas d’éclabousser le landerneau médiatique franchouillard paraissent bien ridicules.
Pour dérisoires qu’ils soient, ils sont parfois cause d’amusement, tant ils sont révélateurs de l’éternelle sottise du conformisme sociétal, même lorsqu’il verse dans la transgression. L’heure est à l’exhumation des cadavres exquis d’une époque où le dernier chic intellectuel était justement de déborder les limites de la morale judéo-chrétienne et de l'ordre réactionnaire. En 1977, une pétition parue dans les journaux de la gauche bourgeoise bien pensante Le Monde et Libération, prenait ingénument la défense de trois obscurs quidams coupables «d’attentats à la pudeur sans violence sur mineurs de [moins de] 15 ans».
Certains signataires, tel Bernard Kouchner, clament aujourd’hui leur innocence avec une candeur qui confine soit à la lâcheté soit à la friponnerie, au choix. L’ancien ministre pour sa défense, ose en effet affirmer qu’il n’avait pas lu le texte, et qu’il l’avait ratifié à la demande expresse de son ami Jack Lang. Quelle excuse ! Il fallait oser... D'autres, tels Sollers "ne se souviennent plus bien" tant ils avaient l'habitude de signer des pétitions... Aveu tardif mais réjouissant d'une inconséquence qui fut portée jusqu'aux cimes de la cuistrerie  !
Toujours est-il qu’on peut prendre connaissance avec délectation de ce texte récemment ressorti des archives, écrit paraît-il par Matzneff en personne, et surtout de la liste de ses 67 signataires, rassemblant la fine fleur de ce "peuple de gauche" qui nous a tellement bassinés avec ses leçons de morale politique et de justice sociale. Quelques noms parmi les plus connus, pour mémoire : Kouchner, Bory, Beauvoir, Sartre, Barthes, Lang, Guattari, Deleuze Aragon, Sollers, Glucksmann, Rancière, Chéreau, Chatelet, Hocquenghem...

14 janvier 2020

Expectatives 2

Pendant ce temps, “à l’international” comme disent les journalistes, ça chauffe.
Contre toute attente, le président Trump a frappé l’Iran, et le monde est interloqué.
Bien sûr il y a les anti-américains primaires incurables qui voient l’acte dangereux d’un impulsif, tandis qu’ils accordent aux ayatollahs le sens de la raison, mais dans l’ensemble, il faut bien dire que la surprise domine, et on sent même poindre un léger sentiment admiratif chez certains, devant la maîtrise technique avec laquelle ce raid a été accompli, et la froide détermination qu’il suppose.
Il fallait bien que cela arrive un jour quand même ! Depuis le temps que la clique de théocrates qui règne à Téhéran nargue l’Amérique avec ses anathèmes haineux et ses coups d’épingles enfoncés narquoisement dans son gros postérieur yankee !
Dans ce contexte délicat, Trump a semble-t-il réalisé un coup de maître. Il a patiemment attendu, rongeant son frein tout en multipliant les avertissements. Puis un jour, alors qu’un Américain venait de perdre la vie dans une nouvelle escarmouche, il a sorti sa massue. Et quelle massue !
Il dézingue le numéro 2 du régime, qui était sans doute un peu trop sûr de lui, alors qu’il effectuait à la manière d’un suzerain, une visite “de courtoisie” chez son voisin irakien, en voie de vassalisation.

Ironie du sort, l’éclat de cette opération fut souligné par la sobriété verbale inhabituelle du président américain et surtout par la panique auto-destructrice qui s’en est suivie au pays des mollahs. L’enterrement en grandes pompes ordonné et organisé par ces tyranneaux enturbannés a tourné au fiasco. Une gigantesque “bousculade” s’est traduite par la mort de plusieurs dizaines de personnes et des centaines de blessés. Que sait-on exactement de cet échauffourée ? Rien ou presque, puisque aucune image non autorisée n’a pu s’échapper et que ce drame n’a fait l’objet que d’une brève allusion dans les journaux télévisés. S’agit-il d’un excès de ferveur
 pour le défunt, ou bien au contraire est-ce le résultat sanglant d’une répression de malheureux, rétifs à l’obligation de faire semblant de se lamenter ?
Le pire était toutefois à venir. Une vingtaine de missiles furent tirés en guise de représailles “raisonnables”, visant des bases américaines en Irak. Hormis quelques dégâts matériels, ils manquèrent largement leur objectif, sauf un (ou plutôt deux) qui pulvérisa “par erreur”, un avion civil malchanceux, en partance pour l’Ukraine, faisant 176 victimes innocentes dont plusieurs dizaines d’Iraniens…
On imagine avec effroi ce que donnerait la force nucléaire aux mains de tels incapables !

Dans l’histoire, comme d’habitude, l’Europe est restée les bras ballants. Notre pauvre président, a certes déclaré sa "solidarité" avec Trump. Mais décidément de plus en plus insignifiant sur la scène mondiale, il s’est borné à abjurer les dirigeants iraniens “d’éviter l’escalade militaire”, et de ne pas trop continuer à violer les accords en lambeaux de non prolifération nucléaire auxquels il croit toujours. Avec autant de chance de succès sans doute que sa demande de libération “sans délai” de nos deux chercheurs, retenus prisonniers en Iran, on ne sait trop pourquoi...

12 janvier 2020

Expectatives 1

Une année s’ouvre à nouveau. Les jours succèdent aux jours et le temps passe. Dans quelques mois ce blog aura 14 ans.
A quoi sert-il ? A rien, si je m’en tiens à l’opinion de Malherbe (1555-1628) qui stipule “qu’un bon poète n’est pas plus utile à l’État qu’un bon joueur de quilles…” Encore précisait-il que le poète était bon…
Un blogueur ne vaut certainement pas mieux en tout cas, mais qu'importe, après tout. Quant à l’État, on finit par se demander ce qui pourrait lui être utile !
Sûrement pas les syndicats qui le poursuivent de leur fureur destructrice dès qu’il entreprend la moindre action, fut-elle proposée dans un programme électoral. On a pu récemment entendre Laurent Brun, “l’ultra cheminot de la CGT” en appeler le plus naturellement du monde à “la guerre totale” et à Révolution, supposées satisfaire les délirantes revendications s’opposant à la réforme des retraites en cours. Son attitude radicale irait jusqu’à mettre “par terre” l’entreprise qui le paie et le nourrit, pourvu que la CGT restât debout ! Dans l’arrogance bornée, force est de constater qu’il n’y a plus de limite...

A dire vrai, personne ne sait plus trop bien où est rendue la négociation sur ce trajet périlleux. Après avoir promis des augmentations de salaires à plusieurs catégories de fonctionnaires, après avoir ménagé des exceptions de plus en plus nombreuses à la règle de l’universalité, après s’être engagé à prendre en compte la pénibilité des carrières, le gouvernement a fini par céder sur le fatidique âge pivot, un des points essentiels de la réforme. Il ne reste donc plus qu’à abroger le système à points pour être revenus à la case départ, non sans avoir dépensé au passage beaucoup d'énergie et surtout d’argent public. La poignée d’excités, plus jusqu’au-boutistes que jamais exigent le retrait pur et simple du texte, seule issue selon eux qui traduirait la volonté d’ouverture démocratique du gouvernement. Tiendront-ils longtemps sur ce farouche credo insurrectionnel qui semble les isoler de plus en plus ? Fasse le ciel qu’à force de pousser le bouchon, ces sinistres personnages parviennent à ruiner définitivement leur cause et qu’enfin leur indécente capacité de nuisance finisse au rang des mauvais souvenirs de la république...

Une chose semble sûre, la SNCF a augmenté, du seul fait de la grève, son déficit de plus de 600 millions d’euros ! Selon la Presse, les trains qui recommencent à circuler, envers et contre tous les mots d’ordre guerriers de Laurent Brun et compères, sont quasi vides. Bon nombre d’usagers excédés ont trouvé des solutions alternatives. Reviendront-ils à ce service public calamiteux, rien ne permet de le dire…

Illustration : Socrate réfléchissant. Académie d'Athènes. Grèce

31 décembre 2019

Le pilori

Pas de semaine sans une nouvelle victime expiatoire, sacrifiée sur l’autel de la Vertu. Cette fois c’est l’écrivain Gabriel Matzneff qui est cloué au pilori pour ses frasques sexuelles d’un autre siècle. Autrefois assimilées à un badin libertinage, elles sont désormais jugées à l’aune de la pédophilie la plus abjecte.
A l’époque, il était du dernier chic dans les milieux intellectuellement évolués et politiquement engagés, de célébrer toutes les transgressions à ce qu’il était convenu d’appeler “l’ordre bourgeois”. Cela n’excuse évidemment rien si l'on se réfère à l’absolu de l’impératif catégorique kantien, mais il était permis, pour ceux qui restaient rétifs à ces pratiques, de ne pas s’abandonner à la lecture de leurs errances assez glauques et misérables (selon l’aveu même de l’auteur…)
Le fait est qu’il ne s’agissait que de déviances “mineures” si l’on peut dire et globalement peu de gens s’intéressaient vraiment à cette littérature sulfureuse.
Le désormais vieillard Matzneff, rendu bien inoffensif par l’âge autant
sans doute que par la solitude et par la lassitude, était depuis bien longtemps rangé des voitures, lorsqu’il fut amené brutalement sous les feux des projecteurs médiatiques. Et cela fit quelques victimes collatérales au passage. La foule anonyme de ceux qui n’ont pas moufté du temps des forfaits, mais surtout le cher Bernard Pivot dont l’extrait d’une émission datant de 1990 fait florès depuis quelques jours sur Youtube et se propage à la vitesse des virus via les réseaux sociaux. Le moins qu’on puisse dire est qu’il se révéla en la circonstance bien complaisant vis à vis de celui qu’il qualifia aimablement de “collectionneur de minettes”.
Face au tollé, l’animateur a bien tenté de se défendre et de minimiser les faits, mais c’était sans compter sur la force du tsunami qui s’abat sur l’opinion publique. Il a donc jugé prudent de faire amende honorable, regrettant en définitive “de n’avoir pas eu les mots qu’il fallait”...

La raison de tout ce tintamarre polémique ? Une des victimes supposées de l’écrivain, répondant au doux prénom de Vanessa, s’est souvenue tout à coup qu’elle avait été abusée par le prédateur, il y a plus d’une trentaine d’années, alors qu’elle n’avait que 14 ans (et lui 50). Elle se rappelle tout à coup que sa liaison qui dura plusieurs années avec le satyre, remplie de lettres d'amour et parfaitement connue de ses parents, n’avait rien d’une relation librement consentie.
On peut trouver étrange, si ce n’est quelque peu opportun, cette remontée subite d’un dégoût pour des faits si lointains, mais passons… Elle a bien le droit d’écrire au moment qui lui chante et de raconter les faits tels qu’elle les a vécus. A l’instar des récits de son ex-Pygmalion, personne n’est obligé de la lire ni de la croire...

Ce qui est le plus troublant dans cette histoire, c’est de voir tant de juges se lever soudain, et de les entendre, avec beaucoup, beaucoup mais vraiment beaucoup de retard, condamner des actes, en usant d’une violence et d’une intransigeance qui contraste singulièrement face à la mansuétude avec laquelle ils furent jugés à l’époque.
Les accusations portées après coup, alors que rien n’interdisait qu’elles soient émises au moment opportun sont d’une médiocrité affligeante. C’est le mal de notre époque. Les censeurs contemporains s’érigent en justiciers rétrospectifs pour faire le procès du passé. C'est commode, facile et peu risqué, mais cela ne sert à rien qu’à se donner bonne conscience à peu de frais.
Tel n’est pas le cas de Denise Bombardier, journaliste et femme de lettres québécoise, qui osa défier Matzneff il y a 30 ans sur le plateau de la fameuse émission Apostrophes, et lui envoya sans ménagement dans la figure tout son mépris et son indignation. A l’époque elle fut très mal vue pour cette audace et fut reléguée dans l’arrière-cour de la bonne société littéraire.
Autre temps autres mœurs. Bernard Pivot n’avait pas tort en évoquant cela lors de sa première intervention, après le scandale...


La sagesse serait de voir la société telle qu’elle fut et non telle qu'elle aurait dû être, et d’en conclure qu’à quelques exceptions près, les coupables étaient légions. Cela servirait probablement à mieux discerner les faiblesses du temps présent. Cela nous épargnerait également ces viles attaques ad hominem qui ressemblent de plus en plus à une chasse aux sorcières aux relents de curée, et cela nous éviterait le retour horrible de la délation systématique.
Cela préserverait enfin le repos d’âmes dont l’immoralité n’a quand même tué personne, contrairement à la “justice sociale” brandie par nombre d’idéologues bien pensants. La liste pourrait être longue de ces artistes maudits. Gauguin et ses vahinés, Nabokov et sa Lolita, Gainsbourg et son hymne acide au Lemon Incest, Thomas Mann et Visconti idéalisant l'éphébophilie avec Mort à Venise, Roger Peyrefitte et ses amitiés particulières, Verlaine déniaisant le jeune et “pas sérieux” Rimbaud, Degas et ses petits rats, Balthus et ses fillettes lascives, Radiguet et son arrogant diable au corps, Montherlant, Gide, Cocteau…
Si l'on condamne outre-tombe tous ces gens, où s’arrêtera-t-on sur la pente savonneuse de l’hypocrisie déguisée en morale ? 2020 et les années à suivre nous le diront peut-être...

16 décembre 2019

Sa Déclaration...

En plein psychodrame national au sujet de l’introuvable réforme des retraites, l’épisode Delevoye fait figure de pantalonnade. Sauf à avoir tenté d’ajouter une touche comique au scénario tordu et fastidieux de ce texte qui devait sceller l’acte II du mandat d’Emmanuel Macron, le gouvernement n’a vraiment pas fait preuve de perspicacité en conférant à ce briscard rassis le titre de “haut-commissaire aux Retraites auprès de la ministre des Solidarités et de la Santé” !
On le savait confus, maladroit, gaffeur, le voici maintenant qui passe pour un coquin !

L'histoire pourrait être cocasse tant elle est révélatrice du niveau d'absurdité auquel sont parvenues nos institutions. L’objet du délit réside en la non conformité de la déclaration d’intérêts communiquée par M. Delevoye au moment où il prit ses fonctions.
On se souvient que pour atténuer l’onde de choc liée à la révélation des turpitudes émanant de son propre gouvernement, l’ineffable François Hollande crut très fin de créer la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique (HATVP). Ainsi, depuis cette date chaque nouveau ministre ou apparenté doit se livrer à une énumération par le menu de toutes les fonctions qu’il exerce, susceptibles ou non d'interférer avec son magistère républicain.
M. Delevoye s’y plia donc, en déclarant quelques activités accessoires, telle la présidence de la Chartreuse de Neuville sous Montreuil ou celle de l’Association Française des Orchestres … L’ennui, c’est qu’il en “oublia” d’autres, ce qui nous valut un mignon feuilleton à rebondissements.
Par les magazines Le Parisien et Capital on apprenait successivement qu’il avait omis de mentionner son poste d’administrateur “bénévole” d'un institut de formation de l'assurance (Ifpass), un secteur qui lorgne par nature sur l'épargne retraite des Français…
Deux jours plus tard on découvrait qu’il avait occulté une fonction au conseil d’administration de la Fondation SNCF, chargée d’orchestrer les actions de mécénat du géant français des transports.

Mais le pire était à venir...
En épluchant sa déclaration, certains remarquèrent une troisième fonction, certes bien déclarée celle-là, mais qu’il n’avait tout simplement pas le droit d’exercer depuis son entrée au gouvernement car faisant l’objet d’une rémunération: la présidence, depuis 2017, de Parallaxe, un institut de réflexion sur l'éducation dépendant du groupe de formation IGS. En deux ans ce n’est pas moins de 120.000€ qui furent ainsi versés e toute illégalité au Haut Fonctionnaire distrait !
Enfin, durant le week end, M. Delevoye, après moultes excuses et circonlocutions, se décidait à faire une nouvelle déclaration, décrivant cette fois pas moins de 13 fonctions, en lieu et place des 3 mentionnées initialement !
Confronté à cette situation invraisemblable, le Haut Dignitaire de la République estime qu’il doit rester toutefois à son poste pour mener à bien la réforme. Les membres du gouvernement, plus que jamais sur les charbons ardents, se relaient pour affirmer que la bonne foi du bonhomme “est totale” (Édouard Philippe), qu’il est “extrêmement responsable et engagé pour l’intérêt général” (Jean-Baptiste Djebari), que c’est quelqu’un “de très droit, qui travaille, qui négocie avec les syndicats, qui a leur confiance…” (Élisabeth Borne).

A quelque chose malheur est bon. Hormis les effets désastreux qui risquent de plomber un peu plus un projet de réforme déjà mal en point, cette affaire pourrait servir de leçon à tous nos satrapes pondeurs de réglementations ineptes et d’administrations superfétatoires.
Dans l’histoire, l’HATVP supposée exercer une vigilance sans faille sur la probité des grosses légumes de notre république, n’a vu que du feu ! Sans les révélations de la Presse (Le Parisien, Capital) tout serait passé inaperçu.
Il paraît donc plus que jamais évident que les “agences”, “commissions” et “hautes autorités” d’état, très coûteuses, ne servent à rien. C’est peut-être là le vrai scandale !
Chacun peut voir à cette occasion que personne n’est réellement indépendant et pas forcément parce qu’il a des intérêts financiers. Et bien que le cumul des mandats soit désormais limité, cela n’empêche nullement la plupart des politiciens de continuer à collectionner les postes honorifiques et autres prébendes, supposés sans doute leur donner le sentiment d’importance.
Enfin, preuve est faite une fois de plus qu’en édictant des règles et des lois de plus en plus complexes, de plus en plus contraignantes et de plus en plus absurdes, on ne fait en somme que fabriquer des délinquants à la pelle !
Hélas, comme à l’accoutumé cette affaire, qui n’aura sans doute aucune conséquence pratique intéressante, pourra se résumer à “beaucoup de bruit pour rien”...


PS: les choses allant très vite, au moment même ou je publiais ce billet, on apprenait la démission de M. Delevoye. J'avais longuement hésité à titrer ce texte "Un de chute"...

12 décembre 2019

Vices publics, vertus privées

En France, les grèves on connaît.
Aussi fréquentes si ce n’est plus, que les aléas climatiques, elles sont susceptibles de survenir à tout moment, pour un oui pour un non. Toute occasion est bonne à saisir pour ceux qui les déclenchent. Et rarement ailleurs que chez nous, on en vit poussé si loin le raffinement organisationnel : avec un minimum de grévistes on parvient à empoisonner la vie d’un maximum de gens.

Ce système épatant est actionné par des syndicats qui représentent à peine 10% des salariés et qui faute d'adhérents, bouclent sans le moindre scrupule leurs budgets grâce aux subventions de l’État. Il est à peine exagéré de dire que ce dernier les finance pour qu’ils puissent mieux lui mettre des bâtons dans les roues. Le comble est que ces gens clament haut et fort qu’ils agissent au nom du Service Public dont ils se gargarisent du haut de leur citadelle inexpugnable. Il faut dire que dans notre beau pays de cocagne, les syndicats sont des vaches sacrées, et le droit de grève est intouchable et quasi illimité. Il peut même s’exercer en dehors de toute revendication statutaire, à la moindre contrariété susceptible de représenter “objectivement” un danger pour les salariés ou pour les usagers. On appelle alors cela “le droit de retrait”.
Dans les transports publics où le fléau sévit tout particulièrement, contrairement à l’Allemagne où la grève est tout simplement interdite et à beaucoup d’autres pays où les grévistes sont réquisitionnables, il n’y a en France que l’imputation éventuelle des jours d’arrêt de travail sur les salaires, qui puisse représenter un frein. Pourquoi donc se gêner ? C’est un vrai pousse-au-crime si l’on peut dire. De fait, la grève se moque de toute morale, et de tout esprit civique.

Outre le fait que ces débrayages incessants soient anti-démocratiques et épuisants pour la vie économique du pays, ils s’inscrivent habituellement en toute impunité contre les principes écologiques élémentaires. Passons sur les dégradations du bien public, les menaces de pollution volontaire, et les feux et incendies en tous genres, souvent déclenchés par les manifestants les plus enragés. Ces tout derniers jours en Ile de France, en l’absence de tout train, et de tout métro, on a dépassé les 600 km de bouchons cumulés ! Bonjour les émissions de CO2...
Mais il y a pire. Le coût astronomique de fonctionnement de la SNCF, lié en grande partie aux nombreuses interruptions de services, et à quantité de juteux avantages et autres dispositions “républicaines”, altère gravement la rentabilité de l’entreprise. Résultat, le réseau ferroviaire est sous-utilisé, en dépit de toutes les vaines promesses des ministres écologistes qui se sont succédés au gouvernement. Le transport de fret par chemin de fer a baissé de moitié en 25 ans. A ce jour, il ne représente plus que 10% des volumes, contre 88% par voie routière (et 2% par voie fluviale). C’est un pur scandale, largement ignoré par les contempteurs du réchauffement climatique et autres anti-capitalistes.
Détail croustillant, lorsque les écologistes viennent apporter de l’eau au moulin des “opposants à la réforme”, ils oublient leur combat pour l’environnement au profit de l’insurrection bassement partisane. Le mouvement Extinction Rébellion par exemple, était tout fier d’annoncer qu’il avait saboté 3600 trottinettes à Paris, non parce qu’elles polluent (largement moins que les autos), mais tout simplement parce qu’elles ont été accusées d’être des “briseuses de grève” !

Tous ces excès sont le fait quasi exclusif du service public qui n’a jamais porté aussi mal son nom. Par démagogie, les gouvernants présents mais surtout passés portent également une large part de responsabilité. Il est tellement facile de concocter une loi fixant l’âge de la retraite à 60 ans comme le fit François Mitterrand, ou de réduire inconsidérément la durée de temps de travail hebdomadaire à 35 heures comme s’en vante Martine Aubry, pour ne prendre que deux exemples de ce qu’il est convenu d’appeler “acquis sociaux”. Il est si tentant d’acheter la paix sociale en cédant régulièrement du terrain républicain face aux folles exigences et aux revendications irréalistes de minorités agissantes…
Le gouvernement actuel est pris à son tour dans ce piège infernal. Pourra-t-il s’en sortir sans abandonner l’essentiel de ce qui fait sa fragile légitimité et le cœur du programme pour lequel il a été élu ? Entre l'épreuve de force et le déshonneur, que choisira-t-il sachant que s’il opte pour le second, il devra nécessairement faire face un autre jour et plus durement encore, à la première…

Pendant ce temps, les employés du secteur privé rongent leur frein. Ils prennent dans la figure toutes les conséquences de la grève, qui par la force des choses les empêchent peu ou prou de se rendre à leur travail, de faire leur job, et un fine de satisfaire leur clientèle. Il faut dire que cette dernière n’est pas assujettie comme le sont les usagers du service public. Le client est roi, ça change tout…
S'agissant des retraites, le système à points n’est pas une nouveauté pour eux. C’est la règle pour la plupart des organismes dont ils relèvent. Quant à "l'âge pivot", mieux vaut sans doute pour eux en sourire. Ils savent bien qu’il leur faudra bon gré mal gré se résigner à cesser leur vie professionnelle un peu plus tard. Aujourd'hui, la barre des 63 ans est déjà franchie. Ils peuvent donc à la manière des Beatles, chanter en attendant des jours meilleurs, “When I’m Sixty-Four...” 


Illustration: Hercule entre le Vice et la Vertu, par Carracci

10 décembre 2019

L'OTAN des cerises

Les relations de la France avec l’OTAN ont toujours été chaotiques, sans qu’on en comprenne vraiment la raison, si ce n’est par le souci d’indépendance du vaniteux coq gaulois.
Cette organisation vit le jour au sortir de la seconde guerre mondiale, en 1949, dans le but de garantir la sécurité des pays membres de l’Alliance Atlantique, fondée par la même occasion. Non seulement elle a pleinement rempli son rôle, mais encore peut-on considérer qu’elle donna un minimum de cohésion à l’Europe, au moins au plan militaire. Placée de facto sous la tutelle bienveillante de l’Amérique, elle scella une solide alliance des démocraties libres et fut un vrai rempart contre l’ogre soviétique, à défaut d’avoir pu sauver les pays de l’Est sur lesquels Staline avait fait main basse.
La France faisait partie des pays fondateurs (au même titre que les USA, le Canada, le Royaume Uni, l’Italie, le Portugal, la Belgique, les Pays-Bas, le Danemark, la Norvège et l’Islande). Mais en 1966, de Gaulle, qui ne cachait guère son anti-américanisme (il définissait l’Europe comme allant “de l’Atlantique à l’Oural”), décida de sortir notre pays du commandant intégré. Peu enclin à la vision d’une fédération européenne et ayant “une certaine idée de la France”, il en profita pour mettre en œuvre son ruineux et égocentrique projet de défense nationale autonome.
Ce n’est qu’en 2009 que Nicolas Sarkozy fit revenir la France dans l’OTAN en tant que membre à part entière. Entre temps l’Organisation s’était élargie. Elle compte aujourd’hui 29 états participants.

Il est certain que son rôle est devenu plus ambigu et qu’elle peine de plus en plus à conserver tout son sens. Les Etats-Unis se lassent quelque peu de leurs alliés, pas toujours très loyaux (la France notamment), souvent très critiques vis à vis de la politique américaine, et qui rechignent à payer leur quote-part du budget. Sur le continent, l’effritement de l’idée européenne nuit de plus en plus à la cohésion de l’ensemble et les objectifs militaires deviennent de plus en plus flous à mesure que les périls deviennent plus diffus et au moins en apparence plus lointains que ne l’était le Bloc de l’Est…
C’est sans doute pour ces raisons qu’Emmanuel Macron crut bon de déclarer récemment l’OTAN en état de “mort cérébrale”. Ce diagnostic péremptoire mais peu flatteur fut très mal accueilli par nombre de dirigeants de pays membres et se révèle pour le moins malencontreux. On se demande quelle mouche a piqué le président français, vu qu’il n’a manifestement rien à proposer d’intéressant pour sortir l’Alliance de sa léthargie. Aucune proposition concrète ne fut révélée en effet par lui lors du dernier sommet à Londres. Faut-il en déduire qu’on pourrait tout simplement la débrancher ?
Si c’est le fond de la pensée de M. Macron, il y a lieu de déplorer un aussi navrant manque d’inspiration. Au point de délitement où en est arrivé le “machin” Européen, l’OTAN est ce qui reste de colonne vertébrale pour ce conglomérat de nations sans perspective, sans programme, sans vrai dessein partagé.

Il serait probablement périlleux de démanteler cette charpente qui a fait ses preuves sans avoir conçu une vraie solution commune de remplacement. Ne pourrait-on pas au contraire s’appuyer sur cette superstructure encore debout pour consolider la Communauté et bâtir à l’abri de ses murailles une vraie nation européenne ? Et puisqu’il s’agit d’une Alliance Internationale, n’est-il pas temps de redonner du lustre au pont qui relie les deux rives de l’Atlantique ? Dans le monde incertain qui nous entoure, n’est-il pas essentiel de préserver ce lien privilégié qui nous unit depuis plus de deux siècles ?
Qu’on le veuille ou non, il y a beaucoup plus de convergences que de divergences, et l’avenir sera sans doute plus sûr si nous montrons assez d’intelligence et de pragmatisme pour minimiser celles-ci et renforcer celles-là ! C’est une vraie problématique de responsabilité démocratique et un enjeu majeur pour le monde occidental et ses valeurs, au premier rang desquelles figure la Liberté. Une question reste toutefois posée, lancinante: Sommes-nous encore suffisamment attachés à notre modèle de société pour éviter une mortelle dispersion et nous retenir en somme de jeter le bébé avec l’eau du bain ?

04 décembre 2019

Les Nouveaux Puritains

De cette époque riche en excès et en contradictions, qui s’imposera, de la permissivité la plus débridée ou du puritanisme le plus intolérant ? Et s’il s’agit de deux périls, lequel est le plus à craindre ?
Question difficile à trancher bien que le second semble potentiellement le plus menaçant.

Si les deux fléaux coexistent, le premier s’est quelque peu banalisé. On est habitué depuis des décennies à voir étalées sur la place publique tant d’insanités et tant d’obscénités qu’on n’y prête plus qu’une attention distraite. Les enfants y sont sans doute plus sensibles, mais s’il faut parler à leur endroit de victimes, c’est plus la démission des parents face à leur devoir de protection qu’il faudrait probablement incriminer.
En revanche, le sectarisme moralisateur des bien-pensants, pour anodin qu’il paraisse au premier abord, s’avère un danger bien plus grand, tant il manifeste à mesure qu’il progresse, d’agressivité et d’intolérance.

On pouvait rire autrefois des ligues de vertus, et de leur pudibonderie surannée pour ne pas dire ridicule. Aujourd’hui, c’est autre chose. Personne ne rit plus. Les humoristes eux-mêmes sont pointés du doigt dès lors qu’ils “stigmatisent” par leurs saillies et leurs caricatures telle ou telle catégorie de personnes, tel ou tel groupe d’individus. Mais retirons leur la moquerie féroce et l'outrance qui sont les ressorts comiques essentiels, et les voilà réduits à déverser des platitudes ronflantes. Il ne leur reste pour cibles que les quelques boucs émissaires autorisés par le clergé régnant sur l’opinion publique. Non seulement il peuvent alors manier à la louche les truismes soi-disant hilarants, mais encore leur est-il loisible de se livrer aux plus abjectes critiques ad hominem.
Paradoxe troublant, ce sont souvent les défenseurs les plus ardents de la liberté d’expression et les pourfendeurs les plus hardis de l’ordre établi qui se montrent de nos jours les plus intransigeants en matière de normalisation, les censeurs les plus obtus, et in fine les plus étroits d’esprit.

Les exemples fourmillent au quotidien, qui attestent de la montée de ce dogmatisme bienséant. Comme par le passé il est fait d’un mélange de bonnes intentions et de torve démagogie, source de ce que René Girard nommait violence mimétique, dont le déchaînement en cascade prend rapidement des proportions inquiétantes.
Il en est ainsi de la fameuse “transition écologique” au nom de laquelle on pourfend les comportements jugés néfastes, sur la base de principes relevant de prévisions aussi apocalyptiques qu'aléatoires. Qu’on fasse de la défense de l’environnement un programme soit, mais qu’on la transforme en démarche culpabilisante si ce n’est terrifiante, c’est une autre histoire. Nicolas Hulot est le triste parangon de cette tyrannique vertu. Autrefois porté à l’exaltation des merveilles de la nature, il est devenu un sinistre sectateur, versé dans le catastrophisme et l’accusation. Son éphémère passage au gouvernement n’a laissé qu’une avalanche de réglementations coercitives et de taxes répressives dont l'efficacité est loin d'être prouvée.
Le féminisme a suivi la même pente. Tant qu’il s’agissait de magnifier la femme et d’en garantir la condition d’égale de l’homme en tant qu’être humain, c’était un objectif des plus louables. Mais lorsqu’il s’est agi de gommer toute différence et de tendre vers un horizon unisexe, on est passé du chevaleresque au mesquin, noyant tout idéal dans une froide comptabilité d'apothicaire. La place de la femme s’est mesurée à l’aune d’une parité absurde et d’une quantification tatillonne des prérogatives et des servitudes.
L’homme est quant à lui devenu la bête à abattre. Ravalé au rang de porc, il est accusé de tous les maux. Du comportement odieux de certains, on a fait une quasi généralité. En la matière, comme au bon vieux temps de la délation, il n’est besoin pour accuser, ni de fait ni de preuve, la parole “libérée” suffit. Même plus de quarante après les prétendus forfaits, il est devenu possible d’accuser tel ou tel mâle en vue, et de ruiner du jour au lendemain leur carrière.
Parallèlement, on pousse le zèle purificateur jusqu’à demander le bannissement de tout ce qui peut rappeler que la femme est femme, surtout s’il s’agit de ses atours séducteurs. La religion qui est l’art de faire parler Dieu, revient plus forte que jamais, sous ses formes les plus rétrogrades, pour cacher ces seins, ces corps et même ces visages qu’on ne saurait voir. Le monde laïque quant à lui n’est pas en reste et on a vu récemment lors d’émissions télévisées animées par quelques guignols médiatiques tels Laurent Ruquier ou Cyril Hanouna, proposer le plus sérieusement du monde le boycott de la cérémonie des Miss France !

C’est devenu l’essence de la nouvelle morale: on contraint préventivement les comportements de tous les individus, plutôt que de sanctionner les excès manifestes de quelques uns, et pour peu qu’on soit une “minorité agissante”, on se croit autorisé à juger a priori ce qui est bon ou non pour autrui, quitte à se livrer à des actions coercitives ou violentes.
On voit ainsi des végans enragés s’attaquer, au nom du “bien-être animal”, aux boucheries, aux charcuteries, et naturellement aux abattoirs. On voit des contempteurs de la “surconsommation capitaliste” barrer l’accès des clients aux magasins proposant des soldes et des rabais exceptionnels ( sans beaucoup de succès pour l’heure sur la population si l’on en croit les chiffres records de ventes...)
Les enseignes commerciales elles-mêmes croient utile de se rallier à la censure de ceux qui font des procès d’intention et en sorcellerie. Ils refusent ainsi que soient diffusés leurs spots publicitaires pendant les émissions prétendues inconvenantes.
A d’autres endroits on revisite l’histoire à l’instar des fanatiques qui déboulonnent les statues du général Lee aux Etats-Unis au motif qu’il combattit dans les rangs des sécessionnistes esclavagistes. Ailleurs, certains, qui ne voient aucun inconvénient à habiter rue Lénine ou Ho-Chi-Minh ou qu’on érige des statues à l’effigie de Mao, exigent qu’on débaptise les rues portant le nom de célébrités devenues hérétiques pour la bien-pensance. On a vu également réécrire des pièces de théâtre (Carmen) parce que l’intrigue contrevenait aux nouveaux dogmes.
Tout récemment, on a même pu lire dans le très influent New York Times, un réquisitoire contre le peintre Gauguin, qu’on envisage d’interdire de musée et d’exposition, en raison de son comportement immoral vis à vis de très jeunes filles lors de ses séjours à Tahiti !
Comment faut-il considérer cette nouvelle chasse aux sorcières ? Comme une lubie passagère de l’époque en mal de repère, ou bien comme un inquiétant mouvement de fond rappelant l’obscurantisme moyenâgeux ?
Parions sur la première option et puisqu’il est encore possible de citer Einstein, le mot de la fin lui revient sans hésitation: “Deux choses sont infinies, l’univers et la bêtise humaine, mais pour le premier je n’ai pas encore acquis la certitude absolue…”

26 novembre 2019

Pansements et cataplasmes

C’est donc le troisième plan de sauvetage de l’hôpital en un an ! Mais rien n’y fait. Le compte n’y est toujours pas. Personne n’est content sauf les zélateurs du Président de la République, ça va de soi...

En septembre 2018 c’était l’annonce emphatique du programme “Ma Santé 2022”, selon un rite désormais bien établi. A chaque changement de gouvernement, on y va de sa réforme “refondatrice”. Hélas, pas plus que dans ceux qui l’avaient précédé, il n'y avait quoi que ce soit de révolutionnaire ni même de réellement novateur. Quelques aménagements de circonstance tout au plus, mais la ligne directrice restait malheureusement la même, cadrée par les grands principes, quelque peu galvaudés, de notre république. Résultat, hormis les vœux pieux auxquels personne ne peut s’opposer, l’ensemble des propositions restait inscrit dans le vieux moule centralisateur et bureaucratique.

En dépit de l’accueil plutôt favorable, force est de constater que cette énième réforme a fait un flop. Avant même le début de l’esquisse du commencement de son application, il fallut sortir en catastrophe de nouvelles mesures pour apaiser la colère venant du terrain. En septembre 2019, à l’occasion du “pacte de refondation des urgences”, 750 millions d’euros furent lâchés en primes et dispositions diverses, bien intentionnées mais peu convaincantes, à l’image de cette nouvelle plateforme téléphonique pompeusement intitulée Système d’Accès aux Soins (SAS). Elle apparaît en effet non seulement redondante avec le centre 15, mais pourrait aggraver en le facilitant, le recours aux urgences, tout comme le renforcement des consultations médicales sans rendez-vous, ou l’instauration du tiers payant pour les médecins libéraux...

Moins de 3 mois après, le problème reste entier. Face à l’ampleur croissante du mécontentement remontant des hôpitaux, le gouvernement cette fois ouvre largement son portefeuille. Peu importe qu’il soit vide, l’oseille en sort comme par magie. Avec le "plan d'urgence pour l'hôpital" on promet d’éponger un tiers de la dette des hôpitaux, à hauteur de 10 milliards d’euros, et de lâcher la bride à l’objectif national des dépenses d’assurance maladie (ONDAM) en le relevant d’un milliard et demi d’euros sur 3 ans. Parallèlement de nouvelles primes sont annoncées, mais réservées exclusivement aux personnels de la région parisienne.

Qu’attendre de cette gabegie ? Pas grand chose malheureusement. On déverse une pluie de nouvelles ressources financières pour tenter d'éteindre l’incendie mais les perspectives sont de plus en plus nébuleuses. L’État étant plus que jamais criblé de dettes, ses largesses s’apparentent à un simple jeu d’écriture, permettant le transfert des déficits. On avait déjà vu basculer, par la sous-évaluation des tarifs, une partie du fameux trou de la sécu vers les établissements de santé. Cette fois c’est l’État qui creuse un peu plus l'abîme gestionnaire de la nation en donnant en quelque sorte une récompense aux mauvais élèves. Nul doute que l’effacement de la dette s’adressera en priorité aux hôpitaux impécunieux, c’est à dire les grosses et très grosses structures, terriblement dispendieuses. Bel encouragement pour elles à dépenser de plus belle… Quant au projet de réforme du financement, supposé abolir plus ou moins la tarification à l’activité, il n'était pas très clair, mais il part cette fois en quenouille ! Détail croustillant, on promet une augmentation des tarifs, mais de 0,2%, ce qui se situe nettement en deçà de l'inflation, et qui revient donc à contraindre les budgets au moment même où l'on encourage les investissements...

Parallèlement, le gouvernement use et abuse des primes, véritables rustines destinées à colmater la fuite des personnels du public vers le privé. Cette amélioration homéopathique des rémunérations complique toujours plus le système en multipliant les cas particuliers et induit des effets pervers, notamment sur le sujet très sensible des retraites…

Une nouvelle fois, par faiblesse et/ou démagogie, l’État passe donc à côté du problème. Il renonce totalement à réorganiser de manière pragmatique le système de santé et à la vraie urgence qu'il y aurait d'alléger le carcan administratif qui entrave son fonctionnement. Les agences régionales de santé (ARS) dont on connaît le coût et l’inefficacité, perdurent. Rien n’apparaît susceptible d’endiguer la prolifération hallucinante des normes, réglementations, et injonctions, souvent contradictoires, auxquelles les hôpitaux sont tenus de se conformer. Rien n’est fait concrètement pour donner un peu plus d’autonomie aux établissements, ou pour assouplir le cadre ubuesque des “groupements hospitaliers de territoires” (GHT). Rien n’est envisagé pour responsabiliser davantage les “usagers” du système, bien au contraire. Quant à la “Sécu”, elle reste le trou noir, en pleine expansion, de la galaxie administrative. A l’heure où l’on privatise avec le succès qu’on connaît la Française Des Jeux, l’Assurance Maladie continuera son petit bonhomme de chemin de monopole étatique “à la française”...

Mais le pire est sans doute cette petite phrase du premier ministre, qui a benoîtement annoncé vouloir examiner « comment fonctionne le système hospitalier public », et chargé le professeur Olivier Claris d’une mission de réflexion sur ce sujet, dont les conclusions sont attendues à la fin du premier trimestre 2020. C’est le pompon si l’on peut dire. Après le déluge d’audits, de diagnostics, d’enquêtes et de réformes en tous genres, réalisés depuis plusieurs décennies, le gouvernement en est donc toujours à ce degré d’ignorance. C’est vraiment à désespérer...

19 novembre 2019

Lisbonne, ville ouverte

Au dessus de l’embouchure du Tage, Lisbonne s’ouvre en majesté sur l’océan. Elle surplombe fièrement le fleuve du haut de ses miradouros et s’impose au Sud comme le fer de lance occidental du continent européen.
Je n’y suis allé que deux fois mais à chaque fois j’ai ressenti d’étranges sentiments, mélange d’étonnement et d’émerveillement.
Étonnement tout d'abord pour la langue portugaise, un tantinet rebutante pour le béotien. Elle n’a pas l’accent chantant des régions méridionales et l’idiome est austère et complexe, formant un vrai barrage pour l’étranger.
La ville elle-même est déroutante. Sans doute un peu à cause de ses sept collines qui font du dédale de ses rues un imbroglio de montagnes russes pavées et chaotiques, mettant à rude épreuve le cœur et les articulations. Mais aussi par le caractère hétéroclite de son architecture dû aux drames qui ont jalonné son histoire. Le terrible séisme de 1755 détruisit une bonne partie de la cité, et lorsqu’il s’est agi de la reconstruire, sous l’impulsion du Marquis de Pombal (1699-1782), on entreprit de tailler à travers les décombres, de larges perspectives rectilignes. C’est ainsi qu’à côté des quartiers historiques pittoresques mais encaissés et bondés, comme le fourmillant Alfama, on trouve de longues et amples avenues (Avenida da Liberdade), de vastes places (Praça do Comércio) et de grands jardins (Parque Eduardo VII) à l’aspect moderne et classieux mais un peu froid et altier.

Lisbonne n’en est pas moins accueillante et enchanteresse.
Lorsqu’on arrive de l’aéroport, il est aisé de rejoindre directement le centre ville grâce à l’excellent réseau de métro, en l’occurrence la ligne vermelha qui amène le voyageur à San Sebastião, à deux pas de la fondation Calouste Gulbenkian. Celle-ci porte le nom d’un homme d’affaires d’origine turque et amateur d’art, qui souhaita rassembler ses collections dans ce musée, sis au sein d’un élégant parc. On y trouve naturellement de nombreux azulejos, des pièces d’origine arabe ou ottomane, des objets antiques, des porcelaines d’extrême-orient et beaucoup de chefs-d’œuvre du classicisme européen, notamment un splendide portrait de vieillard par Rembrandt, plusieurs très beaux tableaux de Guardi et de Corot. Les salles consacrées à l’art moderne sont d’un intérêt plus discutable, hormis la superbe collection de verreries, et de bijoux signés Lalique.

De cet endroit, on peut rejoindre à pied le cœur de ville (a baixa) en passant par le majestueux Parque Eduardo VII, puis par le rond-point géant dédié au marquis de Pombal, statufié en compagnie d’un lion, et enfin par l’avenue de la liberté. Plus large et presque aussi longue que les Champs-Elysées de Paris, elle n’en a pas le faste mais dégage un charme beaucoup plus tranquille, grâce à son terre-plein central ombragé par d'épaisses rangées arbres. Les grandes enseignes du luxe y sont présentes quoique discrètes.
Avant d’arriver à la Praça dos Restauradores on repère le funiculaire de la Gloria qui monte vers le Miradouro de São Pedro de Alcântara. Antique machine toujours en service, mais affreusement peinturlurée de tags criards. Hélas, Lisbonne est également la ville du street art et nombre de belles façades, et de murs aux couleurs vives ont été défigurés par cette forme d’expression aussi laide qu’arrogante.

On aborde dès lors la vieille ville : le quartier du Chiado, le fameux Rossio, avec ses deux fontaines jumelles de bronze verdi et de pierre marmoréenne encadrant la colonne où trône Dom Pedro IV, 28è roi du Portugal et premier empereur du Brésil. A ses pieds le sol est pavé d’ondulations gracieuses, quasi psychédéliques. C’est en tanguant qu’on se dirige alors vers les quais en empruntant un des nombreux axes parallèles qui y mènent, par exemple la Rua Augusta et son arc de triomphe débouchant emphatiquement sur la gigantesque place carrée du Commerce. Au centre, la statue équestre du roi Joseph 1er, contemporain de Pombal. Au delà c’est la mer, qui vient lécher le Terreiro do Paço, et se lover en ce jour estival autour des colonnes de la Cais das Colunas, suggérant des rêves de départs et d’horizons lointains. Au loin, le Ponte 25 de Abril a un petit air de Golden Gate…

Il y a mille détours à faire dans Lisbonne, chacun réservant un point de vue original sur ce “paradis clair et triste” évoqué par Saint-Exupéry. Le plus époustouflant est sans doute celui qui s’offre au sommet de la tour du centre commercial Armoreiras. Pour cinq euros, on monte au ciel et on peut embrasser du regard toute la cité et plus encore. La butte la plus haute, sur laquelle est posé le Castelo de São Jorge, paraît presque dérisoire dans le panorama. Au loin, au pied des montagnes, on distingue l’aéroport, et de l’autre côté l’embouchure du Tage, magnifique et léthargique delta, traversé par le pont suspendu vers Almada, sur l’autre rive.
Retour sur terre, vers la vieille ville. A chaque carrefour on découvre ces beaux immeubles carrelés qui ravissent le regard et charment l’esprit.

Les trams circulent infatigablement, brinquebalant dans leurs wagons burlesques les foules de touristes paresseux. Certains préfèrent prendre l’elevador San Justa qui dresse vers les cieux son obscure et frêle silhouette de ferraille. Les autres se résignent à crapahuter au sein de ce désordre plein de noblesse, à la fois gai et nostalgique, évoquant si bien la saudade, terme difficile à traduire en français. Le fado incarne également à merveille cet état d’âme indicible, à mi chemin entre le blues et l'euphorie. Il arrive parfois qu’en entrant pour dîner dans un restaurant de Lisbonne, on assiste à un concert impromptu donné en toute simplicité par des amateurs. Alors, on se prend à aimer passionnément ce Portugal qui s’ouvre tout à coup, libérant ses ensorcelants sortilèges et sa généreuse hospitalité. Et l’on fait une place de choix dans sa mémoire à cette ville qui s’éveille et se couche plus tard que les autres. Et à l’instar de Fernando Pessoa, on imprime profondément en soi ce “Tage onctueux ancestral et muet, Humble vérité où le ciel se reflète !”
J’aurai l’occasion de revenir sur cet écrivain hors norme qui incarna si bien la nature taciturne et grandiose de sa patrie. Personnage excentrique, humble mais “intranquille”, il déclina son identité sous de multiples hétéronymes, à l’image de la ville aux nombreuses facettes.
Laissons lui pour clore ce billet, par nature inachevé, le dernier mot:
“Je passe parfois des heures sur le Terreiro do Paço, au bord du fleuve à méditer en vain.../...
Je sentirai toujours comme les grands maudits, qu’il vaut mieux penser que vivre…”

09 novembre 2019

Aux pieds des murs

Avec l’ouverture du mur de Berlin, le 9 novembre 1989, sous les coups de boutoirs d’une foule en liesse, c’était  le plus effroyable totalitarisme de tous les temps qui mordait enfin la poussière. Aux pieds des joyeux insurgés, le sinistre drapeau rouge s'abîmait dans la fange et les gravats. Qui l’eut cru ne serait-ce que quelques années auparavant ?
Qui aurait oser imaginer que l’Union Soviétique, totalement vermoulue, allait imploser deux ans plus tard ?
Grâce soit rendue à Mikhaïl Gorbatchev par lequel cet événement historique était devenu réalité. Peut-être était-ce inévitable mais ce fut lui et pas un autre, avec la glasnost et la perestroïka, qui avait lancé le compte à rebours et entamé la procédure irréversible de sabordage d’un régime auquel il devait pourtant tout. Il fallait être courageux, clairvoyant, déterminé et quelque peu résigné. De fait, sa carrière s'acheva en douceur et on n'entendit bientôt plus parler de lui. Mais il avait réussi à faire la seule chose envisageable: terrasser le monstre de l'intérieur !
Lors de l'édification de cette ignoble barrière en 1961, le président Kennedy avait exprimé avec justesse l'indignation du monde libre : "les démocraties sont imparfaites mais jamais elles n'ont eu besoin de construire des murs pour empêcher les gens de s'en échapper". Ces mêmes démocraties se révélèrent toutefois impuissantes pour empêcher le rideau de fer d'enfermer des millions de malheureux dans l'enfer socialiste. Le pont aérien mis en place pour sauver l’enclave de Berlin-Ouest fut la seule initiative concrète, symbolique mais bien dérisoire…

Hélas, le communisme n’est à ce jour pas encore tout à fait mort. Certains illuminés ont encore l'indécence de se réclamer de lui et la France, à sa grande honte, est un des derniers pays à héberger encore un parti affichant encore cette appellation infâme. Sous couvert d'écologie ou d'insoumission au capitalisme, on trouve encore beaucoup de défenseurs des théories marxistes qui donnèrent naissance à cette monstruosité.  On trouve encore des gens tel Eric Zemmour, qui affirma tout récemment être nostalgique du temps où l'Allemagne était divisée en deux et qui décidément très mal inspiré, asséna sans rire que la réunification ne fut que l'annexion de la RDA par la RFA (Paris Première le 6/11/19)…

Aujourd'hui que le Mur n'est plus qu'un sinistre souvenir, d’autres barrières s’élèvent, principalement dans les esprits.
Rarement la liberté d'expression n’a été aussi encadrée, réglementée, surveillée, que de nos jours. Chaque écart de langage par rapport à la norme bien-pensante est sanctionné. Le débat d'opinions se trouve de plus en plus cloisonné par les murs de la correction politique et les contrevenants, comme la malheureuse Julie Graziani, sont priés de faire publiquement leurs excuses et leur autocritique comme au temps de l’URSS...
On se souvient également comment le journaliste Clément Weill-Raynal, qui avait révélé l'inanité partisane du "mur des cons" fut évincé de ses fonctions, lâché par sa confrérie, et cloué au pilori médiatique...

D'un autre côté, le mur de la stupidité est trop souvent impunément franchi, même par d'éminentes personnalités. Il en est ainsi d'Emmanuel Macron qui s'exclame que L'O.T.A.N, à laquelle l'Europe doit sa tranquillité, se trouve “en état de mort cérébrale”. Magnifique cuistrerie envoyée à tous nos alliés et belle inconséquence de la bouche d’un dirigeant qui, hormis quelques voeux pieux, se révèle incapable de formuler une proposition alternative.
Pire, M. Macron révélait quelques jours auparavant, dans sa fameuse interview au magazine Valeurs Actuelles, qu’il préfèrait les immigrés d’origine guinéenne et ivoirienne aux travailleurs détachés de Bulgarie. Intéressant message adressé à des membres de l’Union européenne, qu’ils ont moyennement apprécié. Tout comme son sermon invitant à s’affranchir de la règle limitant à 3% le déficit budgétaire. Comment peut-il espérer être pris au sérieux avec un tel discours par des partenaires qui sont parvenus, à force de réformes courageuses et d’économies, à assainir leur gestion jusqu’à devenir excédentaires ?

En définitive, les temps changent mais les murs sont toujours là, même s’ils font heureusement moins de morts...

06 novembre 2019

Born To Be Blue


Bleu comme un infini splendide qui dans ses profondeurs, vire au noir. Bleu comme une blessure inguérissable qui étreint le cœur. Bleu comme la couleur d’un chant qui s’élève entre l’eau et le ciel, sublimant la tristesse en larmes brûlantes.
Il est des destinées fragiles et magiques comme ce bleu incandescent aussi cassant que le verre. Il est des vies qui se fracassent sur la dureté de l’existence.
Deux artistes se rejoignent dans ce magnifique et déroutant fatum. Quoique bien différents, ils ont un point commun: ils sont nés pour le bleu.

Chet Baker (1929-1988) fut une incarnation de ce mystère entêtant. Il vint au monde sous une bonne étoile qui lui conféra le talent et la beauté, mais il consuma ses dons dans un feu désastreux. Il en surgit des étincelles éblouissantes mais la fin semblait inscrite dans cet incendie dévorant.
Le film Born to be blue exalte cette carrière chaotique à partir d’une tranche de vie brève mais révélatrice. Sévèrement accroché aux paradis artificiels que l’opium et ses dérivés font entrevoir au détour de leurs dangereux sortilèges, il se trouva trop souvent entre up and down, et dans les pires moments fit de bien mauvaises rencontres. Il se retrouva ainsi la mâchoire et les dents fracturées après avoir contrarié quelque sinistre dealer. Quelle chute ce fut pour celui qui s’exprimait quasi exclusivement par la trompette !
Après des mois de lutte héroïque, s'il n'était plus physiquement qu'un ange déchu, il avait retrouvé toute son agilité technique et en profita même pour parfaire les aptitudes de sa voix et livrer quantité de blues inspirés. Hélas, cette mécanique qui atteignait à certains moments la perfection en matière de suavité et de volupté, se détraquait à d’autres, bien trop fréquents.
Il n’avait que 58 ans lorsque la chute fatale survint, dans la nuit d’Amsterdam. Il nous reste dans un clair obscur idéal, le souvenir de sa silhouette efflanquée, juchée sur un haut tabouret, nonchalamment courbée sur son instrument. Et des titres enchanteurs : my Funny Valentine, Summertime, Tenderly, All The Things You Are, Let’s get Lost…


De Nick Drake (1948-1974), il ne reste qu’une trentaine de chansons au bord de l’éternité. Et un parcours de moins de trente ans, comme celui des grands poètes romantiques anglais. On pense en effet à Keats ou à Shelley en écoutant les tendres mélopées en forme de rêveries qu’il chanta dans la solitude de sa chambre.
D’une nature timide il répugnait à se produire en public et fuyait tout ce qui ressemble à la gloire. Au point de s’enfermer dans une incurable mélancolie qui devait le mener à écourter plus ou moins volontairement son passage terrestre.
Il se dégage pourtant pour celui qui écoute ses chansons une impression indélébile, une sorte de subtile rémanence qui pénètre en douceur en soi et qui fait qu’on y revient toujours avec joie. Pink Moon reste le titre le plus accrocheur. Ritournelle primesautière et enjôleuse, elle ouvre dans l’album éponyme, une série de ballades recelant la pureté des blues les plus authentiques, âpres dialogues entre la voix et la guitare.
Ce dernier legs du chanteur fut précédé de deux albums non moins prégnants : Five leaves Left et Bryter Layter. Dans le premier, doux comme un velours, Drake distille avec sérénité l’émotion et la nostalgie, dans le second, il donna toute la mesure de son talent, entourant le phrasé frêle mais fluide de son chant d’une instrumentation plus riche et parfois de charmantes enluminures flûtées.
Malheureusement, après ces trois galettes enchantées, le charme s’est évanoui. Trop tôt sans doute mais il n’en fallait peut-être pas davantage pour creuser un sillon durable dans la postérité. Un merveilleux sillon bleu. D’un bleu si profond qu’on s’y noie sans crainte mais avec une délectation sans cesse renouvelée. N’est-ce pas là l’essentiel ?

28 octobre 2019

Des trains pas comme les autres

Ironie de l’actualité, au moment où la France s’est trouvée paralysée par un mouvement soudain “de retrait” des agents SNCF, qui à l’occasion d’un récent accident, réclamaient illico davantage de moyens et notamment une présence renforcée dans les trains express régionaux (TER), sortait un Rapport de la Cour des Comptes épinglant les dépenses extravagantes de ladite SNCF, particulièrement sur son réseau TER.
Le budget affecté à ces lignes est en effet de 8,5 milliards d’euros, financés à 88% par les subventions publiques donc par les contribuables. La vente des tickets ne couvre quant à elle que les 12% restant. Le TER est ainsi le moyen de transport le plus cher au km. Dans certaines régions, comme la Creuse, le coût supporté par l’Etat peut aller jusqu’à 8€/km et par passager, dépassant ainsi largement celui du taxi qui tourne autour de 1,8€/km ! Interrogé à ce sujet par TF1, le Président de la Nouvelle Aquitaine Alain Rousset, invoque le service public des transports, qui comme celui de la santé ou de l’école “est l’honneur de la France”. Ainsi dans l’esprit de ceux qui gèrent nos impôts, peu importe ce que cela coûte et que cela ne serve à rien, seule compte la beauté de la dépense...

En l’occurrence, les raisons d’une telle gabegie sont nombreuses, à commencer par la désaffection de ce mode de transport. On apprend par exemple que 285 gares accueillent moins de 3 voyageurs par jour !
Est-ce le prix des billets qui s’avère dissuasif pour les "usagers" lorsqu’on le compare à celui des cars ou bien du covoiturage ? Sont-ce les horaires inadaptés dont ils se plaignent lorsqu’on les interroge ? Sont-ce les retards auxquels ils sont confrontés de manière récurrente (jusqu’à 27,2% des trains dans le Sud) ? Un peu de tout cela probablement…

Hélas, à cette raréfaction des passagers s’ajoutent d’autres problèmes, plus structurels. Parmi ceux-ci la Cour des Comptes pointe une organisation peu efficace des ressources humaines, une faible polyvalence des agents et des augmentations “trop” automatique des salaires.
Parallèlement les voies ferrées ne cessent de se dégrader faute d’un entretien suffisant et force est de constater que les trains se comportent de manière très peu respectueuse de l’environnement. Nombre de rames font encore appel aux hydrocarbures pour se propulser et même les TER hybrides continuent souvent de rouler au diesel lorsqu’ils passent sur une voie électrifiée, faute paraît-il d’une signalisation adéquate…

Compte tenu de toutes ces tares accumulées, une question se pose : est-il envisageable qu’un jour la SNCF parvienne à l’auto-financement tout en offrant un service efficace, même sur les petites lignes (par un paradoxe étonnant, ces dernières, qui représentent 5% du chiffre d’affaires de la SNCF seraient très rentables puisque ce sont les régions qui paient…)?
On peut en douter surtout lorsqu’on entend les syndicats réclamer selon leur bonne vieille habitude toujours plus de moyens. Comme dirait Jacline Mouraud, fugace égérie des Gilets Jaunes, “mais que font-ils donc de tout ce pognon ?”


Illustration: dessin de Chappate. https://www.chappatte.com/

27 octobre 2019

Complément d'enquête à charge

En attendant la mise en place des cataplasmes de madame Buzyn sur la plaie béante des urgences, les critiques continuent de pleuvoir sur le système de santé et notamment sur le monde hospitalier. Hélas, pas toujours fondées...
Dans l’émission “Complément d’enquête” diffusée le 24 octobre dernier sur France 2, on a pu assister une nouvelle fois au procès de la tarification à l’activité (T2A) qui régit la gestion des établissements de santé court séjour depuis 2008. On a pu entendre de la bouche même de médecins, qui “balancent”, quelques énormités, traduisant soit une méconnaissance du système, soit un soupçon de mauvaise foi. Ainsi, pour le docteur Sophie Crozier, neurologue affectée au groupe hospitalier la Pitié-Salpétrière la T2A, c’est la course à la rentabilité et “c’est bingo pour l’hôpital”, notamment lorsqu’elle valorise les complications survenant lors des soins. Par exemple la présence d’escarres, qui permet d’ajouter chaque jour quelques centaines d’euros supplémentaires au tarif du séjour.
Derrière l’apparent paradoxe, il n’y a pourtant rien d’anormal. D’ailleurs, que dirait-elle si ces complications ne faisaient pas l’objet d’une augmentation du tarif des séjours ? Sans doute comme on l’entend parfois, que les hôpitaux seraient pénalisés par rapport aux établissements privés, sachant que ces derniers ne soignent par hypothèse que des patients “simples” tandis que le secteur public hérite des cas les plus lourds et les plus compliqués.
Madame Crozier affirme naturellement qu’elle fait tout pour éviter les complications à ses patients, mais le fait est qu’elle insinue que d’autres auraient intérêt à les laisser survenir, voire à les déclarer de manière abusive. Parallèlement elle affirme de manière péremptoire (comme la ministre au demeurant), que le système pousse à multiplier les actes superflus, voire inutiles.

Il n’est évidemment pas souhaitable pour un patient d’être victime de complications surajoutées (en termes techniques, on appelle ça des comorbidités associées). Lorsque surviennent des escarres, on peut évidemment s’interroger sur la qualité de la prise en charge préventive. Mais une fois là, il est évident qu’elles alourdissent significativement la prise en charge, contrairement à l’affirmation entendue dans le reportage selon laquelle elles ne nécessiteraient que “peu de moyens et peu de personnel”. Non seulement elles révèlent habituellement un état précaire, voire une grabatisation du patient, mais encore faut-il préciser qu’elles exigent de la part des soignants beaucoup de patience et de temps. Or le temps c’est de l’argent…

Il paraît donc vain d’accuser la tarification à l’activité de tous les maux ou quasi, dont souffrent les hôpitaux. Curieusement dans le même temps où l’on s’insurge contre le jackpot engendré par les morbidités, on déplore le manque de moyens. Allez comprendre...
La T2A n’est certes pas parfaite. Elle affecte les ressources financières au séjour et non à la journée d’hospitalisation comme on le laisse entendre dans le reportage. De ce point de vue elle est vertueuse puisqu’elle n’incite pas à prolonger les séjours pour des raisons économiques. Elle est certes inflationniste en termes de soins dans la mesure où elle valorise l’activité, mais sa nature forfaitaire limite cette tendance et elle fait l’objet de contrôles réguliers de l’Assurance Maladie et de sanctions en cas de manquement aux règles.
Il faut enfin préciser que “ce qui rapporte” n’est pas forcément source de profit comme on le suggère trop souvent, notamment dans cette enquête. Tout dépend des dépenses mises en face des recettes. L’objet de la T2A est de procurer aux établissements de santé des ressources financières en adéquation avec les soins qu’ils réalisent. Il importe donc de veiller à fournir une description la plus exacte possible de ces soins et dans cette perspective, la rentabilité n’est que l’expression de l’équilibre entre les dépenses et les recettes.
En dépit de ses imperfections, la T2A est un système plus équitable, moins pervers et plus motivant que ceux qui l’ont précédée, à savoir les prix de journées et le budget global.
Malheureusement le gouvernement, égaré sans doute par la pression médiatique et les tabous idéologiques relatifs à la prétendue “marchandisation de la santé” semble prêt à faire machine arrière.
Lors du débat qui suivit le reportage, Olivier Véran qui défendait la politique du gouvernement, en l’absence courageuse de madame Buzyn et de M. Hirsch, annonça la suppression de la T2A et son remplacement par un nébuleux financement au parcours de soins fondé sur des “responsabilités populationnelles”. Plutôt que d’améliorer un système en vigueur depuis à peine plus d’une dizaine d’années, on nous promet donc une usine à gaz qui ajoutera de nouvelles strates au mille feuilles administratif. Il y a fort à parier que le malaise des hôpitaux perdure encore un bout de temps...

24 octobre 2019

Démocraties en crise

L’interminable valse-hésitation du Parlement anglais face au brexit donne une bien médiocre image de la démocratie. Non seulement cette institution, qu’on croyait vénérable, donne l’impression de vouloir repousser sans fin les conséquences du référendum du 23 juin 2016, mais elle semble au surplus se faire une joie de contrarier systématiquement le Premier Ministre. Après la démission de David Cameron, l’échec de Theresa May, c’est Boris Johnson qui est malmené par des élus qu’on dirait aussi irresponsables que des collégiens. Le pays paraît crispé depuis plus de trois ans, quasi bloqué par cette pierre d’achoppement qui cristallise toute l’attention jusqu’à l’épuisement. Lors d’une récente interview, l’ancien Beatle Paul McCartney a bien résumé la situation: “Je pense que c’est un vrai bordel et je serai heureux quand ce sera fini…”
Malheureusement, ces mésaventures ne sont pas isolées dans le monde démocratique. Pour tout dire, c’est d’une véritable épidémie qu’il s’agit. Tergiversations, indécision, compromissions, incohérence, contradictions, rébellion, tout semble se conjuguer pour miner les bases même d’un modèle en voie de dépérissement.
En Italie, après le marché de dupes qui porta au pouvoir l’attelage hétéroclite de la Ligue et du Mouvement 5 étoiles, c’est l’alliance de la carpe et du lapin qui gouverne dans le seul but d’éloigner Matteo Salvini du pouvoir. Pour combien de temps ? Nul ne sait mais une chose est certaine: ce n’est vraiment pas sérieux.
L’Espagne n’est guère mieux lotie. Après la chute de la maison Rajoy pour cause de corruption, le pays est en proie au chaos politique. Les partis traditionnels se sont effondrés, tandis que le bipartisme se morcelait en une myriade de nouveaux mouvements (Ciudadanos, Podemos, Vox…). Résultat, le pays est pour l’heure quasi ingouvernable, la rébellion indépendantiste fait rage en Catalogne et le pays rouvre même ses cicatrices avec la procédure sordide d’exhumation de Franco…
En France, on sait que le jeu démocratique est faussé par la montée en puissance régulière depuis quelques décennies du Rassemblement National, ostracisé, pestiféré, pour tout dire exclu du jeu politique. Il suffit de se retrouver en lice contre un représentant ce parti pour être sûr d’être élu, ce qui fait dire à certains que dans un tel cas de figure, même une chèvre pourrait faire l’affaire… L’irruption spectaculaire d’Emmanuel Macron dans le paysage politique et sa consécration rapide furent liées en grande partie à un effet de conjoncture, ce qui explique sans doute la violence déraisonnable et anti-démocratique de ses opposants dans la rue. Même peu nombreux, ils sont la cause de dégradations majeures et entretiennent durablement un climat de défiance qui contrarie la marche du gouvernement.
Même l’Allemagne semble déstabilisée par des scrutins de plus en plus incertains, obligeant à mettre sur pied des coalitions floues ou improbables. Quant à l’Europe, elle continue de dériver sans vrai but, sans âme et sans unité. L’impuissance de la Communauté lors de la récente opération militaire Turque en Syrie en apporte une nouvelle preuve...

Si l’on sort de l’Europe, ce n’est guère mieux. Aux Etats-Unis c’est le Président qui depuis son investiture se trouve sous le feu d’une opposition aussi peu inspirée que revancharde, qui n’a pas digéré le résultat de son élection. Pas un jour sans que ses moindres faits et gestes ne soient critiqués de manière primaire, quasi pavlovienne par ses adversaires littéralement enragés. Désormais, au motif d’un douteux coup de téléphone avec le président ukrainien, c’est la procédure d’impeachment qui est brandie par les soi-disant Démocrates. Pourtant, Trump depuis le début de son mandat ne fait qu’appliquer les mesures de son programme de campagne et il continue de jouir d’un solide soutien populaire...
On pourrait pareillement évoquer le sort d’Israël, confronté à un scrutin sans majorité, celui du Chili dont les dirigeants élus il y a deux ans à peine, sont contestés avec une extrême violence par une insurrection, motivée par une augmentation de quelques centimes du ticket de métro.

En définitive, quand ce n’est pas le peuple qui remet en cause de manière factieuse le verdict des urnes, ou qui manifeste son indécision dans le choix de ses gouvernants, ce sont les élus qui se comportent de manière anti-démocratique, en faisant fi de la volonté populaire, en protégeant avec un jusqu’au-boutisme consternant ses prérogatives, ou bien en se discréditant à l’occasion de querelles pricocholines...
Dans cette cacophonie assourdissante, le cas de Hong Kong est sensiblement différent, voire opposé. Le peuple, dans la relative indifférence du monde dit libre, ne se mobilise pas contre les règles du jeu démocratique ni contre le libéralisme, mais pour obtenir la garantie de leur maintien !
D’un côté des enfants gâtés, qui ne savent plus apprécier les mérites de leur situation privilégiée et la prospérité inégalée de leurs pays de cocagne, de l’autre ceux qui craignent avec raison les périls qui menacent leur destinée et le modèle de société auquel ils sont attachés. Décidément, cela devrait peut-être poser question, et des plus sérieuses...