14 juin 2006

Le sourire du Tao (Lawrence Durrell)

Il y a dans l'écriture de Lawrence Durrell quelque chose d'indicible. Son style est léger, presque aérien, sans jamais être superficiel pour autant. Il donne l'impression de vagabonder de manière intemporelle au travers des passions humaines et des grandes interrogations de l'existence. Mais le ton est toujours juste et le style magnifiquement simple tant son élaboration est maîtrisée. Son domaine de prédilection fut la Méditerranée, ce qui n'est pas banal pour un Anglais, dont l'enfance se déroula en Inde...
Pourtant, peu d'écrivains ont rendu avec autant de talent et de grâce l'essence de l'esprit méridional. De la Grèce à la Provence, il a tout compris et son oeuvre est comme une sorte de voyage initiatique au dessus de ce qui reste le berceau ensoleillé de l'Humanité.
Avec ce petit livre il fait toutefois une incursion dans la philosophie asiatique et révèle en fait un tempérament porté vers l'universel. A partir d'une minuscule anecdote, un week-end passé dans sa maison de Sommières dans le Gard, en compagnie d'un malicieux ami chinois, Jolan Chang, il dévoile un peu du subtil mystère du panthéisme bouddhique.
D'emblée le ton est donné : "Le mot Tao évoque pour moi différentes attitudes (toute vérité étant relative), un état de disponibilité totale et de total abandon, une conscience totale, exhaustive et sans réserve de cet instant ou la certitude pointe le nez, tel un poisson au bout de l'hameçon. C'est alors que l'esprit est en parfait accord avec la grande métaphore du monde - celle du TAO."
Qu'on se rassure, il n'y a rien de dogmatique ni d'ésotérique dans cette aperçu de la philosophie orientale. Même si ces divagations intellectuelles tournent autour d'un texte quelque peu énigmatique, le Tao-tö king, rien n'empêche qu'on y parle de cuisine chinoise et que le temps soit émaillé "de nombreuses parties de rigolades". Car comme le dit Durrell non sans admiration, "il conduisait sa vie d'une main légère, mon ami taoïste."

Dans la seconde partie de cet ouvrage, l'écrivain raconte comment il rencontra par le plus grand des hasards une femme envoûtante, au regard "tantrique", pareil au bleu saphir de l'étoile polaire. Et comment il découvrit qu'il avait conçu étrangement un projet identique à celui qu'elle souhaitait entreprendre : se rendre en Italie, dans la région du lac Orta, pour remonter le souvenir énigmatique de la passion amoureuse qui lia Nietzsche à Lou Andreas-Salomé.
Cette courte escapade avec celle qu'il nomma Véga, fut parfaite : "pas une seule fausse note, pas un faux sentiment qui ne brisât ni flétrît ce calme et ce bien-être d'un frère et d'une soeur réunis sur les bords du lac Zarathoustra."
Et c'est en admirant les yeux magnifiques de Véga qu'il comprit tout le tragique du karma du philosophe allemand. Il comprit que même en étant doté d'une intelligence aigue, il s'était donné des tâches trop insurmontables : Déclarer « au nom d'Héraclite et des anciens Grecs », la guerre à Dieu et au christianisme, refuser d'autre part tout ce qui rappelait de près ou de loin la figure de commandeur et les idées de son propre père et cristalliser enfin son difficile rapport à l'Art en niant purement et simplement Wagner.
Pourtant, selon Durrell, au delà de ces combats surhumains, Nietzche aspirait à la sérénité, à la « simultanéité éternelle », au « maintenant incandescent ».
Peut-être en définitive, pensait-il trouver en Lou, "le Regard, le regard serein du Tao qui renferme en ses profondeurs tout le sel de l'humour et de l'ironie complice", dont il semblait pour sa part si dépourvu.
Pourquoi Lou refusa ses avances, voilà qui reste inexpliqué. Mais ce faisant, tout porte à croire en revanche, qu'elle le privait de cet espoir et qu'elle le condamnait, inconsciemment sans doute, à la folie...

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