03 juillet 2006

July s'en va : libération ou coercition ?

Serge July s'en va. Pour le journal Libération c'est la fin d'une époque. C'est aussi l'occasion de faire un retour sur image comme on dit. Qu'a-t-elle apporté à l'information cette nouvelle presse de gauche aux accents vaguement libertaires, fondée sur la bimbeloterie idéologique de 68 ? Que reste-t-il de l'engagement politique tonitruant des premières années ? De l'ambition affichée de « lutter contre le journalisme couché » ?
On serait tenté de dire pas grand chose puisque la connotation politique s'est progressivement diluée dans le sens des réalités et qu'aujourd'hui le PDG s'en va, victime selon les apparences, des lois implacables de la logique capitaliste...
Mais ce serait un peu court et surtout injuste pour quelqu'un qui mena tout de même la barque pendant une trentaine d'années. L'analyse doit donc être un peu plus nuancée.
Que ce quotidien fut engagé, le doute n'est toutefois pas permis.
Il le fut un peu beaucoup si l'on pense aux prises de positions maoïstes de July en 1969 : "Mai 68 a remis la révolution et la lutte des classes au centre de toute stratégie. Sans vouloir jouer au prophète, l’horizon 70 ou 72 de la France, c’est la révolution."
Il le fut trop quand on évoque les outrances politiques de Jean-Paul Sartre, premier directeur du journal.
Un peu trop en tout cas pour pouvoir se proclamer en 1973 "organe entièrement libre" et prétendre faire de l'information !
Trop encore en mai 1981, lorsque le quotidien sortit, parfumé à la rose, pour célébrer la victoire de François Mitterrand. Avec le recul c'était un peu fleur bleue... Mais surtout, c'était trop inféodé à un parti politique, en dépit de la distanciation progressive au fil des ans.
Il est naturel d'évoquer par comparaison le journal Combat qui, nonobstant sa nature de gauche, sut éviter l'écueil. Né dans le feu et le sang d'un tumulte autrement plus grave que celui de 1968, il fut fidèle à la noble déclaration d'intention que fit Albert Camus en 1944 : « La tâche de chacun de nous est de bien penser ce qu’il se propose de dire, de modeler peu à peu l’esprit du journal qui est le sien, d’écrire attentivement et de ne jamais perdre de vue cette immense nécessité où nous sommes de redonner à un pays sa voix profonde .» On ne peut pas dire que cela fut pour ce journal un gage de longévité puisqu'il mourut en 1974, mais au moins put-il revendiquer l'indépendance de ton et d'esprit.
L'engagement à gauche de Libération « made in July » fut donc son défaut principal. Excessif au départ, son tamisage progressif fut vécu par une partie du lectorat comme une perte progressive d'âme, sans pour autant vaincre la défiance des libres penseurs.
Tout de même, il avait l'avantage d'être moins hypocrite que le jésuitisme et les torves ondulations idéologiques qui pervertirent il y a quelques années son concurrent Le Monde. Considéré on ne sait trop pourquoi, comme « objectif » par la bourgeoisie intellectuelle, ce dernier fit beaucoup de mal à l'information et à l'esprit critique en France.
Au fond, Libé n'a pas que des tares et il faut espérer qu'après July, survive son indéniable curiosité intellectuelle, son tempérament original qui le range un peu à part, sa sincère aspiration pour le débat d'idées. J'en sais quelque chose pour avoir sans difficulté glissé deux ou trois interventions pas très politiquement correctes, notamment au sujet du second conflit irakien.
Et reconnaissons pour terminer que Serge July s'en va beau joueur. Il ne saborde pas, il ne déverse ni fiel ni acrimonie sur le journal qu'il a en grande partie fait et qui le rejette aujourd'hui. Dans son dernier éditorial, il fait même des constats lucides et courageux :
"Le modèle économique sur lequel a reposé pendant si longtemps la presse quotidienne écrite, ce modèle s'effrite sous nos yeux".
"Le problème de
Libération n'est pas tant la qualité ou la pertinence de ce que nous publions chaque jour, il est industriel et financier."
"En novembre 2004, Edouard de Rothschild décidait de souscrire une augmentation de capital de 20 millions d'euros »", "En moins de deux ans, ces 20 millions auront été consommés..."
Je retiens donc son mot de la fin en espérant qu'il soit porteur d'espoir : "Je quitte Libération, parce que c'est la dernière chose que je peux faire pour que vivent cette entreprise et cette équipe."
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