Autour de la crise qui
n'en finit pas de s'aggraver, les charognards s'enhardissent.
Espèrent-ils tirer quelque avantage ou quelque gloriole des
décombres d'un système auquel ils promettent sans aucune retenue la
fin toute proche ? Éprouvent-ils une sorte de morbide
jubilation à l'idée que l'objet de leur ressentiment risque enfin
de s'abîmer définitivement ? Il est difficile de trancher, mais en
l'occurrence, dire qu'ils haïssent ce système - le capitalisme bien
sûr - serait un doux euphémisme. C'est une détestation viscérale
qui les anime. Ils bavent d'exaltation devant les soubresauts de la
bête, selon eux enfin moribonde.
Un
exemple édifiant de cet étrange rituel, qui tient plus du vaudou
que de la science économique, fut donné le 30 novembre dernier au
matin, par Paul Jorion, invité
de France Culture. Ce gentil savant à la barbe blanche,
anthropologue paraît-il de son état, a commencé son exposé de
manière très pateline, mais il a basculé peu à peu dans la
diatribe à sens unique, voire dans un vrai délire monomaniaque,
faisant se succéder les affirmations abruptes, les slogans les plus
éculés (évoquant de manière compulsive ces
"1% de la population qui détiennent 40% des richesses..."),
le tout arrosé d'un contentement de soi ineffable, et d'une
intolérance ahurissante, n'acceptant aucune contradiction à ses
propos.
Puisqu'il
décrète une fois pour toutes "qu'il fait partie des gens ayant
les yeux un peu plus ouverts que les autres", ces derniers sont
par nécessité des aliénés défendant une cause perdue.
En
bref, selon ce monsieur très "initié", la crise actuelle
s'inscrit comme point d'orgue à "la destruction ultime du
capitalisme". Qu'on se le dise, tout est bel et bien fini :
"Le système financier américain est terminé, le délitement
de l'euro s'achève". Inutile de se battre, car "la machine
est cassée.../... le cœur est fondu.../... les marchés, c'est un
cadavre."
Il
y a d'ailleurs d'autant moins d'espoir que "c'est la panique au
sommet" et que "les gens au sommet n'ont pas la moindre
idée comment ça fonctionne." Comme les tribus primitives
devant une machine en panne, à laquelle ils ne comprennent rien, les
experts gesticulent, ou pire, font de vains sacrifices : un
chevreau, une vache, puis des êtres humains..."
Comment
peut-on avoir la permission de proférer de pareilles insanités, avec un ton aussi doctoral, sur
les ondes de chaînes radiophoniques respectables, c'est un grand
mystère. D'autant plus grand que personne ou presque n'osa
contredire le mage illuminé. Exception faite de Brice Couturier qui
eut l'audace de lui faire remarquer qu'à l'heure actuelle certains
pays se portaient plutôt bien du capitalisme, et qui eut l'impudence
de lui demander par quoi il songeait à le remplacer. Il fut aussitôt
refroidi par la logorrhée intarissable qui s'abattit avec un mépris
dévastateur sur ses timides remarques.
M.
Jorion n'aime ni les contradictions ni les questions gênantes. Bien
qu'il s'exclama à plusieurs reprises qu'il était urgent de "reconstruire un système financier à partir de zéro", il
se refusa à fournir ne serait-ce qu'une esquisse d'ébauche de début
de piste aux auditeurs dépités, allant dans un rare élan de
modestie à concéder "qu'il n'était pas Dieu..."
Il
y a pourtant une autre manière de voir les choses, moins immanente,
moins déclamatoire, mais sans doute plus réelle.
Non
le capitalisme n'est pas mort, malgré les incantations de ceux qui
espèrent sa déroute depuis si longtemps. Au contraire même
pourrait-on dire, les pays qui s'en sortent le mieux à ce jour sont
ceux qui s'y sont convertis de fraîche date et pratiquent donc le
capitalisme, dans sa version la plus sauvage (c'est à dire très peu
sociale). Paradoxe, ils émergent pour la plupart du socialisme le
plus noir...
A
l'inverse, dans les pays qu'on croyait acquis depuis longtemps au
capitalisme, notamment les démocraties occidentales, il traverse une
crise grave. Est-il en train de mourir, on peut toutefois en douter,
et il serait tragique de le souhaiter. Les crises sont inhérentes à
ce système qui est en perpétuelle régénération, comme l'avait
brillamment montré Schumpeter.
Est-ce pour autant une phase de destruction créatrice à laquelle nous assistons ? Rien n'est moins sûr, car le mal actuel ne réside pas dans la substance du système, mais dans ses à-côtés supposés lui servir de pondération, de régulation.
Est-ce pour autant une phase de destruction créatrice à laquelle nous assistons ? Rien n'est moins sûr, car le mal actuel ne réside pas dans la substance du système, mais dans ses à-côtés supposés lui servir de pondération, de régulation.
Parmi
les causes de son actuelle déconfiture, il faudrait précisément
reconnaître certains torts contre lesquels le même Schumpeter avait
mis en garde, par exemple d'avoir cédé à la tentation de
l'Etat-Providence, d'avoir promu une politique
de concentration des moyens de production (fusions, trusts,
monopoles) et d'avoir laissé proliférer une bureaucratie
envahissante, produisant à tout vent des ribambelles de législations
et de réglementations, au détriment de l'application de lois et de
règles simples visant à minimiser la spéculation hasardeuse, la corruption et la
malhonnêteté.
Résultat,
force est de constater que le système, devenu adynamique, s'asphyxie
lui-même dans ses boursouflures et dans ses redondances.
Curieusement,
si l'Etat Providence est dans la panade, les politiciens qui sont les
premiers à l'avoir mené là, ne s'estiment pas responsables, et pas
davantage les apôtres de l'alter-pensée qui préconisaient et
continuent de réclamer plus de dépenses publiques et une
redistribution autoritaire et égalitaire des richesses. Pour eux,
les boucs émissaires du jour, ce sont d'obscurs et insaisissables
financiers, et les banquiers, qui ont prêté sans compter (certes
imprudemment) aux irresponsables qui portaient aux nues avec
démagogie le leurre enchanteur de la "justice sociale".
Si
une chose apparaît clairement à ce jour, c'est bien l'endettement
monstrueux de la plupart des Etats occidentaux. Endettement souvent
structurel, car non pas causé par des investissements, mais par le
financement de prétendus acquis sociaux qu'il faut indéfiniment
abonder. Endettement si massif, qu'on ne voit pas bien comment il pourrait être résorbé. D'autant que le déficit, générateur direct de la
dette, ne cesse de croître, en dépit des belles résolutions (prises lors du traité de Maastricht notamment). Il avoisinait récemment 8% du PIB en France
et sera proche de 6% cette année. Les prévisions les plus optimistes le
voient toujours autour de 4% l'an prochain et à 3% à partir de
2013. Mais dans tous les cas cela signifie que l'Etat continue de
s'endetter. Derrière ces pourcentages théoriques, il y a des
chiffres faramineux. Cette année, le déficit de la France sera de
près de 100 milliards d'euros ! En regard des quelques 50
milliards d'euros que produit l'impôt sur les revenus, c'est assez effrayant. Et en regard des 200
milliards constituant la totalité des recettes de l'Etat, ça donne
la mesure de la dérive budgétaire ! Chaque année, un tiers des dépenses de l'Etat ne sont financées que par l'emprunt. Comment songer au désendettement dans ces conditions ? Même en élevant indéfiniment les taux d'imposition pour les plus riches (qui ne représentent comme chacun sait qu'un pour cent de la population), ça ne serait qu'une goutte d'eau versée dans le gouffre...
Comment
s'étonner dans ces circonstances, que les fameuses agences de
notations dévaluent les notes des Etats impécunieux ? On se demande
d'ailleurs pourquoi elles ne l'ont pas fait plus tôt. Contrairement
à ce qu'on pense parfois, elles ne sont pas nées de la dernière
pluie, ni de la dernière crise, puisque leur création remonte à plus d'un siècle aux
Etats-Unis (Standards and Poor fut fondée en 1860, Moodys en 1909,
et Fitch en1913). Elles ont été somme toute plutôt indulgentes,
tout comme les banquiers, tant le capital de confiance des "Etats
souverains" semblait à tout le monde "intouchable".
Aujourd'hui,
il faut déchanter. Hélas, c'est un abîme vertigineux autour duquel
nous tournons. Allons nous parvenir à nous en extraire ?
Les
mesures de relance keynésienne ont été comme il était
prévisible, un fiasco. Elles ont fait flamber les déficits et
l'endettement, sans doper ni la croissance ni l'emploi.
Les
taxations et impôts supplémentaires sont un pis aller, vu le niveau déjà très élevé des prélèvements
obligatoires. Comme le déplorait Jean-Baptiste Say (1767-1832) :
"L'impôt est une amende sur la production, sur ce qui fait
exister la société."
Reste
la réduction drastique des dépenses publiques, qui signifie l'austérité et l'appauvrissement de tout ce qui vit au dépens de l'Etat (en France, ça fait beaucoup...), mais à laquelle on ne
voit pas comment échapper malgré les dénégations des dirigeants.
Et in fine, "l'effacement de la dette", qui loin d'être magique, conduira à
ruiner ceux qui ont fait confiance à l'Etat.
En
tout état de cause, s'il y a des gens qui ont des raisons de "s'indigner" de l'état de fait actuel, c'est bien ceux qui alertaient
sur ces dérives du capitalisme et de la démocratie, sur
l'instillation démagogique du venin sournois de pseudo "justice
sociale" dans le moteur. Mais sûrement pas ceux qui n'ont
jamais aimé le capitalisme et qui jouent aujourd'hui aux prophètes, ou
pire, aux pompiers pyromanes.
4 commentaires:
Encore une très bonne analyse. Merci pour cette contribution à la manifestation de la vérité.
ON se voit ce WE pour une explication de texte ??? RAMONE
Comme Emmanuel Tood!ils nous ressassent tous deux la vieille lune d' Oulianov: " l'impérialisme, stade suprême du capitalisme ". Fatiguant et bête...
Bien à vous
Comme Emmanuel Tood!ils nous ressassent tous deux la vieille lune d' Oulianov: " l'impérialisme, stade suprême du capitalisme ". Fatiguant et bête...
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