31 décembre 2022

Guérir le Système de Santé ?

A l’occasion des épidémies saisonnières pourtant habituelles, François Braun, ministre de la santé, vient d’alerter une nouvelle fois sur “la situation très critique” du système de santé. Il a évoqué au cours d’une visite au SAMU parisien sa volonté d'entamer dès le mois de janvier "la réforme globale de notre système de santé, territoire par territoire". Cela ne sera jamais que le 6ème plan de sauvetage depuis l'accession d’Emmanuel Macron au pouvoir !


Pour l'heure, alors que les hôpitaux submergés en sont réduits à refuser patients et visiteurs, que les médecins libéraux, les biologistes et les pharmaciens excédés n'ont plus d'autre choix que la grève, aucune piste originale n’est en vue. Et pour cause. Les verrous idéologiques sont plus que jamais bloqués. Les mois et les années passent mais le problème perdure en s’aggravant. Un précédent billet de ce blog énumérait il y a quelques mois les tares structurelles du système français. Aujourd'hui, la situation est en passe d’échapper à tout contrôle et c’est l’ensemble du système hospitalier qui, selon un collectif de médecins désespérés, menace de s’écrouler.

On pourrait dire sans exagérer que cette déroute généralisée a été sciemment organisée. Le malade souffre d'avoir été trop bien soigné, en quelque sorte.
Après des wagons de réformes successives, et des trains de mesures bien intentionnées, mais dénuées de tout sens pratique, le gouvernement en est réduit aux expédients. Après avoir saupoudré des dotations exceptionnelles aussi efficaces que de l’eau versée sur le sable, on en vient à proposer d’accorder des cartes de séjour spéciales aux étrangers pour combler les carences chroniques d'effectifs ! Autant dire qu’on a atteint le bout du bout. Il ne restera bientôt plus que le système D et le demerden sie sich aux malheureux qui auront la malchance de tomber malade.
Dans l’absolu, il faudrait donc comme le dit notre pauvre ministre,  prendre “les problèmes à bras le corps”, mais n’est-il pas déjà trop tard ? Est-ce même envisageable ?
Peut-on en France, imaginer une réforme digne de ce nom, alors que les causes mêmes du désastre font, depuis des décennies, l’objet d’analyses contradictoires mais en règle soumises aux utopies politiques et à la démagogie. Alors que notre système hyperadministré est quasi entièrement nationalisé et bureaucratisé à l’extrême, on en est encore à invoquer la responsabilité de politiques libérales
Force est de constater que depuis le calamiteux plan Juppé de 1996, toutes les réformes se sont hélas inscrites dans la même logique centralisée, étatique, néosoviétique. La seule avancée pragmatique en 2004, fut la Tarification à l’Activité (T2A) supposée remplacer le Budget Global. Hélas les effets de cette petite révolution ont été minimisés par la complexité épouvantable de sa mise en oeuvre, par quantité d’artifices de pondération inutiles, et surtout par l’enfermement de cette mesure dans le carcan de l’ONDAM (Objectif National de Dépenses de l’Assurance Maladie). Au surplus, selon la bonne vieille habitude de l'Administration, qui sait empiler mais jamais retrancher, la T2A est surtout venue ajouter une strate supplémentaire au mille-feuilles gestionnaire, tellement tarabiscoté qu’il est devenu quasi inintelligible même aux professionnels les plus chevronnés… C’est le bateau ivre en quelque sorte, mais sans les illuminations !

Est-il encore envisageable dans ce contexte de mettre enfin un terme à la planification, faite de plans quinquennaux inutilement rigides et toujours obsolètes avant l’échéance ?
Il en est ainsi de la méthode archaïque employée pour déterminer les effectifs de praticiens dont le pays a besoin, qui a abouti au résultat qu’on connaît : le nombre absolu de médecins est dans la moyenne, voire au dessus, des pays comparables, mais ils ne sont ni dans les bons endroits, ni dans les bonnes disciplines ! On voit pareillement la faillite des politiques arbitraires d’ouverture et de fermeture de lits, d’autorisations d’activité, ou d’acquisition d’équipements médicaux lourds.
Est-il concevable de déconcentrer les échelons décisionnels organisés de manière pyramidale à partir de Paris ? Il faudrait pour ça commencer par supprimer les Agences Régionales de Santé (ARS) dont l’incurie et l’inertie ne sont plus à démontrer et qui brident gravement la capacité d'initiative des hôpitaux et freinent l’innovation par leurs diktats absurdes !
Qui oserait revenir sur l’inepte réforme obligeant les établissements de soins à se réunir autour d’insanes Groupements d’hôpitaux de Territoires (GHT) très coûteux, et pour tout dire ingérables ? Qui supprimerait les ineptes seuils et les plafonds d'activité auxquels ils sont soumis et qui les asphyxient à petit feu ?
Qui aurait le courage de mettre fin au chaos organisationnel régnant au sein des établissements, ayant conduit à juxtaposer au terme de réglementations de plus en plus stupides, pôles, services, départements et diluant les responsabilités dans une pléthore de commissions ?
Qui aurait l’audace d’abroger le dogme de la chambre seule et des unités trop spécialisées et trop cloisonnées, pour les faire évoluer vers des services à géométrie variable, permettant de faire face à un afflux soudain de patients sans augmenter trop la charge de travail du personnel ?
Qui oserait s’affronter aux lobbies et aux grands principes pour démédicaliser la démarche de soins en accélérant les délégations au personnel non médical de nombre d’actes et de missions ? Beaucoup de pays ont fait la preuve que cela permet de désengorger les filières d’accès aux soins, sans perte d’efficacité bien au contraire, et en réduisant significativement les coûts du fonctionnement tout en revalorisant beaucoup de professions.
Qui serait assez fou pour proposer de faire sauter le monopole de la Sécurité Sociale en mettant sur pied un système plus responsable, plus souple, plus concurrentiel, impliquant davantage la responsabilité des assurés ? Il faudrait pour ça revoir sans tabou le panier de soins remboursés à 100 %, assouplir les conditions de délivrance des médicaments, revaloriser les actes tout en améliorant le contrôle des abus et des dérives…

Dans le même ordre d’idées, qui saurait tailler dans la jungle des agences étatiques nationales encadrant de manière étouffante le fonctionnement des établissements de santé et supervisant de manière théorique et desséchante leur démarche qualité et leur accréditation ?
Comment en un mot rendre un peu plus d’air et de marge de manœuvre à ces hôpitaux qu’on a peu à peu vidé de leur substance et à tous les personnels à qui on a retiré le goût du travail et jusqu’au sens de la mission ?
Sûrement pas en cassant la tarification à l’activité. Sûrement pas en renforçant encore le rôle de l’État Central. Sûrement pas en se tapant le cul sur la glace illusoire d’une pseudo justice sociale en réclamant “quoiqu’il en coûte”, l’égal accès aux soins pour tous. Plutôt en revenant au bon sens, et en misant enfin sur le sens des responsabilités et l’émulation, en récompensant les initiatives heureuses, en valorisant les carrières.
Tout cela paraît simple mais cependant si éloigné de la logique désincarnée qui prévaut chez les fameux “petits hommes gris” de la Haute Fonction Publique de Paris, qu’on peut avoir les pires craintes quant à l’avenir. Tant que ces Diafoirus règneront en maître, il y a peu de chance que le grand corps malade de la santé se remette debout…
Cela dit, excellente fin d’année à tous les lecteurs parvenus jusqu’ici !
 
 * Illustration: Le Malade Imaginaire par Honoré Daumier

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