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31 décembre 2025

Lire et relire Radiguet

La tentation de faire appel au passé est forte lorsque rien ne va plus dans l’actualité.
Pourtant, se réfugier dans des livres d’autrefois ne participe en rien de cette inclination. Les romans qui durent sont intemporels. Ils vous procurent un sentiment d’évasion. Tout simplement.

Relire Raymond Radiguet (1903-1923) s’inscrit dans ce doux rêve. Ce jeune homme fut un génie aussi précoce que météorique. Parvenu à la maturité littéraire au sortir de l’enfance, il grandit dans les années folles, connut le cataclysme du premier conflit mondial et fut fauché à 20 ans à peine par une méchante fièvre typhoïde.
Il eut le temps néanmoins d’écrire deux romans qui feront sensation et restent parmi les œuvres majeures de la littérature française.

Le diable au corps
J'en avais gardé un souvenir ébloui mais hélas devenu incertain avec le temps. Dès les premières lignes de sa relecture, je suis (re)tombé sous le charme de cette écriture fluide, simple mais superbe. Radiguet, alors âgé d'à peine 18 ans, y fait preuve d’une maîtrise littéraire époustouflante.
Il possède déjà un style audacieux et original. Il manie les temps avec une aisance confondante, manifestant une prédilection pour le passé simple et le subjonctif. C'est élégant et léger, avec une pointe d'acidité, un vrai régal.
Mais la force de cet écrivain en herbe est avant tout de créer, sans faire mine de le vouloir, un climat où le romanesque le dispute au sulfureux. Dans cette romance impliquant un adolescent de seize ans déluré et sûr de lui et une femme mariée, plus âgée que lui (d'à peine trois ans), mais au coeur d’artichaut, on trouve une fougue juvénile qui ne s'embarrasse guère de principes ou de conventions. Certains ont cru voir un message antimilitariste car le mari absent, cocu sans le savoir, est un pauvre poilu parti au front. Rien ne permet toutefois de l'affirmer car Radiguet ne fait aucune allusion sur les tenants et les aboutissants du conflit.
L'immoralité de la situation est avant tout sociale et elle s'efface de toute manière derrière la passion, l'égoïsme, l'inconstance et la cruauté d'une jeunesse aussi ardente qu’insolente. C'est écrit à la première personne mais ce “je” qui est l'auteur racontant sa première aventure amoureuse est aussi une sorte de deus ex machina par lequel le lecteur voit ce que le narrateur ne peut pas voir. On est donc avec lui, en lui, et au-dessus de lui en même temps.
Ce roman reste actuel car il dit plus de l'âme humaine et des ressorts du sentiment amoureux que du contexte sociétal dans lequel il est inscrit. Plusieurs adaptations cinématographiques en ont été tirées, moyennement convaincantes. Dans l'esprit, on pense plus au film poignant de Robert Mulligan, Summer of ‘42 dont l'intrigue et l'ambiance sont proches même si le blanc-bec y est moins arrogant et la trame plus romantique.

Le bal du Comte d'Orgel écrit à peine deux ans plus tard que Le Diable au Corps, et qu'il n'aura pas le temps de voir publié, est de la même veine. Il n'est pas cette fois raconté à la première personne. L'auteur s'essaie à faire pénétrer le lecteur dans la tête de chacun des protagonistes, décrivant par le menu leurs pensées et leurs états d'âme. L'intrigue se noue, tout en subtilité, autour d'un triangle amoureux constitué du couple Anne et Mahaut d'Orgel et de leur ami François de Seryeuse. Ce dernier, jeune dadais oisif couvé par sa mère, est introduit dans leur cercle empreint d'une noblesse aisée et distinguée. Rapidement, il se met à éprouver de l'amitié et même de l'admiration pour le comte. Dans le même temps, il ressent une attirance trouble pour son épouse, laquelle ne reste pas insensible à son charme un peu gauche. Un jeu périlleux, tenant parfois du marivaudage, s'installe entre ces trois là, faisant alterner amour et amitié, sur le fil ténu séparant la fidélité de la trahison, et la loyauté du mensonge. Le fameux bal pourrait être le point d'orgue dramatique de ce manège sentimental. Le sera-t-il ? C'est la question qui emplit peu à peu tout l'espace de cette petite merveille de roman, sublimé par une écriture souple et limpide, sachant se faire légère, tout en fouillant les profondeurs insondables du cœur et de l'esprit.