05 août 2024

Le Voyant d'Etampes

Abel Quentin, jeune écrivain, décrocha pour son deuxième roman, le Prix de Flore 2021 avec un récit résolument à contre courant du prêt à penser actuel. Rien que pour cela il mérite d'être lu.
C'est l'histoire d'un professeur d'université fraichement retraité qui se met en tête de publier un essai en forme d'enquête sur un poète méconnu, américain, noir, communiste, exilé en France par le maccarthysme sévissant outre atlantique, dans les années soixante.

Il s'agit de donner à titre posthume la notoriété qu'il mérite à un paria emblématique, resté dans l'ombre, de son vivant.

Derrière cette fiction faisant d'un certain Robert Willow, un écrivain et poète qu’on pourrait situer quelque part entre Richard Wright et Albert Camus, se profile en réalité le vrai sujet, à savoir, l'éternel combat idéologique des anciens contre les modernes, le tout se déroulant au sein du peuple bien pensant, dit "de gauche". Auteur de l'essai dans le roman, Jean Roscoff, l'universitaire en question incarne l'arrière-garde du socialisme des années Mitterrand. Son principal titre de gloire, dont il aime se targuer, est d'avoir pris part au mouvement et au combat de SOS racisme !

Les modernes, ce sont les nouveaux gauchistes à dominante woke, racialistes, écologistes, féministes et autres istes, tous plus haineux et sectaires les uns que les autres, qui après avoir épuisé le filon marxiste, cherchent par tous les moyens à recycler le mythe de la lutte des classes.


Le nœud du problème réside dans le fait que, pour son malheur, le biographe, occupé avant tout à déchiffrer l'itinéraire poétique de son sujet, négligea quelque peu la négritude de Willow et surtout ne jugea pas nécessaire d'en faire la victime de sa condition. Hélas, trois fois hélas !

L'ouvrage, a priori destiné à un public averti, est remarqué dès sa publication, par un enragé de la cancel-gauche, à l'affût de tout ce qui peut déclencher une polémique. 

C'est alors une redoutable mécanique inquisitoriale qui se met en marche, qui n'a de cesse de poursuivre, de harceler et d'accuser le malheureux Roscoff, lequel ne comprend rien à ce qui lui arrive et à l'injustice qui le frappe. A l’instar du pilori, une célébrité aussi soudaine et imprévue que destructrice, lui échoit, dont il se serait bien passé.


Portrait au vitriol d'une époque dont les excès idéologiques sont devenus quotidiens, ce roman est un vrai pavé dans la mare. Il est pour tout dire, d'une actualité brûlante. 

Mais son style est également celui du temps présent. L'écriture est plate et sale, à la manière de Houellebecq. Les personnages ont peu de densité et l'analyse psychologique reste au ras du sol. L’essentiel est dans la guerre intellectuelle et dans la mise en scène de ses douteux et fallacieux combats. 

Il y a beaucoup de vrai dans ce tableau de l'époque contemporaine. C'est audacieux, louable et même édifiant, mais le récit, qui devrait faire du bien à l'esprit, laisse une sensation de malaise, voire de désespérance. On ne sait plus trop à la fin s'il s'agit de la critique d'une illusion perdue ou bien celle d'une intolérance en marche. On ne sait plus s’il reste encore quelque espoir de revenir à la raison. Peut-être en somme, parce que la réalité se confond avec la fiction...

4 commentaires:

Anonyme a dit…

Intéressant et bien écrit, merci. Juste une petite correction : "au ras" et non "au raz".

Pierre-Henri Thoreux a dit…

Merci pour ce commentaire agréable, et merci pour votre sagacité. Je corrige de suite.

ANTOINE MARTIN a dit…

Effectivement un excellent livre et il publie à cette rentrée littéraire et chez le même éditeur "cabane" concernant "l'inaction face au changement climatique" nous dit le monde des livres.

Pierre-Henri Thoreux a dit…

A lire évidemment, même si j'ai un doute concernant la thèse éculée qui semble servir de toile de fond au roman (les méfaits de la croissance, du capitalisme, les prédictions de fin du monde...)