12 juin 2009

Un printemps américain (10)


Mardi 14 Avril. Après la visite de grandes métropoles, nous partons cette fois pour une petite station du bord de mer, à quelques dizaines de kilomètres de Baltimore : Annapolis.
On se souvient qu'elle eut brièvement les honneurs des médias en 2007 lorsqu'elle fut le théâtre de négociations entre Palestiniens et Israéliens sous l'égide du président Bush. Bien que cette initiative s'inscrivit dans la tradition chargée d'histoire de la ville, force est de reconnaître que ce ne fut pas un gage de succès...

Le temps est aujourd'hui au crachin, ce qui ne fait pas trop nos affaires. Dès l'arrivée c'est pourtant le coup de cœur pour cette aimable cité de quelques 8000 habitants, qui malgré son apparente modestie et son charme désuet, reste envers et contre tout la capitale du Maryland.

Autrefois Annapolis fut un port prospère, et devint même durant quelques mois, la capitale des Etats-Unis après la signature du traité de Paris en 1783. En matière de commerce tout ne fut malheureusement pas idyllique puisqu'on sait que l'endroit fut longtemps une porte d'entrée forcée pour les esclaves arrivant d'Afrique.
Sur le quai une curieuse sculpture montrant l'écrivain et journaliste Alex Haley discutant avec des enfants, évoque sa fameuse et controversée saga « Racines » sur le sujet. Mais la scène insiste surtout sur l'importance des liens familiaux pour conjurer la fatalité, et sur la fierté qu'il faut avoir de ses origines...
De nos jours heureusement, l'activité maritime se résume essentiellement aux fruits de mers (crabes et huitres) et aux régates de voiliers.
Le port de plaisance prend un faux air de lagune avec ses grands pieux en bois émergeant de l'eau, ses pontons qui semblent dessiner des canaux, sur fond de ciel gris légèrement brumeux. Au loin le dôme bleuté de la Naval Academy Chapel a des allures de Salute...

Nous déjeunons dans une charmante auberge, la Middleton Tavern. Cette grande maison toute simple en briques revendique un glorieux passé. Elle accueillit en effet comme clients réguliers des gens aussi célèbres que Washington, Jefferson et Franklin... A l'intérieur, beaucoup de bois vernis et de cuivre. Et de nombreuses affichettes publicitaires et d'écrans de TV égayant une grande salle un peu sombre. Nous avons ici la première occasion de goûter le fameux Crab Cake, une des spécialités du Maryland. Il s'agit de grosses croquettes à base de chair de crabe fraiche, assaisonnée avec de la mayonnaise ou différentes sauces rehaussées d'oignons, d'épices plus ou moins pimentées ou de tabasco. L'ensemble est enrobé de chapelure, doré dans du beurre ou de l'huile, et servi avec de la salade. Mieux vaut sans doute ne pas en abuser pour la santé, mais c'est diablement savoureux...
J'essaie également les huitres, qui ressemblent beaucoup aux classiques creuses de Bretagne. On dirait qu'elles ont été lavées tant elles paraissent nettement moins salées et peut-être un peu moins goûtues qu'à Cancale. C'est sans doute pourquoi elles sont assorties ici de sauces piquantes bienvenues.

Après ce plantureux repas nous nous promenons dans les petites rues adorables du bourg, dont les maisons impeccablement briquées entretiennent avec amour le style colonial de l'époque des Pères Fondateurs. Nous entrons dans la McBride Gallery qui se vante d'être une des plus anciennes demeures de la rue principale, ayant appartenu à William Paca, un des signataires pour le Maryland, de la déclaration d'Indépendance. Nous discutons quelque instants avec la charmante propriétaire des lieux. Elle dispose de pas moins de 7 salles d'exposition au charme rustique, contenant un certain nombre d'œuvres de facture néoclassique ou naturaliste. Nous repérons notamment des peintures de Louis Escobedo et des aquarelles de Bruce Handford.
En remontant nous débouchons sur le State Circle, la place principale de la ville, centrée par la très élégante et vénérable Maryland State House. En parfait état, elle date de 1772 et se caractérise par un joli dôme en bois peint de style typiquement georgien.

A côté de cette petite bourgade délicieusement confite dans ses traditions, siège une gigantesque institution sans commune mesure : la US Naval Academy. Cette école prestigieuse qui forme l'élite de la marine de guerre américaine est une vraie ville à elle seule. On n'y pénètre qu'après avoir montré patte blanche, mais le spectacle en vaut la peine. Sur le vaste campus, de grands bâtiments en pierre très classiques hébergent les quelques 4000 étudiants.
Nous entrons dans le Halsey Field House qui est un énorme hangar destiné sans doute à toutes sortes de manifestations honorifiques ou sportives et qui ne laisse pas d'impressionner par ses proportions. Elles permettent en effet sans peine de le décorer avec d'antiques avions suspendus au plafond. Au fond la grande cafeteria aux allures de pub.

Nous nous promenons ensuite dans le parc immense. Je repère un petit canon en bronze, 75mm Howitzer., d'origine allemande La pancarte indique qu'il fut pris ainsi que ses artilleurs le 16 août 1944 sur les côtes de Provence au niveau de Saint-Raphaël...
Derrière cette silhouette quelque peu désuète on devine le dôme de la Chapelle. Il s'agit en réalité d'une église aux proportions imposantes. L'intérieur est très lumineux, grâce à de nombreuses ouvertures et à plusieurs grands vitraux dans le style art-déco. L'un d'entre eux représente Galahad, le chevalier de la Table Ronde vainqueur de la quête du Graal. On remarque également de magnifiques grandes orgues, malheureusement silencieuses ce jour.
Nous terminons la visite par le quartier des officiers, composé de demeures cossues avec vérandas blanches alignées avec une belle unité le long d'une allée. Sur chacune les noms des habitants. Enfin, celle du Superintendant.

Cette journée s'inscrit donc comme un nouveau jalon dans notre parcours historique de la côte Est des Etats-Unis. Bien que cette découverte nous enchante, nous espérons avoir l'occasion de revenir un jour de beau temps où Annapolis doit dégager un charme fou...


08 juin 2009

Un printemps américain (9)


Lundi 13 Avril. Grâce à la gentillesse de Jeff, nous embarquons aujourd'hui en voiture pour Philadelphie, Philly pour les intimes.. Nous partons donc une fois encore à l'assaut de l'Interstate 95, qui longe la côte Est, de la Floride jusqu'au Canada.
Le soleil est un peu voilé. Après avoir avalé quelques 100 miles de bitume, nous arrivons à l'orée de cette cité chargée d'histoire. Nous enjambons le fleuve Schuylkill (prononcer Skoo-kull) en nous enfonçant à l'intérieur du long treillis métallique du Girard Point Bridge. Au travers, nous commençons à entrevoir au loin une grande cité comme nous en avons l'habitude, avec de vastes stades en périphérie (Wachovia Center), de grands axes routiers, et de hauts buildings tendus vers le ciel. Nous entrons dans la ville à hauteur du pont suspendu, qui porte le nom d'un des plus célèbres habitants de la ville, Benjamin Franklin (1706-1790).
Mais en ce lundi de Pâques, c'est Jésus qui nous accueille sur une gigantesque affiche. Il est curieusement vêtu à la manière d'un cheikh d'Arabie. Au dessous de lui cette inscription : « Jesus, healer of broken hearts », et un numéro de téléphone...
C'est aussi William Penn (1644-1718) qui nous salue, par l'intermédiaire de sa statue juchée tout en haut de la coupole pointue du City Hall (à 167m, il resta le plus haut jusqu'à l'arrivée des gratte-ciels...). Ce Quaker émigré anglais contemple ainsi la ville qu'il fonda il y a plus de trois siècles sur les principes d'une société libérale idéale. Il fit notamment en sorte , ce qui constituait une vraie révolution à l'orée du XVIIIè siècle, que les citoyens puissent participer à l'élaboration des lois et qu'ils soient libres de choisir et pratiquer leur religion.
Et c'est sans doute un peu ce parfum de liberté qu'on ressent d'emblée en visitant cette cité originale, mélange détonant de modernisme et d'ancienneté, de religion et de philosophie, de culture classique et de fantaisie déjantée.

Nous garons la voiture à proximité de Chestnut Street et arpentons le quartier alentour fait de petites rues au charme très Old England. Nous passons devant les restes de la maison de Franklin. Il s'agit en fait d'une simple armature métallique blanche qui dessine le contour du bâtiment, lequel a disparu depuis belle lurette...
Nos pas nous amènent assez rapidement au pied de l'ancien Capitole, devenu musée sous le nom d'Independance Hall. Naturellement nous rendons tout d'abord visite au Liberty Bell Center, qui protège la fameuse cloche. Elle est souvent associée à l'indépendance des Etats-Unis mais en réalité fut fondue en 1752 pour célébrer l'avènement de la société libre établie par William Penn en Pennsylvanie.
En dépit de sa fêlure congénitale, elle sonna peut-être la signature de la déclaration d'Indépendance le 4 juillet 1776... Toujours est-il qu'aujourd'hui elle trône sagement dans une grande salle s'ouvrant par une baie vitrée sur l'élégante façade de l'Independance Hall. Dans le clocher on devine sa remplaçante...
Pour découvrir le musée il faut retirer des tickets qui donnent droit à une visite commentée obéissant à un horaire strict. Par chance, grâce au désistement d'une famille devant nous, nous obtenons le sésame pour le tout début d'après-midi. Ça nous laisse tout juste de le temps d'avaler un lunch.


Nous faisons une halte dans le Society Hill Hotel que notre ami connaît bien. Il lui servit de cantine il y a quelques années lorsqu'il travaillait à Philadelphie. Il s'agit d'un des plus anciens bed and breakfeast de la ville. L'atmosphère qui sent la patine, est très typée, mi pub mi auberge, et le bar semble surtout bien fourni en bières. Le serveur n'est pas antipathique en dépit de son débardeur assez négligé et de gros tatouages sur les bras, mais il semble plus préoccupé par la lecture de son journal que par la clientèle... Il mettra longtemps pour apporter nos grands sandwiches et salades mais au bout du compte, l'attente est récompensée, c'est délicieux.
Nous retournons en toute hâte vers l'Independance Hall. Ouf, la visite n'a pas commencé. Nous sommes même en avance et tentons de nous infiltrer dans le groupe censé nous précéder. Mais la jeune Park Ranger qui aime manifestement l'ordre et la discipline repère la manœuvre et nous arrête. Pas question de passer devant les autres. Elle accepte tout de même de nous laisser intégrer la fin du peloton, les effectifs étant en définitive incomplets.
A l'intérieur nous avons droit au speech emphatique d'un autre jeune guide en uniforme sur les évènements historiques qui se déroulèrent en ces lieux autrefois. Nous voyons tout d'abord la première Cour Suprême des Etats-Unis, et surtout la salle où fut réunie en 1787 la Convention qui élabora et entérina la Constitution régissant les 13 premiers Etats fédérés. Elle est plutôt simple : des tables recouvertes de nappes en feutre vert et des chaises rustiques en bois, sans même un coussin. Seul luxe, quelques lustres qu'on pourrait croire en cristal au plafond. En regardant la chaise où fut assis George Washington, et notamment le demi soleil sculpté sur le dossier, je ne peux m'empêcher de me remémorer la fameuse réflexion de Franklin. Durant tous les débats, il se demanda s'il s'agissait d'un astre levant ou bien couchant, redoutant bien souvent la seconde hypothèse. Lorsque le texte fut entériné, il put conclure avec soulagement que c'était bien le Soleil qui se levait sur ces tous nouveaux Etats-Unis...

Au sortir de ces lieux magiques, d'une sereine et rustique beauté, et qui symbolisent si merveilleusement pour moi l'Esprit de l'Amérique, nous passons devant le fronton marmoréen de la Second Bank of the United-States, à l'allure de temple antique. Due au même architecte helléniste, William Strickland (1788-1844) on trouve un peu plus bas le Merchants Exchange, avec sa charmante rotonde ceinte de colonnes corinthiennes.
Dans un style très différent, s'élève à proximité, le colossal US Custom House. Cet étonnant bâtiment cruciforme, mélange de briques et de pierres blanches (limestone) écrase de sa masse tout le quartier. Il fut conçu pour centraliser la gestion des taxes et droits de douanes, lorsque la seconde banque s'avéra insuffisante. Sise sur le fleuve Delaware, Philadelphie n'est en effet pas très éloignée de l'océan et fut un lieu prospère d'échanges maritimes avec le monde extérieur. Le Custom House fut inauguré 1934, en pleine crise économique, et témoigne du formidable effort de relance par la construction (pas moins de 4000 personnes furent employées à sa construction durant 2 ans). Nous n'entrons pas à l'intérieur mais il en vaut paraît-il la peine, car il constitue un bel exemple d'art déco.


La balade se poursuit dans les quartiers de Society Hill et Old City, à travers de délicieuses petites ruelles pavées, bordées de maisons caractérisées par le contraste des briques rouges et des boiseries blanches. Il y règne une atmosphère tranquille, un indéfinissable parfum de pérennité. On imaginerait presque pouvoir croiser Franklin avec ses lorgnons à double foyer au détour d'un croisement, en train de philosopher sur les malheurs du pauvre Richard...
Nous arrivons enfin dans South Street, qui nous donne tout à coup l'impression de faire irruption dans un autre monde. Cette longue artère très animée, est peuplée de quantité de magasins aux vitrines bariolées : boutiques de gadgets sexy, fripes baba cool, galeries d'art plus ou moins avant-gardistes, gargotes. et pubs.. Une telle fantaisie de façades colorées, de graffitis, et de pancartes racoleuses évoque certains quartiers de San Francisco et l'ambiance hippie des années soixante. Une magnifique boutique de fournitures pour artistes attire notre attention : Pearl Art and Craft. J'ai rarement vu aussi grande variété de pinceaux, tubes de couleur, chevalets, toiles et papiers pour dessiner.

Mais le temps passe. Il est temps de reprendre la route. Je suis heureux d'avoir à l'occasion de cette escapade, découvert une ville très attachante. J'ai conscience de ne l'avoir approchée que de manière superficielle, mais je me souviendrai de son atmosphère très particulière, très prenante, qui suggère une belle qualité de vie, entre traditions et modernité.
Juste avant de regagner la voiture, nous avons le temps d'enjamber à hauteur de Walnut Street la voie express qui longe la ville. Nous emportons ainsi une vue panoramique du port où est amarré un beau quatre-mâts en acier datant du tout début du siècle dernier, le Moshulu, aujourd'hui transformé en restaurant. A côté de lui l'USS Olympia, un croiseur blanc en cours de rénovation. Lancé en 1892, c'est le plus ancien navire de guerre encore à l'eau. Il participa entre autre à la guerre contre l'Espagne aux Philippines. Au loin le Benjamin Franklin Bridge semble nous saluer et nous inviter à d'autres découvertes ...

02 juin 2009

Un printemps américain (8)


12 Avril. C'est le jour de Pâques. Il fait un temps magnifique. Après un petit brunch agrémenté d'un très original et savoureux gâteau danois, nos hôtes nous proposent une petite balade en mer sur le voilier prêté par un de leurs amis. C'est une occasion inespérée de découvrir la baie de Chesapeake en même temps que celle de prendre une bonne goulée d'air frais.
Sous le soleil, le petit port de plaisance est un site enchanteur. Élégants petits immeubles de briques lie de vin en bordure de mer, jolis pontons en teck et bateaux bien rangés. Le nôtre est un beau sloop d'un peu plus de dix mètres, tout en bois.
L'air est vif mais d'une grande pureté. Nous quittons le port au moteur. Une fois la digue franchie, nous décidons d'essayer la voilure. Vu notre peu d'expérience, notre capitaine propose de s'en tenir au seul foc qu'on déploie intégralement. La brise est régulière mais assez forte. Le bateau, taillé pour la régate, progresse rapidement avec cette seule voile.

Sur l'horizon azuréen se détachent en ombres chinoises les grues du port industriel et les silhouettes massives de gigantesques cargos et porte-containers. Vers la ville qu'on quitte, derrière la forêt de mâts du port de plaisance les grands blocs bruns des anciennes usines reconverties en immeubles.
Nous irons ainsi jusqu'à approcher l'arachnéenne architecture métallique du Francis Scott Key bridge qui constitue la limite de l'aire portuaire de Baltimore, en même temps qu'il ferme l'estuaire du fleuve Patapsco. La petite famille semblant frigorifiée, la promenade s'achève un peu prématurément.
Au retour nous passons devant les canons de Fort McHenry, endroit historique d'où l'armée tint tête plusieurs dizaines d'heures à la flotte britannique en 1814. C'est précisément en voyant l'étendard qui à l'époque ne comptait qu'une quinzaine d'étoiles, continuer de flotter sur le fort après 25 heures d'une farouche résistance, que Francis Scott Key eut l'inspiration des paroles du fameux Star Spangled Banner. Le poème fut mis en musique sur une vieille mélodie populaire anglaise, et devint l'hymne américain, en 1931.


Revenus au port, nous nous rendons en voiture au Fort McHenry pour découvrir cette forteresse en forme d'étoile à 5 branches, conçue par l'architecte français Jean Foncin, en application des techniques mises au point par Vauban.
Nous apprenons l'histoire du fort par le sympathique Park Ranger en uniforme, qui avec force détails et gestes nous conte dans un anglais scandé avec une diction impeccable, ce haut fait d'armes. Les canons disposés autour du fort datent en réalité de la guerre de sécession. Mais un peu en retrait, il nous montre quelques uns de ceux qui défendirent la place en 1814. Il nous raconte comment les artilleurs mirent en déroute les navires anglais en tirant des projectiles au raz de l'eau de manière à les faire ricocher et attaquer leur cibles comme des torpilles. Les Anglais de leur côté ne tirèrent pas moins de 1500 projectiles, parfois lestés de charges explosives, mais ils ne parvinrent pas à entamer les remparts. Ils durent rebrousser chemin piteusement devant l'inexpugnable citadelle.
La tradition veut que depuis cette date, chaque pavillon destiné à être utilisé par les autorités américaines soit hissé la première fois au mât de Fort McHenry. Après avoir fait l'acquisition d'une bannière à la boutique du musée, on me dit que je peux la hisser moi aussi pour la baptiser ! Ce n'est donc pas sans émotion que je vais m'exécuter. J'aurai même droit à un certificat prouvant l'authenticité de cette originale montée des couleurs !


Le soir de cette journée mémorable, après un repas de fêtes, nous discutons livres. Mon ami possède une belle bibliothèque. Beaucoup de titres en français, beaucoup de livres d'art notamment sur la photographie. Je découvre un portraitiste étonnant, Youssuf Karsh (1908-2002), dont le nom d'origine arménienne est quasi inconnu, alors qu'il immortalisa avec un sens aigu de la personnalité, de l'éclairage et de la mise en scène, une multitude de célébrités avant et après guerre (Churchill, Hemingway, Eisenhower, Picasso, Bogart, Einstein...).
Je découvre dans un autre genre un auteur d'origine française, Jacques Barzun, quasi inconnu dans son pays d'origine. Né à Créteil en 1907, élève du Lycée Janson de Sailly, il émigra enfant et termina son éducation sur les bancs de la Columbia University. Il est aujourd'hui centenaire, et peut revendiquer de nombreux ouvrages assez prisés outre-atlantique sur la musique (il est un des meilleurs connaisseurs de Berlioz) ou sur l'évolution des sociétés occidentales. Mon séjour en Amérique, est l'occasion d'aborder son ouvrage majeur, From Dawn to Decadence, hélas non traduit en français, qui relate 5 siècles – De la Renaissance au XXè siècle – d'un modèle dont il ressent quelques signes d'usure. J'avoue ne pas être un adepte de la théorie du déclin, mais j'aimerais prendre le temps d'approfondir sa thèse.
Il voit notre époque comme étant de type « alexandrin », qui en dépit de ses formidables capacités techniques, est marquée par un processus d'extinction culturelle, d'épuisement énergétique et de confusion morale.
Non sans raison, il ressent comme symptômes de dégénérescence le fait de pousser à l'extrême certaines valeurs pourtant consubstantielles à l'essor du monde occidental : émancipation, conscience de soi, individualisme. A la manière de Tocqueville, il s'alarme de la montée de l'Etat Providence et redoute qu'on ne confonde de plus en plus liberté et permissivité. Il décèle également dans les errements artistiques contemporains l'expression même de la perte des valeurs et le possible triomphe du nihilisme et de l'absurde. Prenant l'exemple de l'engouement des élites pour les divagations pseudo-artistiques de Marcel Duchamp, il s'exclame : « lorsque les gens acceptent comme normal la futilité et l'absurdité, c'est bien le signe que la culture est entrée en décadence ».
Il dénonce également la tendance bureaucratique qui envahit progressivement le monde à tous les niveaux, au point que selon lui, «il suffise désormais qu'une doctrine ou un programme revendique avant tout le mérite d'aller contre le simple bon sens, pour jouir d'un a priori favorable... »
Il y a incontestablement du vrai dans ce tableau. Mais ce qui fait peut-être l'originalité de son constat, est d'être pondéré par un optimisme raisonné. A l'inverse de beaucoup d'oiseaux de mauvais augure, Barzun pense que rien n'est irrémédiable. Il imagine même qu'un jour forcément, de jeunes âmes entreront en rébellion contre l'extension de la "futilité bureaucratisée.".. Car "pas plus que le progrès, la décadence n'est inévitable".


En feuilletant quelques livres d'art, je retrouve de vieilles connaissances comme Winslow Homer, Edward Hopper et Andrew Wyeth. J'ai aussi la révélation d'autres, comme cet artiste du début du siècle dernier, Earle Horter (1881-1940) qui se fit l'illustrateur du fabuleux développement architectural des grandes villes américaines. Je retiens notamment cette vision audacieuse et élégante du Chrysler Building en cours de construction à New York... en 1931, c'est à dire l'année précisément où Star Spangled Banner devint l'hymne national !

19 mai 2009

Un printemps américain (7)


11 Avril. Cette escapade new-yorkaise me suggère des réflexions en cascade.
New York n'est qu'une infime parcelle d'Amérique mais elle la caractérise si bien ! En vivant à son rythme ces quelques jours je ressens plus que jamais son rôle de trait d'union entre l'Europe et les Etats-Unis; une sorte de point de fusion de l'Ancien Monde qui s'y évanouit, et le creuset du Nouveau qui explose à la manière d'un univers, dans une apothéose de lumière.
New York porte en son sein toute l'exaltation tumultueuse de ces mondes en collision. Peuplée de vibrants vestiges et nourrie par de puissantes racines, elle constitue le raccourci fabuleux de l'Histoire moderne.

Après des débuts chaotiques, dès qu'elle put se délivrer de la tutelle britannique et des affres de la guerre civile, elle eut tôt fait de conquérir une position dominante en s'élevant de toutes ses forces vers le ciel.
De fait, New York occupa une place impériale tout au long de la première moitié du XXè siècle. Porte ouverte au sang neuf de l'immigration, puissance commerciale sans égale, berceau des innovations architecturales, bouillon de culture pour les arts, tout se conjugua pour lui donner la force d'un symbole.
Presque indifférente aux deux conflits internationaux, New York faillit pourtant périr dans les convulsions de l'après-guerre, rongée par les plaies du racisme, défigurée par celles des mafias, et d'une manière générale altérée par la chute des valeurs et la mauvaise conscience du monde occidental. Pourtant, celle que tout le monde donnait perdue, sortit subitement du cauchemar en renaissant de ses cendres, plus belle et forte que jamais.
Le destin cruel voulut que la ville fusse frappée, cette fois en plein cœur, alors qu'elle était redevenue toute puissante. Alors qu'elle avait apporté la preuve éclatante que rien n'est irrémédiable, que même les pires difficultés peuvent être surmontées à force de volonté, elle vacilla sous un choc d'une brutalité inouïe, absurde, insensée, ce funeste jour de septembre 2001.
Si elle montra à cette occasion sa terrible fragilité, une fois encore elle fit la preuve de son incroyable énergie et de la grandeur de son âme.

Après avoir pansé ses terribles blessures, aujourd'hui New York a retrouvé une certaine sérénité. Mais que peut-elle démontrer encore au Monde ? L'Amérique est à son apogée. Elle semble avoir tout inventé, il n'y a plus trop de grandes aventures à vivre, l'art se perd en digressions oiseuses, et la science patine entre bureaucratie et manque d'idéal. Les bons sentiments semblent même instiller à nouveau leur poison lénifiant. L'éducation, contaminée par cette médiocre inspiration n'est plus tout à fait ce qu'elle était.

Pourtant si l'Amérique change, en même temps elle continue de faire preuve d'une remarquable constance. Drapeau, institutions, religion constituent encore des piliers solides.
De ce point de vue, l'élection d'Obama est une divine surprise. Elle permet de ramener à la raison ceux qui engloutissaient sous les injures tout un pays en même temps que son président honni. Elle montre aussi que le visage de l'Amérique sait changer d'expression sans perdre la tête et qu'il est quoiqu'on en dise, un peu celui du leader qu'elle se choisit en connaissance de cause, et c'est bien le moins pour une démocratie.
L'avenir est ouvert : en dépit des épreuves, la ville vit et se renouvelle; sous le sol le feu sacré vibre encore. Que sortira-t-il de cette époque ? La fin de la croissance et le malthusianisme écologique sont-ils des horizons dépassables ?

Ce 11 avril, nous reprenons le fil de la vie familiale américaine. Nos hôtes nous emmènent découvrir un grand Mall dans la petite ville de Columbia entre Baltimore et Washington.
Les centres commerciaux que nous voyons ne sont pas de simples et horribles verrues en forme de hangars édifiés à la hâte en périphérie des villes. Ils affichent une architecture soignée, souvent élégante et sont de vrais petits univers intégrés à la campagne qui les entoure, parfois à deux pas de quartiers résidentiels dont ils reprennent le style général.
C'est le cas de ce mall, situé à proximité du village et du lac Kittamaqundi. A l'intérieur, de vastes et lumineuses galeries égayées de palmiers et de fleurs. On retrouve des enseignes prestigieuses : Abercrombie & Fitch, Macy's, Apple, Nordstrom, Bose... Il y a même un pianiste en chair et en os qui joue une musique d'ambiance et le cas échéant à la demande des visiteurs ! Nous flânons chez Williams Sonoma, superbe magasin de décoration intérieure et achetons un lot de charmantes petites casseroles-mesures en inox. La vendeuse est inquiète car il s'agit de mesures anglaises. Nous la rassurons. Nous ne nous en servirons que pour le fun...

Dans une boutique de DVD je déniche un enregistrement live du groupe de blues Gov't Mule. Je le cherchais depuis plusieurs semaines et même sur Internet je n'étais pas parvenu à mettre la main dessus ! A l'écran, il s'avérera excellent, et chose rare, affichant les paroles en sous-titres.
A cette occasion, je pense que le potentiel des DVD est assez largement sous-utilisé. Avant de partir, j'avais cherché des DVD français pour mon ami, comportant les sous-titres dans la même langue. Hélas à part un film de Sacha Guitry disposant de cette option à l'usage des sourds, ma quête fut vaine. Au surplus, j'avais oublié que les DVD étaient cryptés par zone. Au total, il ne put en lire sur son lecteur, aucun des trois que je lui ai amenés ! Il ne s'agissait pourtant que de films assez ou même très anciens. Ce système de zonage, rempli de bonnes intentions ("Protégeons la Culture Nationale !") mais d'essence protectionniste et purement technocratique, est donc en pratique d'une effrayante stupidité. On voudrait freiner le rayonnement de notre cinéma à l'étranger qu'on ne s'y prendrait pas autrement !

Après cette sympathique petite virée, nos hôtes ont prévu de délicieuses spécialités tex-mex. Ce petit diner à base d'enchiladas est le bienvenu et une opportune mise en bouche à la soirée à suivre.
Mon ami nous entraine dans un pub de Fells Point, le Bertha's. Atmosphère typique et chaleureuse. L'endroit n'est pas grand, tout en longueur et plongé dans une semi obscurité, à peine rompue par les lumières de guirlandes colorées et de lumignons au charme suranné. Le plafond est fait de vieilles poutres en bois noircies. Il paraît qu'autrefois l'endroit a un peu brûlé... Il est resté dans son jus. L'ambiance est déjà animée. Les uns se racontent en riant leur journée autour de belles platées de moules (les meilleures de Baltimore paraît-il...), les autres au bar sirotent une bière. Pour ma part j'essaie la Budweiser, plutôt agréable.

Au fond de la salle, des musiciens se préparent. Chance, ils se mettent à jouer un blues très root. Une guitare sèche, un bottleneck, une batterie et une voix au timbre un rien écorché suffisent à produire une musique qui me ravit. Le guitariste et chanteur s'appelle Christopher James. Je n'avais jamais entendu parler de lui mais durant une bonne heure et demie, nous sommes sous le charme. En sortant j'échange quelques mots avec lui et je fais l'acquisition de son disque, que je n'aurais trouvé, c'est sûr, nulle part ailleurs... A l'écoute, il se révèlera excellent et je prendrai la peine de le lui dire par mail, ce à quoi il me répondra très gentiment. La musique abolit les frontières...

15 mai 2009

Un printemps américain (6)

10 Avril. Dernier jour à New York. Nous aimerions faire quelques achats avant notre départ et visiter au moins un musée.
Le choix s'est porté sur le Modern Museum of Art (MOMA); c'est le moins éloigné et un des plus riches notamment en peinture moderne. D'extérieur il n'attire guère l'attention, n'offrant au regard qu'une massive façade de verre anthracite.
Nous n'aurons hélas pas l'occasion d'en voir plus, découragés que nous sommes par la longue file d'attente à l'entrée et le peu de temps qui nous reste avant le départ. Faute de mieux nous nous contentons de visiter le MOMA store, juste en face, très attrayant et dans lequel nous ferons quelques sympathiques emplettes.

Après cela, comme mus par un étrange magnétisme, nous repartons vers la 5è rue. Mon fils voulait absolument découvrir l'Apple Store qui se trouve à son extrémité, près de Central Park. Ce grand cube de verre n'est que la partie émergée d'un curieux magasin-atelier disposé dans l'entresol. Sur de grandes tables toutes simples on peut s'amuser à tester les derniers chefs-d'oeuvres de la technique micro-informatique. J'ai toujours eu un faible pour cette marque qui symbolise merveilleusement l'alliance de la science et du plaisir. Tout ce qui fait l'attrait de ces petits objets magiques, du micro-ordinateur au téléphone mobile en passant par les célèbrissimes iPod a été inventé par la marque à la pomme et je voue une grande admiration au charismatique leader Steve Jobs. Hélas par obligation professionnelle j'ai du me convertir au monde du PC et de Windows mais je suis toujours ébahi par le génie inventif d'Apple.
C'est aussi ça l'Amérique selon moi, l'innovation perpétuelle au service de l'esprit pratique et du divertissement. Comment donc pouvions nous vivre autrefois sans les micro-ordinateurs, sans Internet, sans Google ?
Nous ressortons avec le dernier né des casques HiFi, estampillé de la griffe du rappeur Dr Dre...


En redescendant l'avenue, je sors l'appareil de photo et je mitraille à nouveau avec frénésie tout ce que je vois.
St-Thomas Church belle église anglicane de style néo-gothique dont l'originalité vient de son élégante silhouette asymétrique. Un charme vraiment décalé, un rien kitsch entre les buildings...

Beaux immeubles à l'angle des 52è rue et 5th Avenue abritant les maisons Cartier et Versace, avec leurs fenêtres égayées de stores colorés.



Plus bas, je ne sais quel bâtiment pour je ne sais quelle raison, arbore une forêt de drapeaux nationaux qui rappellent les fêtes des peintres impressionnistes. On croise à nouveau le Rockefeller Center et sa plaza joliment décorée de vasques débordant de magnifiques lys blancs fraichement éclos.


En continuant notre descente, nous faisons un crochet vers Grand Central Terminal, la gare principale sur Park Avenue. Comme à Washington, je suis ébloui par la propreté et la grâce de ce gigantesque hall illuminé par de grandes verrières comme les vitraux d'une cathédrale. De l'extérieur l'édifice ne manque pas non plus de panache avec ses grands aigles en fonte prêts à prendre leur envol à partir des balustres de pierre.

Nous empruntons la 42è rue et longeons la New York Public Library puis Bryant Park. J'aimerais m'y trouver une fin d'après-midi d'été lorsque des musiciens de Jazz viennent improviser dans ce petit ilot de verdure pour détendre les amateurs à la sortie du travail.

A défaut, nous cherchons le magasin de disques que j'ai repéré dans un guide : le Jazz Records Center. Il paraît qu'il offre le plus grand choix possible à New York en la matière.
On est supposé le trouver au 236 West 26th Street, mais rendu sur place, il n'y a pas le moindre commerce en vue. Je commence à penser qu'il y a une erreur, mais un jeune homme voyant sans doute notre perplexité s'arrête à notre hauteur et nous demande si nous cherchons quelque chose. Lui même semble un peu dubitatif. Il finit par nous indiquer l'endroit qui n'a aucune vitrine et ressemble plutôt à un immeuble de bureaux, en nous faisant remarquer que le magasin devrait en fait se situer au second étage. Devant la porte un autre gars confirme la présence dudit commerce et nous précise qu'il est ouvert. Nous entrons. A l'intérieur c'est le chantier. L'immeuble est en travaux. Par terre trainent des gravats et des fils électriques. Nous prenons l'ascenseur qui évoque plutôt un monte-charge. Au second étage, une porte indiquant le siège commercial d'un négociant en vins ! Alors que nous sommes sur le point de ressortir un peu dépités, je prends à nouveau le guide et m'aperçoit qu'il est en fait mentionné le huitième étage. Nous tentons à nouveau notre chance. Cette fois-ci, nous y sommes enfin ! Nous poussons la porte et nous retrouvons dans une sorte d'appartement assez vétuste bourré de présentoirs et de rayonnages désuets. A un bureau un homme en bras de chemise à carreaux et pantalon de velours côtelé, manipule des fiches, lunettes sur le front. A côté de lui une grosse calculette antique. On se croirait dans un film noir et blanc des années cinquante.
Je me mets à fureter dans ce savant désordre. Il y a quantité de vieux disques vinyls soigneusement protégés par des pochettes en plastique transparentes, mais également des CD et même des DVD. Je vais trouver quelques perles. Notamment un somptueux enregistrement datant des années cinquante justement, de Warne Marsh. Ce moelleux représentant du style West Coast, est accompagné en petit comité par des pointures telles que Paul Chambers, Philly Joe Jones, Red Mitchell, Stan Levey, Paul Motian...
J'aime l'ambiance de cet endroit pittoresque mais après vérification, j'aurais pu trouver sur Amazon tous les disques acquis ce jour. Toutefois, je me demande si je les aurais repérés sans pouvoir palper la marchandise autrement que par le biais d'un moteur de recherche un peu abstrait ?

Notre dernier regard sera pour le grand magasin de jouets Toys R Us sur Broadway. Ce royaume pour enfants mérite le détour. Un choix extravagant et des animations en pagaille créent un décor fantasmagorique. Superman est suspendu au plafond arrêtant à la force des poignets un énorme truck tombant dans le vide, Jurassic Park et ses dinosaures quasi grandeur nature voisinent avec l'Empire State, le Chrysler building, la statue de la Liberté en Lego...

Le retour se fera aussi facilement que l'aller mais le bus confirme ses horaires assez élastiques. Nous attendons dans une foule compacte au pied de Penn Station. Le temps est couvert, et il se met même à pleuvoir. C'est un peu la cohue, plusieurs bus passent mais ce n'est jamais le bon. Le marchand ambulant de hamburgers installé juste à côté nous déverse sa fumée dans la figure. Après plus d'une heure d'attente, nous nous engouffrons enfin dans le bus qui était manifestement coincé dans les embouteillages. La nuit tombe au moment où nous quittons New York. Heureusement grâce à la connexion internet, nous pouvons prévenir nos ami du retard.
Voyage de retour sans histoire mais nous sommes heureux de les retrouver à l'arrêt de Baltimore où ils sont gentiment venus nous attendre. Et nous terminons la soirée dans leur sympathique cuisine à leur raconter notre virée tout en grignotant avec plaisir des crevettes accompagnées de sauces épicées et d'œufs brouillés ...

13 mai 2009

Un printemps américain (5)


9 Avril. Début d'une seconde journée à New York. L'hôtel est agréable et confortable mais assez bruyant la nuit. La rue n'est pas très passante mais les fenêtres à guillotine ne procurent qu'une isolation phonique assez médiocre. Il faut dire qu'à part l'obscurité, pas grand chose ne différencie la nuit du jour à New York. La vie est aussi trépidante.
Notre sommeil fut donc des plus légers et au petit matin nous avons envie d'un bon café pour nous revigorer. L'hôtel ne servant pas de petit déjeuner il va nous falloir dénicher un endroit approprié. Mais c'est une des particularités un peu déroutantes ici, en dehors des Starbucks, on trouve peu de cafés du genre de ceux qui pullulent à Paris.
Faute de mieux, nous entrons dans un Cosi où nous achevons de nous réveiller autour de grands cafés servis en gobelets plastiques et de Scones en guise de baguette fraiche et de croissants.
Dehors le temps est frais mais magnifique. Pas un nuage dans le ciel qui se découpe entre les gratte-ciels J'ai l'idée de prendre le Ferry pour Staten Island. J'ai vu dans un guide qu'il s'agit d'un service municipal gratuit.
Nous décidons donc de descendre droit vers l'extrémité sud de Manhattan, direction Battery Park. Pour cela le plus simple est le métro, ligne 1 Même système qu'à Washington. La metrocard rechargeable est un substitut pratique aux traditionnels tickets.

L'embarcadère est une immense salle. La foule s'y presse déjà mais durant le bon quart d'heure d'attente, elle va continuer de grossir nous faisant craindre quelques difficultés d'embarquement. Heureusement le ferry est très vaste et tout le monde trouvera aisément sa place.
Au moment de pénétrer sur le navire, je vois avec amusement son nom : Spirit of America ! Le titre même de mon bouquin, écrit il y a quelques années déjà...
Alors que le ferry quitte le rivage, la majorité des passagers semblent partis vers la proue. Tant mieux, nous restons quant à nous à l'arrière ce qui nous permet de voir au bout du sillage, la ville peu à peu s'éloigner. Derrière les buildings apparaît à l'Est, le Brooklyn Bridge. Puis c'est l'ensemble de la pointe de Manhattan qui se dégage sur l'horizon. On devine en arrière plan le sommet de l'Empire State. Je ne peux m'empêcher de penser qu'il manque deux géants à l'Ouest pour faire contrepoids à cette imposante muraille d'immeubles ultra-modernes, qui semblent en ce matin ensoleillé, se baigner les pieds dans les eaux tranquilles de l'Hudson.

Très vite apparaît à tribord la Statue of Liberty.

A ses pieds, on devine une foule d'êtres lilliputiens. Cette œuvre si connue, si mythique, si galvaudée aussi sans doute, m'inspire un flot de réflexions confuses. Je suis profondément ému de me trouver si près de ce Titan d'airain dont la pose olympienne n'est pas sans évoquer l'antique géant de Rhodes. New York n'est-elle pas en définitive la Nouvelle Athènes ?
Tant de gens sont passés ici avec un rêve fabuleux en tête... Et elle symbolise si bien l'idéal dont elle tire son nom, auquel elle confère modernité, puissance et lyrisme. Elle est aussi un vibrant témoignage de l'amitié franco-américaine, si profonde, bien trop souvent brocardée sans vraie raison.
Plus d'un siècle après son érection elle est là impassible mais toujours vaillante, et elle est toujours porteuse d'espoir.

Il y a quelques jours à peine, à l'occasion des 120 ans de la Tour Eiffel, je voyais un reportage télévisé rappelant précisément l'histoire de ce colosse de cuivre, dessiné par Bartholdi mais dont l'audacieuse charpente métallique est due au génie de Gustave Eiffel et de Maurice Koechlin. La statue elle-même est haute de 46m mais grâce au piédestal, sa célèbre torche s'élève à plus de 100 m au dessus de la mer. Hélas, depuis le 11 septembre 2001, il n'est plus possible d'en visiter les entrailles métalliques.

La traversée s'achève déjà. Manhattan est estompé au loin par un léger brouillard. Staten Island n'a d'île que le nom. Cette langue de terre est certes entourée d'eau mais à l'Ouest ce n'est qu'un bras de mer qui la sépare du New Jersey et de toute manière elle est reliée au continent par plusieurs ponts dont le Verrazano Bridge vers Brooklyn. Ce secteur résidentiel est surtout l'un des 5 boroughs constitutifs de New York avec Manhattan, Brooklyn, Le Bronx et le Queens.
Nous ne nous attardons pas et comme la majorité des touristes, nous reprenons le premier ferry en sens inverse pour regagner l'endroit d'où nous venons...
Sitôt revenus sur la terre ferme, nous partons à la découverte du Financial District. La Quartier est plutôt calme et rien n'évoque la crise dans laquelle est plongé ce petit monde. Le fameux taureau de bronze du Bowling Green, qui semble se ruer à l'assaut de Broadway n'est pas si imposant que ça. Surtout, il est assailli en permanence par une nuée de touristes se faisant prendre en photo devant lui. Il paraît que passer sa main sur ses parties génitales porte chance aux traders...
Un peu plus loin, c'est Wall Street et surtout, donnant sur Broad Street, la belle façade à colonnes et chapiteau orné de bas-reliefs du Stock Exchange, barrée d'une gigantesque bannière étoilée. Il n'y a pas à dire, le temple du lucre a quand même de la gueule...

Nous bifurquons ensuite pour gagner South Street Seaport à l'embouchure de l'East River. Il s'agit d'un des plus vieux quartiers de New York qui n'est pas sans rappeler Fell's Point à Baltimore, avec ses vieux gréements, remorqueurs et diverses antiquités marines amarrées à demeure. Une grande esplanade en bois riches de bars à terrasses fait office de trait d'union entre cette joyeuse ouverture maritime faisant face à Brooklyn, et de l'autre côté, les immeubles ultra-modernes du quartier financier et les ruelles pittoresques où alternent boutiques et pubs. A un carrefour, un petit monument en forme de phare miniature rappelle la tragédie du Titanic.


En poursuivant notre route nous rencontrons le parc abritant le monumental City Hall qui héberge une bonne partie de l'administration municipale et le gouvernement de l'Etat. Il s'agit d'un bâtiment datant du tout début du XIXè siécle, construit dans le plus pur american federal style, intégrant notamment des clichés architecturaux évoquant la renaissance, le style néoclassique italien de Palladio et des proportions vertigineuses surtout pour l'époque. L'élégance troublante de cet édifice est magnifiée par les branches fleuries des arbres balançant leurs légers pompons roses devant la façade éblouissante de blancheur.

Plus loin nous gagnons des quartiers populaires très animés et bariolés jouxtant China Town et Little Italy. Ici les immeubles sont de taille plus classique. Tous arborent les traditionnelles échelles extérieures de sécurité qui dessinent de grands Z sombres sur les façades le plus souvent rouge brique ou fuchsia. Partout des banderoles multicolores, des guirlandes et des enseignes bigarrées tentent manifestement de rameuter les chalands.

Chemin faisant nous faisons une incursion dans Soho, par Lafayette street, puis dans Greenwich Village que nous abordons au niveau du campus de l'université de New York (NYU). Nous longeons un massif cube rouge, l'Elmer Holmes Bobst Library avant de déboucher sur Washington Square Park.
Lorsqu'un qu'un édifice porte un nom propre aux Etats-unis, c'est bien souvent pour honorer la mémoire d'un donateur privé qui contribua à sa réalisation. J'apprendrai par la suite qu'il s'agit ici d'un magnat de l'industrie pharmaceutique qui légua plus de 11 millions de dollars au début des années 70 pour permettre la construction de cette imposante bibliothèque universitaire, œuvre des architectes Philip Johnson et Richard Foster.

Après nous être restaurés dans un petit restaurant italien, nous passons la fin de l'après midi autour de Columbus Circle et du Lincoln Center, à l'angle sud est de Central Park que nous gagnons en métro. Je souhaitais rendre visite à la grande librairie Barnes & Noble. J'avoue avoir été un peu déçu. Ni au rayon DVD, ni aux livres je n'ai déniché d'objet attrayant, en dehors d'un petit casse-tête chinois acheté à titre de souvenir ! Je me demande vraiment comment ces commerces pourront longtemps tenir tête à leurs concurrents immatériels établis sur Internet (parfois eux-mêmes...). Ce constat est assez triste, mais l'évolution semble inéluctable. Au mieux ils sont condamnés à vendre les blockbusters et best-sellers pour les gens pressés ou peu exigeants. Pour les fouineurs rien n'égale désormais la puissance des vendeurs en ligne.

Le jour tombe déjà. Après avoir diné de spécialités tex-mex et sea-food, dans un sympathique restaurant en contre-bas de la 51è rue, face à notre hotel, le Sweet Emily's, nous terminons la soirée en flânant à nouveau dans Times Square dont nous ne nous lassons pas de l'animation. Je pense aux films 8 mm noir et blanc pris par mon père au début des années 50, qui faisaient mon ébahissement lors j'étais tout gosse. En somme, toutes ces lumières sont consubstantielles au quartier depuis de décennies. Tout change et rien ne change vraiment.
Les commerces ne sont certes pas très variés. Beaucoup de vendeurs de souvenirs, de tee-shirts, de gadgets électroniques en tout genre, mais surtout répétitif.. Une place de choix pour le fabricant de bonbons chocolatés M&M's et dans un genre plus raffiné un superbe magasin Hershey's. Ici le cacao se décline sous toutes les formes et produits dérivés. Et sur les trottoirs d'innombrables hommes-sandwiches cherchent à alpaguer les passants pour leur vendre qui des spectacles, qui des promenades sur l'Hudson...

07 mai 2009

Un printemps américain (4)


8 Avril. Aujourd'hui, voyage dans le voyage, nous entreprenons une virée de trois petits jours à New York. Ce n'est pas vraiment la porte à côté (189 miles soit environ 300 kms). J'imaginais y aller en train. Hélas, une seule compagnie dessert cette destination à partir de Baltimore : Amtrak. Les tarifs sont assez élevés et le trajet n'a rien de particulièrement attrayant.
Heureusement nos amis qui ont déjà été confrontés au problème, nous proposent une solution beaucoup plus économique et de surcroît plus originale : le bus !
Pas les fameux GreyHound, mais une entreprise moins connue, jouissant ici d'une meilleure réputation en terme de confort et d'agrément : megabus.com.

Nous avons pu ainsi trouver le meilleur horaire et réserver nos billets sur le net, ce qui s'est avéré des plus faciles. Le plus délicat est de se rendre à l'arrêt de bus, curieusement situé à plus de 20 km du centre de Baltimore, dans le parking d'un grand centre commercial, le White Marsh Park and Ride. Grâce à l'inlassable dévouement de nos hôtes, nous nous y rendons avec armes et bagages en profitant une fois encore du standing douillet de leur Mercury Grand Marquis.
Le bus n'est pas vraiment à l'heure. Il arrive avec près d'une demi-heure de retard. Mais il va s'avérer très confortable, disposant de toutes les commodités et même d'une connexion internet wifi !

Le trajet est un peu monotone. Nous longeons dans un premier temps la rive ouest de la baie de Chesapeake. De l'autre côté de l'eau, s'étend la péninsule Delmarva qui comme son nom le suggère, appartient à trois états différents. La moitié occidentale est dans le Maryland, l'autre moitié faisant face à l'Atlantique, constitue la plus grande partie du Delaware, enfin la pointe au sud est en Virginie.
Juste avant d'abandonner la baie, au moment où elle se termine en donnant naissance au fleuve Susquehanna, nous apercevons une pancarte au nom évocateur : Havre de Grace. Nous ne verrons pas plus hélas de ce petit bourg prometteur...
Nous traversons un petit bout du Delaware, en croisant notamment Wilmington, port industriel que nous apercevons au loin. Le Delaware est un minuscule état sans beaucoup de charme. Il est surtout réputé pour ses élevages de poulets et pour sa fiscalité très avantageuse qui lui vaut d'attirer un grand nombre d'entreprises offshore.
Nous abordons brièvement la Pennsylvanie, en passant non loin de Philadelphie, et enfin le New Jersey.
Le but n'est pas loin. Tout à coup nous voyons surgir au loin la ligne crénelée des buildings de New York ! Encore quelques grands noeuds routiers puis le Lincoln tunnel, et nous arrivons à Manhattan après 3 bonnes heures de route.

Le bus nous dépose auprès du Madison Square Garden.
On a beau être prévenu et quelque peu déniaisé par les photos, films et séries télévisées, la fameuse grosse pomme s'impose à nous dans toute sa splendeur. Première impression, les immeubles gigantesques ne sont ni écrasants, ni rebutants. Ils s'inscrivent dans une perspective majestueuse. De l'endroit où nous débarquons, c'est à dire le carrefour entre Seventh Avenue et West 33rd st, nous apercevons d'emblée l'Empire State Building sans même y prêter vraiment attention. C'est en regardant le plan que j'en fait le constat. Cette flèche élancée qui perce le ciel me disait bien quelque chose mais je la trouve presque petite par rapport à l'idée que je m'en faisais.
Nous faisons une halte dans un McDonald's pour étancher une petite faim et faire un peu le point. Nous devons paraître vraiment empotés devant le panneau du comptoir, à ne pas trop savoir quoi choisir. Nous nous excusons en baragouinant que nous sommes Français. Le gars de l'autre côté très patient, sourit : « you're welcome ». Double sens peut-être...
Mon fils cherche désespérément les énormes Big Mac qu'il était sûr de trouver ici en pagaille. Quant à moi, ce doit être la seconde fois que je pénètre dans cet antre de la prétendue malbouffe américaine. Non décidément, il n'y a guère de différence avec les hamburgers trouvés chez nous, et ils se laissent bien manger ma foi...

Une fois rassasiés, nous nous dirigeons vers Broadway, que nous allons remonter ébahis, jusqu'à Times Square. Je dois dire que c'est un véritable enchantement. J'aime le contraste des arbres fleuris qui détachent délicatement leurs contours graciles sur les façades en se reflétant dans les vitres. J'aime les drapeaux et longues banderoles accrochés un peu partout qui apportent de subtiles touches colorées à ces grandes masses grises. La rue et les trottoirs vibrionnent d'une foule débonnaire. Encore une fois je suis naïvement, spontanément, indiciblement heureux...
Plus nous remontons, plus l'ambiance s'égaie. Les enseignes multicolores, même en plein jour sont éblouissantes. Dans la rue, taxi jaunes et bus rouges se fondent avec les affiches, les néons, les diodes colorées, dessinant des images en perpétuel renouvellement et nous nous abandonnons à ce délicieux tourbillon.
Nous rejoignons notre hôtel, le Washington Jefferson dans West 51st st. D'apparence discrète, il s'avère de très bon standing. Hélas nous ne comprenons pas tout ce que nous dit l'hôtesse en nous accueillant. Il paraît qu'une chambre ne serait pas tout à fait prête et qu'on nous en aurait donné une autre.... Je me lamente sur mon si médiocre niveau en anglais.
Nous découvrons les chambres avec plaisir. Elles sont très belles et confortables. Celle des enfants comporte deux lits jumeaux et s'avère un meilleur choix que la nôtre, plus petite...

Après avoir pris connaissance des lieux, nous redescendons bien vite pour profiter de la fin de l'après-midi. Direction Fifth Avenue. Nous croisons le Rockefeller Center et sa fameuse patinoire, surplombée par une représentation dorée de Prométhée attaché à sa montagne. De l'autre côté, une colossale statue d'Atlas portant le Monde fait face à travers l'avenue, à la cathédrale Saint-Patrick. Cette église, érigée il y a un siècle et demi dans le style gothique flamboyant, la plus grande de tous les Etats-Unis, paraît en dépit de sa taille , un peu à l'étroit entre les immenses buildings qui l'entourent.
Plus loin c'est la Trump Tower qui attire notre attention. Sa base est découpée en terrasses carrées dont chaque niveau est planté d'arbustes fragiles qui semblent monter à l'assaut de la sombre façade vitrée.

En remontant l'avenue, les belles vitrines se succèdent : Celles de Colehaan et de Kenneth Cole, avec leurs lourdes portes couvertes de dorures et de bas-reliefs, puis Vuitton, Cartier, Rolex, Alfred Dunhill, Gucci, Abercrombie et Fitch, Prada...

Puis nous débouchons sur Central Park, au pied du Plazza Hotel. Le long du parc les taxis voisinent avec une nuée de vélos triporteurs cherchant à alpaguer d'éventuels clients, tandis que de rutilantes calèches colorées, menées par des chevaux placides, se fraient tranquillement leur chemin ponctué du son sec et régulier des sabots heurtant la chaussée.
Nous passons devant une grande statue représentant un homme à cheval. A ma grande surprise, il s'agit du poète et homme politique cubain José Marti (1953-1898), héros de l'indépendance de son pays. Il ne parvint toutefois pas à l'obtenir de son vivant par l'insurrection.
Ironie de l'Histoire, ce cavalier représenté dans un style quelque peu emphatique, rappelle indirectement que les Etats-Unis furent en définitive les artisans de cette libération, obtenue par les armes contre l'Espagne en 1898...
Nous descendons dans le parc et flânons autour de l'étang d'où nous pouvons jouir d'un magnifique spectacle Les immeubles vus en contre plongée affirment leur puissance et leur modernité dans les rayons obliques du soleil. On dirait une armée de géants bienveillants autour de ce grand parc qui s'assoupit dans les derniers feux du jour. Nous repérons ça et là quelques oiseaux inhabituels : notamment quelques red-wing blackbird que je retrouverai plus tard dans Google sous la référence française de carouge à épaulettes et un joli cardinal bariolé.
Mais le jour qui tombe assez rapidement ne nous donne pas l'occasion de poursuivre plus avant la découverte de cette agréable « campagne » new yorkaise. Nous remontons vers les lumières et empruntons la 6è avenue ou Avenue of the Americas. Nous passons devant le célèbre Radio City Music Hall qui occupe une partie du Rockefeller Center.

En croisant la 42è rue au niveau de Bryant Park, nous apercevons au loin le Chrysler Building et son élégante flèche faites d'écailles lumineuses. La crise est là, Chrysler est en quasi faillite mais la tour brille encore et à ses pieds les New Yorkais s'affairent comme si de rien n'était. Juste devant nous l'étoile rouge géante de Macy's, « le plus grand magasin du monde », celui qui ne ferme jamais ses portes, est comme un étonnant pied de nez à la morosité et aux idéologies.
Nous entrons. Une foule s'y presse mais l'ambiance est feutrée, parfumée. Partout des fleurs. En bouquets, en pots, en arbustes savamment arrangés, c'est une féerie marchande. Combien d'étages y a-t-il, je ne me souviens plus bien mais nous ne verrons qu'une petite partie de cet empire qui s'étend sur tout un quartier.
Avant de rentrer fourbus à l'hôtel il nous reste encore à découvrir Times Square by night. Deux soirées ne seront pas de trop pour s'emplir de cette fête permanente...

04 mai 2009

Un printemps américain (3)


Le 7 avril, nous retournons à Washington DC !

Cette fois-ci par le train. Deux compagnies se partagent la ligne : Amtrak et Marc Train. Bizarrement les tarifs vont du simple à plus du double. Le calcul est vite fait, ce sera le Marc (14$ aller et retour par personne) pour faire les 38,5 miles soit 60 kms environ, qui séparent Washington de Baltimore.

Le trajet est sans grand intérêt, le train n'est pas de toute jeunesse et le paysage est répétitif, faisant alterner sur le bas côté des forêts de troncs maigres et dégarnis. Je suis frappé par le nombre d'arbres tombés, gisant à terre sans ordre ni entretien apparent. De ci de là, à l'occasion de trouées sur la campagne, on aperçoit de belles maisons en bois peint, sur de grandes propriétés impeccablement entretenues. La crise immobilière ne semble pas avoir trop fait de ravages par ici.

Arrivée à la gare de Washington: l'Union Station. Splendide édifice datant du tout début du XXè siècle. Elle fut un temps la plus grande gare du monde. J'apprends qu'elle faillit être détruite il y a près de trente ans, avant d'être en définitive entièrement rénovée en 1981.
Aujourd'hui encore elle paraît vaste, mais surtout affiche un luxe inhabituel pour un tel endroit. Le plafond est tout en voutes alvéolées soulignées de dorures, et largement ajourées par de lumineuses verrières. Les grandes arcades sont barrées par des linteaux sur lesquels trônent d'augustes statues en pied, de divinités antiques. Le hall immense, au sol marbré et carrelé, compte de nombreuses boutiques, et sa monotonie est interrompue par la présence d'un étonnant stand où siège un café restaurant sur deux niveaux, faits de boiseries vernies et de cuivre qui participent à la richesse du lieu. Un vrai petit village cozy. Il paraît qu'on trouve même une morgue, une salle de bowling, une crèche, des bains turcs...
Le tout est éclatant de propreté, et ce jusqu'aux toilettes, qui sont d'ailleurs aux USA d'après ce qu'on a pu en juger, toujours impeccables quelque soit l'endroit.


Nous prenons à pied Massachusett Avenue, et passons devant le Postal Museum, puis empruntons quelques belles artères, larges et dégagées, avant de tomber sur la Maison Blanche dont nous découvrons la façade nord avec son majestueux péristyle reposant sur dix colonnes.
Aucune présence policière apparente. L'endroit dégage à la fois quiétude et majesté.
Posté dans Lafayette square, on jouit d'une belle perspective, avec au premier plan la statue équestre d'Andrew Jackson (7è président), entouré de canons datant de la guerre de sécession (ou peut-être même de 1812). Au second plan, le bâtiment présidentiel et au fond, légèrement décalé, l'obélisque de Washington.
En longeant la Pennsylvania Avenue on tombe sur une statue de Rochambeau qui rappelle le rôle de la France dans l'Histoire américaine.
Enfin, la façade sud apparaît au loin, au fond de l'immense parc, masquée par de vénérables magnolias et un bassin centré par un jet d'eau. Au bord de la clôture des écureuils vont et viennent, attirés par les enfants. Contraste saisissant : la demeure du personnage le plus puissant du monde héberge ces hôtes lilliputiens qui se jouent des barrières, des frontières et du temps...

En nous dirigeant maintenant vers le memorial de Lincoln, nous rencontrons celui qui rend hommage aux morts du Vietnam. Il s'agit d'une simple excavation formant un angle descendant dans le sol en pente douce, et structurée par un mur de marbre anthracite sur lequel sont gravés par ordre chronologique les noms des quelques 50.000 gars tombés entre 1959 et 1975. Le brillant de la pierre renvoie le reflet fantomatique des visiteurs parcourant ce poignant sanctuaire. Aucun mot ne saurait vraiment rendre la tragique et humble beauté de ce miroir empli de tant de vains sacrifices...

Nous arrivons enfin au pied du Lincoln Memorial.

Autant celui de Jefferson était gracile et tout en rondeurs, autant ici on est frappé par l'aspect massif, intangible de la pierre blanche, traitée à la manière d'une acropole. Comme si sa vocation était avant tout de suggérer le caractère invincible et irréversible de l'Union.
Du haut des marches, on découvre un panorama magnifique. Le regard vole au dessus de longs bassins, est arrêté par l'obélisque et cherche à deviner au loin la silhouette du Capitole. J'ai l'impression d'avoir sous les yeux tout ce qui fait la grandeur de l'esprit de l'Amérique et je ressens une sorte d'exaltation magique.

Nous retournons sur nos pas et faisons un halte dans un fast food où nous apprécions les roboratifs sandwiches assaisonnés d'épices qu'on y sert quasi à toute heure. En Amérique on mange bien, mais sans vraie discipline de repas. En réalité on s'arrête lorsqu'on a faim. Pas de protocole, pas de succession définie de plats. On se poste simplement devant un panneau descriptif des menus pour choisir sa commande. En deux temps trois mouvements elle est exécutée sous vos yeux et après avoir réglé l'addition, vous n'avez plus qu'à trouver une table libre, les bras chargés de victuailles appétissantes, de cornets de frites et de larges gobelets remplis de soda. La nourriture n'est pas si déséquilibrée qu'on le dit à condition de savoir faire des choix raisonnables; les salades sont délicieuses et la viande – souvent du poulet – est servie avec des légumes, des sauces épicées et divers pains des plus sympathiques. Rien de mieux pour faire une pause agréable sans se ruiner.

L'après-midi, nos pas nous mènent vers le Capitole. Comme tous les bâtiments officiels, il est d'une blancheur éclatante et dévoile ses proportions impressionnantes à mesure que l'on s'approche. Depuis le 11 septembre 2001, il est hélas devenu plus difficile de visiter ce temple du pouvoir législatif. Seuls les parcours guidés à heure programmée, sont désormais autorisés. Dans ce parlement bicaméral, les élus se répartissent en deux groupes, celui des représentants qui compte 435 élus (au prorata de la population de chaque état) et le Sénat qui n'en totalise que 100 (2 par états). Les premiers ne jouissent que d'un mandat de deux ans tandis que les seconds disposent de 6 ans et sont renouvelés par tiers tous les 2 ans.

Enfin, la visite ne serait pas complète si l'on ne poussait jusqu'à la Cour Suprême située quelques centaines de mètres derrière. Elle aussi est bâtie dans le style néoclassique qu'on affectionne ici. Neuf juges nommés à vie veillent au strict respect de la Constitution.