Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? Voilà qui pourrait peut-être résumer le cheminement intellectuel suivi par Edgar Morin dans cette Introduction à la pensée complexe, qui bien que succincte, s’avère d’un abord des plus ardus, tant les notions exposées frisent souvent l’inintelligible.
Sont-ce les idées ou bien la manière de les présenter ? On penche assez rapidement pour la seconde hypothèse, tant l’auteur semble fuir la simplicité, par crainte peut-être de tomber dans le simplisme.
Il annonce d’ailleurs la couleur dès les premières pages : « Nous vivons sous l’empire des principes de disjonction, de réduction, et d’abstraction dont l’ensemble constitue ce que j’appelle le paradigme de simplification. »
A le croire, le responsable de cette schématisation excessive de la pensée, ce serait le bon vieux Descartes, qui aurait commis une faute majeure “en disjoignant le sujet pensant (ego cogitans) et la chose étendue (res extensa) et en posant comme principe de vérité les idées claires et distinctes...”
Le cher Edgar n’annonce rien de moins qu’une nouvelle révolution dont il serait en quelque sorte le porte-étendard. Elle consiste à substituer au “paradigme de disjonction/réduction/unidimensionnalisation”, celui de “distinction/conjonction”, qui permettrait d’après lui “de distinguer sans disjoindre, d’associer sans identifier ou réduire.”
Ressentant probablement la nécessité de préciser sa réflexion, il se lance dans une délicieuse digression au sujet de ce nouveau paradigme, “qui comporterait un principe dialogique et translogique, qui intégrerait la logique classique tout en tenant compte de ses limites de facto (problèmes de contradictions) et de jure (limites du formalisme). Il porterait en lui le principe de l’Unitas multiplex, qui échappe à l’Unité abstraite du haut (holisme) et du bas (réductionisme).”
Autant le dire tout de suite, même avec la meilleure volonté du monde, il devient vite très difficile de suivre le philosophe, sauf à vouloir se perdre dans une forêt de concepts tous plus nébuleux les uns que les autres, et dont on voit de moins en moins à mesure qu’on avance, les débouchés pratiques. Cette opacité est d’autant moins tolérable qu’elle se teinte d’un mépris assez épais pour tout ce qui précède la nouvelle ère dont il serait le prophète. Ainsi Edgar Morin n’hésite pas à affirmer que “nous sommes dans la préhistoire de l’esprit humain”, et qu’à ses yeux, “seule la pensée complexe nous permettrait de civiliser notre connaissance.”
Le problème est que cette “pensée complexe” ressemble sous sa plume, à une sorte de grand foutoir où tous les contraires s’affrontent, et dans lequel les circonlocutions et les périphrases masquent mal le fait qu’on tourne en rond.
Lorsqu’il veut prendre de la hauteur, ce n'est pas mieux car il se met alors à généraliser à tout-va : “si le concept de physique s’élargit, se complexifie, alors tout est physique…/… et la biologie, la sociologie, l’anthropologie sont des branches particulières de la physique…/… Et si le concept de biologie s’élargit, se complexifie, alors tout ce qui est sociologique et anthropologique est biologique…”
Au bout du compte, à travers cette optique globalisante, tout repère s’efface, tout relief s’estompe, et si tout devient possible, rien ne prend vraiment forme. On apprend par exemple que “le monde est à l’intérieur de notre esprit, lequel est à l’intérieur du monde” ce qui nous fait une belle jambe, ou que “la biologie de la connaissance nous montre qu’il n’y a aucun dispositif dans le cerveau humain qui permette de distinguer la perception de l’hallucination , le réel de l’imaginaire…” Édifiant n’est-il pas ?
Mais à quoi bon vouloir progresser sur le chemin de la connaissance, quand rien ne nous permet de savoir si nous sommes sur la bonne voie ? Comment espérer conduire un raisonnement qui vaille si nous ne pouvons même pas tabler sur la cohérence de notre intellect ?
On peut certes s’interroger sur les paradoxes apparents et les incertitudes que la science moderne fait surgir, mais que peut-on réellement attendre de concret d’une démarche qui “loin de tenter une unification rigide”, se fait fort “d’assurer une connexion souple, mais indispensable, entre ouverture systémique et brèche gödelienne, incertitude empirique et indécidabilité théorique, ouverture physique/thermodynamique et ouverture épistémique/théorique ?”
Et comment peut-on entrevoir une issue pragmatique aux problématiques qui assaillent le monde si l’on admet comme ce discours nous y invite, “que la relation anthropo-sociale est complexe parce que le tout est dans la partie qui est le tout…”
La boucle semble bouclée, mais au bout de ce périple qui promettait de joindre l’alpha et l'oméga, le voyageur fait le constat qu’il n’a pas décollé du point de départ !
Cet opuscule, précisons-le, n’est qu’un concentré des solutions ébauchées dans les six épais volumes de ce qu’il a intitulé “La Méthode”, peut-être par analogie avec le discours du même nom, d’essence cartésienne.
Il faut admirer la patience des lecteurs qui ont pu parvenir au bout d’un tel pensum, sans doute écrit avec ce style plombé et redondant dont cet ouvrage donne un aperçu. On peine à réprimer un sourire lorsque, sans doute pour excuser les incessantes références à sa propre oeuvre, Edgar Morin déclare avec gravité : “Je suis un auteur qui s’auto-désigne”, tout en précisant non sans fausse modestie: “Je veux dire que cette exhibition comporte aussi de l’humilité…”
Il est enfin permis de s’interroger sur un homme qui dit “étouffer dans la pensée close, la science close, les vérités bornées, amputées, arrogantes” (Le Paradigme Perdu), ou qui affirme que “la maladie de la théorie est dans le doctrinarisme et le dogmatisme, qui referment la théorie sur elle-même et la pétrifient.”
Comment occulter que dans le même temps, il ne s’est jamais vraiment échappé de la pensée marxiste, si simplificatrice, si arrogante, si sectaire, affirmant notamment en 2012: “je vois clairement que j'étais marxien avant d'être marxiste, puisque je suis redevenu marxien avant de devenir méta-marxiste.” Et un peu plus loin: “j'ai toute ma vie, dans toute mon oeuvre, été fidèle à la perspective marxienne de mon adolescence.” (Introduction à l’ouvrage pour et contre Marx).
Comprenne qui pourra...
Je pense à mon ami Jeff qui m’a fait découvrir cette pensée complexe, dont je n’ai pour ma part pas saisi grand chose. J’espère ne pas l’avoir déçu avec ce commentaire un peu acide et j’espère qu’il pourra m’en dire un peu plus un jour...
Sont-ce les idées ou bien la manière de les présenter ? On penche assez rapidement pour la seconde hypothèse, tant l’auteur semble fuir la simplicité, par crainte peut-être de tomber dans le simplisme.
Il annonce d’ailleurs la couleur dès les premières pages : « Nous vivons sous l’empire des principes de disjonction, de réduction, et d’abstraction dont l’ensemble constitue ce que j’appelle le paradigme de simplification. »
A le croire, le responsable de cette schématisation excessive de la pensée, ce serait le bon vieux Descartes, qui aurait commis une faute majeure “en disjoignant le sujet pensant (ego cogitans) et la chose étendue (res extensa) et en posant comme principe de vérité les idées claires et distinctes...”
Le cher Edgar n’annonce rien de moins qu’une nouvelle révolution dont il serait en quelque sorte le porte-étendard. Elle consiste à substituer au “paradigme de disjonction/réduction/unidimensionnalisation”, celui de “distinction/conjonction”, qui permettrait d’après lui “de distinguer sans disjoindre, d’associer sans identifier ou réduire.”
Ressentant probablement la nécessité de préciser sa réflexion, il se lance dans une délicieuse digression au sujet de ce nouveau paradigme, “qui comporterait un principe dialogique et translogique, qui intégrerait la logique classique tout en tenant compte de ses limites de facto (problèmes de contradictions) et de jure (limites du formalisme). Il porterait en lui le principe de l’Unitas multiplex, qui échappe à l’Unité abstraite du haut (holisme) et du bas (réductionisme).”
Autant le dire tout de suite, même avec la meilleure volonté du monde, il devient vite très difficile de suivre le philosophe, sauf à vouloir se perdre dans une forêt de concepts tous plus nébuleux les uns que les autres, et dont on voit de moins en moins à mesure qu’on avance, les débouchés pratiques. Cette opacité est d’autant moins tolérable qu’elle se teinte d’un mépris assez épais pour tout ce qui précède la nouvelle ère dont il serait le prophète. Ainsi Edgar Morin n’hésite pas à affirmer que “nous sommes dans la préhistoire de l’esprit humain”, et qu’à ses yeux, “seule la pensée complexe nous permettrait de civiliser notre connaissance.”
Le problème est que cette “pensée complexe” ressemble sous sa plume, à une sorte de grand foutoir où tous les contraires s’affrontent, et dans lequel les circonlocutions et les périphrases masquent mal le fait qu’on tourne en rond.
Lorsqu’il veut prendre de la hauteur, ce n'est pas mieux car il se met alors à généraliser à tout-va : “si le concept de physique s’élargit, se complexifie, alors tout est physique…/… et la biologie, la sociologie, l’anthropologie sont des branches particulières de la physique…/… Et si le concept de biologie s’élargit, se complexifie, alors tout ce qui est sociologique et anthropologique est biologique…”
Au bout du compte, à travers cette optique globalisante, tout repère s’efface, tout relief s’estompe, et si tout devient possible, rien ne prend vraiment forme. On apprend par exemple que “le monde est à l’intérieur de notre esprit, lequel est à l’intérieur du monde” ce qui nous fait une belle jambe, ou que “la biologie de la connaissance nous montre qu’il n’y a aucun dispositif dans le cerveau humain qui permette de distinguer la perception de l’hallucination , le réel de l’imaginaire…” Édifiant n’est-il pas ?
Mais à quoi bon vouloir progresser sur le chemin de la connaissance, quand rien ne nous permet de savoir si nous sommes sur la bonne voie ? Comment espérer conduire un raisonnement qui vaille si nous ne pouvons même pas tabler sur la cohérence de notre intellect ?
On peut certes s’interroger sur les paradoxes apparents et les incertitudes que la science moderne fait surgir, mais que peut-on réellement attendre de concret d’une démarche qui “loin de tenter une unification rigide”, se fait fort “d’assurer une connexion souple, mais indispensable, entre ouverture systémique et brèche gödelienne, incertitude empirique et indécidabilité théorique, ouverture physique/thermodynamique et ouverture épistémique/théorique ?”
Et comment peut-on entrevoir une issue pragmatique aux problématiques qui assaillent le monde si l’on admet comme ce discours nous y invite, “que la relation anthropo-sociale est complexe parce que le tout est dans la partie qui est le tout…”
La boucle semble bouclée, mais au bout de ce périple qui promettait de joindre l’alpha et l'oméga, le voyageur fait le constat qu’il n’a pas décollé du point de départ !
Cet opuscule, précisons-le, n’est qu’un concentré des solutions ébauchées dans les six épais volumes de ce qu’il a intitulé “La Méthode”, peut-être par analogie avec le discours du même nom, d’essence cartésienne.
Il faut admirer la patience des lecteurs qui ont pu parvenir au bout d’un tel pensum, sans doute écrit avec ce style plombé et redondant dont cet ouvrage donne un aperçu. On peine à réprimer un sourire lorsque, sans doute pour excuser les incessantes références à sa propre oeuvre, Edgar Morin déclare avec gravité : “Je suis un auteur qui s’auto-désigne”, tout en précisant non sans fausse modestie: “Je veux dire que cette exhibition comporte aussi de l’humilité…”
Il est enfin permis de s’interroger sur un homme qui dit “étouffer dans la pensée close, la science close, les vérités bornées, amputées, arrogantes” (Le Paradigme Perdu), ou qui affirme que “la maladie de la théorie est dans le doctrinarisme et le dogmatisme, qui referment la théorie sur elle-même et la pétrifient.”
Comment occulter que dans le même temps, il ne s’est jamais vraiment échappé de la pensée marxiste, si simplificatrice, si arrogante, si sectaire, affirmant notamment en 2012: “je vois clairement que j'étais marxien avant d'être marxiste, puisque je suis redevenu marxien avant de devenir méta-marxiste.” Et un peu plus loin: “j'ai toute ma vie, dans toute mon oeuvre, été fidèle à la perspective marxienne de mon adolescence.” (Introduction à l’ouvrage pour et contre Marx).
Comprenne qui pourra...
Je pense à mon ami Jeff qui m’a fait découvrir cette pensée complexe, dont je n’ai pour ma part pas saisi grand chose. J’espère ne pas l’avoir déçu avec ce commentaire un peu acide et j’espère qu’il pourra m’en dire un peu plus un jour...