11 septembre 2018

Une Epoque Désenchantée

Objectivement, l’époque dans laquelle nous vivons peut être considérée comme une des plus belles que l’Humanité ait connu.
La prospérité n’a jamais atteint de tels niveaux, le confort matériel est meilleur que celui dont tous nos ancêtres ont pu jouir. Il n’y a quasi plus d’épidémies, plus de grandes guerres, plus de famines. Ni la pauvreté, ni la mort n'ont été abolies, mais les retombées pratiques du progrès technique et de l’industrie nous procurent un bien être inégalé. Une simple pression sur un bouton nous apporte la lumière, nos maisons sont dotées d’un agrément jamais atteint. Le moindre péquenot peut circuler dans une automobile plus confortable et rapide que le plus beaux des carrosses dans lesquels se pavanaient les monarques d’autrefois. L’information et la connaissance circulent à la vitesse de la lumière et chacun ou presque peut en profiter via la télévision ou l’accès au réseau internet. En France nous bénéficions d’un système de protection sociale offrant des avantages inouïs.

Pourtant, la morosité règne…
Tous les bienfaits dont nous sommes les bénéficiaires, au prix de siècles d’efforts, de sang, de sueur et de douleur, se teintent paradoxalement d’une âcre saveur, d’un parfum rance.
Affalés dans le bonheur matériel, nous ne savons plus apprécier les belles et bonnes choses, partagés que nous sommes entre une peur névrotique du moindre risque et un ennui abyssal d’enfants gâtés.
Pire, nous semblons ne plus croire au modèle de société qui nous a apporté ce bien-être. L'esprit de liberté et de responsabilité qui l'inspire est sans cesse remis en cause.
Tout est triste et désenchanté.


Passons sur les couplets larmoyants ou vindicatifs que certains politiciens démagogues ne cessent de nous seriner pour tenter de nous faire croire que nous sommes malheureux et qu’avec eux, nous serions si heureux ! Leur politique est trop souvent celle de gribouille. Incohérente, lénifiante et inefficace. Quant à ceux qui prônent le Grand Soir, la Révolution et les "lendemains qui chantent", ce sont des assassins en puissance...
Les gouvernants n’osent plus vanter le progrès technique qui est de plus en plus mal vu. Le principe de précaution a remplacé le goût de l’entreprise et de l’innovation. La croissance, signe de prospérité est considérée comme un péché. A l'inverse, l'endettement est banalisé, voire encouragé. La défense de l’environnement, qu’on nomme avec emphase écologie, qui devrait être joyeuse et l’affaire de chaque citoyen, est devenue un vrai pensum. Tout est fait pour culpabiliser la société dans son ensemble, mais sans jamais invoquer la responsabilité individuelle. La faute est toujours celle de l’autre qu’il faut sanctionner ou punir. Nicolas Hulot quittant à regret son ministère, pleure comme un gamin parce qu’il n’a pas réussi à imposer assez de contraintes pour mener à bien son projet fou de refaire le monde. Le Lendemain, il se baigne sur la plage huppée de Saint-Lunaire au pied de sa splendide villa où dorment sept véhicules parmi les plus polluants…
L’écologie, une fois passés les couplets ratiocineurs, est plus que jamais inefficace. Elle ne sait que sécréter des taxes, des règlements et de la désespérance. Il est bien loin ou le même Nicolas Hulot nous faisait rêver avec les images somptueuses de ses voyages, nous donnant alors vraiment envie d’aimer et de protéger notre Alma Mater…

Mais de nos jours, les grandes transhumances humaines sont devenues tragiques. Si l’on peut se réjouir du fait que les guerres et les conquêtes semblent faire partie du passé, elles ont été remplacées par les voyages touristiques qui illustrent la superficialité de notre époque. Les déplacements pour affaires ne valent pas mieux tant ils ne font que survoler les continents pour des motifs souvent dérisoires. Quand au rêve magique d’un monde meilleur que les émigrants nourrissaient en partant vers l’Amérique, ou quelque eldorado, il est évanoui. De nos jours l’immigration est une désolation. Rares sont les “migrants” qui manifestent le désir ardent d’adopter les us et coutumes des pays vers lesquels ils convergent. Ils s’y échouent, désabusés, plus qu’ils ne cherchent à y trouver un nouvel espoir. En retour, les hôtes subissent cette marée humaine plus qu’ils ne l’accueillent. Le Pape a beau rappeler les principes de générosité et de solidarité, sa parole peine à franchir les murailles dorées du Vatican.

De facto, la religion est en passe de perdre toute transcendance. Elle se confond de plus en plus avec les trivialités du quotidien et maints faits divers sordides la ramènent au niveau de la fange. D’un côté les fanatismes ressurgissent d’un passé satanique qu’on croyait révolu, de l’autre c’est l’hédonisme et les trompeuses théories sociales qui rongent le concept même de Dieu. Il n’y a plus d’illumination ni de foi capable de déplacer des montagnes, mais seulement d’obscures idéologies porteuses de sinistres et froids desseins.

La société toute entière, qui se prétend libérée, s’abîme dans de nouveaux carcans prétendument consensuels, mais qui asservissent l’être et la volonté humaine à une bureaucratie pavée de bonnes intentions, à la manière de l’enfer.
Soumise à ce nouveau pouvoir invisible, mais omniprésent, notre vie perd de plus en plus son sens. Alors que le bien-être matériel devrait permettre de s’élever au dessus des contingences, il semble contribuer au contraire à appauvrir la spiritualité, et avec elle toute source de joie et d’épanouissement.
Même l’expression artistique s’asphyxie dans cette voie marastique. L’inspiration a déserté les vaines installations pleines de boursouflures qui peuplent les palais clinquants où elles sont exposées, et où elles ne reflètent au mieux que les dérives mercantiles du marché artistique et la vacuité du monde contemporain.

Dans ce monde, tout n’est que complainte, souffrance et ennui…


"...C'est un univers morne à l'horizon plombé,
Où nagent dans la nuit l'horreur et le blasphème
Un soleil sans chaleur plane au-dessus six mois
Et les six autres mois la nuit couvre la terre;
C'est un pays plus nu que la terre polaire;
Ni bêtes, ni ruisseaux, ni verdure, ni bois !
Or il n'est pas d'horreur au monde qui surpasse
La froide cruauté de ce soleil de glace [...].
"

Charles Baudelaire
De profundis Clamavi
Les Fleurs du Mal 


Illustration : Odilon Redon, l'ange déchu

30 août 2018

Mauvaise Passe

Il y a manifestement quelque chose de grippé dans la belle mécanique macronienne.
Pas plus que l’épisode Benalla, la démission de Nicolas Hulot, n’est pour grand chose dans ce déraillement, sauf aux yeux des médias dont ce dernier était le chouchou. 
Comme pour beaucoup de personnalités prétendues “préférées des Français”, ce genre de popularité est des plus volatiles. En réalité la défection de l’ex-présentateur d'Ushuaia était attendue depuis sa nomination tant le personnage paraît incongru dans un gouvernement.
La preuve, à part l’inscription de beaux principes dans la Constitution, et une pâle contribution au calamiteux dossier Notre Dame des Landes, il n’a quasi rien à son actif. Quand on connaît le sectarisme du gars, on ne peut que s'en réjouir...
A sa décharge, aucun ministre de l’écologie n’a jamais fait mieux. On se souvient de Dominique Voynet, championne toute catégorie, dont la mauvaise foi alla jusqu’à nier les dégâts de la marée noire de l’Erika qui étalait son voile gluant sous ses yeux… Quant à Ségolène Royal qui tente opportunément de ramener sa fraise, on n'a pas oublié qu'elle s’illustra, entre autres rodomontades, par la funeste et stupide écotaxe...

N’empêche, le mandat d’Emmanuel Macron ressemble de plus en plus à une impasse.
C’est peu dire qu’il a perdu le mojo. Rien ne se passe comme prévu, ni comme on aurait pu l’espérer en écoutant ses discours enflammés.
Étiqueté “ultra-libéral” et “président des riches”, il endosse, à l’instar de Nicolas Sarkozy, aussi fougueux mais inconstant que lui, l’impopularité de réformes annoncées mais non ou à moitié réalisées. Aujourd’hui encore, il prend le risque de mécontenter l’intelligentsia en évoquant “les Gaulois qui ne veulent rien changer” alors qu’il recule lui-même sur tous les sujets qui fâchent. Comme un cheval pusillanime, sa détermination fléchit devant l’obstacle. Même sur le prélèvement de l’impôt à la source, qui semblait enfin acté, il semble hésiter.

Résultat, après l'illusion d'une esquisse d'embellie, l’état du pays continue de se dégrader irrémédiablement, surtout si on le compare à ses voisins.
Un récent éditorial de Jean Nouailhac paru dans le magazine Le Point fait un état des lieux assez consternant. La France traîne comme un boulet le chômage. Face à nos 9,2% , le Royaume Uni, qu’on dit emberlificoté dans le Brexit, affiche royalement 4%. En Allemagne, avec à peine 3,4%, c’est le plein emploi ! Même l'Irlande et le Portugal, pourtant étrillés par la crise de 2008 font bien mieux que nous (respectivement 5,3 et 7,3%)... Quant à l'Amérique, elle n'a pas connu situation plus floride depuis 50 ans !

Parallèlement, la France n’en finit pas d’alourdir sa dette. Lorsque nous nous félicitons de passer sous la barre des 3% du PIB en termes de déficit budgétaire, nos voisins germaniques peuvent se targuer d’un solde positif de 3%. Résultat, le PIB de l’Allemagne est supérieur au nôtre de près de 1000 milliards d’euros soit plus de 42% (3260 milliards € vs 2290). La France dégringole lentement mais sûrement dans le palmarès international. Après l’Angleterre, c’est l’Inde qui vient de nous passer devant...
Faute de parvenir à diminuer les dépenses publiques, faute de pouvoir simplifier l’incroyable arsenal bureaucratique hexagonal, et faute d’alléger les prélèvements obligatoires, la France continue de s’asphyxier doucement. Contrairement à tous les pays un peu plus dynamiques et audacieux, la croissance reste atone et la morosité sévit à tous les étages. Même l'inflation qu'on croyait jugulée, pointe à nouveau son nez, c'est dire...

Le moins qu'on puisse dire hélas en cette rentrée, est que les perspectives ne sont pas réjouissantes.
Pendant que le gouvernement promulgue à tour de bras des réformes ineptes, illisibles ou inapplicables, l’imagination inépuisable des technocrates continue de produire toujours plus de réglementations, de contraintes et de taxes. Après celles supposées rendre vertueux les citoyens sur les produits pétroliers, le tabac, l’alcool, les sodas et les produits trop sucrés, on évoque un alourdissement de la fiscalité sur les aliments excessivement salés. Serait-ce le retour de la gabelle ?

14 août 2018

Le Règne Du Langage

Par delà ses talents de romancier, le fantasque et regretté Tom Wolfe (1931-2018) s’essaya au journalisme dit d’investigation. Non sans enthousiasme (l’Étoffe des héros), fantaisie (Acid Test), humour (Le Gauchisme de Park Avenue) ou encore verve caustique comme dans son tout dernier ouvrage intitulé “le Règne du langage”.
Parue en 2016*, cette ultime enquête ne manque pas d’ambition en s’attaquant à la théorie de l'évolution incarnée par le célèbre Charles Darwin (1809-1882), et aux thèses savantes sur la nature du langage, véhiculées par le très vénéré Noam Chomsky.
Dans les deux cas Wolfe s’amuse à mettre en parallèle la vision des pontes sus cités avec celles d’épigones certes moins connus mais tout aussi solides scientifiquement, et qui furent conduits à remettre en cause certains dogmes.

Par exemple, Alfred Russel Wallace (1823-1913) qui faillit être le tout premier à publier une théorie aboutie sur l'évolution des espèces, rejoignant sur beaucoup de points les constats faits par Darwin lors de son odyssée à bord du fameux Beagle.
Ce dernier avait en effet tardé à les relater, par crainte des réactions notamment religieuses, et fut contraint de le faire après avoir été destinataire du manuscrit de Wallace, qui lui demandait naïvement conseil sur ses propres travaux ! 
Sur le point d'être doublé, Darwin, toute affaire cessante, coucha sur le papier sa théorie et les deux textes furent publiés simultanément. Seul Darwin en tira la gloire eu égard à son entregent dans la haute société anglaise et dans le monde scientifique, et grâce à quelques artifices de présentation lui donnant préséance aux yeux des lecteurs.
L’affaire aurait pu en rester à ce déroulé anecdotique puisque jamais Wallace ne chercha noise à celui qu’il admirait sans limite.
C'eut été sans compter sur les analyses affûtées de Tom Wolfe...
A la différence de Darwin qui fit de l’Homme un descendant direct des grands singes et qui présenta son travail comme une théorie universelle en passe d’expliquer tout par le simple principe de la sélection naturelle, Wallace ne put s’y résoudre. Il croyait aux forces de l’esprit. Refusant de faire de l’homme un animal comme les autres, et bien qu’athée, il tenta d’expliquer le génie de la pensée humaine par quelque mystérieux dessein de la nature. Pire, ses observations contredisent certains principes darwinistes. Par exemple le fait que le volume de la boîte crânienne des Néandertaliens soit bien supérieur à celui de n’importe quel singe, attestait pour lui que l’intelligence fut donnée à l’homme bien avant qu’il soit en mesure de l’utiliser, et non par adaptation progressive. Au surplus, l’apparence chétive et glabre de l’être humain, contredit le principe selon lequel l’évolution sélectionne toujours des caractéristiques favorables à l’espèce.
Sacrilège que cela pour Darwin qui fut très contrarié par ces prises de position et adjura Wallace de se ranger à son explication, dénuée de toute interprétation téléologique ou anthropomorphique, craignant sinon “qu’il n’assassine totalement leur enfant.”

Il arriva pareille mésaventure à Noam Chomsky, que les études sur le langage, avaient amené à affirmer qu’il s’agissait d’une fonction innée de l’être humain et que derrière la multiplicité et la diversité des idiomes, il existait une grammaire universelle.
Il alla jusqu’à poser qu’une des caractéristiques essentielles de tout langage humain était la récursivité, c’est à dire la capacité à imbriquer plusieurs idées au sein d’une même phrase.
C’était sans compter sur un de ses disciples, Daniel Everett, qui alla durant de nombreuses années étudier les modes de vie et d’expression de peuplades reculées, tels les Pirahãs en Amazonie. Il constata que ces derniers utilisent un langage étrange, mi sifflé, mi chanté, plutôt rudimentaire mais précis et dans lequel il semble vain de trouver la moindre parenté grammaticale avec quelque langue que ce soit, et totalement dénué de toute récursivité et mème de temporalité. Ces gens ne connaissent que l'instant présent, méprisant aussi bien le passé que l'avenir.
Loin d’être une caractéristique innée, née de l’évolution, le langage ne serait donc, selon Everett qu’un outil, tel l’arc et la flèche, mis au point par l’intelligence des êtres humains pour répondre aux problématiques pratiques de l’existence.

Tom Wolfe s’appuie sur ces deux duos contradictoires pour souligner les lacunes de la théorie de l’évolution, laquelle explique sans doute certains phénomènes adaptatifs au cours du temps, mais ne répond aucunement à la plupart des questions fondamentales que pose le Monde dans lequel nous vivons, notamment celles relatives à son origine.
A vrai dire, l’écrivain révèle que son questionnement naquit lors la lecture d’un article de la revue Frontiers in Psychology signé en 2014 par une belle brochette de ténors de la théorie évolutionniste, dont Noam Chomsky. Dans ce texte ils avouent en choeur que “les interrogations les plus fondamentales sur les origines et l’évolution de nos capacités linguistiques restent plus insolubles que jamais.”
Cet aveu d’impuissance redonne au langage toute son aura magique qui fait de l’être humain une créature à part. Selon Tom Wolfe, “C’est le langage qui a conféré à l’animal humain la force de conquérir chaque pouce de terre ferme sur cette planète, de gouverner chaque créature discernable à l’oeil, et de se goinfrer de plus de la moitié des ressources comestibles de l’océan. Et pourtant, cette mise en coupe réglée du globe terrestre n’est qu’un résultat mineur de la puissance de la parole: son principal exploit, c’est d’avoir créé l’ego, la conscience de soi !”
C‘est aussi l’occasion de reprendre l’argumentation du linguiste et orientaliste Max Müller (1823-1900), contemporain de Darwin, qui affirmait contre ce dernier que “la science du langage permettra de repousser les théories extrêmes des évolutionnistes, et de tracer une ligne ferme et indiscutable entre l’humain et le bestial” et qui pouvait s’exclamer sans avoir été pris en défaut à ce jour : “le langage est notre Rubicon et aucun animal n’osera le franchir.”
De son côté, Tom Wolfe, assez satisfait de son exégèse mi sérieuse mi humoristique, mais toujours excitante et remarquablement bien documentée, peut conclure sur une figure de style en forme de pirouette : “Dire que les animaux ont évolué jusqu’à devenir des êtres humains revient à soutenir que le marbre de Carrare a évolué jusqu’à être le David de Michel-Ange.”

* Le Règne Du Langage Tom Wolfe Robert Laffont Pavillons 2016

10 août 2018

Au feu, Trump encore !

C‘est quand même étonnant. je n’ai aucune sympathie naturelle pour le personnage incarné par l’actuel président américain. Son style à la fois clinquant et quelque peu poissard n’a rien pour me plaire et ses manières histrioniques ne sont pas de celles que j’affectionne.
Pourtant, lorsqu’il est pris à partie par les médias, ce qui est quasi quotidien, il m’arrive souvent de prendre fait et cause pour lui ( au grand dam de mon ami Extrasystole…)

Sans doute un peu parce que rien ne m’énerve plus que l’attitude consistant à chercher un bouc émissaire dès que quelque chose ne va pas et à lui faire endosser par principe tous les fléaux de la terre. Sans doute aussi par écœurement des curées au cours desquelles le chiens se repaissent avec une délectation orgiaque de leur proie.
Ce n’est pas que Donald Trump fasse pitié. Ce n’est pas non plus qu’il manque de répondant face aux hordes furieuses qui ne cessent de lui mordre les mollets.
On dirait d’ailleurs qu’il aime entendre les aboiements saluant chacune de ses sorties, et sans doute même en abuse-t-il un peu par pur esprit de provocation… Pour autant, cet homme n’a pas systématiquement tort comme on cherche à nous le faire croire.

Une nouvelle occasion m’a été donnée de vérifier ça après avoir entendu un flash d’information évoquant le gigantesque incendie qui vient de dévaster 120.000 hectares de forêt en Californie.
Le président américain à cette occasion (après avoir déclaré l’état de catastrophe naturelle et avoir débloqué une aide fédérale conséquente) s’est fendu d’un tweet critiquant la gestion de l’eau dans cet état, régulièrement la proie de tels embrasements sylvestres. Il a déploré qu’on rejette vers l’océan pacifique, au nom de principes environnementaux, des tonnes de flotte venant du nord, alors qu’elle serait si utile pour lutter contre le feu. Il a plaidé également pour l’éclaircissement des forêts afin d’empêcher la progression des incendies.

Réaction immédiate, quasi pavolvienne et un tantinet caricaturale des médias réunis (BFM, Libération, Le Parisien, Les Echos, l’Express…). Trump “a tout faux” (Paris Match). Face aux incendies, il “appelle à la déforestation” et confond les problémes s'agissant de l'eau. On n’en aurait jamais manqué d’après le sous-chef adjoint du Calfire, le service californien de lutte contre les incendies. Selon ce dernier, “C’est le changement climatique qui mène aux incendies plus intenses et destructeurs que nous voyons cette année”.
Le grand mot étant lâché, il n’y a plus qu’à fermer le ban, il n’y a plus rien à voir et on a tout dit…. Enfin presque car il faut tout de même rappeler au passage que Trump ne croit pas au changement climatique, ce qui invite à conclure que c’est en définitive lui le responsable ! CQFD...

Je ne sais pas si l’argumentation de M. Trump est solidement fondée, mais elle paraît tout de même relever de l’évidence et en tout état de cause, elle amène à réfléchir à des solutions pratiques.
L’explication qui consiste à incriminer le climat, a peut-être une part de vérité, pourquoi pas, mais elle est des plus loufoques et des plus vaines sur le plan pratique. Jamais la météo, même la plus torride, à elle seule n’a allumé le moindre incendie, c’est un fait. Sans doute peut-elle en aggraver les conséquences, lorsqu’il y a du vent et qu'il fait chaud et sec, ce qui est somme toute assez fréquent en été, notamment en Californie.
En la circonstance, accuser le changement climatique peut permettre de s’exonérer à bon compte des responsabilités, mais ce n’est pas plus efficace que de pisser dans un violon ou bien de tenter de résoudre en urgence la problématique du sexe des anges.
Il y a le feu au lac comme on dit et une chose est sûre, s’il y avait davantage d’eau il y aurait moins de feu. S’il y avait moins d’arbres et si des espaces étaient ménagés entre eux, il y en aurait moins à brûler (on sait notamment que cette catastrophe a résulté de la convergence de deux incendies). Enfin, s’il y avait moins d’irresponsables ou d’écervelés pour “allumer le feu”, ça prendrait sans doute moins facilement...

Bref, on peut être énervé par le parler direct, les manières abruptes ou les contradictions apparentes de M. Trump mais en prendre systématiquement le contre pied est au moins aussi imbécile que ce qu’il dit….

08 août 2018

Benalla par-ci Benalla par-là

Le retentissement donné à l’affaire Benalla peut paraître extravagant.
Quoi, la France qui a une si longue tradition de polices parallèles et de barbouzes s’offusquerait tout à coup qu’un supplétif affecté à la protection du chef de l’Etat prête main forte au très officiel Groupe de Sécurité de la Présidence de la République (GSPR) voire aux CRS ?

Tempête dans un verre d’eau, l’affaire a pourtant occupé le champ médiatique durant tout le début de l’été. Benalla par-ci Benalla par-là, il fut impossible d’échapper à ce nouveau micro scandale monté en épingle. Rien de mieux en tout cas pour souder les oppositions au pouvoir en place, en mal d’inspiration (en l’occurrence le pouvoir comme l’opposition d’ailleurs….). On vit ainsi toute la classe politique se lever comme un seul homme pour déposer solennellement une grotesque et vaine motion de censure à l'Assemblée. Echec garanti...

Pendant ce temps, c'est à peine si on parla des incendies meurtriers en Grèce, d'origine humaine comme toujours, faisant plusieurs dizaines de victimes. On parla encore moins des plus de 130 disparus, emportés par les eaux d'un barrage rompu au Laos.
On évoqua comme un fait divers anodin l'attentat revendiqué par les Islamistes faisant 2 morts dont une enfant de 10 ans et 13 blessés à Toronto. Il est vrai qu'il ne s'agissait parait-il que d'un acte commis par un déséquilibré...
Une fois encore, les ravages du terrorisme obéissent au trop classique "2 poids, 2 mesures”, notamment s'ils ont lieu loin de chez nous. Qui fit vraiment attention aux quelques 250 morts en Syrie causés fin juillet par les enragés du Prophète ? Qui remarqua la série d'attentats survenus en Afghanistan et au Pakistan dont le plus sanglant tua pas moins de 149 personnes le 14 juillet à Mastung au Balouchistan ?
Tout ça est bien peu de chose face à la petite vidéo de quelques dizaines de secondes passée en boucle des jours durant, où l’on voit le fameux Alexandre Benalla, conseiller spécial affecté à la sécurité du président, rudoyer deux manifestants, alors que ces derniers exprimaient paisiblement leur “haine du système” en jetant des bouteilles sur les gendarmes.
Derrière les mines surprises, contrites ou plus ou moins embarrassées des membres du gouvernement, il est possible également qu’on se frotte les mains. Pendant qu’on glose sur cette dérisoire histoire, on occulte les vrais problèmes et les mauvais indicateurs qui continuent de tomber comme vache qui pisse : croissance en berne, chômage en hausse, prisons passoires, déroute chronique des chemins de fer …
Cela dit, Benalla n’aura qu’un temps. Sitôt loin des caméras sitôt oublié...
Heureusement est venue la canicule estivale, annonciatrice à n’en pas douter, d'après les journalistes, de l'emballement climatique qui va peut-être nous tuer presque tous d’ici 2100…

25 juillet 2018

Hard Blues

Forte impression en découvrant le chanteur Jacob Banks lors du festival Cognac Blues Passion début juillet. 
Ce jeune anglais de 27 ans, originaire du Nigeria délivre un message musical d’une intensité et d’une puissance rares. S'il fallait qualifier son style, on pourrait dire qu’il mixe de manière très convaincante pas mal de sources d’inspirations : soul, blues, hip hop.
Cet heureux cocktail, à la fois riche et très épuré est littéralement envoûtant. A certains moments, il va même jusqu’à vous coller des frissons... Le public massé dans l’amphithéâtre herbeux était manifestement sous le charme . Ce soir là, la scène baptisée Blues Paradise par les organisateurs portait diablement bien son nom...
Accompagné d’une section rythmique hyper musclée, et d’un guitariste/pianiste aussi discret qu’efficace, le chant vous prend instantanément par les tripes avec ses inflexions magnétiques, brutales et déchirantes à la fois. Cette chaude voix de stentor s’impose avec une évidence quasi extatique (Unknown), elle peut asséner une mélopée subtile au son du marteau pilon qui vous laisse abasourdi (Chainsmoking, Mercy), et revenir vous chercher l’instant d’après avec des accents d’une suavité désarmante (Part Time Love, Photograph).
Pourvu que ce garçon continue sur cette voie. Pourvu qu’il ne se brûle pas les ailes au feu de la passion. Il paraît bien maîtriser son affaire. A suivre donc… Ses craintes se révéleront dès lors infondées : « I believe in what I say, why does everyone hear me wrong ? » 


A côté de cette superbe découverte « live », les chercheurs de fonds de tiroirs nous donnent à réentendre dans des enregistrements inédits, deux illustres aînés.
Jimi Hendrix tout d’abord via l’album intitulé Both Sides Of The Sky. Treize titres dont 10 totalement neufs permettent de se remettre dans l’oreille les riffs ébouriffants d’un des plus brillants météores de la pop music.
Exhumés des années 1968 et 69, ces sessions ont une fraîcheur intacte. Tout est bon, mais on retient particulièrement les divagations aériennes qui côtoient l’âme et les esprits : Power Of Soul, Jungle, Sweet Angels, Send My Love To Linda…
On retient également une prise au cours de laquelle Jimi mêle ses incantations sauvages aux slides acidulés de Johnny Winter (Things I used to do), un Georgia Blues très root avec Lonnie Youngblood au chant et au sax. Enfin, les scansions hypnotiques de Cherokee Mist qui rappellent que Jimi avait des origines indiennes.

Signalons enfin la resucée hard bop retrouvée dans les archives de John Coltrane, intitulée Both Directions At Once. C’est peu dire qu’on retrouve ici toute l’essence prolifique du génie coltranien tourbillonnant au bord du précipice.
Pour les amoureux du saxophoniste c’est un peu inespéré. Pour les autres ce sera peut-être un peu plus difficile. On connut en effet des enregistrements de meilleure qualité et plus construits (par exemple l’album inédit sorti en début d’année, qui donne à entendre des extraits de la tournée qu’il fit avec Miles Davis en Europe en 1960).
Ici, dans des sessions datées de 1963 (4 ans avant la disparition de l’artiste), Coltrane est au bord des convulsions qui allaient parfois le rendre difficile à suivre (avec Eric Dolphy notamment). Il y a quelques redondances dans les titres proposés. Par exemple, on entend 3 fois l’inédit « untitled 11386 », 4 fois le fameux mais déjà connu « Impressions », 2 fois Vilia, 2 fois One Up, One Down…
Restent quand même ces inimitables envolées, aussi libres qu’inspirées, soutenues par le beat merveilleux de trois associés de rêve : McCoy Tyner, Jimmy Garrison, Elvin Jones. Je me suis particulièrement régalé de l’Untitled 11383 qui ouvre de manière très tonique et pimpante l’album, ainsi que du Slow Blues qui offre plus de onze minutes de bonheur pur...

16 juillet 2018

La Coupe Donne l'Ivresse

Devant les monstrueuses manifestations populaires engendrées par le football, on hésite à qualifier ce sport : opium du peuple ou bien jeu du cirque ? Magique ou bien effrayante, cette ferveur qui fait se lever les foules en liesse ?
Tant qu’il y a de la joie, il faudrait être bien mal intentionné pour la bouder, et tant mieux pour la France si ces moments intenses donnent l’illusion d’une certaine unité, voire d’un dessein commun. Rêvons un peu. ..


Il y a quatre ans l’Allemagne dansait sur le toit du monde. Elle réussissait en tout, y compris sur les terrains de football. Cette année, même s'il faut toujours compter avec elle et même si elle reste très forte économiquement, elle s’est montrée plutôt médiocre pendant la Coupe du Monde et sa stabilité politique est quelque peu fragilisée.

Qu’en sera-t-il de notre pays ? L’enthousiasme du Président Macron, quoique sans doute sincère, témoigne de l’importance donnée par les politiciens aux bons résultats sportifs. Peut-être peut-il espérer un nouvel élan au moment où se fatigue l’état de grâce qui suivit son élection.
Après quelques folles espérances, l’impression est que les mots, fussent ils brillants, parviennent de plus en plus difficilement à masquer la relative impuissance à réformer.

On entrevoyait une vraie rupture avec la médiocrité démagogique du quinquennat précédent, on se laissait presque convaincre que l’audace allait enfin être payante. Hélas le vent réformiste qui devait assainir le pays reste à l'état de brise évanescente.
Elle n’a pas empêché ce climat délétère de grèves auquel la France est trop habituée, elle n’a pas évité les slogans destructeurs répétés à longueur de journée par des médias irresponsables. Elle n'a pas permis d'éradiquer la violence intolérable des rebellions urbaines, dont on a pu constater les méfaits le jour même de la victoire, au cœur des manifestations de bonheur.
Et l’on a vu trop d’absurdités alourdir le poids des contraintes et de la bureaucratie : des limitations de vitesse sur les routes aux taxations incessantes, en passant par l’hyper réglementation supposée protéger nos données personnelles. 

En matière fiscale, on apprenait il y a peu, que sur 103 mesures adoptées depuis 2008, près de 90 % renforcent les pouvoirs de l'Administration (Figaro 11/07)...
Sur d’autres sujets, tel l'avenir du système de santé, qui traverse de grandes difficultés, le gouvernement tergiverse et reporte des décisions dont tout porte à croire qu’elles n’auront pas grand chose de novateur. 

Pas de révolution non plus à attendre sur le front des retraites. Faute de changer de paradigme on se borne à jouer sur les trois variables classiques : augmentation des cotisations, allongement de leur durée, diminution des pensions...
Pendant ce temps, le pays continue sa lente dégringolade dans le palmarès des PIB. Après avoir vu le Royaume Uni lui passer devant, il vient de perdre encore une place au profit de l’Inde.
La Coupe du Monde de football nous a enchantés. Va-t-elle contribuer à ré enchanter la société française ? Cela reste à voir...

14 juillet 2018

Spinoza en été (2)

En décryptant l’ouvrage majeur de Spinoza, à savoir L'Éthique, Roger Scruton montre que tout le discours est fondé sur Dieu en tant que primum movens absolu. Cela pourrait évidemment être un commencement logique, mais l'hypothèse hélas n'est pas vérifiable, ce qui laisse penser que Spinoza met la charrue avant les bœufs, autrement dit qu’il se livre à une interprétation téléologique. Ce d’autant plus que l’existence de Dieu repose pour lui sur une preuve ontologique qui est une sorte de tautologie : Dieu existe car il ne peut qu’exister…
Selon cette conception, Dieu est défini comme “un étant absolument infini, c’est à dire une substance consistant en une infinité d’attributs dont chacun exprime une essence éternelle et infinie”, il serait donc vain de lui dénier la qualité d’exister…

Le second parti pris par Spinoza, consiste à assimiler Dieu à la Nature, et à en faire une substance plutôt qu’un être. Cela le conduit conséquemment à considérer que tout ce que nous voyons ou ressentons, y compris nous-mêmes, faisons partie intégrante de Dieu, qui de facto régit tout, réduisant notamment le libre arbitre humain à néant, et pulvérisant au passage les concepts de bien et de mal.
En prenant cette voie, Spinoza se montre à la fois moniste et déterministe, amoral et matérialiste, ce qui fit dire à Deleuze non sans délectation, qu’on pouvait trouver dans ces théories “certaines thèses particulières qui participent d’une tradition athée”. C'est précisément ce qui fut sévèrement reproché au philosophe à son époque...

On trouve pourtant dans l'Éthique une approche très humble de Dieu. Le philosophe le regarde d’en bas en quelque sorte, et donne à admirer sans limite sa puissance tutélaire, alors que la plupart des religions se placent sans vergogne à hauteur de Dieu qu’elles n’hésitent pas à faire parler et dont elles prétendent connaître le dessein et la volonté.
Loin d’avoir cette arrogance, Spinoza cherche à chasser les illusions sur les prétendues “révélations” et plus encore sur les croyances et superstitions que la foi religieuse a tendance à engendrer.
Au contraire, il nous invite, pour vivre pleinement en Dieu, à sortir de l’ignorance dans laquelle nous nous trouvons en naissant, en se ralliant de facto au principe cartésien “de ne rien admettre pour vrai que nous ne puissions prouver être tel” (à l’exception de l’existence de Dieu bien sûr). La philosophie spinoziste s’apparente donc davantage à une "théologie raisonnable" qu’à un traité d’athéologie préfigurant ceux de Nietzsche ou d’Onfray.

L’Ethique est construite très rigoureusement selon un plan géométrique: elle est fondée sur une logique déductive nourrie de définitions, d’axiomes, de postulats, et débouche sur des propositions, des démonstrations, et des scolies.
Mais en posant des principes intangibles en tête de tout raisonnement, le discours penche plus vers le rationalisme que l’empirisme et il n’est pas étonnant qu’il ait influencé Hegel, Marx et quantité de ses épigones, ainsi que les scientifiques matérialistes tels Antonio Damasio.
En définitive cette philosophie qui relève avant tout du champ métaphysique, n’évite pas les écueils de cette approche, à savoir des affirmations qui relèvent d’une logique apodictique (existence de Dieu) ou au contraire qui conduisent à l’aporie (placer l’éternité en dehors du temps).

On pourrait également critiquer la théorie de la connaissance proposée par Spinoza dont l’objectif un peu nébuleux serait de mettre nos idées et concepts en adéquation avec ceux de Dieu, rien de moins.
Pour y parvenir, nous disposerions selon lui de trois types de connaissances.
La première est celle qui se fonde sur l’opinion ou imagination. Elle “consiste à former des notions universelles à partir des singuliers qui se présentent à nous par le moyen des sens de manière mutilée et confuse.” Peu fiable, elle serait même “l’unique source de fausseté”. A l’évidence Spinoza n’est pas un empiriste…
Il ne reconnaît comme vrais facteurs de progrès que la connaissance du deuxième type, qu’il appelle raison, et celle du troisième type qui relève de l’intuition, qu’il entend comme étant “la perception de la vérité d’une proposition ou de sa démonstration en un acte d’intelligence unique et immédiat.”
Si l’intuition, dont fit grand cas Bergson, paraît jouer un grand rôle dans les expériences de pensée scientifiques, la raison qui procède “par notions communes et idées adéquates” semble quant à elle relever de la spéculation et elle ouvre la voie à beaucoup d'interprétations…

Une controverse est possible également au sujet de la morale. Elle ne connaît pour Spinoza ni bien ni mal et se borne à distinguer le bon, qui consiste à se rapprocher de Dieu donc à être en harmonie avec la Nature, et le mauvais qui serait incarné par l’ignorance et les superstitions.
On ne serait sans doute pas si éloigné de l’impératif catégorique de Kant si l’auteur de l’Ethique ne déniait à l’Homme la liberté et ne réduisait pas à la portion congrue la notion de libre arbitre. De ce point de vue, le conatus reste flou et moyennement convaincant. Il n’incarne pas tant la conscience qu’une forme d’énergie vitale et ne résout en rien la problématique de l’âme. Le corps et l’esprit n’étant selon Spinoza que deux modalités complémentaires d'une même entité, l’individu en tant que tel n’est quasi rien et la vie éternelle n’a pas plus de sens pour l’esprit que pour le corps. Or qu’est-ce que la nature, et toute la matière qu’elle contient s’il n’y a pas de conscience, ce qui fut le cas durant les millénaires qui précédèrent l’avènement des êtres humains ?

A vouloir faire de l’Homme une partie intégrante de Dieu, Spinoza jette le trouble. Certes comme le fait remarquer Ariel Suhamy au cours de la très intéressante série d’émissions de France Culture consacrées en 2016 à l’auteur de l’Ethique, l’Homme ne peut pas davantage se confondre avec Dieu que son petit doigt ne se confond avec lui. Mais cela suffit-il à nous procurer une explication rationnelle de notre rapport au monde, à nous donner la direction à suivre pour mieux le connaître, et in fine à donner un sens à notre conscience ?

04 juillet 2018

Spinoza en été (1)

Il n’est pas de saison plus propice à la réflexion philosophique que l’été. Tout s’y prête : la quiétude, la chaleur, la nature plus proche que jamais… Le ciel, le soleil et la mer disait la chanson...
C’est aussi le moment où je suis ramené à Baruch Spinoza (1632-1677), par le biais d’un auteur récemment découvert par hasard: Roger Scruton.
Citoyen britannique, il incarne le conservatisme auquel il s’attache à donner toutes ses lettres de noblesse, envers et contre toutes les critiques, et contre le mépris naturel que ce terme inspire presque naturellement à beaucoup de gens.
Il n’est pas question d’aborder ici cette thématique au demeurant fort intéressante mais d’évoquer la courte introduction à la pensée spinoziste* qu‘il publia en 1998 et par laquelle j’ai choisi de faire sa connaissance. Au surplus, le philosophe auquel j’avais consacré un billet il y a peu, est plutôt à la mode si l’on en juge sur le nombre de publications dont il est l’objet depuis quelques années.

Faire en moins de 100 pages l’exégèse de l’œuvre du philosophe hollandais relève de la gageure. On ne reprochera donc pas à celui qui s’y attelle de survoler les concepts parfois ardus qui peuplent l’Éthique ou le traité Théologico-politique. On lui saura gré au contraire, de montrer que derrière leur aspect rebutant, ces ouvrages recèlent une belle actualité.

A notre époque où le fait religieux donne lieu à toutes les dérives, du torve laisser-aller à la radicalisation la plus fanatique, en passant par la négation scientiste ou matérialiste, il est intéressant de rappeler le rapport tout à fait particulier de Spinoza avec la religion et avec Dieu.
On sait que sa famille dut quitter l’Espagne, puis le Portugal où les Juifs étaient contraints de se convertir au catholicisme, pour s’installer en Hollande, beaucoup plus tolérante à l’époque. Hélas, comme le déplore M. Scruton, “la liberté de penser est plus vite perdue que gagnée” et la rigueur calviniste rattrapa Spinoza et les siens, et lui-même fut purement et simplement excommunié à l’âge de 23 ans, avant même d’avoir rien écrit ! Il fut ensuite anathématisé toute sa vie pour son prétendu athéisme, l’obligeant à faire éditer son œuvre dans l’anonymat.

Ce destin contrarié eut probablement quelque influence sur sa pensée. Il conçut en effet une vraie aversion pour toute croyance religieuse qu’il assimila à de la superstition, jamais loin de l’intolérance voire du fanatisme. Il en est ainsi du mythe de l’espérance en une vie future dans laquelle seraient récompensées les bonnes actions et châtiées les mauvaises. C’est pour lui, “chose tellement absurde qu’elle mérite à peine d’être relevée”. Il rejette pareillement la croyance aux miracles qui ne fait selon lui “pas honneur à Dieu”. Quel besoin Dieu en effet aurait-Il “d’intervenir et de modifier les événements dont Il est l’origine” ?

Paradoxalement, s’il manifeste une aversion profonde pour les religions, Spinoza fait pourtant de Dieu le pivot central de son oeuvre. Il y est omniprésent et omnipotent. Mais il ne s’agit pas d’une entité qu’on pourrait personnifier et qui serait distincte du monde. Dieu est le Monde. Deus sive Natura, Dieu se confond avec la Nature.
Contrairement aux dogmes véhiculés par nombre de religions, pour Spinoza, “Dieu ne saurait éprouver quelque passion, joie ou tristesse. Il n’aime ni ne hait personne”. Pour cette raison, le philosophe affirme que “qui aime Dieu ne peut faire effort que que Dieu l’aime en retour.” L’amour que l’on porte à Dieu est absolument désintéressé...

Puisque tous les êtres existent en Dieu et par Dieu, qu'ils dépendent entièrement de Lui, il découle que Dieu est le seul être absolument libre. Le libre arbitre de l’homme “n’est qu’une illusion qui a pour causes et origines des perceptions inadéquates et confuses” et il est impératif pour Spinoza de “construire une éthique où la notion commune de liberté ou de libre arbitre soit totalement absente”.
Cette vision très déterministe, pourrait être profondément déprimante si le philosophe n’y ajoutait pas quelque pondération susceptible de redonner un peu d’espoir.
Ainsi, si la liberté absolue ne convient qu’à Dieu, il existe une autre forme de liberté, relative, qui résulte de la théorie du conatus, ce dernier qualifiant l’effort par lequel nous tâchons de durer et persévérer dans notre être.
C’est précisément par ce conatus, que “nous pouvons prendre conscience de la vertu contraignante des chaînes causales qui se trouvent en nous, et que nous pouvons espérer nous en affranchir, pour accéder à l’unique forme de liberté à laquelle nous puissions prétendre.”

En d’autres termes, “Dieu ayant une idée adéquate de toute chose, nos propres idées sont adéquates en tant que nous participons de l’intellect divin.../… Plus nos conceptions sont adéquates, et plus nous dépassons notre finitude pour atteindre à la substance divine dont nous sommes un mode.”
Dieu conçu comme “Nature naturante” est “une substance consistant en une infinité d’attributs, dont chacun exprime une essence éternelle et infinie.” Nous ne connaissons que deux de ces attributs et encore très partiellement : la pensée et l’étendue.
Le corps est un mode fini de la substance infinie, appréhendé comme étendue. L’esprit est un mode fini de la substance infinie, appréhendé comme pensée.
Pour Spinoza, les deux sont indissociablement liés au sein de la Nature et l’on peut même généraliser le raisonnement : “comme la musique n’est pas séparable des sons, tout objet physique a un homologue spirituel, et ces objets sont identiques comme en moi le corps et l’esprit.”

Notre nature, en plus d’être finie, est soumise à la contrainte du temps. La Nature quant à elle, est éternelle: sub specie aeternitatis. Existant par nécessité, elle n’a donc ni cause ni origine.
Pour tenter de comprendre ce que cela signifie, il faut “cesser de penser l’éternité en termes temporels” et considérer que la quête de la Vérité se confond avec l’amor intellectualis Deo, l’amour intellectuel de Dieu.
On peut exciper de ce raisonnement pour construire une morale des plus simples : "l’esprit agit en tant qu’il a des idées adéquates et pâtit en tant qu’il a des idées inadéquates”, les premières riment avec joie, les secondes avec tristesse.
De ce point de vue nous dit Scruton, “L’homme libre est un personnage hiératique mais plein de joie, sans nulle trace de morosité calviniste.”

En somme, l’intellection, la réconciliation avec les réalités physiques dont nous faisons partie, constituent pour Spinoza la seule, la vraie religion. C’est également le moyen de réconcilier en quelque sorte science et religion, et par là même philosophie et science.
Comme Blaise Pascal, Spinoza "a bien perçu que la science nouvelle allait désenchanter le monde." Mais "par ce désenchantement, nous pouvons parvenir à un enchantement nouveau, reconnaissant Dieu en chaque chose, et aimant Ses œuvres dans l’acte même de les connaître…"
Le tout est de savoir si le Dieu de Spinoza est encore Dieu...
Mais comment taxer d’athéisme celui qui au moment de mourir aurait déclaré : “j’ai servi Dieu selon les lumières qu’Il m’a données, s’il m’en avait donné d’autres je L’aurais servi autrement…” ?

* Spinoza. Roger Scruton. Points Essais. Le Seuil.
Illustration: stature Spinoza. La Haye 

29 juin 2018

Goodbye Blue-Eyed Afro-Pop

Alors que le désolant et tragique spectacle de la crise migratoire déchire nos peuples en perte de repères, Geoffrey Oryema (1953-2018) s’est éteint presque sans bruit au bord de l’Atlantique, dans le port de Lorient, loin, très loin du pays de ses aïeux...

Il était lui-même arrivé en qualité de migrant il y a 40 ans, échappé d’Ouganda où sévissait l’affreux Idi Amin Dada. Son père avait été un dignitaire du régime, mais tout ministre qu’il fut, il périt assassiné.
Après un périple éprouvant commencé dans le coffre d’une voiture, Geoffrey débarqua en France en 1977, et son allure de bon grand géant débonnaire, ses manières affables et sa discrétion lui valurent de pouvoir se fondre dans la foule parisienne. Après quelques années il devint citoyen de la petite ville de Lillebonne comme s’il y avait toujours vécu. Ses talents de poète et de musicien dépassèrent toutefois la cité normande, et grâce à l’initiative conjointe de Brian Eno et de Peter Gabriel, anciens du groupe Genesis, il put faire un premier disque en 1990, sous le sceau “des musiques du Monde”.

Quel choc ce fut ! Une voix d’une douceur irénique, des mélodies poignantes, mêlant au parfum de la savane, l’extase brûlée du soleil africain et un assaisonnement de rythmiques tribales sur fond de guitare occidentale aux tonalités pop. Tout cela au service de textes empreints de rêve, de nostalgie et de tendre désespoir. Au total, quelque chose de planant et de tellurique à la fois...
Ses chants s’élevaient tantôt dans les dialectes de son pays de naissance, swahili ou acholi, tantôt en anglais, et tantôt en français qui devint peu à peu sa langue d’adoption. A côté de la rengaine entêtante Ye Ye Ye, s’accrochaient également aux oreilles de manière indélébile, les merveilleux Land of Anaka évoquant son pays d’origine, Solitude, dédié à sa mère, sans oublier le point d’orgue de ce premier album au titre suggestif : Exile...

Etait-ce la couleur naturelle de ses yeux peu importe, le bleu aérien de son regard illuminant son visage d’ébène avait quelque chose de troublant et incarnait à merveille cette musique à nulle autre pareille, montant de la terre pour s’élever au ciel.
Après six disques, l’oeuvre de Geoffrey Oryema reste confidentielle, intime et humble mais elle est toujours source de ravissement pour ses amateurs, et elle résume l’histoire d’une expatriation réussie, quoique non dénuée d’un spleen incurable…

27 juin 2018

Cordes sensibles et larmes de croco

Après des années d’incubation sourde, la crise migratoire éclate brutalement sur le monde. 
Mais de quoi est-elle la manifestation ? S’agit-il de la reviviscence d’une nécessité inhérente au genre humain ? D’un phénomène temporaire explicable par une conjoncture défavorable mais passagère ? d’une nouvelle menace pesant sur la paix des nations ? Qui peut vraiment répondre ? Et qui peut se réclamer d’une éthique supérieure selon laquelle son opinion doive s’imposer à toutes les autres ?
S’agissant des causes poussant les gens à quitter massivement leur pays, tout s’emmêle. Populations chassées par les guerres, mouvements de fuite face aux persécutions, transhumance économique de malheureux cherchant la prospérité, migrations climatiques, il y a mille raisons à ces grands déplacements.

Ici comme dans quantité de problèmes de société, la subjectivité règne, et les principes qu’on se jette à la figure s’affrontent en pure perte.
Il y a les tenants d’une conception généreuse, ceux qui prétendent avoir le coeur sur la main et qui voudraient accueillir le monde entier dans leurs bras, sans souci du lendemain. Il y a ceux qui au nom de la raison plaident au contraire pour une régulation, une “immigration choisie”. Et derrière tout ça il y a de vieux relents xénophobes et ceux qui se délectent des controverses médiatiques et qui les attisent de manière diabolique.
Paradoxalement, les partisans de la plus large permissivité sont ceux-là mêmes qui décrient à longueur de journées la migration fiscale et la libre circulation des capitaux et de l’argent. A l’inverse, les libéraux craignent de voir s’installer une anarchie migratoire et réclament une régulation.

Les Pouvoirs Publics quant à eux sont complètement dépassés. l’Europe sans dessein, sans destin, sans citoyenneté, sans frontières est particulièrement désemparée, et fait étalage de divisions de plus en plus profondes. Longtemps nombre dirigeants se sont désintéressés du sujet, quant ils n’ont pas encouragé l’arrivée d’étrangers par une politique sociale chimérique, dissimulant de sordides considérations électoralistes et en arrière plan, le projet très trivial de pourvoir les emplois non qualifiés dont les citoyens ne voulaient plus, en partie du fait de ces mêmes largesses sociales…
Résultat, à force de sous-estimer le problème, voire parfois de le nier, les gouvernants ont instillé les ferments de radicalisation. Celle-ci monte régulièrement, touchant à la fois les migrants, chez qui rien n’a été fait pour susciter le désir d’intégration, mais aussi dans les populations autochtones vivant de plus en mal la promiscuité née de communautarismes débridés.

Il est bien tard pour agir désormais. L’idéologie dominante verrouille désespérément le débat et il est impossible de sortir des idées reçues sous peine de passer pour un dangereux fasciste. La reductio ad hitlerum n’est jamais loin…
Il en est ainsi des bêtes noires qui osent proposer une politique empreinte de fermeté. Ils passent pour des gens horribles, qualifiés de dictateurs en puissance ou d’imbéciles sans conscience ni morale et l’on n’hésite pas à faire couler sur leurs prétendus forfaits des larmes de crocodiles, quitte à travestir la réalité et à fabriquer des drames imaginaires. Dans ce contexte la manipulation racoleuse dont s’est rendu coupable le magazine TIME fut particulièrement odieuse.
Les autorités religieuses quant à elles se montrent soit sectaires soit angéliques, mais jamais réalistes. Leur intolérance bornée ou au contraire leurs bonnes intentions, semblent devoir se rejoindre dans un même enfer...
Comment sortir par le haut de cette tragique impasse au sein de laquelle les mentalités s’exacerbent et les outrances fusent ? C’est l’unique question, qu’il faudra bien trancher sous peine de dériver vers la paupérisation générale et des désordres civils grandissants...

20 juin 2018

Et après ?

La spectaculaire rencontre entre Donald Trump et Kim Jong-Un est-elle davantage qu’un acte de communication bien orchestré mais sans lendemain ?
Le Président américain est l’objet de tant de critiques et d’insultes que les commentateurs se sont trouvés un peu interloqués par cette initiative à laquelle personne ne croyait vraiment. Doit-on la porter à son crédit, ou bien n'est-ce qu’un acte d’esbroufe ? S’agit-il d’une réelle avancée vers la paix menant à un possible désarmement de ce petit potentat oriental, un des rares vestiges encore vivant du communisme le plus pur dans sa forme autochtone dite "Juche" ?

Ce régime est atroce, une vraie honte pour la Communauté internationale qui l’a laissé impunément pérenniser sa dictature depuis les années cinquante. Le jeune tyranneau ne porte pas à lui seul toutes les turpitudes de la dynastie dont il est l’héritier, mais ses faits et gestes, tels qu'ils sont relatés, ne le rendent pas des plus sympathiques. 

On ne sait pas grand chose de ce qui se passe réellement là bas et rien ou presque des intentions réelles de M. Kim. Maintenant qu’il est parvenu à doter son pays de l’arme nucléaire, il est peu probable qu’il accepte de s’en séparer avant longtemps. Il s’agit d'une sorte de viatique... Après avoir montré sa force, il a en revanche tout intérêt à se montrer plus conciliant, ne serait-ce que pour obtenir quelques aides financières, voire conclure quelques contrats avec le monde qui l’entoure.
La Corée du Nord recèle nombre de matières premières dont elle ne peut à ce jour faire commerce qu’avec son géant de voisin la Chine.

Quel rôle ont joué les dirigeants de cette dernière ? Y a-t-il eu des tractations entre Washington et Pékin, quant à l’avenir de la Corée du Nord ?
Il y a beaucoup de mystère autour des négociations qui ont sous-tendu la désormais historique poignée de main de Singapour.
M. Trump a hérité d’une situation quasi inextricable et après avoir lui aussi joué les gros bras, a choisi la voie d’une conciliation qui peut sembler hasardeuse.
Un fait est sûr, il n’y a pas grand chose à perdre à opter pour cette solution. S’il est inimaginable d’envisager ex abrupto une action militaire contre la Corée du Nord, il paraît également peu probable que celle-ci se lance dans une guerre contre son frère ennemi du sud. Le dialogue est peut-être le prélude à l'ouverture, qui sait ?

Il est bien difficile de prévoir jusqu’où peut aller ce réchauffement climatique plutôt bienvenu. Kim Jong-Un pourrait-il faire figure de Gorbatchev “du matin calme” ? C’est bien peu probable et la réunification à laquelle tout le monde pense, ne pourrait passer que par une transition démocratique, ce qui supposerait que soit ouverte une porte de sortie acceptable pour toute la Nomenklatura au pouvoir à Pyongyang. Pourraient-ils s'y résoudre ? Rien n'est moins sûr...
En attendant ce futur désirable mais plus qu’incertain, fasse le ciel que la situation des Nord-Coréens devienne un peu plus confortable. Totalement privés de liberté, ces pauvres gens assujettis à un socialisme intransigeant, ont une différence de niveau de vie avec leurs compatriotes capitalistes du Sud de 1 pour 15 si l’on est très optimiste et de 1 sur 40 si on l’est moins (LCI)...

09 juin 2018

Histoire d'entendement

Etienne Klein n’a pas son pareil pour raconter des histoires de science. De sa voix grave et suave, il égrène et décortique avec talent et avec des mots simples les concepts les plus ardus, les paradoxes les plus troublants dans lesquels les savants se perdent habituellement en équations et conjectures.
Parmi ses domaines de prédilection figurent le temps, la relativité, la mécanique quantique. Il aime à nous amener au-delà des apparences et il nous invite à ne pas nous fier à ce qui paraît évident, à la simple observation du monde qui nous entoure. De ce point de vue il se pose en héritier des Lumières.
Pourtant, il lui arrive de succomber parfois aux travers contre lesquels il nous met en garde...

Lors d'une de ses très nombreuses interventions, qu’on peut trouver facilement sur internet, il a repris l’aphorisme de Kant nous invitant à réfléchir par nous-mêmes : « Aie le courage d’utiliser ton propre entendement »
Le problème est qu’il appuie son propos sur un exemple éminement discutable.
Prenant la thématique on ne peut plus éculée du changement climatique, il relate un sondage auquel auraient été soumis les membres du Congrès américain, en analysant la réponse des élus à deux questions des plus triviales.
La première : « selon vous y a-t-il un changement climatique », à laquelle la majorité des personnes a répondu « oui »
La seconde : « L’homme joue-t-il un rôle dans ce changement ?» à laquelle à l’inverse, la même majorité a répondu « non ».

Etienne Klein suggère qu’il y a une incohérence manifeste entre les deux réponses.
Il se moque même de l’argumentation du sénateur interrogé sur CNN, qui explique qu’il y a un changement parce que « le climat a toujours été changeant » et qu’attribuer ces variations à l’homme serait « faire preuve de beaucoup d’arrogance ».
Il termine sa digression en prenant la défense du président Obama alors en exercice, dont certains déploraient alors l’impuissance sur le sujet de l’écologie. M. Klein lui accorde au moins des circonstances atténuantes en lâchant dépité : « il faut voir ce qu’il a en face... »

Il y a me semble-t-il dans cette démonstration, « matière à contredire » pour paraphraser le titre d’un de ses ouvrages.
Première imprécision, Etienne Klein qualifie les élus interrogés de « sénateurs » alors qu’il n’en sait rien puisqu’il nous a parlé au départ du Congrès, qui regroupe certes des sénateurs mais également des élus à la Chambre des Représentants (ceux-ci étant d’ailleurs plus nombreux que ceux-là). Il cite l’opinion du « sénateur Jim Hall », mais sauf erreur, je ne suis parvenu à le trouver ni au Sénat ni à la Chambre des Représentants…
Une personne de ce nom est certes liée aux problèmes climatiques, mais il s’agit d’un professeur à l’Université d’Oxford et ses analyses sont beaucoup plus étayées et nuancées que ce que M. Klein nous en dit...

Seconde faille, il ne fait aucune analyse critique du questionnaire, qui s’avère des plus lapidaires et très manichéen : deux questions seulement auxquelles il fallait répondre par oui ou par non !
Il ne se demande d'ailleurs pas au passage s'il est raisonnable d'espérer faire surgir  des vérités scientifiques de sondages d'opinions...

Il ne s'interroge pas enfin sur la neutralité de l’enchaînement des deux propositions, et sur la conclusion qu’on est en droit d’en attendre. Le moins qu’on puisse dire est que l’ensemble paraît quelque peu téléguidé…

Il est en effet impossible de répondre non à la première question. On connaît le caractère aléatoire des prévisions météorologiques à quelques jours, comment pourrait-on affirmer la stabilité du climat sur le long terme ?
La seconde question est dès lors cousue de fil blanc. Dans le contexte du battage médiatique qui fait rage autour du réchauffement climatique, comment répondre « non » sans risquer de passer pour un dangereux provocateur ou bien pour  quelqu’un d’inconséquent ? C’est quasi impossible d’autant que le choix est étroitement fermé. Il est interdit de facto de répondre « qu’on n’en sait rien », ou de dire « un peu » ou « peut-être » … De toute manière, qu’on réponde oui ou non, la conclusion logique serait de poser une troisième question du style « Et alors ? », ce qui n’amènerait pas à autre chose, si l’on suit le raisonnement de M. Klein, que de trier les personnes comme le bon grain de l’ivraie..
On pourrait aussi se poser d'autres questions. S'il est vrai qu'il y a un changement climatique et que l'homme en est responsable au moins en partie, peut-on vraiment inverser la tendance ? Si oui, comment, et avec quelles conséquences prévisibles ? Est-il prouvé que le bilan du "global warming" est globalement négatif pour la planète, pour parler comme feu George Marchais...

Enfin, s’agissant du président Obama, le sémillant philosophe-physicien néglige le fait qu’à côté de ses belles paroles et de vertueux décrets protégeant quelques sites touristiques, il a autorisé et encouragé l’exploitation à grande échelle du gaz de schiste, faisant en la matière des Etats-Unis le plus gros producteur mondial et lui donnant l’auto-suffisance en matière de produits pétroliers.

En fin de compte l’exemple donné par Etienne Klein pour montrer l’importance de penser par soi-même peut-être complètement retourné. On peut légitimement poser que le physicien a fait passer beaucoup de subjectivité avant l’objectivité, et constater qu’il s’est laissé emporter avec armes et bagages rhétoriques dans le mainstream du conformisme et des idées reçues.
Dommage car la confiance en son jugement est nécessairement entamée…
Cela n’empêche naturellement pas de penser qu’il a raison lorsqu’il affirme que « la Terre est ronde » et que « l’atome existe »...

30 mai 2018

Opposites #2

Si l’on cherche à comparer Philip Roth (1933-2018) à Tom Wolfe (1930-2018), on conclut bien vite que tout les oppose.
Les personnes tout d’abord. L’un est un aristocrate ombrageux, l’autre est un dandy fantasque.
Quant à l’oeuvre proprement dite, c’est le jour et la nuit si l’on peut dire.
On présente souvent Philip Roth comme un auteur provocateur, maniant une plume très acerbe pour décrire la société américaine contemporaine. En réalité Tom Wolfe apparaît bien plus subversif et son regard est infiniment plus corrosif.
Surtout, sa vision est également beaucoup plus riche et contrastée. S’il arrose de vitriol les excès et les travers de toutes sortes dont il est témoin, il est également capable de s’enticher des aventures extraordinaires qui se déroulent sous ses yeux et marquent une époque.

ça commence avec Acid Test, par une sorte de road movie déjanté racontant les péripéties hallucinées des années soixante. Wolfe s’est littéralement immergé dans ce trip fabuleux qui vit l’émergence des mouvements beatnik puis hippie générateurs d’une déferlante culturelle gigantesque. Au moment où l’on commémore en France les gesticulations des trublions de mai 68, on mesure à la lecture de l’enquête menée par Tom Wolfe, leur caractère microscopique par rapport à ce qui se passait alors aux USA.
Tandis que nos pseudo révolutionnaires s’ébrouaient dans un maoïsme de pacotille, pendant qu’ils sirotaient un jus de marxisme lénifiant à la terrasse des cafés germano-pratins en croyant réinventer le monde, tout en se gargarisant avec des slogans ineptes, l’Amérique s’abandonnait avec délice dans l’ivresse de la liberté.
Il y eut certes des outrances, et des chimères, mais de Kerouac à Grateful Dead et Bob Dylan, des Merry Pranksters à Timothy Leary et à Aldous Huxley, quelles belles illuminations, quelle poésie dans le sillage du Jazz et du Blues, au gré de l’extase psychédélique procurée par le LSD.
Tom Wolfe est un des rares écrivains à avoir su capter l’esprit de cette décade prodigieuse dont un autre aspect fut l’épopée des héros de l’aéronautique, aboutissant en 1969 à la conquête de la Lune. The Right Stuff (l'Etoffe des Héros) est une sorte de vibrant hommage à l’esprit de conquête et d’entreprise. Certains planaient en inventant des musiques nouvelles, d’autres s’envolaient dans l’espace à la poursuite de la dernière frontière...

On appela cela le Nouveau Journalisme. Tom lui s’imaginait en Balzac, en Dickens ou en Zola, constatant avec stupéfaction en se frottant de près aux évènements, que la réalité dépassait de loin la fiction.
Il usa de cette technique d’enquête par immersion pour pénétrer les milieux dits intellectuels de l’époque et cela se traduisit par quelques pamphlets décapants, tel l’hilarant “Gauchisme de Park Avenue” dans lequel il décrit avec cruauté la complaisance niaise de la bourgeoisie vis à vis des idéologies à la mode (par exemple, le chef d’Orchestre Leonard Bernstein organisant dans son appartement luxueux une fête en l’honneur des Black Panthers et s’encanaillant jusqu'à lever le poing gauche pour exprimer sa rébellion contre un système dont il était l'enfant chéri). Tom Wolfe appela cela le Radical Chic et cela lui valut d’être étiqueté comme conservateur par l’intelligentsia qui n’aime pas qu’on plaisante avec ses lubies. Quand il déclara benoîtement qu’il avait voté en 2004 pour George W. Bush, il fit proprement scandale, prouvant ainsi que lui était bel et bien dans la subversion, contrairement à tant de soi-disant rebelles à la petite semaine, si tristement conformistes...

Il n’en eut cure et cela ne l’empêcha pas de s’atteler avec succès au genre romanesque en se délestant de pavés bourrés de cocktails explosifs, distribués tous azimuts. D’abord sur le monde doré des yuppies imbus de leur supériorité de classe (Le Bûcher des Vanités), mais également sur l’insigne débauche régnant dans certaines universités (Moi Charlotte Simmons), ou la démystification de l’argent facile et de la réussite pour la réussite (Un homme un vrai)...
Autant les personnages de Roth semblent, froids et distants, murés dans un égocentrisme dédaigneux, autant ceux de Wolfe débordent de passion, d'espérances et de désespoir communicatifs. Ils sont parfois énervants mais ils sont vivants...

Au total, l'impression qui domine est que Tom Wolfe aime l'Amérique. Il la croque à belles dents et son admiration aussi bien que ses critiques sont joyeuses et jouissives. Le style est trivial mais efficace.
Tout porte à croire au contraire que Philip Roth méprise son pays dont il détaille de manière névrotique toutes les tares. Il touille une haine recuite dans le jus aigre de ses remords et turpitudes. C'est bien écrit mais c'est tragique...

Contrairement à Philip Roth, Tom Wolfe resta actif jusqu’à ses dernières années, luttant à sa manière contre les idées reçues. Une de ses dernières contributions prit pour cible la théorie de l’évolution de Darwin, portée aux nues jusqu'à devenir un symbole de la correction politique. Il en pointa les faiblesses, et critiqua sans ménagement certaines dérives, notamment ses applications au langage, par le fumeux Noam Chomsky...

26 mai 2018

Opposites #1

A dix jours d’intervalle, en ce joli mois de mai, deux éminents écrivains américains ont déserté ce monde sublunaire : exit Tom Wolfe et Philip Roth.
Vous aurez remarqué sans doute ami(s) lecteur(s) la différence dans le traitement qui leur fut réservé dans les grands médias français.
Concert de louanges pour Roth, statufié comme “un géant de la littérature américaine” (Le Monde, Hufftington Post). Un peu partout, on encense le grand homme, et on souligne l’injustice des Académies Nobel qui ne daignèrent pas le récompenser. "Avec Philip Roth le Nobel est mort !" titra même le magazine Le Point...
A l’inverse, la mort de Tom Wolfe fut mentionnée comme un fait divers. Il fut notamment qualifié de “journaliste, écrivain à succès et dandy provocateur” par le journal Le Monde, ce qui témoigne du mépris de l’intelligentsia pour le personnage...

Lorsque de telles disparités se manifestent, il est difficile de ne pas évoquer d’éventuelles connotations politiques.

On sait par exemple, comme le rappelle Le Figaro que Roth était “un démocrate façon Roosevelt”, ce qui, pour le mainstream qui fait l’opinion, s’apparente à un certificat de respectabilité.
Tom Wolfe en revanche, était considéré comme un “conservateur” aussi pur crin que la blancheur insolente de ses costumes. Il se dit même qu’il aurait soutenu George W. Bush en 2004. Quelle horreur !

Il n'est besoin de creuser longtemps pour comprendre qu'en réalité, Roth était bien plus qu’un démocrate pondéré. Il était farouchement anti-républicain.
En 2018, par exemple, il était sorti du silence de sa retraite pour régler son compte à Donald Trump qu’il avait traité “d’être inculte, incapable d’exprimer ou de reconnaître une subtilité ou une nuance », ajoutant qu’il utilisait « un vocabulaire de 77 mots. » De la part d’un écrivain attaché à décrire finement les choses on aurait pu attendre davantage de profondeur…
On connaissait depuis longtemps également sa haine pour Nixon qu’il avait caricaturé jusqu’à l’outrance dans son ouvrage “Our Gang”.

On sait qu’il n’appréciait pas davantage Ronald Reagan dont il avait affirmé qu"il avait l'âme d'une grand-mère d'un soap-opera et toute l'intelligence d'un lycéen dans une comédie musicale", (Le Point).
Naturellement George W. Bush ne valait pas mieux à ses yeux, dont il affirma qu’il était " incapable de faire tourner une quincaillerie, sans parler d'un pays comme celui-ci..."
En revanche il prit fait et cause pour Clinton, tout particulièrement lorsque ce dernier fut inquiété à juste titre pour avoir fait du Bureau Ovale le siège de ses orgies extra-conjugales. Il prit également un plaisir non feint à se faire décorer par Barack Obama dont il avait quelque peu ciré les pompes quelque temps auparavant à l'unisson des foules béates des bien-pensants...
Selon François Busnel, l'animateur TV de la Grande Librairie,  Philip Roth n’était pas un écrivain “engagé”. Heureusement…

Au plan littéraire, tout oppose également les deux écrivains dont la vision qu’ils donnèrent de leur pays et de leur société était des plus antinomiques.
S’agissant du talent de Roth, dont je ne peux juger pour ma part que par les traductions, il ne fait guère de doute. Mais s’il savait écrire, ce fut pour dire quoi ?
Les sujets qu’il aborda, et la manière de les traiter révèlent un conformisme épais, parfois graveleux, au service d’une littérature lourde comme du plomb. Depuis les égarements masturbatoires de son héros Portnoy jusqu’aux fantasmes libidineux du vieux professeur David Kepesh, beaucoup de complaisance et de racolage, et bien peu de profondeur sentimentale !

Au plan des idées, Roth est l’incarnation même de la mauvaise conscience de l’Amérique. On pourrait de ce point de vue le considérer comme un épigone du très oublié Théodore Dreiser, chef de file d’une lignée qui compta par la suite des gens comme Norman Mailer ou Russell Banks.
Disons le crûment, le catalogue des oeuvres de Roth donne l’impression qu’il n’eut qu’une idée en tête : démolir l’image trop radieuse d’une Amérique de progrès et de liberté. Il ne vécut en somme que pour remuer la fange avec une délectation morbide. Parfois même il inventa de toutes pièces des événements dont il aurait voulu se faire le contempteur. Il en est ainsi de la fable grotesque dans laquelle il imagine les Etats-Unis livré au délire nazi sous la férule de  l'viateur Charles Lindbergh.
La quasi totalité de l’oeuvre de Roth s’inscrit dans le registre éculé de la pseudo satire moralisatrice de gauche, de ce qu’il est convenu d’appeler le rêve américain. On peut égrener les titres, il en est bien peu qui échappe à ce moule idéologique, notamment parmi les plus connus: j’ai Epousé un Communiste, la Tache, Pastorale américaine, Complot contre l’Amérique...
En définitive le style de Roth, c’est l’alliage de concepts et de truismes à l’emporte-pièce, aussi pesants que dénués d’originalité, avec “l'extraordinaire sophistication des personnages, leur complexité psychologique et le détail apporté à leur comportement dans des situations banales de la vie...” (pour reprendre une expression de Laurent Bouvet dans le Figaro)