La publication récente d’un texte inédit* de Hannah Arendt, retrouvé dans les archives de la Bibliothèque du Congrès à Washington DC et daté du milieu des années soixante, est l’occasion de mettre au jour d’intéressantes réflexions sur la vraie nature des révolutions et sur l’aspiration à la liberté qu’elles se font fort de propager habituellement.
Cet écrit entreprend de montrer que cette dernière est souvent un leurre, agité non pas par le peuple mais par ceux qui s’arrogent le droit de parler en son nom, lorsqu’ils font par leurs écrits et leurs discours le lit de l’insurrection, ou lorsqu’ils parviennent au pouvoir de manière violente.
Cet écrit entreprend de montrer que cette dernière est souvent un leurre, agité non pas par le peuple mais par ceux qui s’arrogent le droit de parler en son nom, lorsqu’ils font par leurs écrits et leurs discours le lit de l’insurrection, ou lorsqu’ils parviennent au pouvoir de manière violente.
De fait, Hannah Arendt affirme “qu’aucune révolution, si largement qu’elle ait ouvert ses portes aux masses et aux miséreux - les malheureux, les misérables, les damnés de la terre, comme les désigne la grande rhétorique de la Révolution française -, ne fut jamais lancée par eux”.
La raison en est que “là où les hommes vivent dans des conditions de profonde misère, la passion pour la liberté est inconnue”; elle ne peut naître et prendre corps que chez “des hommes ayant des loisirs, des hommes de lettres n’ayant pas de maître et n’étant pas toujours occupés à gagner leur vie”.
Autre constat, aussi frappant que paradoxal, “les révolutions ne sont en règle pas la cause, mais la conséquence de la chute de l’autorité politique.” De manière plus générale, “aucune révolution n’est même possible là où l’autorité du corps politique est intacte, ce qui dans le monde moderne signifie là où l’on peut être assuré que les forces armées obéissent aux autorités civiles.”
En d’autres termes, les révolutionnaires ne s’emparent pas du pouvoir, ils ne font que prendre la place laissée libre par l’effondrement du précédent. Cela diminue singulièrement leur mérite, ce d’autant plus que l’expérience montre qu’ils peinent en général à le conserver dans les conditions qu’ils s’étaient fixées. Par une cruelle ironie du sort, la figure allégorique de “la Liberté guidant le Peuple”, le mène bien souvent à une nouvelle tyrannie, pire que celle dont il s’est affranchi !
Ces réflexions sont particulièrement prégnantes à notre époque, marquée par une crise profonde de la démocratie, où l’on voit l’autorité publique battre souvent en retraite ou faire preuve d'impuissance devant des factions de plus en plus virulentes, et où paradoxalement on l’accuse de plus en plus souvent d’être à l’origine de “violences policières”. N’y a-t-il pas là le début d’un pourrissement du Pouvoir, dont l’aboutissement pourrait mener au chaos et à tous les excès ?
Combien de fois entend-on critiquer le modèle de société dans lequel nous vivons ?
Aujourd'hui, contrairement à nos aïeux, nous avons la liberté d'être libres. Mais que faisons nous de cette liberté ? On n'a de cesse de la rogner !
Nous ne pouvons pas, tout au moins dans nos pays, prétendre combattre pour la liberté, puisque nous en jouissons comme jamais sans doute aucun peuple dans l’histoire. Que veulent donc les révolutionnaires de tout poil qui vocifèrent à nos oreilles leurs revendications ? C'est tragiquement simple : qu’ils appartiennent à la vieille garde socialiste, aux religions les plus rigoristes, ou bien aux nouvelles chapelles érigées au nom de l’écologie, ils exigent moins de liberté et plus d’intolérance !
Puisse ce texte exhumé par bonheur du cimetière des papiers oubliés, servir de leçon pour notre temps. Puisse-t-il également inviter à la réflexion objective et peut-être à plus de sagesse dans l’analyse des événements.
Comparant les deux révolutions française et américaine, quasi contemporaines à la fin du XVIIIè siècle, Hannah Arendt s’interroge: pourquoi la première, “qui se termina en désastre, devint un tournant dans l’histoire du monde”, alors que la seconde “qui fut un triomphe, demeura une affaire locale” ?
Vraie question à laquelle l’auteur tente de répondre en invoquant “la tradition pragmatique anglo-saxonne” qui aurait “empêché les Américains de réfléchir à leur révolution et d'en conceptualiser correctement des leçons…”
Sans doute y-a-t-il du vrai dans cette remarque, en filigrane de laquelle on perçoit avec inquiétude les dangers que font courir les idéologies, souvent préférées hélas au pragmatisme.
On ne peut que partager la sombre réflexion clôturant l’ouvrage, dans laquelle Hannah Arendt évoque “ceux qui sont disposés à assumer la responsabilité du pouvoir” : “Nous avons peu de raisons d’espérer qu’à un moment quelconque dans un avenir assez proche, ces hommes auront la même sagesse pratique et théorique que les hommes de la révolution américaine, qui devinrent les fondateurs de ce pays. Mais je crains que ce petit espoir soit le seul qui nous reste que la liberté au sens politique ne sera pas à nouveau effacée de la surface de la terre pour Dieu sait combien de siècles…”
La raison en est que “là où les hommes vivent dans des conditions de profonde misère, la passion pour la liberté est inconnue”; elle ne peut naître et prendre corps que chez “des hommes ayant des loisirs, des hommes de lettres n’ayant pas de maître et n’étant pas toujours occupés à gagner leur vie”.
Autre constat, aussi frappant que paradoxal, “les révolutions ne sont en règle pas la cause, mais la conséquence de la chute de l’autorité politique.” De manière plus générale, “aucune révolution n’est même possible là où l’autorité du corps politique est intacte, ce qui dans le monde moderne signifie là où l’on peut être assuré que les forces armées obéissent aux autorités civiles.”
En d’autres termes, les révolutionnaires ne s’emparent pas du pouvoir, ils ne font que prendre la place laissée libre par l’effondrement du précédent. Cela diminue singulièrement leur mérite, ce d’autant plus que l’expérience montre qu’ils peinent en général à le conserver dans les conditions qu’ils s’étaient fixées. Par une cruelle ironie du sort, la figure allégorique de “la Liberté guidant le Peuple”, le mène bien souvent à une nouvelle tyrannie, pire que celle dont il s’est affranchi !
Ces réflexions sont particulièrement prégnantes à notre époque, marquée par une crise profonde de la démocratie, où l’on voit l’autorité publique battre souvent en retraite ou faire preuve d'impuissance devant des factions de plus en plus virulentes, et où paradoxalement on l’accuse de plus en plus souvent d’être à l’origine de “violences policières”. N’y a-t-il pas là le début d’un pourrissement du Pouvoir, dont l’aboutissement pourrait mener au chaos et à tous les excès ?
Combien de fois entend-on critiquer le modèle de société dans lequel nous vivons ?
Aujourd'hui, contrairement à nos aïeux, nous avons la liberté d'être libres. Mais que faisons nous de cette liberté ? On n'a de cesse de la rogner !
Nous ne pouvons pas, tout au moins dans nos pays, prétendre combattre pour la liberté, puisque nous en jouissons comme jamais sans doute aucun peuple dans l’histoire. Que veulent donc les révolutionnaires de tout poil qui vocifèrent à nos oreilles leurs revendications ? C'est tragiquement simple : qu’ils appartiennent à la vieille garde socialiste, aux religions les plus rigoristes, ou bien aux nouvelles chapelles érigées au nom de l’écologie, ils exigent moins de liberté et plus d’intolérance !
Puisse ce texte exhumé par bonheur du cimetière des papiers oubliés, servir de leçon pour notre temps. Puisse-t-il également inviter à la réflexion objective et peut-être à plus de sagesse dans l’analyse des événements.
Comparant les deux révolutions française et américaine, quasi contemporaines à la fin du XVIIIè siècle, Hannah Arendt s’interroge: pourquoi la première, “qui se termina en désastre, devint un tournant dans l’histoire du monde”, alors que la seconde “qui fut un triomphe, demeura une affaire locale” ?
Vraie question à laquelle l’auteur tente de répondre en invoquant “la tradition pragmatique anglo-saxonne” qui aurait “empêché les Américains de réfléchir à leur révolution et d'en conceptualiser correctement des leçons…”
Sans doute y-a-t-il du vrai dans cette remarque, en filigrane de laquelle on perçoit avec inquiétude les dangers que font courir les idéologies, souvent préférées hélas au pragmatisme.
On ne peut que partager la sombre réflexion clôturant l’ouvrage, dans laquelle Hannah Arendt évoque “ceux qui sont disposés à assumer la responsabilité du pouvoir” : “Nous avons peu de raisons d’espérer qu’à un moment quelconque dans un avenir assez proche, ces hommes auront la même sagesse pratique et théorique que les hommes de la révolution américaine, qui devinrent les fondateurs de ce pays. Mais je crains que ce petit espoir soit le seul qui nous reste que la liberté au sens politique ne sera pas à nouveau effacée de la surface de la terre pour Dieu sait combien de siècles…”
Hannah Arendt : La liberté d'être libre. Payot 2019.