Il y a vraiment quelque chose qui cloche avec Emmanuel Macron. Tantôt le discours est volontariste et audacieux, exprimé dans une forme plutôt abrupte, mais relevant du bon sens et de la raison. Tantôt il use de précautions oratoires étonnantes et fait des concessions étranges à la correction politique, qu’on pourrait qualifier d’inutiles ou pire, qui risquent de rentrer en contradiction avec la politique qu’il sous-tend.
Par voie de conséquence, celle-ci reste difficile à lire, tant elle erre entre étatisme à l’ancienne et libéralisme débridé… Le Chef de l’Etat a certes des circonstances atténuantes. La France, comme il l’a fait remarquer, est rétive aux vraies réformes, probablement parce qu’elle a été bercée d’illusions durant des décennies voire des siècles. Est-ce donc un mal nécessaire que de louvoyer entre les contraires pour établir un cap à long terme ? C’est possible, mais pas certain.
La stratégie suivie en matière de santé publique, portée par madame Buzyn est à l’image de cette trajectoire quelque peu chaotique, parfois pragmatique, et parfois inféodée à de vieilles lunes idéologiques.
Passons sur la décision de rendre obligatoires un certain nombre de vaccinations (pas moins de 11 au lieu de 3…). C’est courageux eu égard à la controverse assez incroyable qui sévit depuis quelques années à ce sujet, fondée sur des croyances, des rumeurs ou plus simplement des a priori d’un autre âge. Tout au plus pourrait-on déplorer qu’au XXIè siècle il faille passer par la contrainte pour faire accepter des traitements dont le bénéfice devrait être aussi évident que le fait que la terre soit ronde .
Passons également sur le report de la généralisation du tiers payant voulu par le gouvernement précédent, qui devait s’appliquer à compter du premier décembre 2017. On peut quand même s’étonner que cette ineptie déresponsabilisante ne soit qu’ajournée et qu’une porte reste ouverte sur une mesure « généralisable » ultérieurement…
Plus discutables sont les mesures annoncées dans un entretien que la ministre de la santé a récemment accordé au Journal Du Dimanche (JDD).
Reprenant l’antienne égrenée depuis plusieurs années par les Pouvoirs Publics, madame Buzyn souhaite promouvoir encore et toujours la chirurgie ambulatoire, fixant l'objectif de 70% pour les opérations devant être pratiquées sans nuit passée à l’hôpital. Dans cette affaire, s’il n’est pas question de contester le bien-fondé de cette pratique, permise par le progrès pour un nombre croissant d’interventions, l’impression qui domine est qu’on confond la fin et les moyens. En la matière, qu’y a-t-il en effet de plus vain qu’un ukase administratif ? A quoi répond un tel dessein théorique ? Est-on certain que les patients s’en porteront systématiquement mieux ? Imagine-t-on que cette recommandation soit susceptible de générer des économies substantielles ?
Rien ne permet d’affirmer tout cela. En revanche, cette incitation à faire tourner plus vite les blocs opératoires risque bel et bien de pousser à faire le plus d’actes possible, ne serait-ce que pour rester rentable. En effet, tandis que les tarifs ne cessent de baisser, les cadences s’accélèrent vertigineusement, créant des tensions de plus en plus palpables sur les équipes soignantes.
Curieusement, dans le même temps, madame Buzyn propose justement de diminuer le nombre d’actes inutiles. D’un côté elle favorise la surenchère, de l’autre elle voudrait calmer le jeu en proposant que soient pris en compte des indicateurs de qualité des soins. De manière plutôt elliptique, elle annonce aux hôpitaux « un intéressement, dès lors qu’ils répondront aux objectifs de qualité, de pertinence et d’efficience des soins ». Joli programme qui n'a qu'un seul inconvénient, celui d'être très théorique et donc de déboucher probablement sur de nouvelles contraintes administratives pour quantifier la fameuse qualité...
Rappelons que depuis 2004, année de sa mise en œuvre dans un souci de "simplification" et "d’équité", la fameuse tarification à l’activité (T2A) n’a cessé de se complexifier. Conçue initialement pour facturer les prestations hospitalières au juste prix, et de manière forfaitaire, à partir d’indicateurs médicalisés, elle est devenue en quelques années un casino invraisemblable ou chacun essaie de manière frénétique de tirer parti des artifices et tarabiscotages d'une législation délirante, dans l'espoir de toucher le jackpot. Dans ce jeu de massacre, malheur à celui qui ne saisit pas en temps utile les opportunités permettant « d'optimiser » le codage. La T2A est inflationniste mais l'enveloppe étant fermée, le pactole des uns fait la ruine des autres.
A ceci s'ajoute le carcan normatif qui oblige tout le monde à se conformer à la même moyenne dorée, de durée des séjours, ou de taux de chirurgie ambulatoire, qui ergote à l'infini en termes de prise en charge, sur une bien mal nommée circulaire « frontière », devenue incompréhensible à force de vouloir tout préciser, ou qui rabote arbitrairement les tarifs et les pondère de quantités de coefficients, de réfactions ou de bonifications en tous genres...
Dans le train de mesures évoquées par la ministre, figure également la mutualisation des achats hospitaliers, notamment de médicaments, gage selon elle d’économies.
Elle semble ignorer que c’est l’une des mesures de la précédente réforme, qui a imposé la mise en place de groupements hospitaliers de territoires (GHT), justement à des fins de mutualisation...
Pour l’heure ce dispositif patine tant il s’avère confus et contradictoire. On demande aux hôpitaux de se regrouper au sein de nébuleux territoires de santé (qui ne recoupent aucune entité géographique connue antérieurement), mais ils conservent leur indépendance au plan juridique et financier.
Résultat, rien n'est clair ni prévisible dans cette usine à gaz hormis l'incoercible spirale concentrationnaire qui n'ose dire son nom, qui ramène tout aux mégalopoles, et qui étrangle peu à peu les petites structures « périphériques » en désertifiant méthodiquement le paysage alentour. C'est justement ce contre quoi le gouvernement annonce régulièrement qu’il veut lutter !
A ce jour pas d’économies en vue mais des déficits insurmontables pour quantité d’établissements en voie de déshérence. Comprenne qui pourra…
Bien qu’on l’entende peu, la marmite infernale du système de santé français est en ébullition. A chaque instant l'explosion menace. La soupape pour les Pouvoirs Publics, c'est la stratégie des belles paroles, des vœux pieux, et trop souvent du pourrissement.
Faute de vraie rénovation, on multiplie les réformettes, on entasse les couches sur le mastodonte bureaucratique, et on alterne les injonctions contradictoires. Par exemple, on augmente les prélèvements obligatoires pour réduire le déficit de la Sécurité Sociale et dans le même temps, on propose le remboursement intégral par l’Assurance Maladie des frais de lunetterie et les soins dentaires.
Et la dispendieuse et superfétatoire organisation du système, avec ses peu efficaces Agences Régionales de Santé et autres innombrables officines d’Etat, perdure, envers et contre tout. Tout comme le calamiteux monopole de l’Assurance Maladie obligatoire, fort onéreux, et qui répond de moins en moins à ses nobles objectifs initiaux…
Par voie de conséquence, celle-ci reste difficile à lire, tant elle erre entre étatisme à l’ancienne et libéralisme débridé… Le Chef de l’Etat a certes des circonstances atténuantes. La France, comme il l’a fait remarquer, est rétive aux vraies réformes, probablement parce qu’elle a été bercée d’illusions durant des décennies voire des siècles. Est-ce donc un mal nécessaire que de louvoyer entre les contraires pour établir un cap à long terme ? C’est possible, mais pas certain.
La stratégie suivie en matière de santé publique, portée par madame Buzyn est à l’image de cette trajectoire quelque peu chaotique, parfois pragmatique, et parfois inféodée à de vieilles lunes idéologiques.
Passons sur la décision de rendre obligatoires un certain nombre de vaccinations (pas moins de 11 au lieu de 3…). C’est courageux eu égard à la controverse assez incroyable qui sévit depuis quelques années à ce sujet, fondée sur des croyances, des rumeurs ou plus simplement des a priori d’un autre âge. Tout au plus pourrait-on déplorer qu’au XXIè siècle il faille passer par la contrainte pour faire accepter des traitements dont le bénéfice devrait être aussi évident que le fait que la terre soit ronde .
Passons également sur le report de la généralisation du tiers payant voulu par le gouvernement précédent, qui devait s’appliquer à compter du premier décembre 2017. On peut quand même s’étonner que cette ineptie déresponsabilisante ne soit qu’ajournée et qu’une porte reste ouverte sur une mesure « généralisable » ultérieurement…
Plus discutables sont les mesures annoncées dans un entretien que la ministre de la santé a récemment accordé au Journal Du Dimanche (JDD).
Reprenant l’antienne égrenée depuis plusieurs années par les Pouvoirs Publics, madame Buzyn souhaite promouvoir encore et toujours la chirurgie ambulatoire, fixant l'objectif de 70% pour les opérations devant être pratiquées sans nuit passée à l’hôpital. Dans cette affaire, s’il n’est pas question de contester le bien-fondé de cette pratique, permise par le progrès pour un nombre croissant d’interventions, l’impression qui domine est qu’on confond la fin et les moyens. En la matière, qu’y a-t-il en effet de plus vain qu’un ukase administratif ? A quoi répond un tel dessein théorique ? Est-on certain que les patients s’en porteront systématiquement mieux ? Imagine-t-on que cette recommandation soit susceptible de générer des économies substantielles ?
Rien ne permet d’affirmer tout cela. En revanche, cette incitation à faire tourner plus vite les blocs opératoires risque bel et bien de pousser à faire le plus d’actes possible, ne serait-ce que pour rester rentable. En effet, tandis que les tarifs ne cessent de baisser, les cadences s’accélèrent vertigineusement, créant des tensions de plus en plus palpables sur les équipes soignantes.
Curieusement, dans le même temps, madame Buzyn propose justement de diminuer le nombre d’actes inutiles. D’un côté elle favorise la surenchère, de l’autre elle voudrait calmer le jeu en proposant que soient pris en compte des indicateurs de qualité des soins. De manière plutôt elliptique, elle annonce aux hôpitaux « un intéressement, dès lors qu’ils répondront aux objectifs de qualité, de pertinence et d’efficience des soins ». Joli programme qui n'a qu'un seul inconvénient, celui d'être très théorique et donc de déboucher probablement sur de nouvelles contraintes administratives pour quantifier la fameuse qualité...
Rappelons que depuis 2004, année de sa mise en œuvre dans un souci de "simplification" et "d’équité", la fameuse tarification à l’activité (T2A) n’a cessé de se complexifier. Conçue initialement pour facturer les prestations hospitalières au juste prix, et de manière forfaitaire, à partir d’indicateurs médicalisés, elle est devenue en quelques années un casino invraisemblable ou chacun essaie de manière frénétique de tirer parti des artifices et tarabiscotages d'une législation délirante, dans l'espoir de toucher le jackpot. Dans ce jeu de massacre, malheur à celui qui ne saisit pas en temps utile les opportunités permettant « d'optimiser » le codage. La T2A est inflationniste mais l'enveloppe étant fermée, le pactole des uns fait la ruine des autres.
A ceci s'ajoute le carcan normatif qui oblige tout le monde à se conformer à la même moyenne dorée, de durée des séjours, ou de taux de chirurgie ambulatoire, qui ergote à l'infini en termes de prise en charge, sur une bien mal nommée circulaire « frontière », devenue incompréhensible à force de vouloir tout préciser, ou qui rabote arbitrairement les tarifs et les pondère de quantités de coefficients, de réfactions ou de bonifications en tous genres...
Dans le train de mesures évoquées par la ministre, figure également la mutualisation des achats hospitaliers, notamment de médicaments, gage selon elle d’économies.
Elle semble ignorer que c’est l’une des mesures de la précédente réforme, qui a imposé la mise en place de groupements hospitaliers de territoires (GHT), justement à des fins de mutualisation...
Pour l’heure ce dispositif patine tant il s’avère confus et contradictoire. On demande aux hôpitaux de se regrouper au sein de nébuleux territoires de santé (qui ne recoupent aucune entité géographique connue antérieurement), mais ils conservent leur indépendance au plan juridique et financier.
Résultat, rien n'est clair ni prévisible dans cette usine à gaz hormis l'incoercible spirale concentrationnaire qui n'ose dire son nom, qui ramène tout aux mégalopoles, et qui étrangle peu à peu les petites structures « périphériques » en désertifiant méthodiquement le paysage alentour. C'est justement ce contre quoi le gouvernement annonce régulièrement qu’il veut lutter !
A ce jour pas d’économies en vue mais des déficits insurmontables pour quantité d’établissements en voie de déshérence. Comprenne qui pourra…
Bien qu’on l’entende peu, la marmite infernale du système de santé français est en ébullition. A chaque instant l'explosion menace. La soupape pour les Pouvoirs Publics, c'est la stratégie des belles paroles, des vœux pieux, et trop souvent du pourrissement.
Faute de vraie rénovation, on multiplie les réformettes, on entasse les couches sur le mastodonte bureaucratique, et on alterne les injonctions contradictoires. Par exemple, on augmente les prélèvements obligatoires pour réduire le déficit de la Sécurité Sociale et dans le même temps, on propose le remboursement intégral par l’Assurance Maladie des frais de lunetterie et les soins dentaires.
Et la dispendieuse et superfétatoire organisation du système, avec ses peu efficaces Agences Régionales de Santé et autres innombrables officines d’Etat, perdure, envers et contre tout. Tout comme le calamiteux monopole de l’Assurance Maladie obligatoire, fort onéreux, et qui répond de moins en moins à ses nobles objectifs initiaux…