Le 7 septembre dernier Elise Lucet a gratifié les téléspectateurs d’une de ces enquêtes qui ont fait sa marque : racoleuse, partisane et agressive. Pour tout dire, de fort mauvaise foi...
Elle s’en prenait aux nouvelles méthodes de gestion des hôpitaux publics en affublant son reportage d’un titre qui révélait sans nuance et sans ambiguïté la teneur de son propos : “Hôpital Public, la loi du marché”.
Il n’est pas trop difficile de résumer la thèse : à partir du constat que rien ne va plus dans les établissements de santé publics, il s’agit de déverser un feu roulant d’accusations, toutes dirigées contre “la logique économique digne d’une entreprise privée qui s’est peu à peu mise en place dans les établissements.”
Or s'il est vrai qu’un malaise règne dans les hôpitaux, il n’est pas nouveau et ses causes sont bien loin d’être expliquées par le discours sectaire de la journaliste en mal de scandale.
Certes, il suffit de se rendre sur place pour ressentir une certaine morosité du personnel, voire comme le dit la voix off du reportage, de constater que “les infirmières les aides-soignants, les médecins sont souvent débordés, exténués.”
En revanche, s’il y a un problème assurément, c’est abuser que de conclure à propos du cas certes dramatique d’une infirmière, que “leur désespoir peut même les conduire au suicide.”
D’emblée le ton est pourtant donné. Tout ce qui sera montré par la suite relève de la caricature, voire de la désinformation.
Certes le système de gestion financière des établissements de santé a connu quelques mutations. De la facturation aux prix de journées qui était en vigueur jusqu’en 1983, on est passé au Budget Global jusqu’en 2003, puis à la Tarification à l’Activité en 2004 (on dit aussi T2A). Mais établir un lien direct de causalité entre celle-ci et le vécu difficile sur le terrain relève de l’extrapolation hasardeuse, à laquelle madame Lucet et son équipe n’hésite pas à se livrer, révélant ainsi ses arrière-pensées idéologiques bien plus que son prétendu souci de fournir des explications rationnelles.
On ne peut raisonnablement accuser la T2A d’avoir bouleversé si négativement le système, surtout si on la compare aux modalités qui l’ont précédée. On se souvient en effet des effets pervers induits par les antiques prix de journées qui ne distinguaient très grossièrement que deux ou trois types de prestations différentes et poussaient les gestionnaires à garder les lits occupés pour optimiser les recettes.
Le budget global quant à lui introduisit la rigidité et l'arbitraire, enfermant dans un carcan nombre d’établissements dynamiques, et distribuant à d'autres l'argent avec une prodigalité excessive.
On peut certes reprocher à la T2A d'avoir failli à son objectif principal qui était de simplifier les règles de facturation grâce à une évaluation forfaitaire du coût des séjours. On peut déplorer son caractère inflationniste puisqu'elle pousse à multiplier les prestations. On peut enfin juger absurde le fait qu'elle soit malgré tout contrainte par une enveloppe financière nationale inextensible, le fameux Objectif National de Dépenses de l'Assurance Maladie (ONDAM).
On peut certes reprocher à la T2A d'avoir failli à son objectif principal qui était de simplifier les règles de facturation grâce à une évaluation forfaitaire du coût des séjours. On peut déplorer son caractère inflationniste puisqu'elle pousse à multiplier les prestations. On peut enfin juger absurde le fait qu'elle soit malgré tout contrainte par une enveloppe financière nationale inextensible, le fameux Objectif National de Dépenses de l'Assurance Maladie (ONDAM).
Mais en dépit de ses défauts, l’attribution des ressources financières en fonction de l’activité décrite à partir d’indicateurs médicalisés est sans doute la moins mauvaise façon de procéder, et la plus équitable.
Là n’est donc pas le problème.
S'agissant de l’exigence, en matière de santé comme ailleurs, d’atteindre l’équilibre financier, elle n’est pas non plus quelque chose qu’on pourrait qualifier d’indécent. Il faut être un doux rêveur ou bien totalement irresponsable pour affirmer que la santé n’est pas une marchandise monnayable, et qu’elle ne doit pas être soumise à l’impératif de rentabilité.
S'agissant de l’exigence, en matière de santé comme ailleurs, d’atteindre l’équilibre financier, elle n’est pas non plus quelque chose qu’on pourrait qualifier d’indécent. Il faut être un doux rêveur ou bien totalement irresponsable pour affirmer que la santé n’est pas une marchandise monnayable, et qu’elle ne doit pas être soumise à l’impératif de rentabilité.
Est-il donc si extravagant de se préoccuper de trouver les recettes financières qui permettront de rémunérer les personnels dévoués aux soins, qui ne peuvent se contenter pour vivre, d’un peu d’amour et d’eau fraîche ?
Lorsque, se réclamant du défunt économiste de gauche Bernard Maris, Patrick Pelloux préconise “d’effacer la dette de la Sécu, et tant pis pour les rentiers de la dette”, il ne fait que souligner l’imbécillité profonde de l’utopie bien-pensante qui n’a que faire de la réalité. Il s'inscrit également dans le raisonnement à sens unique dont est friande madame Lucet.
Hormis deux ou trois malheureux directeurs d’établissements, pris au dépourvu par les “enquêteurs” et sommés de s’expliquer sur les dérives du système de gestion de leurs établissements, tous les témoins sont à charge. Il n’y a qu’un son de cloche, et il ne fait que ressasser les vieilles antiennes anti-capitalistes et anti-libérales, cela va de soi.
Dès lors, le pseudo-débat s’enlise dans les poncifs de l’alter-économie à visage humain, généreux, solidaire, et tout le toutim classique des culs-bénis de la justice sociale. Leur rhétorique simpliste se borne à réclamer toujours “plus de moyens” à l’Etat, massacrant sur l’autel du Service Public, toutes les initiatives privées et naturellement les Laboratoires Pharmaceutiques, bêtes noires obligées.
L’argumentation se résume en règle à des slogans dans le plus pur style syndical. Par exemple on entend une personne s'exclamer : "Tandis qu'on humanise de plus en plus les robots, on nous transforme en robots."
Pourtant, par un paradoxe étonnant, c’est précisément la négation du coût des soins qui est sans doute une des causes principales de la déshumanisation des établissements de santé !
Pourtant, par un paradoxe étonnant, c’est précisément la négation du coût des soins qui est sans doute une des causes principales de la déshumanisation des établissements de santé !
A force d’avoir laissé filer les déficits (plus de 100 milliards d’euros cumulés sur une quinzaine d’années pour l’Assurance Maladie), à force d’avoir laissé penser à la population que la santé était gratuite, on a contribué à fragiliser le système. Chacun estime depuis trop longtemps avoir le droit d’en profiter, sans avoir à le payer.
Les gouvernants ont trop flatté et depuis trop longtemps ces penchants, en proposant par exemple dernièrement la généralisation du fameux tiers payant, ou le remboursement intégral des lunettes et des soins dentaires.
Les gouvernants ont trop flatté et depuis trop longtemps ces penchants, en proposant par exemple dernièrement la généralisation du fameux tiers payant, ou le remboursement intégral des lunettes et des soins dentaires.
Aujourd’hui l’endettement de l’Etat est devenu si massif qu’il impose des révisions déchirantes. Et si les plans d’économies semblent tellement douloureux, c’est qu’après tant de démagogie, les Pouvoirs Publics rechignent toujours à dire la vérité, et parce que bon nombre de médias préfèrent aux enquêtes réalistes, celles qui flattent les illusions ou nourrissent des indignations stériles.
Curieusement, c’est à ce moment délicat, où s'esquisse une tentative de redressement financier, que la confiance si indispensable au bon déroulement de soins se met à s’effriter.
Alors que la médicalisation a envahi progressivement la vie quotidienne au point que tout ou presque relève désormais de la médecine, tout dérape. Les exigences de moyens ont été remplacées par celles de résultats. On tolère de plus en plus difficilement les aléas, ou simplement les limites et les incertitudes de la science. Un climat de défiance s’est installé entre les patients et leurs soignants et une dérive procédurière se répand, favorisé par l’écho médiatique surdimensionné donné à chaque incident, à chaque impondérable.
Encore plus surprenant, les rumeurs les plus infondées, et les charlataneries les plus stupides se répandent comme trainées de poudre. On reproche à la science de ne pas tout résoudre et on s'abandonne aux pires croyances. Quelle époque étrange !
Encore plus surprenant, les rumeurs les plus infondées, et les charlataneries les plus stupides se répandent comme trainées de poudre. On reproche à la science de ne pas tout résoudre et on s'abandonne aux pires croyances. Quelle époque étrange !
Confronté à tous ces défis qu’il ne sait plus résoudre avec bon sens et pragmatisme, le système sécrète à un rythme effréné, des réformes et des normes tous azimuts.
Les hôpitaux et cliniques sont certes poussés à la productivité et à l'industrialisation des soins, et à l’instar de la grande distribution, ils sont soumis à la compression des coûts et des marges bénéficiaires.
Et tandis qu'on compte les sous, le monopole sans partage de la Sécurité Sociale masque sa faillite et ses insuffisances sous des flopées de règles, aussi complexes et changeantes que la météo, et se livre à des contrôles aussi tatillons qu'inefficaces.
Pour tenter de faire perdurer un modèle à bout de souffle, l’Etat grand maître-d’oeuvre, change sans cesse l’organisation hospitalière.
Après avoir durant des décennies cherché à la décloisonner et à la déconcentrer, il a entamé un vaste mouvement concentrationnaire qui n'ose dire son nom. Les Agences Régionales de Santé, qui constituent les bras armés de l’État, sont chargées de décliner sur le terrain cette politique aussi veule que calamiteuse. Face à ces mastodontes administratifs sans âme ni visage, les Directeurs d’établissements de soins ont perdu à peu près tout pouvoir et toute marge de manœuvre. Ils sont condamnés à mettre en œuvre une stratégie qui étouffe à bas bruit les petites structures noyées dans les normes ubuesques de fonctionnement et condamnées de facto à générer des déficits budgétaires incontrôlables. Pendant qu’elles meurent à petit feu, on pérennise le gigantisme des CHU et des mégalopoles.
A l’heure où l’on pourrait espérer tant de souplesse dans la couverture hospitalière, grâce aux télécommunications, on assiste à une désertification sans précédent. Et plus l’échec de la planification devient patent, plus on la renforce...
Après avoir durant des décennies cherché à la décloisonner et à la déconcentrer, il a entamé un vaste mouvement concentrationnaire qui n'ose dire son nom. Les Agences Régionales de Santé, qui constituent les bras armés de l’État, sont chargées de décliner sur le terrain cette politique aussi veule que calamiteuse. Face à ces mastodontes administratifs sans âme ni visage, les Directeurs d’établissements de soins ont perdu à peu près tout pouvoir et toute marge de manœuvre. Ils sont condamnés à mettre en œuvre une stratégie qui étouffe à bas bruit les petites structures noyées dans les normes ubuesques de fonctionnement et condamnées de facto à générer des déficits budgétaires incontrôlables. Pendant qu’elles meurent à petit feu, on pérennise le gigantisme des CHU et des mégalopoles.
A l’heure où l’on pourrait espérer tant de souplesse dans la couverture hospitalière, grâce aux télécommunications, on assiste à une désertification sans précédent. Et plus l’échec de la planification devient patent, plus on la renforce...
La qualité des soins pour laquelle on a créé spécialement l’emblématique “Haute Autorité en Santé”, passe désormais par des procédures arides qui quantifient tout et imposent que tout soit écrit et tracé en bonne et due forme, c'est à dire insipide et pasteurisée. Loin de faciliter la prise en charge des patients cet envahissant arsenal médico-légal s’avère surtout responsable d’une irrépressible inflation bureaucratique.
Confrontés à cette furieuse soviétisation stakhanoviste, il n’est pas étonnant que les personnels, qualifiés par le volapük technocratique de simples “ressources humaines”, s’épuisent, et se découragent.
En bref, ce qui se passe est à peu près à l’inverse de la thèse soutenue par madame Lucet. Le système se meurt par manque de liberté, par manque de confiance et par l’écrasement systématique des initiatives locales par le marteau pilon de l'Administration Centrale. Tout le contraire en somme du libéralisme bien pensé, qui pourrait s’opposer à cette effrayante usine à gaz ressemblant toujours plus à la “machine à décerveler” de Père Ubu...
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