04 mars 2012

Extinction dialectique


Si la crise économique ronge de manière inquiétante les fondations matérielles de notre société, la crise morale et dialectique qui sévit dans les esprits paraît pire encore.
A lire ou à entendre les médiocres argumentaires développés dans les tribunes contemporaines, et répercutés ad libitum par l'écho médiatique, il est difficile de réprimer l'écœurement. Le dégoût côtoie l'abattement face à un tel déclin intellectuel et un aussi tragique appauvrissement de la pensée.
Alors que l'esprit français était autrefois synonyme d'élégance et d'invention, qu'on se piquait d'avoir du goût et de la mesure, qu'on se faisait un devoir de respecter ses adversaires, et qu'on pensait indispensable de relever toute bonne conversation d'un zeste d'humour, force est de constater qu'aujourd'hui, ces préoccupations font partie d'un passé évanoui.
Le consensus, le rassemblement, l'unité sont pourtant devenus des poncifs auxquels il est de bon ton de se référer. Mais ces mielleuses intentions sont comme un couvercle étouffant posé sur le chaudron des idées. En dessous, dans l'infâme court-bouillon, tout se déforme, se racornit, et finit en résidus sans saveur ni substance. Le débat politique est devenu quasi insignifiant à force de s'attacher à des détails microscopiques ou a d'exaspérants lieux-communs. Curieusement, l'outrance croît à mesure que s'atrophient les perspectives, tandis que l'humour quant à lui, patauge dans le rabâchage et la dérision, avec de grosses semelles de plomb.

Ainsi durant cinq années, l'intelligentsia verrouillant les médias, s'acharna à réduire le mandat de l'actuel président de la République à sa soirée post-électorale au Fouquet's, à un bref moment de détente sur le yacht d'un ami, à une apostrophe triviale jetée à un importun. Cette même intelligentsia en gants blancs prit un plaisir morbide à résumer toutes les réformes à une inepte mais bien anodine mesure de bouclier fiscal.
Même si la critique est légitime et nécessaire, c'est faire insulte à sa propre intelligence que de ne trouver rien d'autre de plus intéressant à dire...
Surtout lorsqu'on n'a pas mieux à proposer qu'un programme erratique et contradictoire , où pour sortir de la crise, on se fait fort de doper la production de richesses, tout en affichant une détestation obsessionnelle « des riches », ou bien qu'on promet l'alternance démocratique et le retour à un état impartial en annonçant par avance en cas de victoire, l'éviction de tous les hauts-fonctionnaires suspects d'être proches du camp opposé. Qui peut, dans un tel contexte, être assez niais pour espérer des jours meilleurs ?

Dans ce marasme les débats restent incroyablement manichéens derrière le décorum de la correction politique. L'argumentation se résume quasi systématiquement à l'invective ou au rejet primaire de l'autre.
Au sommet de cette minable escalade, il y a le fameux point Godwin, qui est devenu l'alpha et l'omega de toute discussion. Impossible d'échapper à la reductio ad hitlerum qu'il sous-tend de manière diabolique.
Un récent exemple de cette perversion de la dialectique fut donné par le député socialiste Letchimy qui le 7 février dernier en pleine Assemblée Nationale, fit du ministre de l'intérieur Claude Guéant un suppôt de l'idéologie nazie au motif qu'il s'était permis d'affirmer que « toutes les civilisations ne se valent pas » !
Ce dernier s'offusqua à juste titre de l'énormité de l'injure, mais par une consternante inconséquence, se livra peu ou prou au même exercice quelques jours plus tard, en considérant que le Front National était un parti « nationaliste » et « socialiste » !
Si l'on ne brûle plus les hérétiques comme on le fit pour Jeanne d'Arc ou Giordano Bruno, force est de constater que les procès en diabolisation sont légions par les temps qui courent et que les émules de Cauchon pullulent dans les nouveaux tribunaux de la pensée.
Comment expliquer la montée de cette rhétorique absurde ? S'agit-il des restes d'une vieille rancœur née dans le tumulte revanchard des révolutions, des vestiges haineux d'une lutte des classes déconfite, ou bien peut-être des pestilences qui continuent de suinter des plaies jamais cicatrisées du drame de l'an quarante ?
C'est peu de dire que ces incessantes saillies ramenant à un passé honni sont usantes. Elles sont absolument indignes d'une démocratie évoluée, et tout citoyen raisonnable ne peut qu'avoir honte de ce qu'elles montrent de son pays. Au surplus, non seulement elles sont stériles, mais elles altèrent l'essence même de la liberté d'expression.

Hélas, si le pire n'est jamais certain, l'avenir a de quoi préoccuper.
Le zèle paradoxal du législateur pour réglementer toujours plus la liberté d'expression est une source supplémentaire d'inquiétude. Certes le dernier et absurde projet de loi sur le génocide arménien a été temporairement repoussée par le Conseil Constitutionnel, mais l'horizon reste en ce domaine très sombre. Alors qu'on se jette quotidiennement à la figure des injures faisant odieusement référence aux pires moments du passé, on voudrait dans le même temps, « normaliser » l'interprétation de ce même passé...
abyssus abyssum invocat...

9 commentaires:

ariane.h a dit…

j'adore vous lire ! merci d'exister !

Pierre-Henri Thoreux a dit…

Si vous saviez combien un petit témoignage comme le vôtre réchauffe l'âme...
Merci

Alex a dit…

Bonne chronique comme toujours..

Et dire qu'il faut aller voter dans 1 mois et demi, quelle misère...


PS : Merci à vous de passer régulièrement sur mon blog.

Alex a dit…

PS : J'ai créé un lien de votre blog sur le mien, étant donné que je reçois en moyenne 700 visites par jour, cela devrait vous faire de nouveaux visiteurs dans votre espace, très éloigné de mes principaux centres d'intérêt, mais o combien nécessaire de nos jours.

Pierre-Henri Thoreux a dit…

Merci Alexandre, et bravo pour votre blog très attractif, qui rend de vibrants et sincères hommage au 7è art. Je le parcours effectivement régulièrement et suis admiratif de votre enthousiasme, et naturellement des portraits d'actrices que vous savez rendre fascinantes. Intéressé également par vos analyses, par exemple du dernier film d'Angelina Jolie, que j'ai envie de découvrir.
Bien amicalement.

Anonyme a dit…

Bien sûr PIERRE, mais ne crois tu pas que Sarkozy ramasse ce qu'il a semé ? il adorait ce milieu show-biz et paillettes, son mariage n'en est qu'un simple reflet. Le Fouquets et le reste tout çà on s'en fiche, et la plupart des gens aussi, mais ces pauvres journalistes bobos de gauche, bien lottis avec leurs fiches de paye replettes, et leurs avantages fiscaux, pensent qu'ils font la pluie et le beau temps... Si Sarkozy les avait renvoyés un peu plus dans les cordes il n'en serait pas là. Comment peut on encore donner sa confiance à un tel pantin que l'on a vu à l'oeuvre pendant 5 ans, et dont les principaux faits d'armes passés à la postérité seront outre ces "gags", le sommet "africain", avec tous ces braves despotes non éclairés, qui sont venus "pisser" aux Champs Elysés ?, son incapacité de remettre la SNCF au boulot, la grève des enseignants !!! qui bossent encore trop....,et à qui il veut donner 500 euros !!! et éventuellement Clearstream et sa vengeance personnelle... J'en oublie certainement, son mépris face aux médecins, avec ses deux vedettes, Roselyne et Xavier pitoyables, guignols, et toutes ces taxes routières et autres. Et je ne parle pas de la fronde des "hommes de loi" maitres chez eux et ingérables, de la violence et de la délinquance... Un piètre sire, guère mieux que Tonton ("flingueur"), ou le Grand Jacques... La seule bonne idée vient de Hollande avec sa taxe sur les salaires scandaleux des footeux. Ramone

Anonyme a dit…

merci d'avoir exilé Philippe Bilger de votre Blogroll

Pierre-Henri Thoreux a dit…

A Ramone : je suis loin d'avoir une admiration béate pour N . Sarkozy. Mais quand même ! Je trouve le terme « pantin » un peu sévère, ainsi que « guignol » pour ses ministres. Le vrai problème est qu'une partie de la France (celle hélas qu'on entend le plus fort et qu'on voit le plus) se comporte de manière très arriérée, donnant du pays l'impression qu'il s'agit d'un succédané de démocratie. Dans cette France, on cultive le manichéisme le plus primaire qui soit, la manie égalitaire tandis qu'on on y envie sans cesse son voisin. Celui qui réussit est un salaud, celui qui échoue un crétin, c'est vachement constructif. Le mythe des avantages acquis est l'objet d'un culte délirant. Et le conservatisme vis à vis de la forme, et du protocole se situe à mi chemin entre l'hypocrisie et le gâtisme.
NS a donc beaucoup de circonstances atténuantes (en plus de la crise). Il est sans doute le pire des candidats actuels... à l'exclusion de tous les autres !
Qui sait ? Après le déluge nauséabond de saloperies anti-sarkozystes, après les immondes procès en sorcellerie, peut-être qu'une France plus silencieuse va s'exprimer dans les urnes...
A Anonyme : Jolie perspicacité. Cela dit, il n'y a pas vraiment de volonté d'exiler le blog de M. Bilger que je trouve intéressant. Mais je crois qu'il tourne un peu en rond dans sa tour d'ivoire ces derniers temps, et de toute manière il n'a vraiment pas besoin de moi pour servir de rabatteur....

Anonyme a dit…

Ah, la "majorité silencieuse", dernier avatar de Mai 68 à conserver coûte que coûte celui-là ! Il est évident que quand on dit "si tu fais grève je te vire", ben... on se tait !
Sinon c'est magnifique : sous la grosse couche de crasse, on sent bien l'amour de son prochain et l'humanisme de ces "combattants de la Liberté" (rires) ! Enseignants (50% des américains ne savent pas situer l'Angleterre sur une carte, mais y'a pas besoin, hein, pour bosser 48 heures par semaine dans une multinationale contre une poignée de dollars...), magistrats, SNCF (le réseau ferroviaire anglais, une grande réussite du thatchérisme !), manquent juste à l'appel la Poste et EDF et le tableau était complet. Bon, y'a quand même le couplet sur la "délinquance" et les "bobos". Mais y'a aussi un bon point pour Hollande (un éclair de lucidité ?) : gaffe à la "haine" à l'égard de "ceux qui réussissent" (taper dans un ballon) ! Rien sur les inégalités croissantes (normal, elles sont inhérentes au libéralisme, dixit Madelin), la précarité (normal : c'est la recette miracle des libéraux contre le chômage), les files d'attente à Pôle Emploi et aux Restos du Coeur qui s'allongent (pas grave, on a même réussi à faire croire aux gens que le chômage, c'était de la faute des chômeurs). Beurk ! Allez les p'tits loups, je vous laisse à vos auto-congratulations et vous boirez le champagne le 6 Mai pour fêter le sacre de votre favori et rendez-vous dans 5 ans lorsque le chef-d'oeuvre du paradis libéral sera achevé (comme les States, de grandes mégalopoles avec de la misère tout autour) !