La publication récente d’une bibliographie qui lui est consacrée*, est l’occasion de s’arrêter un peu sur l’extraordinaire destin de l’écrivain allemand Ernst Jünger. Né en 1895, il ne quittera ce monde que 103 ans après, ayant couvert la quasi totalité du XXè siècle, un des plus terribles qui fut.
Il eut ainsi le privilège de voir passer à deux reprises la comète de Halley qui ne nous rend visite que tous les 76 ans ! Et pour sa seconde rencontre avec l’astre en 1986, il n’hésita pas, à 91 ans, à faire le déplacement à Singapour et Sumatra…
Il aura connu également les deux guerres mondiales dont il vécut les horreurs comme soldat, sous l’uniforme de son pays.
Après un bref passage dans la Légion Etrangère, qui resta pour lui une erreur de jeunesse due à un tempérament aventurier, il est mobilisé en 1914 à l’âge de19 ans. Comme pour beaucoup de ses contemporains, la perspective de combattre n’était pas effrayante, bien au contraire. Comme il l’écrira plus tard, “La guerre nous avait saisi comme une ivresse. C’est sous une pluie de fleurs que nous étions partis, grisés de roses et de sang.”
Il déchantera toutefois vite et racontera dans un de ses ouvrages les plus célèbres, “Orages d’aciers”, la terrifiante expérience qu’il fit alors.
Peu d’ouvrages ont décrit de manière aussi saisissante l'atrocité et parfois l’absurdité des combats qui durèrent 4 longues années. La seule bataille de la Somme, commencée en juin 1916 fit plus d’un million de morts parmi les combattants (420.000 anglais, 200.000 Français, 450.000 Allemands) ! Soixante mille Britanniques tombèrent dès le premier jour et 1,5 million d’obus furent tirés sur un rectangle de 25 km sur 2 ! On dit qu’il s’agit d’une des batailles les plus meurtrières de tous les temps, marquée notamment par un usage intensif des gaz, une des premières armes de destruction massive.
Pendant tout le conflit, le jeune Ernst, qui fut blessé quatorze fois, garde pourtant un moral inoxydable, dénué d’état d’âme, tant il a chevillés au corps le caractère intangible de son devoir et la fierté d’être allemand. Les horreurs ne semblent pas l’émouvoir. Ni cruauté, ni sentimentalisme n’affectent la volonté du jeune homme qui n’a qu’un objectif, remplir au mieux sa mission, et qui se forge au feu des balles, des grenades et des bombes, l’idée que la guerre est une fatalité consubstantielle à la nature humaine ("La guerre, notre mère" ira-t-il jusqu'à écrire).
La dureté de cette épreuve et l’humiliation subie par son pays vaincu, expliquent sans doute le fort sentiment nationaliste qui s’empare de lui, une fois la paix revenue. Ce qui devient rapidement une véritable exaltation, va s’accompagner d’une haine croissante pour la démocratie, représentée par la molle république de Weimar, dans laquelle il voit se déliter les derniers restes de l’honneur de la nation allemande.
Alors qu’il n'avait jamais manifesté d'opinion politique, que les causes même du conflit semblaient l'indifférer, il s’essaie au journalisme, et son propos devient brutalement polémique, appelant même sans détour à une révolution violente. En 1925, il écrit ainsi que : “le jour où l’Etat parlementaire s’effondrera sous notre impulsion et où nous proclamerons la dictature nationale sera notre plus beau jour de fête.”
Nul doute qu’à l’époque, ainsi que le relève son biographe Julien Hervier, il a quelque sympathie pour le national-socialisme en train de prendre forme. Il revendique même la croix gammée comme bannière de cette aspiration nouvelle, populaire, "qui remplacera la parole par l'acte, l'encre par le sang, le verbiage par le sacrifice, la plume par l'épée..."
Doit-on lui tenir rigueur définitivement comme certains le firent, pour cet engagement aussi fougueux que fugace ? A chacun de juger. En tout cas, il mérite au moins des circonstances atténuantes car il s'inscrivait dans une conjoncture si troublée que beaucoup perdirent bien plus que lui la raison. Surtout, et se garda sagement de tout enrôlement dans les légions hitlériennes, vis à vis desquelles il déchanta d'ailleurs très vite. Jamais d'ailleurs durant sa vie, il ne fut inféodé à quelque parti ou à quelque idéologie. Avec son oeuvre littéraire monumentale, et sa culture éclectique, c'est précisément ce qui fait l'intérêt du personnage...
A suivre sous ce lien : Ernst Jünger, une destinée séculaire 2
* Ernst Jünger, dans les tempêtes du siècle. Julien Hervier. Fayard 2014
Il eut ainsi le privilège de voir passer à deux reprises la comète de Halley qui ne nous rend visite que tous les 76 ans ! Et pour sa seconde rencontre avec l’astre en 1986, il n’hésita pas, à 91 ans, à faire le déplacement à Singapour et Sumatra…
Il aura connu également les deux guerres mondiales dont il vécut les horreurs comme soldat, sous l’uniforme de son pays.
Après un bref passage dans la Légion Etrangère, qui resta pour lui une erreur de jeunesse due à un tempérament aventurier, il est mobilisé en 1914 à l’âge de19 ans. Comme pour beaucoup de ses contemporains, la perspective de combattre n’était pas effrayante, bien au contraire. Comme il l’écrira plus tard, “La guerre nous avait saisi comme une ivresse. C’est sous une pluie de fleurs que nous étions partis, grisés de roses et de sang.”
Il déchantera toutefois vite et racontera dans un de ses ouvrages les plus célèbres, “Orages d’aciers”, la terrifiante expérience qu’il fit alors.
Peu d’ouvrages ont décrit de manière aussi saisissante l'atrocité et parfois l’absurdité des combats qui durèrent 4 longues années. La seule bataille de la Somme, commencée en juin 1916 fit plus d’un million de morts parmi les combattants (420.000 anglais, 200.000 Français, 450.000 Allemands) ! Soixante mille Britanniques tombèrent dès le premier jour et 1,5 million d’obus furent tirés sur un rectangle de 25 km sur 2 ! On dit qu’il s’agit d’une des batailles les plus meurtrières de tous les temps, marquée notamment par un usage intensif des gaz, une des premières armes de destruction massive.
Pendant tout le conflit, le jeune Ernst, qui fut blessé quatorze fois, garde pourtant un moral inoxydable, dénué d’état d’âme, tant il a chevillés au corps le caractère intangible de son devoir et la fierté d’être allemand. Les horreurs ne semblent pas l’émouvoir. Ni cruauté, ni sentimentalisme n’affectent la volonté du jeune homme qui n’a qu’un objectif, remplir au mieux sa mission, et qui se forge au feu des balles, des grenades et des bombes, l’idée que la guerre est une fatalité consubstantielle à la nature humaine ("La guerre, notre mère" ira-t-il jusqu'à écrire).
La dureté de cette épreuve et l’humiliation subie par son pays vaincu, expliquent sans doute le fort sentiment nationaliste qui s’empare de lui, une fois la paix revenue. Ce qui devient rapidement une véritable exaltation, va s’accompagner d’une haine croissante pour la démocratie, représentée par la molle république de Weimar, dans laquelle il voit se déliter les derniers restes de l’honneur de la nation allemande.
Alors qu’il n'avait jamais manifesté d'opinion politique, que les causes même du conflit semblaient l'indifférer, il s’essaie au journalisme, et son propos devient brutalement polémique, appelant même sans détour à une révolution violente. En 1925, il écrit ainsi que : “le jour où l’Etat parlementaire s’effondrera sous notre impulsion et où nous proclamerons la dictature nationale sera notre plus beau jour de fête.”
Nul doute qu’à l’époque, ainsi que le relève son biographe Julien Hervier, il a quelque sympathie pour le national-socialisme en train de prendre forme. Il revendique même la croix gammée comme bannière de cette aspiration nouvelle, populaire, "qui remplacera la parole par l'acte, l'encre par le sang, le verbiage par le sacrifice, la plume par l'épée..."
Doit-on lui tenir rigueur définitivement comme certains le firent, pour cet engagement aussi fougueux que fugace ? A chacun de juger. En tout cas, il mérite au moins des circonstances atténuantes car il s'inscrivait dans une conjoncture si troublée que beaucoup perdirent bien plus que lui la raison. Surtout, et se garda sagement de tout enrôlement dans les légions hitlériennes, vis à vis desquelles il déchanta d'ailleurs très vite. Jamais d'ailleurs durant sa vie, il ne fut inféodé à quelque parti ou à quelque idéologie. Avec son oeuvre littéraire monumentale, et sa culture éclectique, c'est précisément ce qui fait l'intérêt du personnage...
A suivre sous ce lien : Ernst Jünger, une destinée séculaire 2
* Ernst Jünger, dans les tempêtes du siècle. Julien Hervier. Fayard 2014
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