21 septembre 2021

L'art de l'emballage

L'Arc de Triomphe est empaqueté ! Succulent symbole d'une société en manque d'inspiration, blasée, lassée de tout, prête à toutes les folies pourvu qu'elles soient originales, et peu importe qu’elles soient vaines, et dispendieuses !
Pour réaliser ce chef-d'œuvre de l’absurdité triomphante, on a fait appel, avec la bénédiction des Pouvoirs Publics, à pas moins de mille ouvriers dont une brigade d’alpinistes, qui ont déployé 2500 m2 de toile synthétique et 3 kilomètres de cordes ! Tout ceci a coûté la bagatelle de 14 millions d’euros, sans débours paraît-il d’un seul centime d’argent public...
L’installation gigantesque pourra être admirée par les badauds du 18 septembre au 3 octobre.
On cherche vainement une symbolique artistique à ce gros chantier.
Faut-il voir dans cette monstruosité, une allusion aux pratiques sadomasochistes qui consistent à se faire ligoter et bâillonner pour éprouver du plaisir ? Est-ce la célébration du voile qui sert à cacher tant de vérités et qu’on voit à l'œuvre dans certaines contrées rétrogrades pour asservir si ce n’est nier la condition féminine ? Est-ce tout simplement le signe qu’on attache désormais plus d’importance au contenant qu’au contenu, à la forme qu’au fond, au flacon qu’à l’ivresse ?

Nos dirigeants sont quant à eux tout simplement emballés par l’initiative.
Il se sont empressés de rendre hommage à ce qui incarne si bien l’inanité de leurs promesses et beaux discours (car de conviction et d’action, chacun sait qu’il n’y a plus…). 
L’inénarrable Roselyne Bachelot planait dans un état second. Elle déclara avec un sérieux pontifical, “qu’il s’agissait d’un formidable présent aux Parisiens, aux Français et au-delà, à tous les amateurs de l'art”. L'empaquetage de l'Arc de Triomphe, ajouta-t-elle, “introduit dans notre espace des métamorphoses douces pendant quelques jours”. Plus fort encore: “Je reçois ce geste monumental comme un appel à la liberté!”
Comment peut-on parvenir à ce niveau de sottise quand on occupe une fonction comme la sienne, that is the question. Sans doute est-ce la preuve irréfragable que le ministère de la culture ne sert vraiment à rien...
M. Macron était sur le même petit nuage lorsqu’il déclama son extase: “c'était un rêve fou et vous l'avez accompli !”, un projet “qui ne coûte rien au contribuable et qui participe du rayonnement de la France!”
On l’a vu plus sévère avec les malheureux athlètes de retour du Japon, couverts de médailles, qui se sont pourtant vus sermonner au motif que la moisson était, aux yeux du guide de la Nation, insuffisante ! Il reste beaucoup plus discret en revanche pour commenter le colossal fiasco de notre politique internationale, dont il est pourtant pleinement responsable, à l'occasion de la rupture, en apparence inattendue, du “contrat du siècle” avec l’Australie, qui fait prendre conscience une fois encore, que la France s’est enfermée dans un orgueil suranné, pendant que le monde se fait autour d’elle...

14 septembre 2021

Comités de Censure

L’époque est à la déraison réglementaire, le constat n’est pas nouveau. Aujourd’hui c’est le domaine de l’information qui est touché par la manie ubuesque de tout contrôler, de quadriller l’espace de la réflexion et du débat, et de décréter ex cathedra ce qu’il est loisible d’exprimer ou de penser.
Eric Zemmour en fait les frais. Le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA), nouveau ministère de l'information en quelque sorte, a décidé d’encadrer autoritairement son temps de parole dans les médias, actant donc le fait qu’il est devenu un homme politique, et non plus un simple journaliste, éditorialiste, commentateur, observateur, historien...
Peu importe qu’il ne se soit déclaré d’aucun parti politique et candidat à aucune élection, pour les auto-prétendus sages “supérieurs” tout se passe comme s’il l’avait fait. Qui parmi les vertueux défenseurs des libertés va s’insurger contre cette oukase délirant ?
Le polémiste tombe dans la nasse qui le guettait depuis longtemps. Il a été contraint de quitter illico son siège de chroniqueur sur la chaîne CNews, laquelle est également dans le collimateur du CSA en raison de ses plateaux paraît-il politiquement pas assez équilibrés. On dira qu’il l’a sans doute un peu cherché à force de narguer les bien pensants, mais la décision de le museler n’en apparaît pas moins sectaire, absurde et inique.
A l’heure où les canaux d’information foisonnent, qui peut encore prendre au sérieux cette assemblée de censeurs au petit pied, payés par le Trésor Public pour décortiquer à la minute près l’expression de chaque personne politique. Trois cents fonctionnaires attelés à une tâche stupide et totalement inefficace,  qu'ils exercent avec un zèle sinistre, voilà ce que notre pauvre pays est toujours capable de financer, malgré ses dettes astronomiques.
Le CSA n’en est pas à son coup d’essai. On sait qu’il surveillait de près Thierry Ardisson, Cyril Hanouna et consorts, lesquels ont eu droit à de nombreux avertissements. Le Comité avait interdit, sans aucune raison compréhensible, la diffusion en clair de la petite chaîne Paris Première (Tiens, Zemmour intervient également sur ses plateaux…).
Y aurait-il des pressions politiques dans les décisions du CSA, on voudrait ne pas y croire, mais la révélation tout récente faite par Christine Kelly, aujourd’hui animatrice sur CNews, mais ex-membre de l’assemblée, est bien troublante. Elle affirme que le CSA a, il y a quelques années, été l’objet de pressions “venant de gauche”, pour censurer Eric Brunet, autre journaliste politiquement incorrect
Tout cela commence à faire beaucoup, surtout quand on connaît la mansuétude des chronométreurs de temps de parole vis-à-vis des chaînes publiques, outrancièrement partisanes… 
Bref, c’est décidément un sale temps pour la liberté d’expression. Les réseaux, qu’il est convenu d’appeler “sociaux”, tels Twitter, ou Facebook, eux-mêmes se croient obligés de censurer et d’excommunier en fonction de critères pour le moins discutables. On réduit au silence le président de la plus grande et ancienne démocratie au monde mais on laisse pérorer les agités du turban qui font régner la terreur en Afghanistan et ailleurs. Après avoir mis au pas le débat d’idées contemporain, au nom de la Cancel Culture, on fait table rase du passé. On abat les statues, on débaptise les rues, les établissements publics… Au Canada, on brûle les livres jugés déviants, comme au Moyen-Age. Ce monde est décidément fou !

08 septembre 2021

Lettre de Lord Chandos

Stefan Zweig fit beaucoup pour populariser  Hugo von Hofmannstahl (1874-1929) qui fut son contemporain et dont les poèmes juvéniles relevaient selon lui “d’un des grands miracles de précoce perfection.”
Le hasard m’a fait aborder l’écrivain par un petit ouvrage bouleversant, d’une trentaine de pages à peine, en forme de lettre* - imaginaire naturellement - “que Philipp lord Chandos, fils cadet du comte de Bath, écrivit à son ami Francis Bacon, pour s’excuser d’avoir renoncé à toute activité littéraire...”

Lorsque Hofmannstahl publie ce texte en 1902, à 28 ans, son œuvre poétique est achevée pour sa plus grande partie. Heureusement, il ne cessera pas pour autant d’écrire, mais quelque chose s’est passé dans son esprit qui lui fait prendre conscience de la vanité du langage, et pour une moindre part, de l’existence.
L’auteur relate ainsi “les tourments intellectuels” qui l’assaillent et réduisent son inspiration à l’impuissance. Il se désole de “ces branches chargées de fruits qui remontent brusquement chaque fois que je tends les mains, cette eau murmurante qui se retire devant mes lèvres assoiffées…”
Il constate que malgré tous ses efforts, aucun mot ne semble exprimer la réalité objective. Pire, autour de lui, tout semble “dépourvu de preuves, mensonger, fuyant de partout”.
Comment dès lors exprimer ce sur quoi, on n’a pas de prise ? Et dans quelle langue, sachant que celle “dans laquelle il m’aurait peut-être été donné non seulement d’écrire, mais aussi de penser, n’est ni latine, ni l’anglaise, ni l’italienne, ni l’espagnole, mais une langue dont aucun des mots ne m’est connu ?”

Etrangement, cette missive aux accents désespérés, n’est pas dépourvue d’une certaine quiétude. L’auteur manifeste même un tranquille détachement devant la fatalité qui lui fait perdre “la faculté de penser ou de parler de façon cohérente, sur quoi que ce soit.” Il est en effet envahi par “une sorte de pensée fébrile, faite d’un matériau qui est plus immédiat, plus fluide, plus incandescent que les mots”. Ce sont ajoute-t-il “des tourbillons, mais à la différence de ceux de la langue, ils n’ouvrent pas, semble-t-il, sur le néant mais conduisent d’une certaine façon en moi-même et au cœur de la paix…”
En définitive, lui qui avait des projets pleins la tête et qui dévorait toute littérature avec un appétit d’ogre se résigne à ne plus rien lire, ni dire, ni écrire.

Cette étonnante confession recèle une symbolique foisonnante. Elle rejoint notamment celle de Rimbaud, qui parvenu au plus loin de ses “Illuminations” et après avoir relaté de manière visionnaire sa “Saison en Enfer”, mit un terme brutal et irrémédiable à son œuvre littéraire.
Faut-il comprendre qu'après avoir exploré le monde des mots et de la poésie jusqu’aux confins du langage, se profile le vide incommensurable de l’inexprimable ?
On pourrait également faire le rapprochement avec d’autres formes d’expression artistique. La musique par exemple qui dans son acception classique a tout à coup basculé dans l'abîme stérile des délires sériels ou dodécaphoniques. La peinture également, qui au terme du vertige impressionniste, puis symbolique, sombra corps et biens dans l’abstraction la plus confuse, voire l’anéantissement monochrome de Klein, ou achromique de Soulages.

On pourrait enfin faire un parrallèle avec l'absurdité des rhétoriques idéologiques dans lesquelles se fracassa le vingtième siècle, et avec l'inanité de la jargonomanie qui est la marque de notre époque, et dans laquelle se délite en douceur la liberté et le bon sens. On pourrait percevoir le drame de nos sociétés, tentant de conjurer par une pléthore de lois et de normes leur impuissance à résoudre avec pragmatisme les problèmes qui se posent à elles, et qui se perdent dans une vaine logorrhée bureaucratique, stupidement bien intentionnée. L'avènement du parler pour ne rien dire, en quelque sorte...

Mais on pourrait aussi, si l’on est optimiste, penser à Baudelaire, qui dans son splendide poème Elévation, invoqua lui aussi, à sa manière si limpide, l’ivresse de l’indicible :
Heureux celui qui peut d’une aile vigoureuse
S’élancer vers les champs lumineux et sereins
Celui dont les pensées comme des alouettes
Vers les cieux le matin prennent un libre essor
Qui plane sur la vie et comprend sans effort
Le langage des fleurs et des choses muettes...
 
* lettre de Lord Chandos Hugo von Hofmannstahl. Edition Bilingue. Rivages poche éditeur/Petite Bibliothèque

30 août 2021

Let It Roll, Charlie

Dire qu’il faut parfois que les gens disparaissent pour qu’on découvre l’essentiel de leur personnalité et la profondeur de leur âme...

On ne présente pas Charlie Watts, batteur en titre et membre fondateur des Rolling Stones.
ll était toutefois si discret, si modeste, qu'on remarquait à peine,
derrière le trio déchainé de rock stars embrasant l'avant scène, celui qui tenait de main de maitre les baguettes de la section rythmique. 
Pourtant, sans ce gentleman, toujours tiré à quatre épingles, toujours courtois, et aussi solide qu'un pilier de cathédrale, les Stones n'auraient sans doute pas eu la même présence, la même pérennité, la même puissance, le même panache…

Je savais que ce fameux groupe de Pop Music qui décoiffe et enchante la planète Rock depuis presque 60 ans, avait ses racines profondément ancrées dans le blues, mais j'ignorais tout de la carrière parallèle de son batteur, au service du jazz et du Boogie Woogie. Je découvre donc un peu tard mais avec beaucoup de plaisir et un brin de nostalgie les sessions endiablées auxquelles Charlie avait participé avec les pianistes Axel Zwingenberger, Ben Waters, et le bassiste Dave Green (The A,B,C & D of Boogie Woogie).
Marquées par un swing étincelant, elles s'inscrivent sans démériter auprès des légendaires et décapantes prestations du célébrissime quatuor britannique. A côté du déluge de watts célébrant avec fougue le Rock ‘N’ Roll, on trouve un Watts jazzy, tout simple, gai et rafraîchissant.

“Je suis béni”, disait Keith Richards, “le batteur avec qui j’ai commencé est l’un des meilleurs du monde. Avec un bon batteur, on est libre de faire tout ce qu’on veut !”
C'est donc un grand seigneur du Rock, du Blues, du Jazz et de la musique tout court qui s'en va...

26 août 2021

Un été pourri

D'abord, début mai, on annonça un été “chaud et sec”, plus que de nature, favorisé comme il se doit, par le réchauffement climatique. Puis, la réalité s’avérant un peu différente des prévisions, ce fut le constat d'un “été pourri”, considéré même comme un des deux les plus arrosés de pluie depuis 1959 !
Début août, à l’occasion de quelques jours de grosses chaleurs, c’est à nouveau l’alerte canicule qui fit les gros titres. Il n’en fallut pas plus pour relancer le catastrophisme climatique, alimenté entre autres par la prolifération des feux de forêts et le rapport du GIEC annonçant peu ou prou la fin du monde pour 2050, la faute incombant paraît-il exclusivement et sans aucun doute à l’activité humaine, au capitalisme et à la croissance industrielle. Forts de leurs certitudes, ces gens dont le pragmatisme n’est manifestement pas le fort, intiment, le plus sérieusement du monde, aux gouvernements concernés, de tout faire pour inverser le climat, plutôt que de s’adapter aux caprices météorologiques sans cesse évolutifs, par nature. On est ainsi bassiné en permanence par une doctrine à sens unique selon laquelle il faudrait s’arrêter de vivre pour survivre, et qui désigne des boucs émissaires illusoires pour occulter le fait qu’elle repose largement sur l’ignorance. Ce serait donc le réchauffement climatique qui allumerait des incendies, et non des imbéciles, des négligents ou des pyromanes. Avec ce parti pris, il est plus facile de se répandre en sermons universalistes et de prôner une décroissance irresponsable que de sanctionner des agissements criminels ou de préconiser un meilleur aménagement territorial pour limiter l’étendue des sinistres.

Mais le climat n’est hélas pas le seul aléa pourrissant le bel été qui était attendu par chacune et chacun.
La quatrième resucée de COVID a douché les espérances d’immunité collective et commence à faire naître un doute sérieux sur une sortie prochaine de crise. Les courbes de tendances des pays où la vaccination a été précoce et très largement pratiquée, montrent un nouveau pic de contaminations assez déconcertant. Certes l’épidémie cause moins de morts et moins d'hospitalisations, mais elle est toujours là. La crainte de voir émerger à tout moment de nouveaux variants et les dernières études tendant à démontrer que l’immunité contre ce foutu virus se perd assez vite ne sont guère rassurantes...

A l'international, la situation n’est pas beaucoup plus réjouissante. Passons sur les malheurs répétés qui frappent Haïti. Ce pays semble maudit et toute l’aide extérieure s’avère impuissante pour l’aider à affronter, autrement que par le fatalisme, les catastrophes dont il est victime. En est-il de même pour l’Afghanistan ? La réponse est à l’évidence oui. Mais derrière l’incapacité d’un peuple, supposé auto-déterminé, à faire face à son destin et à ses mauvais démons, il y a aussi la faillite de la Communauté Internationale et une grande lâcheté dont les conséquences pourraient peser lourdement sur l’avenir. L'ancien premier ministre britannique Tony Blair s’est exprimé sur le sujet sans détour ni circonlocutions. Selon lui, “le monde ne sait plus ce que défend l’Occident, tant il est évident que la décision de se retirer d’Afghanistan de cette manière était motivée non pas par la stratégie mais par la politique.“
Dans la même déclaration, il fustige “l’abandon de l’Afghanistan au même groupe que celui d’où est parti le carnage du 11 septembre, d’une manière telle qu’on semble mettre en scène notre humiliation…” C’est terrible, mais hélas trop vrai.

Bref, après cette saison vraiment pourrie, il ne reste donc plus qu’à espérer que survienne un bel été indien pour mettre un peu de baume au cœur...

14 août 2021

Adieu Kaboul, adieu Liberté

La capitale afghane n’est pas encore tombée aux mains des Talibans, mais le sort de cette ville et de tout le pays paraît d’ores et déjà scellé. La progression fulgurante des fous de Dieu ne laisse guère de doute quant à leur retour, favorisé par le désengagement américain et l’abandon de tout un peuple par la Communauté Internationale, beaucoup plus préoccupée par le COVID ou le réchauffement climatique...
La faute incombe évidemment également aux Afghans eux-mêmes et à leurs dirigeants, qui se sont montrés incapables de mettre à profit l’aide internationale colossale qui leur a été apportée durant deux décennies pour organiser une société libre, pacifique et démocratique. Tragique constat, hélas prévisible depuis déjà quelques années, et responsabilités multiples...
Ironie du sort, 2021 marque le vingtième anniversaire de l’intervention internationale entreprise à la suite des horribles attentats du World Trade Center.

Malheureusement, vingt années n’ont pas suffi pour éradiquer la vermine obscurantiste qui, telle une armée de termites opiniâtres, revient plus forte et déterminée que jamais. Tous les efforts, toute l'énergie, toutes les vies humaines consacrés à la reconstruction d’un pays en proie à la barbarie ont donc été vains. Les mêmes causes entraînant les mêmes effets, il y a fort à craindre que l’Afghanistan retourne à la triste situation qu’il a connue lorsque la charia faisait régner une terreur moyenâgeuse. Il est également probable que ce chaos fasse le lit de nouveaux groupes terroristes.
Dans cette triste histoire, le cortège des nations montre une fois de plus son impuissance désespérante, si ce n'est une vaste indifférence. Pas un mot, pas une résolution, pas un casque bleu en provenance de l'ONU...
Chacun se bat la coulpe au souvenir des horreurs du passé en clamant “qu’on ne verra plus jamais ça”, mais l’histoire a une fâcheuse tendance à se répéter et il s’avère plus que jamais difficile de passer des paroles aux actes. Les plus audacieux se bornent à informer les rebelles qu’ils ne reconnaîtront pas un régime imposé de manière non démocratique ! Le chef de la diplomatie de l’Union Européenne, Josep Borrel prévient les Talibans : “S’ils prennent le pouvoir par la force et rétablissent un émirat islamique.../… ils subiront l’isolement, un manque de soutien international et la perspective d’un conflit continu et d’une instabilité prolongée en Afghanistan.”
Autant pisser dans un violon, face à cette horde conquérante qui n’a que faire de ces veules leçons de morale !

En attendant, on rapatrie avant la catastrophe annoncée, les ressortissants et le personnel diplomatique, à l’instar de ce qui s’était passé dans les années soixante-dix avant la chute de Saïgon, puis de Phnom Penh, puis de Téhéran, etc...
Et l’on plaint par avance avec des larmes de crocodile les populations sacrifiées sur l’autel de la couardise et de l'hypocrisie réunies. On s’attend déjà à voir errer les myriades de réfugiés, les malheureux qui n’auront d’autre espoir que de fuir et d’émigrer. Quant à ceux qui avaient déjà fait le pas et qui se trouvaient en situation irrégulière, la France généreuse annonce “avoir suspendu les expulsions de migrants vers l’Afghanistan”. Belle perspective, et beau résultat…
Comme le déplore avec amertume l’historien Jean-Charles Jauffret "Nous assistons au naufrage d'un pays en nous croisant les bras..."

10 août 2021

Et toujours le COVID...

Une fois encore le coronavirus se joue des prévisions et semble se moquer des politiques bien intentionnées que le gouvernement met en œuvre pour l’empêcher de nuire. Une fois encore le dit gouvernement, plombé par une inertie consubstantielle à sa nature, agit avec retard, lenteur et indétermination. Pire, à force de chercher à communiquer de manière la plus lénifiante possible, il s'englue dans les contradictions et ne cesse de commettre des bourdes monumentales.

Alors qu’on croyait enfin l’embellie en vue et que nos dirigeants pouvaient se réjouir d’avoir réussi à fournir en quantité suffisante à la population les vaccins, ils retombent dans leurs vieux démons à cause du nouveau variant dit delta qui chamboule tous leurs plans.
Les retrouvailles avec la liberté claironnées depuis quelques mois à grand renfort de clips télévisés, le “retour des jours heureux” annoncé dès le début de l’été 2020 par le président Macron, toutes ces belles perspectives se terminent en eau de boudin.

L’été 2021 s’avère pire que celui de 2020. L’année dernière, le virus avait attendu la fin de l’automne pour repasser à l'offensive. Cette fois, c’est dès le mois de juillet que la pandémie repart de plus belle.
Pris de court une fois de plus, le chef de l’État, seul maître  à bord (après Dieu naturellement...) du paquebot France, improvise une stratégie hasardeuse dans laquelle on retrouve tous les travers habituels du dirigisme bureaucratique et de la pléthore administrative.
Après avoir affirmé qu’il n’y aurait pas d’obligation vaccinale, le chef de l’État impose un “pass sanitaire” qui y ressemble fort, en dépit de ses dénégations. Et le machin s’avère tellement alambiqué qu’on peut douter dès à présent de son efficacité.
 
Plutôt que de se cantonner à un simple certificat vaccinal ouvrant les portes et facilitant la vie, on a préféré un dispositif confus et complexe dont on ne retient en somme que le caractère contraignant.
Il répond à une définition amphigourique, prenant en considération non seulement la vaccination, mais également quantité d’autres cas de figure, plus ou moins flous, et changeants au gré de l’humeur ambiante, notamment l’attestation de guérison et/ou de “rétablissement” ou celle certifiant la négativité d’un test diagnostique datant de moins de 48 heures (délai d’ailleurs rapidement porté à 72 heures). La directive précise au surplus que le test peut être réalisé selon plusieurs modalités (PCR, test antigénique, voire autotest effectué “sous la supervision” d’une personne compétente…). Parmi les effets pervers attendus de ces dispositions, on présume avec effarement du creusement du déficit de la Sécurité Sociale, sommée de rembourser sans fin cette monstrueuse gabegie (chiffrée autour de 100 à 120 millions d’euros par semaine).

C‘est donc une vraie usine à gaz dont l’application risque d’être aléatoire puisque les contrôles ne seront pas, sauf exception, assortis de la vérification de l’identité du porteur du pass et alors que plane plus qu’un doute s’agissant des circonstances dans lesquelles il est exigible.
Si les malheureux bars et restaurants sont contraints, à peine rouverts,  de ne servir que les clients munis du précieux sésame, l’incertitude concerne quantité d'autres situations, par exemple celle des établissements de santé à l’entrée desquels les visiteurs et les patients, doivent montrer patte blanche, sous réserve que cela ne fasse “pas obstacle à l’accès aux soins”. Comprenne qui pourra ces nuances sémantiques…
Avec la même hypocrisie on distingue les transports où le pass est impératif (autocars, grandes lignes de chemin de fer) des autres dans lesquels on peut s’entasser librement (métro, bus, TER…)
Notons que dans sa stratégie erratique, le gouvernement en est encore à s’interroger sur l’obligation vaccinale, notamment pour les professions exposées ou potentiellement contaminantes. Ainsi, on apprend qu’à partir du 15 septembre, les soignants non-vaccinés s'exposeront à une "suspension du contrat de travail", et ne seront donc plus rémunérés. Une fois encore c’est bien tardif comme décision, et probablement difficile à mettre en pratique vu la pénurie desdits personnels (la problématique des hôpitaux n'a toujours pas été résolue...). Au surplus, le Conseil Constitutionnel a stipulé que le refus de la vaccination ne pouvait en aucun cas être une cause de licenciement ni entraîner la rupture d’un cdd ou d’un contrat en intérim !

Toutes ces oukases obéissant à une logique digne de la pataphysique de Père Ubu induisent un sentiment de lassitude voire d’exaspération dans l’Opinion Publique. On finit même par douter de l’intérêt d'être vacciné puisque les contraintes ne cessent de s’accumuler et qu’on laisse entendre que même immunisé, on peut être contagieux, voire malade. Les infortunés vacanciers qui avaient cru bon de choisir les départements d’outre-mer se retrouvent pris au piège du confinement. Quant à ceux restés en métropole, ils sont plus que jamais soumis aux fameux gestes barrières et désormais au pass sanitaire, en attendant pire...

Pendant ce temps, en Grande Bretagne, qui n’a pas l’habitude de s'embarrasser de lois inutiles, qui a probablement un sens plus aigu de la liberté, et un peu plus d'audace, les dernières restrictions ont totalement été levées en juillet en dépit de l’assaut du royaume par le variant delta. Pour l’heure, si les nouvelles contaminations restent nombreuses, elles n'entraînent guère d’hospitalisations et peu de mortalité. L’avenir dira si la voie choisie est la bonne.
Le fait est qu'en France, on assiste à une nouvelle montée des mécontentements. Les manifestations d’opposants au pass sanitaire rassemblent un nombre croissant de personnes. A défaut d’être parvenu à endiguer la pandémie, le gouvernement aura-t-il réussi à générer un nouvel épisode gilet jaunes ?

29 juillet 2021

Bêtes à Bon Dieu...

En regardant quelques bestioles minuscules s’affairant au sein des plantes et des fleurs, une foule de pensées m’assaillent.
Comment éviter de se poser des questions existentielles en contemplant l’incroyable richesse inventive déployée par la Nature, qui s’exprime dans cet étonnant spectacle microscopique ?
La première, la plus immédiate, la seule pourrait-on dire est de savoir si tout cela a un sens ?
 

Comme il s’avère impossible de répondre objectivement à cette interrogation relevant de la métaphysique, la seule alternative est de choisir une option. A la manière du fameux pari de Pascal, il faut s’engager sur une voie, en misant sur les perspectives qu’elle est susceptible d’offrir.

Si l’on décide que le monde n’a pas de sens, le chemin tourne vite court. Pour tout dire, c’est une impasse. Dans ce cul de sac, on peut certes profiter du temps qui passe, mais ce carpe diem est vain puisqu’il est sans vrai lendemain, sans espérance. Au jeu du hasard et de la nécessité tout est permis mais tout se vaut et tout se rejoint dans une finitude désespérément fermée. A quoi bon aimer, à quoi bon chercher à s’améliorer, à quoi bon penser même, puisque rien n’a de signification. La beauté elle-même est une illusion, et la conscience est un leurre. Ces insectes ne sont rien d’autre qu’un mirage en somme...

Sans avoir besoin d’évoquer l’existence de Dieu ou bien d’une hypothétique vie après la mort, on peut toutefois imaginer un monde répondant à une explication ultime, transcendant la réalité triviale des choses. Le seul fait de penser que l’univers dans lequel nous vivons exprime un dessein, une direction, un sens, ouvre tout à coup l’horizon. Et dans ce contexte tout rentre en harmonie. L’être et la Nature participent de la même entité. Pour paraphraser Schelling, “la Nature doit être l’Esprit visible, et l’Esprit la Nature invisible…”
Du coup, tout questionnement est légitime et passionnant, même s'il ne trouve pas de réponse immédiate. Mieux, tout devient possible, au-delà même de l’imagination humaine, et les petites bêtes qui gravitent à nos pieds sont un peu plus que de vulgaires insectes sans importance. Ils recèlent une partie de l’indicible beauté du monde...


21 juillet 2021

La Liberté et ses fantômes

Consternant spectacle que celui où l’on voit dans notre pays des excités hurler à la dictature au motif que le gouvernement envisage de mettre en œuvre le fameux pass sanitaire, pour lutter contre la progression du COVID-19 et encourager les réfractaires à se faire vacciner. L’excès des mots atteint en la circonstance des sommets hallucinants.
Même si l’on peut contester la manière très technocratique et hasardeuse de mettre en œuvre ce dispositif, la seule certitude qui s’impose est que ces gens ne savent vraiment pas ce qu’est la Liberté pour en galvauder à ce point la signification. Ils ne mesurent pas les efforts de ceux qui ont tant donné pour qu’elle devienne réalité et ils manifestent une ignorance coupable vis-à-vis de celles et ceux qui n’ont pas la chance comme eux, de vivre dans un monde ouvert.

Au moment même où les médias braquent leurs projecteurs sur ces imbéciles - heureux sans le savoir -, des événements autrement plus graves se déroulent dans le monde, sans qu’on entende beaucoup de voix s’élever contre ces vrais totalitarismes.
Dimanche 11 juillet, des milliers de Cubains ont déferlé aux cris de « Liberté ! », « Nous avons faim » et « A bas la dictature » (Le Monde). On peut les comprendre et éprouver quelque compassion. Cela fait plus de soixante ans qu’ils subissent les effets désastreux de la tyrannie castriste. Pourtant, dès le mardi suivant, quelque 130 personnes étaient emprisonnées ou signalées comme disparues, et l’attention se détourna rapidement du sort de ces malheureux, abandonnés depuis si longtemps à leur triste sort.
A la Havane, force est de constater que le socialisme règne toujours en maître et sa rhétorique odieusement mensongère est plus que jamais à l’œuvre, qualifiant par la bouche de l’actuel président Miguel Diaz-Canel, ces manifestations de “provocations orchestrées par des éléments contre-révolutionnaires, organisés et financés depuis les USA avec des objectifs de déstabilisation..” Au boniment s'ajoute l'ingratitude pour le tandem Biden-Obama qui avait preuve de tant de mansuétude pour les satrapes de La Havane...

En Afghanistan, on assiste au retour massif et brutal des Talibans, à la faveur du désengagement des États-Unis. Ils étaient les derniers à tenter de faire encore rempart aux révolutionnaires islamistes sanguinaires et à protéger les fragiles progrès démocratiques que l’intervention de la Communauté Internationale avait permis de faire.
Ces tristes événements ne suscitent hélas guère plus d’émotion que la mise au pas des dissidents cubains. Face à cette nouvelle déferlante de barbarie, le gouvernement français appelle, sans état d’âme, ses ressortissants à quitter au plus vite le pays. Éternel recommencement. Comment ne pas se remémorer l’abandon tragique du Vietnam, puis du Cambodge, de l’Iran et de tant de pays, devant l’imminence des périls. On se souvient des ambassades prises d’assaut par les réfugiés, les drapeaux amenés en catastrophe, et l’effacement chaotique de tous les symboles de la Liberté...

L’évolution de la situation au Mali procède de la même mécanique. Aujourd’hui le président Macron menace de “stopper Barkhane si le pays s'enfonce dans l'islamisme radical”. N’était-ce pas précisément le motif de l’intervention initiale ?
On se retrouve en définitive prisonniers d’un tragique imbroglio. Pendant qu’on accueillait au titre de l’asile politique, nombre de jeunes gens, qui auraient pu combattre auprès de nos troupes pour offrir à leur pays l’espoir d’une liberté durable, l’hydre totalitaire reconstituait sans cesse ses bras mutilés pour mieux renaître le jour où nous baisserions les nôtres...

Une fois encore, l’absence de consensus et de détermination de la part des instances de régulation internationales, fait la part belle à l’horreur tyrannique. Et pendant que dans le Monde Libre, des minorités vociférantes voient ressurgir à la moindre contrariété le spectre de la Shoah, des peuples entiers continuent de souffrir en silence de la vraie privation de liberté et de toutes sortes d’atrocités infligées par les despotes qui les asservissent en toute impunité...

13 juillet 2021

Voyage autour de ma chambre

Voltaire soutenait que la vraie sagesse consistait à savoir tout simplement cultiver son jardin. Xavier de Maistre (1763-1852) inventa quant à lui le voyage autour de sa chambre comme source quasi inépuisable de bonheur.
Natif de Savoie, et frère du célèbre penseur conservateur Joseph, il ne sera jamais français ce qui lui valut lors des guerre entreprises au nom de la Révolution et de l’Empire, de s’engager dans les armées russes, en soutien au Tsar. Bien qu’intrépide combattant, il lui arriva toutefois de contrevenir à la discipline militaire, ce qui lui occasionna un arrêt de rigueur avec obligation de rester confiné chez lui durant 42 jours.
Il transforma cette peine en expérience initiatique originale, mettant à profit cette claustration forcée pour donner libre cours à son imagination et pour se livrer à une exploration de son environnement immédiat afin d'en tirer matière à réflexions et anecdotes.
Il fit en effet contre mauvaise fortune bon cœur, comme on dit et trouva bien des avantages à ce périple intérieur forcé affirmant en substance qu’il "ne coûte rien", qu’on n’a "point à craindre l'intempérie de l’air et des saisons", qu’on ne rencontre "ni précipices, ni fondrières", et enfin, qu’on y est "à l’abri des voleurs…” Au surplus, le lit, chaud et douillet, dont on n’est plus obligé de sortir dès la sonnerie du réveil, devient “un théâtre qui prête plus à l’imagination, qui réveille de plus tendres idées…”

Le prisonnier de sa propre chambre peut alors se livrer à toutes sortes de pensées. Parmi celles-ci, il a la révélation soudaine que “l’homme est composé d’une âme et d’une bête” et que ces deux êtres “sont absolument distincts, mais tellement emboîtés l’un dans l’autre, ou l’un sur l’autre, qu’il faut que l'âme ait une certaine supériorité sur la bête pour être en état d’en faire la distinction.” De facto, la situation d’aventurier immobile offre l’occasion inespérée de “faire voyager son âme toute seule”, ce qui procure la jouissance “d’étendre son existence, d’occuper à la fois la terre et les cieux, et de doubler, pour ainsi dire, son être.”

Passant le plus clair de ses journées à méditer sur la disposition des pièces, sur les objets qui les meublent, sur leur histoire réelle ou supposée, Xavier de Maistre s’abandonne aux fantasmes spatio-temporels: Il convoque ainsi au gré de sa volonté Hippocrate, Platon, Périclès, et l’épouse de ce dernier, Aspasie...
Avec le premier, il relativise l’intérêt de la médecine, incapable d’abolir le destin funeste qui finit par tous nous emporter, quoiqu’on fasse.
Avec Périclès il disserte sur la décadence des arts et des sciences, égratignant au passage le mythe fondateur de la Révolution française dans laquelle on voit “des savants illustres quitter leurs sublimes spéculations pour inventer de nouveaux crimes”, et dans le tumulte de laquelle on entend “une horde de cannibales se comparer aux héros de la généreuse Grèce, en faisant périr sur l’échafaud, sans honte et sans remords, des vieillards vénérables, des femmes et des enfants, et commettant de sang froid les crimes les plus atroces et les plus inutiles…”
Avec Platon il se réjouit a contrario “des découvertes de Locke sur la nature de l’esprit humain, de l’invention de l’imprimerie, des observations tirées de l’histoire, qui auront contribué à rendre les hommes meilleurs et tendre vers une république heureuse.”
Avec Aspasie, enfin, il discute plus légèrement “des gravures de mode, des vêtements et des coiffures qu’elle n’aurait pu imaginer, et qu’elle trouvait trop couvrants, laissant supposer plus de vertu qu’à son époque…”

Nombreuses sont les idées plus ou moins saugrenues qui passent par l’esprit. Un jour le Robinson en pantoufle, soliloquant sur les mérites comparés des arts, fait le constat que la peinture est évidemment supérieure à la musique, car si “on voit des enfants toucher du clavecin en grands maîtres, on n’a jamais vu un bon peintre de douze ans.” Le lendemain, il se met à souhaiter “l’invention d’un miroir moral, où tous les hommes pourraient se voir avec leurs vices et leurs vertus”, à l’instar de la glace qui renvoie à celui qui passe devant, sa propre image, de manière toujours impartiale et vraie. Mais l’instant d’après, il convient que cela serait inutile car il ne suffit pas de voir pour prendre conscience. “Il est si rare que la laideur se reconnaisse et casse le miroir…”
A propos de la visite inopinée d’un mendiant, il prend même une leçon cocasse de philosophie et d’humanité de son domestique et de son chien

Mais hélas tout a une fin. La peine infligée par les autorités arrive un jour à son terme et il faut quitter le “charmant pays de l’imagination, que l'Être bienfaisant par excellence a livré aux hommes pour les consoler de la réalité.”
Le jour de la libération devient paradoxalement celui où il faut “rentrer dans les fers”! "Le joug des affaires" va de nouveau peser et il n’y aura plus un pas “qui ne soit mesuré par la bienséance et le devoir.”
Cette microscopique mais originale odyssée valut à son auteur une gloire littéraire qui ne faiblit pas avec le temps. La pandémie due au COVID-19 lui donne même un écho saisissant. Le confinement donne en effet à ceux qui ont eu la chance de ne pas trop en souffrir, l’occasion de vérifier nombre de constats, de relativiser l’importance de certaines priorités et impératifs qu’ils imaginaient incontournables, et de réfléchir sur la condition humaine et la vanité de quantité d’exigences.
Après cette confrontation prolongée avec lui-même, Xavier de Maistre s'exclame: “jamais, je ne me suis aperçu plus clairement que je suis double.” Et alors que le corps retrouve sa liberté d’aller et venir, l'esprit le sermonne, non sans inquiétude : “O ma bête, ma pauvre bête, prends garde à toi !”
A chacun d’en tirer les enseignements opportuns....

03 juillet 2021

Lord Jim


In memoriam Jim Morrison (1943-1971)

Dans un morne Paris nocturne
L’ombre énamourée de la Mort
Enlace la ville qui dort
Tel un fantôme autour d’une urne

La fin du héros taciturne
S’inscrit dans un étrange sort
Qui le prive de tout ressort
Et l’offre au sommeil de Saturne

Déjà il erre entre deux eaux
L’esprit ailleurs, les yeux mi-clos
Sourd à tout chant, toute musique

Dans un navrant bain de minuit
Il a enfin noyé l’ennui
Et l’angoisse métaphysique.

30 juin 2021

La fin sans fin du Monde

Chaque chose ayant une fin ici bas, le Monde dans lequel nous vivons n’a aucune raison objective d’échapper à la règle. Il finira sans doute un jour. Ce jour-là, personnellement, je préférerais être ailleurs comme dirait l’autre…
C’est dans la nature de l’Homme d’être hanté par la perspective sinistre de sa propre disparition et de chercher à conjurer le mauvais sort tout en jouant à se faire peur. Depuis les Gaulois qui craignaient que le ciel ne leur tombât sur la tête, l'Humanité n’a guère gagné en sérénité à ce sujet. Certains se plaisent à régulièrement agiter ces peurs millénaires et leurs sombres prédictions marquent facilement les esprits enclins à la fascination du pire.
A force de prétendre que nous allons bientôt faire face à notre propre extinction, les oiseaux de mauvais augure finiront bien par avoir raison. Mais cela leur fera une belle jambe, puisqu’ils ne seront plus là pour savourer leur amère victoire.

Ces derniers jours, c’est un nouveau rapport du fameux GIEC qui secoue le Landernau médiatique. Ce texte préparatoire, dont la mouture définitive est destinée à “éclairer les gouvernants”, était paraît-il confidentiel, avant qu’il ne fuite à grand bruit un peu partout.
Ses conclusions ne sont pas seulement alarmistes, elles sont quasi désespérées. Pour les experts en tocsin, mandatés par l’ONU, “le pire est à venir”, et beaucoup plus vite que prévu. Sous peu vont se manifester de manière aiguë le manque d’eau, la raréfaction des ressources naturelles, les catastrophes climatiques, les migrations massives de populations, et quantité d'autres calamités en tous genres. Pour l’être humain c’est semble-t-il déjà foutu pour les climatologues, car affirment-ils, « si la vie sur terre peut se remettre d’un changement climatique majeur en évoluant vers de nouvelles espèces et en créant de nouveaux écosystèmes, l’humanité ne le peut pas. »
Pour preuve, d'après le même pré-rapport la pandémie due au COVID 19 qui a mis le monde à l’arrêt durant plusieurs mois “a eu un effet insignifiant sur le climat...” 
A quoi bon effrayer le bon peuple si les jeux sont faits ? De deux choses l'une : soit l'activité humaine n'est pour rien dans le prétendu dérèglement climatique, soit il est trop tard pour agir ! Dans les deux cas, mieux vaut tenter de s'adapter aux cours aléatoire de la nature que de vouloir l'organiser et le commander !
Quand on voit qu'on est incapable d'arraisonner et de sanctionner un cargo dégazant illégalement au large de la Corse, on mesure l'inanité des voeux pieux supposés enrayer les désordres météorologiques...

Malheureusement, les nouveaux prédicateurs ne s'arrêteront pas à ce constat fataliste. Il continueront de seriner aux oreilles assez naïves pour les croire, qu’il est urgent de mettre fin à la civilisation industrielle qui nous a jusqu'à ce jour apporté paix et prospérité et à jeter avec l'eau du bain le maudit capitalisme, comme au bon vieux temps de l’agit-prop socialo-communiste.
Ce qui fait vraiment peur, c'est qu'on écoute un peu trop les collapsologues climato-obsédés. La vraie folie serait peut-être d'enclencher sous leur pression et par pur "principe de précaution", un déclin technologique, susceptible de provoquer de graves pénuries. Où va-t-on si l'on se soumet aux ukases contraignant ou interdisant, quasi systématiquement, tous les fruits du progrès: exploitation du pétrole et de l'énergie nucléaire,  utilisation de pesticides, d'engrais, d'OGM...
Cette utopie risque d’ouvrir la voie à un obscurantisme moyenâgeux et de conduire à l'appauvrissement général, à de nouvelles misères, voire à de nouveaux totalitarismes et de vraies hécatombes. Cela ne serait hélas pas très nouveau dans l’histoire de l’Humanité… Les bonnes intentions ont été souvent si désastreuses, si ce n'est mortelles.
Comme le fait remarquer avec un désarmant bon sens, le journaliste et analyste d’inspiration libérale Ferghane Azihari, “la menace qui pèse sur l'humanité est moins le changement climatique que les entraves aux progrès technologiques et économiques qui permettraient de le combattre et de s'y adapter.”

Pendant ce temps, nos doctes assemblées nationale et sénatoriale se renvoient la balle au sujet de fuligineux textes législatifs ayant l'ambition d'infléchir le climat, à la manière des religieux byzantins qui s'écharpaient vainement sur le sexe des anges, pendant la chute de Constantinople….

25 juin 2021

A quoi bon voter ?

Les résultats des élections régionales et départementales vont-ils fournir matière à controverse et faire naître quelque espoir de renouveau dans notre “vieux pays” ? Alors que les débats de l’entre-deux-tours font rage, le constat est dès à présent consternant.
Les médias ont évidemment lourdement insisté sur l’abstention massive qui a caractérisé le scrutin de dimanche dernier. A peine un tiers des électeurs ont jugé nécessaire de se déplacer pour s’exprimer sur des enjeux concernant pourtant directement leur quotidien et l’environnement dans lequel ils vivent. Ce chiffre exprimant la désillusion, voire la désespérance d’un peuple, a donné lieu à beaucoup de commentaires affligés, mais guère d’enseignements semblent en avoir été tirés. Dans le microcosme politique, bien vite ont repris les guerres picrocholines dans lesquelles s’épuise en douceur notre démocratie moribonde.

Les vainqueurs les mieux placés plastronnent en vantant les scores supérieurs à 40% des suffrages qui se sont portés sur leurs noms. Mais ces chiffres représentent moins de 15% des inscrits…
Le Rassemblement National auquel on prédisait un beau succès et possiblement l’espoir de gagner plusieurs régions se retrouve le bec dans l’eau. Une fois encore on a crié bien vainement au loup.
Le parti du Président de la République fait face quant à lui à une déroute monumentale. Pour tout dire, il n’y a pas de parti derrière le dit président !
Pour le reste, c’est une confusion indescriptible. Entre les alliances à la guimauve écolo-coco-bobo, le pseudo front républicain, les challenges ego-centrés et les tripatouillages de dernière minute, plus un électeur ne parvient à s’orienter clairement.

Dans ces décombres démocratiques, les professions de foi des candidats brillent toujours des mots creux habituels et des promesses en forme de mirages enchanteurs.
S’agissant des problématiques du quotidien, elles restent entières et on peut craindre hélas qu’elles ne s’aggravent. Plus personne ne croit en la simplification réglementaire et législative trop longtemps attendues. On voit en revanche poindre le retour en force des impôts et taxes, notamment celles supposées “protéger le climat”. On voit se durcir sans fin la politique visant à empêcher l’entrée, la circulation et le stationnement des véhicules automobiles dans les grandes villes dont on déplore dans le même temps la désertification commerciale. Ces mêmes villes dont l'entretien se dégrade régulièrement au nom du laisser faire végétal, dont la propreté lais
se de plus en plus à désirer, qui sont enlaidies par nombre de balises, plots, chicanes et autres obstacles bétonnés, et qui sont, “par souci d’économie”, plongées dans un noir sépulcral dès le jour tombé. Ces villes enfin, transformées en jungle dans lesquelles les violences et la délinquance sont devenues une triste banalité, confinant parfois à la barbarie…
Dans ces conditions, et ne sachant plus trop à quoi servent ces armées de conseillers régionaux, départementaux ou municipaux, à quoi bon voter ?

15 juin 2021

Enfarinages

Voilà donc où est descendu le débat politique dans notre pays: au niveau du caniveau. Et voici donc ce qu’il est devenu : une bouffonnerie vulgaire et insignifiante.
Un Président de la République, tout auréolé de ses récentes plaisanteries élyséennes avec les youtubeurs McFly et Carlito, accourt à la manière d’une star de variétés vers ses fans énamourés, et se voit renvoyé brutalement dans les cordes par une baffe magistrale.
Des politiciens beaux parleurs quoique peu écoutés, toujours infatués de leur petite personne, sont enfarinés publiquement, recevant physiquement la poudre qui sert habituellement de cache misère à leurs discours verbeux et inconséquents.
Et de petites phrases en micro polémiques, ainsi va le pays, sans but, sans foi, sans détermination, à la manière de ces boules de paille en forme de tumbleweeds qu’on voit errer dans le désert au gré du vent…

Commentant la gifle qu’il a reçue, le Chef de l’État minimise. Il ne s’agirait selon lui que d’un acte isolé sans gravité. N’empêche, le trublion, fautif du délit écope illico presto d’une peine de prison de 18 mois dont 4 fermes avec mandat de dépôt, assortie d’une pléiade de sanctions civiques (l’obligeant notamment à chercher activement un emploi, mais lui interdisant à vie de travailler dans la Fonction Publique…).
Comme nombre de politiciens effarés par cet attentat, Marlène Schiappa monte au créneau. Pour elle, ce camouflet est en effet une manifestation intolérable de la violence. La République est en danger. Emmanuel est blessé, le pauvre, “mais c'est chaque Français qui reçoit un coup à travers lui.” La boursouflure linguistique n’a d’égale ici que la platitude ronflante avec laquelle elle prend en considération la vague de “féminicides” tous plus barbares les uns que les autres, démontrant jour après jour l’inutilité totale de sa fonction.

Alors que tout part à vau-l’eau, le Pouvoir est aux abois, ou fait mine de l’être. Il faut trouver des boucs émissaires au désastre républicain dans lequel on patine désespérément. Évidemment l’extrême droite et le Rassemblement National sont tout trouvés. Alors que les échéances électorales se profilent, on ressort donc la vieille tactique de diabolisation, usée jusqu’à la corde.
Dans le domaine, on n’hésite pas à faire appel à l’artillerie lourde. Les ministres partent au front quitte à griller le peu de crédit qu’il leur reste. Gérald Darmanin qu’on avait presque tendance à prendre un peu au sérieux ces derniers temps, croit judicieux d'affirmer que la victoire du Rassemblement (qualifié obsessionnellement de Front) National serait l’expression d’une “marque satanique”. Qui donc croit-il convaincre avec une telle idiotie ?
Cette pure insanité s’inscrit dans le cadre grotesque de la charge de M. Dupont Moretti, flamboyant et dérisoire général d’une armée décatie, se faisant fort de chasser ce parti “hors des terres” septentrionales où il serait parait-il particulièrement menaçant.
Bruno Lemaire, à la manière du Docteur Coué, préfère euphémiser les choses en parlant de “petite chose” pour évoquer le parti de Marine Le Pen. Cela s’avère particulièrement savoureux dans la bouche d’un fat qui totalisa sur son nom moins de 2% des suffrages lors de la dernière primaire de la Droite, et qui voit dans ses déboires électoraux l’effet de sa trop grande intelligence...

Bref, comme à l’accoutumé, les combats et les défis en parole pullulent mais d’action, point.
Pourtant, des projets de lois et des belles velléités gouvernementales, on pourrait faire un beau catalogue sur papier glacé tant les mots chatoient. Malheureusement, c’est comme d’un magazine bourré d’articles superficiels et ponctué de publicités, il ne reste rien, ou si peu...
On ne compte plus les initiatives concertées, n’ayant abouti à rien de concret : Grenelle des violences conjugales, Ségur de la Santé, Beauvau de la Sécurité, États Généraux de la Justice, Grand Débat...
Une petite visite sur quelques sites choisis (Legifrance, Observatoire Citoyen de l’Activité Parlementaire) permet de mesurer l'inflation des textes législatifs et leur boursouflure sémantique: Confiance dans la justice, Lutte contre les séparatismes, lutte contre le dérèglement climatique, Droit à une fin de vie libre et choisie, Protection patrimoniale et promotion des langues régionales, Lutte contre les inégalités mondiales, Lutte contre la maltraitance animale, Lutte contre la pauvreté, Bioéthique, Sécurité Globale préservant les libertés, Loi visant à améliorer le système de santé par la confiance et la simplification…
En définitive, si certains se retrouvent à leur corps défendant, la gueule enfarinée, on se demande si d'autres ne sont pas roulés dans la farine...

08 juin 2021

Les Tontons Taxeurs

L’incapacité notoire de nos gouvernements à résoudre les problèmes que leurs administrés rencontrent au quotidien, genre sécurité, éducation ou emploi, est largement compensée par les trésors d’imagination qu’ils déploient en matière de normes et de taxes.
La dernière réunion du G7 en fut une sublime illustration. Sous la belle photo de famille des ministres des finances, les cris de joie soulignaient le caractère paraît-il “historique” du sommet, dont la dernière trouvaille fut une résolution ouvrant la voie à un “impôt minimal de 15% sur les sociétés”.
Notre représentant Bruno Lemaire frétillait de plaisir, saluant le pas de géant accompli et assurant qu’il se battrait lors des négociations à venir, pour que le taux retenu soit “le plus élevé possible”. Avec des trémolos joyeux dans la voix il claironna qu’il s’agissait “d’une mauvaise nouvelle pour les paradis fiscaux”. Le pauvre homme! A l’apogée de sa brillante carrière de technocrate, il donne une fois encore raison au vieux Clemenceau : “La France est un pays extrêmement fertile : on y plante des fonctionnaires et il y pousse des impôts….”

Il faut préciser que cet accord fut salué par un consensus quasi unanime. A l’exception des pays qui doivent une bonne partie de leur essor économique et de leur prospérité au faible niveau de leurs taxes, tout le monde ou presque applaudit à cette initiative insane, sortie paraît-il du cerveau quelque peu racorni de daddy Joe Biden. Normal, car les sociétés internationales relèvent du concept fantasmatique qui réjouit les bien-pensants de petite vertu sociale et qui laisse supposer aux péquins moyens qu’ils ne seront pas touchés par cette vague fiscale hautement moralisatrice.
Personne toutefois pour l’heure ne comprend bien comment se concrétisera cet accord, qui a toutes les chances de tourner rapidement à l’usine à gaz, voire de finir en vœu pieu façon accords de Paris sur le climat.
On a beau chercher un peu partout dans la Presse plus ou moins spécialisée, rien de clair n’est avancé quant à la mise en œuvre de cette nouvelle machine à produire de l’argent magique. Au départ, l’idée du président américain était d’imposer davantage les 100 plus grandes et rentables multinationales. On sait d’autre part que l’OCDE souhaite moduler l’impôt des grandes entreprises en fonction des bénéfices réalisés dans chaque pays, indépendamment du lieu du siège (vaste programme…) On peut aussi apprendre qu'à terme, 20% des bénéfices mondiaux devront être répartis différemment quand la marge dépasse 10%, selon une clef de répartition qui doit encore être négociée (Les Echos).

La machinerie sera monstrueusement complexe, c’est à peu près certain. Son efficacité paraît quant à elle beaucoup plus aléatoire. Si par hasard comme chantait Brassens cette pompe à phynances se met en branle, il paraît qu’elle pourrait produire 50 milliards d’euros par an pour l'Europe dont 4 milliards pour la France. Même si c’était vrai, ce ne serait qu’une goutte d’eau face aux dépenses publiques en inflation permanente; peau de zob face aux 424 milliards déversés sur 3 ans par l’État français pour le seul COVID-19 de l’aveu du ministre “chargé des comptes publics”, Olivier Dussopt (Figaro).
Et qui se demande in fine, d’où viendraient ces milliards, si ce n’est, par voie de conséquence, de la poche des consommateurs ? Autrement dit, des hausses de prix qui ne manqueront pas de survenir, dans une période où l’inflation guette. Tout va très bien, madame la Marquise….

28 mai 2021

Le Monde d'Hier 2

L'ambiguïté, les contradictions et l’aveuglement dans lesquels se perdent parfois l’esprit humain forment une sorte de toile de fond dramatique à l’ouvrage de Stefan Zweig et pourraient expliquer en partie la montée irrépressible des périls durant le XXè siècle. Sans doute pourrait-on en tirer des leçons pour notre époque pleine de paradoxes et d’inconséquences…

En Allemagne et en Autriche comme ailleurs en Europe, on assista à un enchaînement infernal des évènements, conduisant progressivement mais inéluctablement à quitter “le monde d’hier” fait de stabilité et de sécurité, pour entrer dans celui du chaos et de l’horreur fanatique. Le monde politique lui-même fut saisi d’impuissance et de fatalisme face à cette molle mais insane dérive, creusant de ce fait le lit des extrêmes. A maintes reprises, les dangers ont été négligés ou tout simplement édulcorés par des gouvernants pusillanimes et une opinion publique naïve.
Deux personnages furent emblématiques de l’époque, Walter Rathenau et Engelbert Dolfuss. Du premier, Zweig fut proche et même ami, lui reconnaissant d’éminentes qualités: “malgré ses occupations, il avait toujours du temps”, et une “incommensurable intelligence”. Mais l’homme était “pétri de contradictions”. “Il possédait des millions et jouait avec les idées socialistes, il était très juif d’esprit et coquetait avec le Christ, il était commerçant mais voulait sentir en artiste…”
A force de louvoyer, à l’instar de ce qu’il est convenu d’appeler la République de Weimar, dont il fut un éminent ministre, il devint impopulaire et finit assassiné par des militants d’extrême-droite en 1922.
Le même sort funeste fut réservé en 1934 au chancelier autrichien Dolfuss dont l’anti-nazisme et l’anti-communisme tournèrent à la dictature. Triste sort pour un pays aussi distingué que l’Autriche, et solution inefficace puisqu’elle n’empêcha pas l’Anschluss…

En réalité, dès la première conflagration mondiale, 
une incroyable spirale s'était enclenchée. Selon Zweig, “si on se demande à tête reposée pourquoi l’Europe est entrée en guerre en 1914, on ne trouve pas un seul motif raisonnable, pas même un prétexte. Nous sommes entrés dans une époque de grands sentiments de masse, d’hystérie collective, dont on ne peut mesurer la puissance en cas de guerre.../… Le 28 juin 1914, éclate à Sarajevo ce coup de feu qui en une seconde fracassa en mille miettes comme un vase de terre creux ce monde de la sécurité et de la raison créatrice, dans lequel nous avions été élevés , avions grandi et nous étions naturalisés…”

L’entrée en guerre fut paradoxalement euphorique en Autriche et Zweig écrit que “l’inquiétante ivresse de millions d’êtres qu’on peut à peine peindre avec des mots, donnait pour un instant au plus grand crime de notre époque, un élan sauvage et presque irrésistible../… On vit des foules de jeunes gens chanter et pousser des cris de joie dans les trains qui les menaient à l’abattoir…"
La guerre révéla vite son lot d'atrocités, pour se terminer quatre ans plus tard au terme de l’inutile et vaine boucherie qu’on connaît. Les suites furent si chaotiques qu'elles ouvrirent la voie au second conflit mondial.
De l’aveu de Zweig, les années 1919, 1920, 1921 furent les trois plus dures de l'après guerre en Autriche : "En raison de la crise économique et de l’inflation galopante, il se trouva bientôt qu’en Autriche, le loyer annuel d’un appartement coûta moins au locataire qu’un seul repas.../... Les riches s’appauvrissaient parce que l’argent placé dans les banques ou en obligations de l’État fondait”. En revanche “qui avait contracté des dettes en était déchargé…”
Dans le même temps, on assista selon Zweig à une dérive touchant à la fois les mœurs, la culture et les arts : “l’homosexualité fut la grande mode, non pas par un penchant inné, mais par esprit de protestation contre les formes traditionnelles, les formes légales et normales de l’amour. La nouvelle peinture entreprit les plus folles expériences cubistes et surréalistes. Partout on proscrivait l’élément intelligible, la mélodie en musique, la ressemblance dans un portrait, la clarté de la langue… On n’eut soudain plus qu’une seule ambition, celle d’être jeune. C’était l’âge d’or de tout ce qui était extravagant et incontrôlable…”

L’inflation prit fin en 1924 en Allemagne. De cette date à 1933, ce fut, raconte l’écrivain, “une pause dans la succession des catastrophes dont notre génération a été le témoin et la victime depuis 1914. Mais sous sa surface apparemment pacifiée, notre Europe était pleine de dangereux courants souterrains. Le mal était profond. Rien n’avait rendu plus mûr l’Allemagne pour le régime d’Hitler, comme l’inflation…”
Hélas, personne ou presque n’eut vraiment conscience de la tempête qui s’approchait, car affirme Zweig, “c’est une loi inéluctable de l’histoire, qui défend au contemporains des grands mouvements qui déterminent leur époque de les reconnaître dans leurs premiers commencements.”

La maison de Stefan Zweig à Salzbourg était si proche de la frontière qu’on pouvait voir à l'œil nu la montagne de Berchtesgaden où se trouvait le nid d'aigle d’Adolphe Hitler. Si cette vision lui faisait horreur, le dictateur n’effrayait pas la plupart de ses contemporains qui voyaient en lui “le rempart au bolchevisme”. On fit semblant de croire qu’on pouvait temporiser et beaucoup de dirigeants et de politiciens crurent dans la stratégie hasardeuse et lâche de “l’appeasement” et du “try and try again”.
Zweig qui fut pourtant un des plus clairvoyants, ne s’exonère pas de l’aveuglement collectif: “nous tous en Allemagne et en Autriche, nous n’avons jamais jugé possible en 1933, en 1934 un centième, un millième de ce qui devait éclater quelques semaines plus tard.” Il avait quand même plus qu'un doute car c’est cette année-là, alors que le jeu semblait déjà “perdu”, qu'on ne pouvait “plus rien attendre de l’Autriche”, et que la “stupidité” à laquelle il était quotidiennement confronté lui était devenue insupportable, que Stefan Zweig décida de quitter son pays pour s’établir en Angleterre.

Il évoque avec la même affliction la montée du bolchevisme en Russie, relatant notamment les propos de son ancien éditeur à Leningrad, qui se disait autrefois riche et depuis la révolution, ruiné : “qui aurait pu croire alors qu’une chose telle que la République des ouvriers et des soldats pourrait durer plus de quinze jours?”
Lui qui fut, comme beaucoup d’intellectuels, assez bluffé par ce qu’il avait vu lors du périple qu'il avait entrepris en Soviétie, à l’occasion du centenaire de la naissance de Tolstoï, raconte qu’il trouva à son retour une lettre anonyme, probablement glissée subrepticement dans sa poche. On pouvait y trouver les prémices de l’horreur d’un régime trop longtemps méjugé : “Ne croyez pas tout ce qu’on vous dit.../… les personnes qui parlent avec vous ne vous disent pas en général ce qu’elles voudraient vous dire, mais seulement ce qu’il leur est permis de vous dire. Nous sommes tous surveillés et vous ne l’êtes pas moins…”
En somme, si les périls du nazisme furent sous estimés, ceux du communisme furent tout simplement occultés, voire niés...

Lors d’un dernier voyage en Autriche en novembre 1937, Zweig fut témoin de la parodie de dictature installée par Dolfuss et des préparatifs de l’Anschluss, qui allait être “le suicide de l’indépendance autrichienne”, mais qui se fit dans un calme sépulcral, tant les esprits étaient résignés !
La suite fut pour lui l’exil définitif, prison dorée à laquelle il était condamné et qui fut une souffrance intolérable en dépit de sa célébrité internationale, intacte.
Il continua toutefois de suivre l’actualité, peut-être avec une secrète espérance...

En 1939, il n’était plus temps de faire machine arrière. On savait que les armes allaient à nouveau parler. Mais contrairement à 1914, il n’y avait plus de romantisme. On savait ce qu’était la guerre, mais “on méprisait la diplomatie depuis qu’on avait constaté avec amertume qu’elle avait trahi à Versailles les espoirs d’une paix durable.../… On n’avait du respect pour aucun homme d’État.”
De son point de vue, dans l'enchaînement fatal des causes du désastre, “le plus grave a été que les politiciens européens pas plus que les américains n’ont exécuté le plan simple et clair de Wilson [de 1918], mais qu’ils l’ont mutilé. C’était de donner liberté et indépendance aux petites nations, en la conditionnant à la mise en place d’une entité supérieure, la Société Des Nations.“
En 1942, le lendemain du jour où il envoya le manuscrit du “Monde d’hier”, il se suicida avec son épouse, dans la jolie villa qu’il occupait à Petropolis, au Brésil, tout près de Rio de Janeiro...
 

27 mai 2021

Le Monde d'Hier 1

En pleine épidémie de COVID-19, les prévisionnistes tentent d’imaginer “le monde d’après”. Les utopistes quant à eux espèrent avec opiniâtreté l’avènement d’un “nouveau monde”, naturellement meilleur que celui dans lequel nous vivons.
L’Histoire hélas se répète souvent, et les rêves de révolutions et de grands changements se transforment en cauchemars et au réveil on n'a plus que ses larmes pour regretter un passé, bien meilleur qu'on le pensait.
La lecture du dernier ouvrage écrit par Stefan Zweig (1881-1942) est de ce point de vue édifiante. Lorsqu’il le publia en 1942, le monde avait déjà basculé dans l’horreur. Lui ne croyait plus depuis bien longtemps aux lendemains qui chantent ni aux illusions portées par les idéologies et il célébra avec un terrible désespoir “Le Monde d'Hier.”
Pour l’écrivain autrichien comblé de gloire littéraire, mais vacillant au bord de l’éternité, l’avenir s’inscrivait depuis plusieurs années dans un désastre hélas prévisible.
Ce qu’il décrit dans cet ouvrage à la fois lumineux et terriblement sombre, ce sont, avec un brin de nostalgie, les quelques belles décennies qui précédèrent la première guerre mondiale, les fastes de sa ville natale Vienne, puis les années tragiques de l’entre deux guerres et de la montée irrésistible des fascismes et du communisme, tellement terribles qu’il ne voulut pas leur survivre. 

Ça commence par une vision édénique : “C’était l’âge d’or de la sécurité. Tout dans notre monarchie autrichienne vieille de près d’un millénaire, semblait fondé sur la durée, et l’Etat lui-même paraissait le suprême garant de cette pérennité.” Le souci qu’avaient les gouvernants d’assurer à tous la sécurité avait ouvert “l’âge d’or du régime des assurances”, dont les bienfaits donnèrent un sentiment d’infaillibilité. La prospérité gagnait régulièrement du terrain et “le XIXè siècle avec son idéalisme libéral, était sincèrement convaincu qu’il se trouvait sur la route droite qui mène infailliblement au meilleur des mondes possibles.”
“Déjà l’on croyait en ce Progrès plus qu’en la Bible, et cet évangile semblait irréfutablement démontré par les merveilles sans cesse renouvelées de la science et de la technique.../... La haine entre les pays, les peuples, les classes ne s’étalait pas quotidiennement dans les journaux.../… L’odieux instinct grégaire n’avait pas encore la puissance qu’il a acquise depuis dans la vie publique."
C’était en quelque sorte le bon vieux temps, “Les machines, l’auto, le téléphone, la radio, l’avion n’avaient pas encore imposé aux hommes les rythmes des nouvelles vitesses, le temps et l’âge avaient une autre mesure….”

Il y avait certes un revers de la médaille à ce tableau idyllique. Tout n’était pas rose et l’ordre bourgeois qui régnait alors, manifestait un conformisme étriqué et une rigidité excessive, confinant parfois au puritanisme.
L’école était l’objet d’un contrôle quasi militaire, transformant ce qui aurait dû être l’antichambre de la liberté et de la connaissance en une “geôle de la jeunesse” distillant “une éducation sans amour et sans âme”. La morale y était corsetée. L’opinion des maîtres était “infaillible”, la parole des pères “irréfutable.”
“La sexualité était refoulée, traitée ni à l’école, ni dans la famille, ni en public, et l’on étouffait tout ce qui pouvait y faire songer. Les lignes du corps d’une femme devaient être dissimulées. La morale de ce temps avait pour souci capital de cacher et de dissimuler.”
On comprend toute la répugnance de Zweig contre un tel système de refoulement, lui qui devait devenir ami intime avec Freud…
Ce carcan étouffant fit naître chez le futur écrivain comblé de gloire “une passion de la liberté qui se manifesta de bonne heure.” Sa soif d’émancipation s’exprima dans le champ culturel. Avec ses condisciples étudiants, ils s'éyaient donné l'objectif d’incarner “les troupes de choc de l’Art nouveau.”
Fatigués d’entendre les leçons sur “la poésie naïve et sentimentale de Schiller”, ils glissaient les poèmes de Rilke sous leurs grammaires latines. A leurs yeux enthousiastes, “Nietzsche révolutionnait la philosophie, Schoenberg la musique…”
Entre tous les artistes de leur époque, une figure les fascinait tout particulièrement : Hugo Von Hofmannsthal, dans lequel leur jeunesse “ne voyait pas réalisées seulement ses plus hautes ambitions, mais encore la perfection poétique la plus achevée et la plus absolue, et cela en la personne d’un jeune homme qui avait à peu près leur âge…”

Zweig fréquenta tellement de célébrités que le récit de ses rencontres est un vrai tourbillon. Ses voyages à travers le monde étaient incessants. A Paris, “ville de l’éternelle jeunesse”, il passa “sa première année de liberté conquise après les études". Il y fit la connaissance de Rainer Maria Rilke, ce poète “ombrageux et réservé”, à “l’existence mystérieuse”,” invisible”, qui fuyait la renommée, “cette somme de tous les malentendus qui s’accumulent autour d’un nom”. Il fit avec lui des promenades enchantées, car les choses les plus insignifiantes prenaient de l’importance et étaient perçues par des yeux en quelque sorte illuminés.
Plus tard, il côtoya Emile Verhaeren, “le premier de tous les poètes français (sic) qui ait tenté de donner à l'Europe ce que Walt Whitman a donné à l’Amérique: une profession de foi en son époque, une profession de foi en l’avenir…”
Parmi les nombreux écrivains qu’il fréquenta, certains devinrent de vrais amis. Romain Rolland par exemple, dont le savoir écrivait-il “vous humiliait par son étendue”. Pourtant, s’il était ébahi par l’étendue de ses connaissances : “littérature, philosophie, musique, pas un domaine échappait à sa curiosité”, il restait quelque peu dubitatif quant à sa naïveté idéologique, très portée à gauche.
Il admirait pareillement le talent de conteur de Maxime Gorki mais comprenait moins bien sa proximité avec le régime bolchevique. Il le rencontra à plusieurs reprises, notamment lors d’un émouvant voyage en Russie en 1928. Ce fut l’occasion d’un pèlerinage à Iasnaïa Poliana où vécut Tolstoï et où il est enterré sous un simple tumulus herbeux, sans croix ni monument : “Ni la crypte de Napoléon sous la coupole de marbre des Invalides, ni le cercueil de Goethe dans le caveau des princes, ni les monuments de l’abbaye de Westminster n’impressionnent autant que cette tombe merveilleusement silencieuse, à l’anonymat touchant, quelque part dans la forêt, environnée par le murmure du vent, et qui ne livre par elle-même nul message, ne profère nulle parole.”
Dans l’effervescence culturelle viennoise, c’est naturellement Freud qui ressort le plus, tant les deux hommes furent intimes. Fasciné par l’intelligence et les théories du psychanalyste, Zweig lui vouera une immense et durable admiration, et l’accompagna lors des derniers mois de sa vie à Londres, en 1939.
Il noua également des liens très forts avec Richard Strauss. Il écrivit plusieurs livrets pour accompagner ses opéras, (notamment La Femme Silencieusse), mais comme avec Rolland ou Gorki, s’interrogeait sur l’ambivalence du personnage, longtemps choyé par les Nazis. Stefan Zweig ne douta toutefois jamais de la sincérité et de l’honnêteté intellectuelle de son ami. Lui-même avait d’ailleurs bénéficié un temps de la faveur de Hitler, peut-être en partie grâce à sa collaboration avec le musicien...
Parmi les artistes dont Zweig fut proche et dont il raconte les rencontres, on peut encore citer Auguste Rodin, James Ensor, Paul Valery, Arthur Schnitzler, James Joyce, Bernard Shaw, HG Wells, Pierre-Jean Jouve, et les musiciens Feruccio Busoni, Arturo Toscanini, Alban Berg, Bruno Walter...
Non content d’approcher maints grands esprits contemporains, Zweig fut un chasseur invétéré d’autographes et de manuscrits célèbres : Leonard de Vinci, Napoléon, Balzac, Nietzsche, Bach Haendel, Gluck, Beethoven... Il y cherchait frénétiquement le secret du génie, la magie de l’instant créateur...

(à suivre...)