06 mars 2020

Avec Pessoa dans Lisbonne (3)

Derrière la morgue du solitaire qui s’isole du monde, il y a toutefois la sagesse du philosophe. Revenu de tout et sans illusion sur l’humanité et les sentiments, Pessoa exprime une morale fort simple: “ne faire à personne ni bien ni mal.” S’il n’y a pas de chaleur dans sa manière de se comporter, il n’y a pas d’animosité non plus à l’égard de quiconque: “Je suis hautement sociable et l’être le plus inoffensif qui soit, mais je n’ai foi en rien, espoir en rien, charité pour rien…”
Pessoa aime à l’évidence la liberté, mais dans son esprit, c’est avant tout “la possibilité de s’isoler.” Car c’est seulement dans la solitude que l’être peut s'émanciper: “Tu es libre si tu peux t’éloigner des hommes et que rien ne t’oblige à les rechercher, ni le besoin d’argent, ni l'instinct grégaire, l’amour, la gloire ou la curiosité, toutes choses qui ne peuvent trouver d’aliment dans la solitude. S’il t’est impossible de vivre seul, c’est que tu es esclave… A un autre moment, il va plus loin encore: “l’argent est beau parce qu’il libère…”
Grand rêveur, Pessoa n’éprouve pas non plus le besoin de voyager pour s’évader ou se sentir libre. Rien que l’idée lui donne la nausée, et avant même d’être parti, il est revenu de tout:” J’ai déjà tout vu ce que je n’avais vu. J’ai déjà vu tout ce que je n’ai pas vu encore…”. Comme tous les êtres “doués d’une grande mobilité mentale”, il éprouve “un amour organique et fatal pour la fixité” et il déteste “les nouvelles habitudes et les endroits inconnus”. Lisbonne qui n’a plus de secret pour lui suffit à son bonheur.
A la fin des fins, c’est la résignation qui l’emporte sur tout, car “l'esclavage est la loi de cette vie, et il n’en est pas d’autre, car c’est à cette loi qu’on doit se soumettre, sans révolte ni refuge possibles.../… Ne pas tenter de comprendre; ne pas analyser…. Se voir soi-même comme on voit la nature; contempler ses émotions comme on contemple un paysage - c’est cela la sagesse.../… Personne ne pourra me dire qui je suis, ni ne saura qui j’ai été.”
Il ressent le temps qui passe “comme une immense douleur”, et pour en atténuer les effets, selon lui, “sage est celui qui monotonise la vie” dans l’attente de la mort, laquelle n’a pour lui rien de dramatique, bien au contraire: “Nous sommes faits de mort. Cette chose que nous considérons comme étant la vie, c’est le sommeil de la vie réelle, la mort de ce que nous sommes véritablement. Les morts naissent, ils ne meurent pas…” Paradoxalement, il n’est pas pressé, et reste attaché à la vie pour des raisons étranges, voir un brin contradictoires: “Je n’ai jamais envisagé le suicide comme solution, parce que je hais la vie, précisément par amour pour elle !”

Sur Dieu, son opinion n’est pas définitive, mais il se rapproche de l’agnosticisme voltairien: “si l’on considère sérieusement ce fait essentiel qu’est la grande horlogerie de l’univers, je n’ai jamais compris que l’on puisse en même temps nier l’existence de l’horloger.”
Il repousse en tout cas les arguments habituels de ceux qui doutent, et plus encore de ceux qui professent avec assurance l’athéisme : “Je comprends qu’on attribue à cette intelligence suprême quelque élément imparfait. Je comprends également, si l’on tient compte du mal qui existe dans le monde, on ne puisse admettre l’infinie bonté de cette intelligence parfaite. Je le comprends, sans l’admettre.../… Quant à nier l’existence de cette intelligence, c’est à dire de Dieu, cela me semble l’une de ces imbécilités qui affectent sur un point l’intelligence d’hommes qui, sur tous les autres points, peuvent fort bien être des esprits supérieurs…”

Pour achever cette incursion dans l’univers foisonnant de Pessoa, il ne reste plus qu’à s'appesantir un peu sur le seul sujet qui lui tint à coeur dans sa vie, la littérature. Il s’agit sans aucun doute pour lui, “du plus beau des arts”, un domaine “où seule compte l’excellence”. On a vu son intransigeance vis à vis de la langue. S’agissant de l’art en général, Pessoa n’est pas moins exigeant, ce qui l’amène à répudier maintes formes prétendues artistiques, qui ne sont rien d’autres pour lui que l’expression de banalités sans intérêt. La création n’est pas à la portée de tout le monde, et si le fond importe, la perfection de la forme lui paraît essentielle: “lorsque le critère de l'art était une construction solide, un respect scrupuleux des règles, bien peu pouvaient se risquer à être des artistes, et parmi ceux-là, la plupart étaient fort bons. mais lorsque l’art cessa d’être considéré comme une création, pour devenir l’expression des sentiments, alors chacun put devenir artiste, puisque tout le monde a des sentiments…”
La littérature quant à elle, constitue la quintessence de ce que l’esprit humain peut construire, et sa force est sans nul doute d’être en lien direct avec les rêves. Elle s’en nourrit pour l’auteur et les alimente pour le lecteur : “ce mariage de l’art et de la pensée, cette réalisation que ne vient pas souiller la réalité - m’apparaît comme le but vers lequel devrait tendre tous les efforts de l’être humain s’il était vraiment humain, et non pas une excroissance superflue de l’animal.../… Pour être son être véritable, on n’y parvient qu’en rêvant, parce que la vie réelle, la vie humaine, loin de vous appartenir, appartient aux autres. remplace donc la vie par le rêve et ne te soucie que de rêver à la perfection. Dans aucun des actes de la vie réelle, depuis celui de naître jusqu’à celui de mourir, tu n’agis vraiment: tu es agi; tu ne vis pas: tu es seulement vécu.”

Avant tout poète, et attaché à la beauté des formes autant qu’à la force du rêve, Pessoa a quelque chose de parnassien. A l’instar de Mallarmé, il se plaît à évoluer dans une symbolique éthérée, ce qui éclaire une de ses devises, qu’il livre au lecteur en forme de conseil: “Deviens aux yeux des autres un sphinx absurde.”
Il y aurait encore des foules de choses à dire et à retirer de cet étrange et envoûtant Livre de l’Intranquillité, tantôt caustique et désespéré, tantôt extra-lucide et résigné. Avant de le refermer, voici deux extraits poétiques en diable qui disent bien l’essence de ce rêve éveillé, et de l’âme lisboète, célestes mais nourris de sensations:

Rêve triangulaire
La lumière avait pris une teinte jaune d’une lenteur excessive, un jaune sale et blême. Les intervalles entre les choses s’étaient élargis, et les sons, espacés selon un ordre nouveau, résonnaient de façon décousue. On les avait à peine entendus qu’ils cessaient d’un seul coup, comme cassé net. La chaleur, qui semblait avoir augmenté, paraissait - chaleur à l’état pur - toute froide. Les volets intérieurs de la fenêtre, juste entrouverts, laissaient apercevoir par cette fente étroite l’attitude d’expectative exagérée, du seul arbre visible. Il était d’un vert différent, tout imbibé de silence. dans l’atmosphère se fermaient des pétales. Et dans la composition même de l’espace, une corrélation différente, entre des choses analogues à des plans, avait modifié et brisé la façon dont les sons, les lumières et les couleurs utilisent l’étendue.

Enfin, une incantation aux ténèbres que Novalis n’aurait pas reniée: “Ô nuit, où les étoiles mentent de leur lumière, ô nuit, seule chose à la taille de l’Univers, change-moi, corps et âme, en une partie de ton propre corps afin que je me perde, devenu pur ténèbre, et devienne nuit à mon tour, sans rêves telles des étoiles au fond de moi, sans astre dont l’attente resplendirait depuis l’avenir…

04 mars 2020

Avec Pessoa dans Lisbonne (2)

Lorsqu’on est entré dans la touffeur ensorcelante du Livre de l’Intranquillité, il s’avère difficile d’en sortir. Il n’y a ni chemin, ni récit, ni histoire, ni même action. C’est tout l’art de l’auteur que d’accrocher le lecteur par la seule force de ses rêveries, et de créer une complicité durable. Par petites touches, se dessine un être très humble, presque effacé, mais attachant et souvent déconcertant, auquel on ne peut s’empêcher de s’identifier par moments, et qu’à d’autres on cherche vainement à comprendre. C’est un peu du mystère de l’âme humaine et de l’essence de l’existence qui se dévoile au long de pages souvent poétiques, parfois hermétiques, mais très accaparantes.
Pour tenter d’en faire goûter la saveur, rien ne vaut la méthode qui consiste à cueillir de ci de là dans cette forêt de symboles, quelques citations et de les présenter en une sorte de pot-pourri thématique suggestif.

Pour cela, commencer naturellement par le rêve : “C’est la pire des drogues car elle est la plus naturelle de toutes. Elle se glisse dans nos habitudes avec plus de facilité qu’aucune autre, on l’essaye sans le vouloir, comme un poison offert. Elle n’est pas douloureuse, elle ne cause ni pâleur ni abattement - mais l’âme qui en fait usage devient incurable, car elle ne peut plus se passer de son poison, qui n’est rien d’autre qu’elle-même.”
Le rêve, c’est une sorte d’ontologie : “Toutes mes pensées, malgré mes efforts pour les fixer, se transforment tôt ou tard en rêverie. Nous ne sommes véritablement que ce que nous rêvons, car le reste, dès qu’il se trouve réalisé, appartient au monde et à tout un chacun. Si je réalisais l’un de mes rêves, j’en deviendrais jaloux car il m’aurait trahi en se laissant réaliser…/... Cependant, même le rêve né au cours de ma réflexion finit par me lasser. Alors j’ouvre les yeux qui rêvaient, je vais à la fenêtre et je transpose le rêve vers les rues et les toits.../… Dans cette contemplation mon âme se voit réellement délivrée, et je ne pense plus, ne vois plus, n’éprouve plus aucun besoin; c’est alors que je contemple réellement l’abstraction de la Nature - de la Nature, différence entre l’homme et Dieu…”
Le rêve en somme, c’est ce qui nous permet de tout imaginer, de concevoir les projets les plus complexes sans jamais être obligé de les réaliser. Le rêve, c’est aussi ce qui préserve de l’ennui dont Pessoa livre une belle définition: “souffrir sans souffrance, vouloir sans volonté, penser sans raisonnement… C’est comme être possédé par un démon négatif, être ensorcelé par quelque chose d’inexistant.”

Lorsque l’auteur sort du royaume des songes et qu’il aborde le sujet de la conscience de soi et des autres, il exprime un sombre pessimisme, que d’aucun pourrait qualifier d’égocentrisme: “Aucun homme ne peut comprendre les autres. Comme l’a dit le poète, nous sommes des îles sur l’océan de la vie; entre nous ondoie la mer, qui nous définit et nous sépare.../… Nous ne possédons ni un corps, ni une vérité - pas même une illusion. Nous sommes des fantômes de mensonges, des ombres d’illusions, et notre vie est aussi creuse au-dehors qu’au-dedans…”
Plus loin, la frontière entre le moi et les autres est encore plus explicite: “L’une de mes constantes préoccupations est de comprendre comment d’autres gens peuvent exister, comment il peut y avoir des âmes autres que la mienne, des consciences étrangères à la mienne, laquelle étant elle-même conscience, me semble par là même être la seule…
A la vérité, Pessoa ressent une profonde solitude. Rien ne peut vraiment la combler, car envers et contre toute compassion, “lorsqu’on souffre on est seul...” En retour, il ne parvient à s’émouvoir du sort de ceux qui l’entourent, même s’il éprouve de la sympathie pour eux: “Quelque amitié que je porte à quelqu'un, et si véritable que soit cette amitié, apprendre que cet ami est malade ou qu’il est mort ne me cause rien d’autre qu’une impression vague, indistincte, comme effacée, qui me fait honte../… J’éprouve seulement de la peine d’être incapable d’en ressentir…”
La misanthropie qui semble l’affecter repose sur des expériences douloureuses et des constats désabusés sur les comportements humains : “j’ai toujours voulu plaire. J’ai toujours souffert de ne trouver qu’indifférence.../… je reconnais en moi l’aptitude à inspirer le respect, mais non l’affection.../… je ne possède ni les qualités d’un chef, ni celles d’un subalterne. Je ne possède pas même celles de l’homme satisfait de son sort.../… Ayant constaté avec quelle lucidité, quelle cohérence logique certains fous justifient, pour les autres et pour eux-mêmes, leurs idées les plus délirantes, j’ai perdu à tout jamais la ferme certitude de la lucidité de ma propre lucidité…”
Au fond, pour lui, ce qu’on nomme habituellement l’amour n’est qu’un pis aller: “Aimer c’est se lasser d’être seul; c’est donc une lâcheté, une trahison envers soi-même (il importe souverainement de ne pas aimer…)”

Conséquence logique du sentiment de vanité de l’existence et des rapports humains, Pessoa regarde le monde qui s’agite avec lassitude. Il le contemple, mais rechigne à prendre part à l’agitation qui l’anime : “L’action est une maladie de l’esprit, un cancer de l’imagination. Agir c’est s’exiler. toute action est incomplète et inachevée. Le poème dont je rêve n’a de défaut que lorsque je tente de l’écrire…”
L’idéal, pour l’écrivain, “ce serait de n’avoir d’autre action que l’action fictive d’un jet d’eau - monter pour retomber au même endroit, bref éclat au soleil dénué de toute utilité, et faisant un bruit quelconque dans le silence de la nuit, pour que le rêveur pense à des fleuves dans son rêve, et sourie distraitement…”
Il n’est admirateur, ni des hauts faits d’armes ni des épisodes glorieux de l’histoire, ni du progrès social: “ Cela me fait mal à l’intelligence que quelqu’un puisse s’imaginer qu’il va changer quoique ce soit en s’agitant. La violence quelle qu’elle soit, a toujours représenté pour moi une forme hagarde de la bêtise humaine.../… Tous les révolutionnaires sont stupides, comme le sont, quoiqu'à un degré moindre, parce que moins gênants, tous les réformateurs.../… Impuissant à dominer et à réformer sa propre attitude, le révolutionnaire cherche une échappatoire en essayant de changer les autres et le monde extérieur.../… Rien ne me rebute autant que les vocables de la morale sociale.../… les termes de “devoir civique”, “solidarité”, “humanitarisme”, et d’autres du même acabit, me répugnent comme autant d’ordures qu’on me jetterait à la tête…”
Son mépris pour ceux qui dirigent le peuple est gigantesque et face à la foule, il se retranche dans l'individualisme: “Le gouvernement des hommes repose sur deux principes: réprimer et tromper. L’ennui c’est qu’ils ne parviennent ni à réprimer, ni à tromper. Ils saoulent tout au plus…/… J'admets toujours difficilement la sincérité des mouvements collectifs, étant donné que c’est l’individu seul avec lui-même qui pense réellement…

On dit souvent de Pessoa, qu’il incarne le Portugal. Pourtant sa vision de la patrie se limite à celle de la langue, à laquelle il voue un culte exclusif: “il me serait totalement indifférent qu’on prenne ou qu’on envahisse le Portugal, à condition qu’on ne me cause pas d’ennuis, à moi personnellement. Ma patrie c’est la langue portugaise. J’éprouve de la haine véritable, non pas contre ceux qui écrivent mal le portugais, qui ignorent la syntaxe ou qui écrivent selon l’orthographe simplifiée, mais contre la page mal écrite, que je déteste comme une personne réelle.”
 
A suivre...

28 février 2020

Avec Pessoa dans Lisbonne (1)

Rarement un écrivain aura autant fait corps avec une ville. Fernando Pessoa (1888-1935) c’est un peu l’âme de Lisbonne. Ce personnage déroutant est à l’image de cette cité, à la fois noble et belle mais également imprégnée d’une étrange et distante fatalité tragique. Héritage possible du drame qui la secoua en 1755, bien qu'elle fut presque entièrement reconstruite sous l’égide du marquis de Pombal, Lisbonne garde un parfum de vieille ville derrière ses grandes et nostalgiques places et avenues.
On aime ou on n’aime pas ce mélange un peu déconcertant qui fait naître des sentiments contradictoires. Il y a dans Lisbonne quelque chose de géant et de désespéré; de vastes proportions mais une sensation d’absence, et des couleurs délavées balayées par les vents océaniques. Les azulejos ont des teintes de ciels et de nuages, de mer et d’écume. Ils sont là, bien présents, mais vous parlent d’ailleurs, et d’un autre temps. Et le long de ruelles tortueuses, les tramways poussifs mais infatigables gravissent les pentes et les redescendent tels de modernes et désuets sisyphes.
Il y a dans Lisbonne comme un subtil mélange d’espérance et de désillusion, de sérénité et d’intranquillité.
C’est exactement ce qui traverse l’œuvre monumentale et inquiète de Fernando Pessoa. Lire Pessoa, c’est donc comprendre un peu mieux Lisbonne...

Le fait même que l’écrivain crut bon de recourir à plusieurs identités, qu’il qualifiait d’hétéronymes, dit bien la complexité de cet esprit tourmenté. Tantôt Fernando Pessoa, tantôt Bernardo Soares, ou bien encore Alberto Caeiro, Ricardo Reis, Alvaro de Campos, on se perd en conjectures devant tant de facettes d’une même personne, même si depuis Rimbaud, on sait que le Je est un autre…
Quant au Livre de l’Intranquillité, son monumental chef d’oeuvre en prose, comment le qualifier ? Richard Zenith écrivait en introduction qu’il ne s’agissait pas d’un livre, mais de “sa subversion”, voire de “sa négation”, d’un “livre en puissance, ou mieux, d’un livre en ruine, un livre-rêve, un livre-désespoir, l’anti-livre par delà toute littérature…”
Lorsque l’on se plonge dans cette “autobiographie sans évènement” comme la nomme l’auteur lui-même, on n’est pas certain d’en ressortir indemne. Comment ne pas vaciller en effet, en lisant qu’il se situe “à cette distance de tout, que l’on appelle communément la Décadence”, ou encore que selon lui “l’inconscience est le fondement de la vie”.
Et comment garder la tête froide lorsque pour être plus explicite, il tourne en interrogation ce décalage existentiel: “à nous qui vivons sans savoir vivre, que reste-t-il, sinon le renoncement comme mode de vie, et pour destin la contemplation ?”
“Je voudrais, écrivait-il encore, que la lecture de ce livre vous laisse l’impression d’avoir traversé un cauchemar voluptueux.”

C’est un fait, Pessoa est avant tout un rêveur, un inactif, un contemplatif, quasi jusqu’à l’absurde. Il n’est pas extérieur au monde bien au contraire. Il est dans l'événement, il navigue presque désincarné, dans le présent qui se déroule sous ses yeux. Mais il est seul, tel un marin, exilé volontaire sur l’océan, qui se confronte
aux éléments, sans but évident pour le commun des mortels...
Pour Pessoa, plus encore que pour la Tortue, rien ne sert de courir, rien ne sert même de partir à point, il suffit d’être... et de rêver. Car tout ce qui n’est pas rêve n’est qu’illusion. Même écrire, pour important que cela fut pour lui, apparaît dérisoire : “Je relis, lentement, lucidement, morceau par morceau, tout ce que j’ai écrit. Et je trouve que cela est nul et que j’aurais mieux fait de ne pas l’écrire…” Plus loin, il enfonce un peu plus encore le clou: “ le seul destin noble pour un écrivain, c’est de ne rien publier…”
Dans ces conditions, pourquoi diable lire ?
Parce que nous dit Pessoa, “Lire, c’est rêver en se laissant conduire par la main….”

A suivre...

26 février 2020

Viralité

Viralité: ce terme à la mode dans le microcosme des réseaux sociaux est devenu en quelques semaines le principal sujet de préoccupation de la communauté internationale, et fait désormais la une de tous les journaux. Cette fois c'est au sens propre.
Un nouveau variant de coronavirus dit COVID-19 est en train de faire tache d'huile sur la planète. Il n'a pas les caractéristiques terrifiantes des grandes épidémies d'autrefois, mais il est susceptible de déstabiliser profondément la marche du monde.


La propagation rapide de ce micro-organisme qui se rit des frontières est une manifestation spectaculaire de la mondialisation. C'est une réalité incontournable que nul protectionnisme ne peut espérer endiguer durablement. Mieux vaut imaginer des mesures pragmatiques internes que de tenter d'ériger d'illusoires lignes Maginot.

Dans un tel contexte, les régimes totalitaires “avancés” ont un avantage. Grâce à la centralisation du pouvoir et de tous ses leviers de commande, grâce à l’absence d’opposition, ils ont une capacité sans égale pour confiner les populations, et peuvent mobiliser des moyens importants au service d'une stratégie concentrationnaire comme l'a démontré récemment la Chine.
Les démocraties ont pour elles la réactivité, la puissance scientifique, l'information éclairée des citoyens et l'esprit civique. Malheureusement ces avantages qui devraient être décisifs, ont été érodés par la permissivité, l'irresponsabilité, la démagogie et l'indétermination chronique des pouvoirs publics...

Quoiqu'il en soit, l'évolution de cette nouvelle pandémie risque d'être rapide et diffuse. La maladie a une létalité relativement modeste (probablement inférieure à 2%) ce qui facilite sa propagation. D'autant plus que si sa contagiosité ne semble pas très forte, les personnes contaminées peuvent la transmettre sans manifester eux-mêmes de symptômes.
Il est donc probable, comme le nouveau ministre de la santé l'a annoncé, que notre pays soit prochainement confronté de plein fouet à l'épidémie.
Selon les scénarios quelque peu catastrophistes de certains experts, 40 à 70% de la population mondiale pourrait être touchée, soit jusqu’à 5 milliards de personnes. Ce qui pourrait se traduire par plusieurs dizaines de millions de morts... Par comparaison, la grippe dont les manifestations cliniques ressemblent beaucoup à la maladie due au coronavirus, aussi contagieuse mais avec une létalité dix fois moindre, et pour laquelle on dispose d'un vaccin, est responsable de 10.000 décès par an en moyenne. S'agissant du coronavirus, le sinistre décompte a déjà dépassé largement les 2000 et les foyers sporadiques se multiplient en Europe. Tout est là pour créer un mouvement de panique. On annonce déjà "la" crise économique majeure que les spécialistes attendaient fébrilement depuis des mois, et les médias se plaisent à montrer les pharmacies submergées par la ruée sur les masques FFP2 et les solutions hydro-alcooliques. Tandis que la Bourse dévisse, la spéculation va bon train sur ces expédients, sans doute guère plus efficaces que les mesures de bon sens consistant à éviter embrassades, poignées de mains et autres contacts trop rapprochés...
Nouvelle rassurante, la Chine par laquelle le mal est venu, semble être en passe de réussir à le circonscrire. On se souvient enfin que la fameuse grippe H1N1 qui avait semé en 2009 une belle panique s'était avérée en définitive fort bénigne.
Tout espoir n'est donc pas perdu...

19 février 2020

Vanité du Politique

La déconfiture lamentable de Benjamin Griveaux, renonçant à sa candidature à la mairie de Paris pour une sordide affaire de mœurs, inspire une fois encore une foule de réflexions sur la vanité du politique.
Comment l'étincelant héraut de la geste macronienne, parti sabre au clair et quasi assuré de la victoire, a-t-il pu faire preuve d'autant de faiblesse et de naïveté, voilà qui est vraiment inexplicable. On pourrait épiloguer sur le fait qu’il fut un des lieutenants du calamiteux et dissolu Strauss-Kahn. Tel père, tel fils en somme…
On pourrait, à l'unisson des gens bien intentionnés, se lamenter, voire s'insurger contre l'intolérable violation de la vie privée que cette triste histoire révèle.
Mais derrière ce fait divers consternant, c’est toute la classe politique qu’on peut pointer du doigt pour son inconstance et son irrémédiable légèreté, pour ne pas dire stupidité.
Si l’on s’en tient à l’ère Macron, il faudrait longuement énumérer les actions, mesures, et propos absurdes ou insensés. Tous ne relèvent pas de la moralité certes, mais tous s’inscrivent dans l’incongruité voire dans l’auto-destruction.
Ainsi la baisse (pourtant homéopathique) des Aides Personnalisées au Logement, au moment précis où le gouvernement faisait semblant d’abolir l’Impôt de solidarité sur la Fortune, relevait du quasi suicide politique eu égard au court-bouillon égalitariste et revanchard dans lequel clapote le pays depuis la Révolution.
Non content de cette expérience funeste, le Premier Ministre ne trouva rien de mieux à faire quelque temps après, que de souffler sur les braises en imposant l’ubuesque réduction de la vitesse sur les routes, tout en faisant monter indéfiniment les taxes punitives sur le diesel. S’ensuivit la prévisible mais interminable rébellion des Gilets Jaunes...
On pourrait continuer la litanie, car la taxe sur les GAFA, ourdie par le sémillant mais creux ministre de l’économie Bruno Lemaire est évidemment du même tonneau. Elle ruisselle de démagogie, mais elle ne peut être qu’inefficace, ne rapportant qu’une hausse des prix pour les consommateurs et des mesures de rétorsion de la part des Etats-Unis. Dans le même registre figure la loi egalim supposée encadrer les promotions commerciales en matière de produits alimentaires, ou celle bloquant les loyers dans certaines grandes villes. Il n'est pas nécessaire de sortir de Polytechnique pour voir que toutes ces dispositions tarabiscotées aboutissent en règle au résultat inverse de celui escompté. Mais qu'importe. Moins ça fonctionne, plus les politiques s'entêtent dans leurs lubies...

L’interdiction promise quoique sans cesse repoussée du glyphosate et toutes les demi-mesures gravitant autour de cet herbicide honni n’est pas moins absurde, puisque toutes les publications sérieuses et toutes les Agences officielles qui se consacrent à la protection de l’environnement ont conclu qu’il s’agissait d’un péril en grande partie imaginaire. Pourquoi donc risquer de ruiner les quelques agriculteurs essayant encore de survivre sous l’étouffoir réglementaire ? Et quelle prétention que celle de changer le cours du monde, et jusqu’à son climat par la seule force des lois et des taxes !

Devant tant d’inconséquence et d’arrogance, on reste coi. Il semble impossible de comprendre toutes ces extravagances totalement étrangères à “la raison raisonnante”. Dommage, car elles sont susceptibles de casser les objectifs de programmes intéressants ou de gâcher l’effet de mesures utiles. Il en est ainsi par exemple de la fameuse et nécessaire réforme des retraites que l’impréparation, la confusion des genres et les perpétuels revirements ont rendu inintelligible et donc probablement vouée à l’échec. Il en est de même pour les baisses d’impôts plutôt bienvenues, mais qui soit passent inaperçues, comme celle sur le revenu, soit ne convainquent personne comme l’étrange suppression de la taxe d’habitation, à budget constant.
Vanitas vanitatum, omnia vanitas...

Illustration: David Bailly, Vanité au portrait

06 février 2020

Comment l'Etat tue le téléphone...

Notre cher État Providence n’est jamais à court d’imagination en matière de réglementation fiscale et de dispositifs tarabiscotés supposés inciter les bonnes gens à mieux se comporter ou au contraire à les dissuader de mal agir.
Il y a quelques années, il a inventé le dispositif innovant des Certificats d’Économie d’Énergie (CEE), destiné à protéger l'environnement en réduisant la consommation énergétique.
Depuis 2005, selon le principe des pollueurs payeurs, tous les fournisseurs d’énergie (EDF, Engie, Total, BP…) sont contraints par la loi POPE (curieux nom…) d’attester qu’ils mettent en place une politique d’économie, dont la conséquence pour eux est évidemment de vendre moins de leurs produits. Et pour attester qu’ils font tout pour réduire leur chiffre d’affaires, ils sont tenus d’acheter des bons points, les fameux CEE. Trois possibilités s’offrent à eux: acquérir directement ces certificats “sur le marché”, les obtenir en contrepartie d’aides financières aux travaux d’isolation, ou encore en échange de participation financière à des programmes d’économie d’énergie “éligibles”.

On pourrait ergoter sur l’absurdité de cette mesure qui pénalise des commerçants au motif qu’ils vendent leur marchandise. On pourrait également flétrir l’hypocrisie du système qui conduit en fin de compte à faire payer leurs clients dont la facture ne peut par ricochet, que s’alourdir…
Mais le plus édifiant en la matière, est de voir l’afflux soudain d’aigrefins en tous genres attirés par la manne ainsi dispensée au titre de l’aide aux travaux d’isolation, qui s’abattent sur les bénéficiaires potentiels comme une noria d’oiseaux au dessus d’un champ fraîchement semé.
Derrière le slogan magique de “l’isolation à 1 euro”, ils se sont mis à racoler sans vergogne tous les possesseurs de biens immobiliers. La publicité est vite devenue invasive, se transformant en véritable harcèlement tous azimuts, notamment téléphonique. Résultat, pour quantité de gens, pas un jour sans recevoir au moins une demi-douzaine d’appels incitant à faire valoir leurs droits. Au bout du fil, c’est tantôt une voix doucereuse d’hôtesse administrative, tantôt celle masculine et neutre d’un correspondant cherchant à conférer un caractère officiel à ses recommandations. Parfois une simple invitation à se mettre en relation avec un conseiller spécialisé, parfois également rien du tout: absence de tonalité et fin brutale de communication…
Pour celles et ceux qui se laissent harponner, c’est une aventure qui commence et qui se termine parfois très mal, la ristourne finale étant beaucoup moins avantageuse que promis. Au pire, les travaux entrepris par des entrepreneurs peu scrupuleux, s’achèvent en eau de boudin, pétris de négligence et de malfaçons, quand ils ne sont pas purement et simplement avortés. Du pain béni en somme pour Elise Lucet, toujours à l'affût des mauvais coups à dénoncer…

Pour encadrer et expliquer cette loi si bien intentionnée, on ne compte pas moins de deux agences d’État: l’Agence De l’Environnement et de la Maîtrise de l’Energie (ADEME) et l’Agence nationale de l'habitat (ANAH). Invraisemblable débauche de moyens pour un résultat des plus discutables. Et qui a conduit à un déferlement d’excès et d’abus que l’État ne sait plus comment endiguer. Un fait est sûr, cette usine à gaz est en train de rendre le téléphone odieux à beaucoup de gens, et va probablement conduire à tuer les lignes fixes, quasi monopolisées par ce démarchage insupportable !

04 février 2020

Hôpital Express

La Chine contemporaine est à bien des égards étonnante. Terre de tous les excès et de tous les contrastes, elle stupéfie le monde. Restée officiellement communiste, elle s’est ouverte largement au capitalisme. Le mélange s’avère détonnant.

Comment un pays aussi riche culturellement, aussi inventif et dynamique avait pu basculer à ce point dans l’horreur socialiste, voilà qui reste un très intrigant mystère.

Non moins extravagante fut la folie qui saisit nombre d’imbéciles intellectuels occidentaux, soi-disant éclairés, qui les conduisit à qualifier cet obscur moyen-âge, d’expérience des plus excitantes, riche d’espoir et de progrès. Tandis que Mao assassinait par millions son peuple, tout en se livrant à des absurdités plus énormes que celles de Père Ubu, une partie du monde libre faisait semblant de s’extasier sur les pretendus bienfaits de ce tyran hors norme. Il faut espérer que ce honteux épisode serve de leçon, mais on peut en douter hélas lorsqu’on voit l’emprise persistante de cette idéologie sur les esprits.

Le redécollage de "l’Empire Céleste" au sortir de la terrifiante nuit maoïste a bouleversé le cours des choses urbi et orbi. Beaucoup de questions restent certes en suspens sur l’avenir de ce régime chimérique, mariage improbable des contraires, mais on ne peut que rester ébahi par sa capacité à donner la prospérité à un nombre croissant d’individus et à réagir avec détermination et sang froid aux situations de crise.

L’épidémie actuelle de fièvre due au coronavirus est prise là bas très au sérieux. Pour l’endiguer, tous les moyens sont mis en œuvre. Et la construction expresse d’un hôpital de 1000 lits en dix jours constitue une illustration spectaculaire de l’effort entrepris. Un tel tour de force est évidemment inimaginable en notre bonne vieille Europe et surtout en France... Qu’on imagine l’État englué dans la crise hospitalière, pouvoir la résoudre de cette manière, en trois coups de cuillers à pot !
Impensable évidemment, mais en Chine tout est permis. Pas de syndicats indépendants, pas de gilets jaunes ailleurs que sur le dos des ouvriers, un code du travail réduit à sa plus simple expression, des droits sociaux quasi inexistants, et un Pouvoir Central omnipotent et décisionnaire de tout, ça simplifie la vie… L’application expérimentale, quasi sauvage, du capitalisme, sans frein autre qu’un pouvoir de décision centralisé, est vertigineuse.

Ce lundi 3 février, l’établissement hospitalier consacré aux victimes du coronavirus, dont les travaux avaient débuté 10 jours auparavant, a ouvert comme prévu ! Pari tenu, pour un coût équivalent à une quarantaine de millions d’euros, et un chantier titanesque de 25000 m2, sur lequel ont travaillé jour et nuit 4000 ouvriers, et des milliers d’engins. Du réglage de l’époustouflant ballet de pelleteuses, à la coordination de tous les corps de métier, tout fut parfaitement ordonné.
Il n’y a plus qu’à espérer que cela contribue à contenir la propagation de l’épidémie et à en réduire la morbidité et la mortalité ! Et plus que jamais, on est songeur, sur ce qui se passe là-bas, dans cet Orient, extrême à tous égards...

30 janvier 2020

Le Triomphe Des Lumières ? (2)

Sur certains sujets le raisonnement de Steven Pinker déraille parfois étrangement et s’égare dans les lieux communs, le fatalisme et même le conformisme catastrophiste qu’il s’est fait un devoir de combattre !
Lorsqu’il évoque le noble sujet de la démocratie par exemple, il se félicite de voir le modèle hérité des pères fondateurs américains s’étendre peu à peu, diffusant même dans des régimes autoritaires comme en Chine et en Russie. Dans le même, le temps pourtant, il estime qu’il soit difficile à implanter dans des pays extrêmement pauvres, “dont les gouvernements sont faibles ou bien qu’on a décapités” comme en Irak et en Afghanistan, au motif que "l’effondrement de l’État entraîne violence et instabilité, et ne mène pratiquement jamais à une démocratie." Ce faisant, il rejoint le consensus des idées reçues, et oublie que c’est par la force que la démocratie s’est imposée en Allemagne et au Japon…
Il néglige bizarrement d’évoquer les bastions où le totalitarisme s’accroche envers et contre tout (Corée du Nord, Cuba, Venezuela, Iran…) mais voit en revanche une menace majeure dans la montée des mouvements dits populistes dont Donald Trump serait l’archétype.
Pinker bascule alors corps et âme dans le manichéisme, si ce n’est le sectarisme qu’il condamne pourtant avec énergie. Au sujet du magnat américain, pas encore élu président, il fait preuve d’une aversion qui confine à la haine brute, n’hésitant pas à affirmer que tous les progrès qu’il vient de passer son temps à énumérer joyeusement “sont menacés si Donald Trump parvient à ses fins”. Au passage, il l’accuse de tous les maux: il est protectionniste, opposé aux vaccins (qu’il accuse de favoriser l’autisme), il veut priver des millions d’américains d’une couverture santé, il est hostile au commerce, il se désintéresse de la technologie, de l’éducation et des politiques sécuritaires, il préconise des réductions d’impôts au profit des plus riches, il a diabolisé les immigrés, et ravale le réchauffement au rang de canular.

Non satisfait de cette volée de bois vert il ajoute qu’il est “admirateur de Poutine”, qu’il est “notoirement impulsif et vindicatif”, et enfin qu’il aurait “plein de traits distinctifs d’un dictateur” !

Autant dire que c’est l’ouvrage dans son ensemble et la thèse qu’il soutient qui perd de sa crédibilité devant tant de jugements à l’emporte pièce. A quoi bon seriner “qu’il est déraisonnable de s’opposer à la raison”, lorsqu’on laisse ainsi des ressentiments personnels s’exprimer avec tant de passion ? Et pourquoi tant de réticence à voir que si le “populisme” progresse, c’est peut-être tout simplement parce que le modèle démocratique est en crise ? Pourquoi ne pas accepter l’idée que ce n’est pas nécessairement la démocratie qui rebute mais plutôt son incapacité croissante à défendre les valeurs sur lesquelles elle est fondée, et sa tendance à jargonner plutôt qu'à appeler les choses par leur nom ? Les succès électoraux des Trump, Orban, Salvini et compagnie ne sont-ils pas l’expression d’un mouvement de rejet vis à vis des politiciens classiques, aussi verbeux et démagogues en promesses qu’ils sont indéterminés, pusillanimes et inertes dans l’action ? En un mot le “triomphe des Lumières” est-il un acquis irréfragable, une certitude intangible ?

Au chapitre de l’humanisme, le dernier, Pinker achève de déconstruire la logique sur laquelle il s’appuyait et montre beaucoup de subjectivité pour vanter les vertus de l’athéisme. On pourrait trouver le thème hors sujet s’il n’en faisait pas un des moteurs essentiels du progrès, allant jusqu’à prétendre que “les pays les plus éduqués, ont un taux de religiosité faible” ce qu’il attribue à “l’effet Flynn”. Ce constat l’amène in fine à conclure assez monstrueusement que “lorsque les pays deviennent plus intelligents, ils se détournent de Dieu…”

N’est-ce pas plus prosaïquement la prospérité et le bien-être matériel qui détourne nombre de gens de la vie spirituelle, et en fait d'ailleurs plus des païens jouisseurs que des athées convaincus ?
A l’appui de sa thèse, l’auteur évoque avec un brin de satisfaction “la décroissance du nombre de croyants dans le monde au cours du XXè siècle.../… et le taux d’athéisme qui a été multiplié par 500 et qui a encore doublé depuis le début du XXIè siècle”. Détail amusant, il tire ces chiffres de sondages dont il nous dit “qu’ils utilisent des méthodes astucieuses pour contourner la réticence des gens à se dire ouvertement athées…” Belle preuve d’impartialité !
Pour parachever sa démonstration, Pinker assène lourdement que la morale théiste serait affublée de 2 défauts rédhibitoires : Primo, “il n’y a aucune bonne raison de croire que Dieu existe”. Pour preuve, “les arguments cosmologiques et ontologiques pour l’existence de Dieu sont contraires à la logique et l’argument du dessein divin a été réfuté par Darwin”.
Secundo, même si Dieu existait, sa morale serait inopérante, surtout transmise par le biais des textes sacrés et des religions qui ont permis de commettre, voire encouragé, tant d’atrocités au nom de Dieu. De toute manière, Pinker en est certain, il n’est pas besoin de craindre un châtiment divin pour obéir à la morale et s’empêcher de violer, de tuer ou de torturer.
On est éberlué devant le simplisme de la réflexion qui en toute logique conforte l’auteur dans l’idée que l’humanisme pourrait exister sans Dieu (good without God) et qu’il est possible d’asseoir la morale sur des bases rationnelles. Hélas, contrairement à ce qui est ici prétendu, le passé a montré que les régimes athées, soi-disant épris de bonnes intentions et de bons sentiments, étaient les plus férocement anti-humains.
Sur l’islam et son regain actuel, dans sa version la plus rétrograde et obscurantiste, l’auteur paraît songeur, voire un peu gêné, ce qui ne l’empêche pas de minimiser le péril. S’il déplore le caractère anti-humaniste des prêches les plus radicaux et la croyance qu’ont les musulmans dans l’infaillibilité du Coran, il considère que l’essor de cette religion serait dû notamment “aux interventions malencontreuses des occidentaux, tels le démembrement de l’empire ottoman, le soutien aux moudjahidines anti-soviétiques en Afghanistan, l’invasion de l’Irak…”
Il espère toutefois que l’islam moderne, issu de la civilisation arabe classique qui fut par le passé “un haut lieu de la science et de la philosophie séculière”, saura mettre fin à ses dogmes rigoristes et il ne désespère pas de voir les idées et valeurs occidentales progresser peu à peu dans le monde musulman par “diffusion et percolation”. Anecdote croustillante qui révèle une naïveté confondante, il rapporte à cette occasion qu’on a découvert dans la cache de Ben Laden un ouvrage de Noam Chomsky !

Au total, le pavé de connaissances et de raison qui devait démontrer le triomphe des Lumières dans la longue quête de Progrès se termine en assommoir pontifiant. Après avoir ingurgité patiemment nombre de graphiques et de chiffres, l’esprit est littéralement enseveli sous les truismes en tous genres, des plus tautologiques aux plus grotesques et partisans. En fin de compte, avec de tels dérapages, rien n’est moins assuré que le triomphe annoncé, ce pourquoi le titre de ces billets porte un point d’interrogation. Il reste encore l’espoir que l’héritage des Lumières soit assez solide pour qu’il survive aux coups de boutoirs des révolutionnaires et des idéalistes de tout poil, dont le péché commun est de faire passer leurs utopies avant le pragmatisme, quitte à mépriser l’expérience et la connaissance des faits. Il y aurait beaucoup à dire sur les légions d’intellectuels occidentaux qui exècrent par pure construction idéologique leur propre société et idéalisent celle de leurs ennemis. Pinker le déplore mais ne fait qu’effleurer le sujet. Encore se trompe-t-il trop souvent de cible, en désignant des boucs émissaires tels Nietzsche à propos duquel il se déchaine en critiques virulentes, venant un peu comme des cheveux sur la soupe. On comprend vite qu’elle exprime la détestation de l’auteur pour le populisme. Au passage, la brillante romancière libérale Ayn Rand (auteur du colossal Atlas Shrugged) est également éreintée, ainsi à nouveau que le pauvre Trump, dans lequel Pinker voit “le jaillissement de tribalisme et d’autoritarisme depuis les recoins sombres de la psyché.”
Il est vraiment dommage de tomber si bas lorsqu’on avait l’ambition de monter si haut, et si quelques uns des constats énumérés dans l’ouvrage restent bienvenus, on laissera notre adorateur des Lumières perdre sa raison dans de vaines controverses politiques et peut-être complètement s’égarer dans ses fumeuses théories cosmologiques selon lesquelles “le multivers serait la théorie la plus simple de la réalité...”

28 janvier 2020

Le Triomphe Des Lumières ? (1)

Par les temps de morosité sociale, de mécontentement quasi permanent et de rabâchages quotidiens au sujet d’un monde qui serait condamné à la catastrophe, certaines lectures pourraient être revigorantes, laissant entrevoir un espoir à travers la sinistrose.
L’optimisme “raisonné” dont fait preuve Steven Pinker dans un de ses derniers ouvrages à succès intitulé “Le Triomphe des Lumières” est à ce titre plutôt appréciable.
Pour confirmer cette impression, il faut évidemment avoir le courage de s’enquiller les quelques six cents pages (dont une centaine consacrées aux références bibliographiques !) de ce pavé à la rigueur souvent austère, et croire au pouvoir de la raison plutôt qu’à celui des croyances et des idées reçues. Il faut être sensible aux démonstrations chiffrées, car le livre en regorge. A l’appui de son propos, Pinker use en effet (et abuse peut-être un peu) des graphiques, car selon lui, tout est quantifiable et facile à mettre en courbe, y compris le bonheur.
C’est ainsi que défilent tous les thèmes sociétaux, passés au triple prisme de la Raison, de la Science, et de l’Humanisme: vie, santé, subsistance, prospérité, inégalités, environnement, paix, sécurité, terrorisme, démocratie, savoir, qualité de vie.
Et au travers de cette optique, si l’on regarde “objectivement les choses, tout ne va pas si mal…”

Avant de rentrer dans le vif du sujet, l’auteur rappelle ce que sont les fameuses “Lumières”. il n’apporte en la matière rien de nouveau à la magistrale analyse qu’en fit Kant, mais on sourit d’aise à la belle définition de Thomas Jefferson, liant lumière et progrès : “celui qui reçoit une idée de moi l’ajoute à son savoir sans diminuer le mien; tout comme celui qui allume sa bougie à la mienne reçoit la lumière sans me plonger dans la pénombre…”
Dans le chapitre suivant, consacré à la progressophobie, on trouve une diatribe assez juste sur les intellectuels dits “progressistes” qui ne cessent paradoxalement de dénigrer le progrès à tout bout de champ, tout en profitant sans vergogne à titre personnel de ses bienfaits. Les mêmes se comportent en prophètes de malheur, ressassant obsessionnellement la faillite du modèle fondé sur la démocratie, le libéralisme et le capitalisme, et Pinker flétrit au passage les médias qui relatent complaisamment à leur suite le mythe du déclin. Pour assoir ce constat, il analyse ainsi la teneur des articles paru dans le New York Times de 1945 à 2005, en “recensant les occurrences et le contexte dans lequel apparaissent des mots ayant des connotations positives ou négatives” et en tire des scores qu’il traduit en graphique. La démonstration est sans appel: d’une note oscillant entre 2 et 3 dans l’immédiat après guerre, on est passé à -3 de nos jours !
Tout l’ouvrage est à la mesure de ce procédé, bluffant, mais un tantinet caricatural, qui conduit en définitive à conclure que “le monde a fait des progrès spectaculaires dans chaque domaine mesurable du bien-être humain sans exception, mais [que] presque personne n’est au courant…”

Il y a dans cette démonstration beaucoup de constats pertinents, mais également quelques excès voire contradictions qui atténuent singulièrement la force du raisonnement. Commençons par les premiers.
S’agissant de “la richesse des nations”, par exemple, rien à dire, puisqu’il s'agit de remettre à l’endroit certaines réalités trop souvent occultées ou carrément travesties. Par exemple lorsqu’il est rappellé que “sur les 70 millions de personnes mortes de famine au cours du XXè siècle, 80% ont été victimes de la collectivisation forcée, des confiscations punitives et de la planification centrale totalitaire imposées par les régimes communistes.” Ou bien lorsqu’on lit cette remarque sarcastique à propos de Mao, longtemps encensé par les intellectuels de gauche, alors qu’il fut un des plus sanguinaires tyrans que la terre ait porté : “en 1976, [il] changea à lui seul et de façon spectaculaire le cours de la pauvreté dans le monde, par un acte simple, il mourut..”
Même si ces affirmations devraient relever de l’évidence, cela fait quand même plaisir à lire. Tout comme les constats qui devraient couler de source, affirmant que “les avantages économiques du capitalisme sont si évidents qu’ils n’ont pas besoin d’être mis en évidence par des chiffres”, et que “le monde est environ 100 fois plus riche qu’il y a deux cents ans, la part de l’humanité vivant dans l’extrême pauvreté étant passée de 90% à moins de 10%”. Hélas ces faits sont quasi quotidiennement niés par de prétendus savants, bourrés de préjugés et de parti-pris idéologiques...

S’agissant des inégalités, thème à la mode s’il en est, le propos est du même tonneau. Elles ne sont “pas en soi moralement condamnables” et ceux qui comme le très surestimé Piketty entretiennent la confusion entre inégalité et pauvreté, ne font que propager un sophisme connu sous le nom de lump fallacy. Cette absurdité veut que la quantité de richesse soit fixe et que l’enrichissement des uns se fasse nécessairement au dépens des autres. Rien de plus faux évidemment et l’auteur rappelle à cette occasion en citant Seidel : “que tous ceux qui appellent de leurs vœux une plus grande égalité économique feraient bien de se rappeler qu’à de rares exceptions près, elle n’a jamais été engendrée autrement que dans la douleur…”

Sur l’environnement et les écologistes le propos de Pinker est un peu plus déroutant. Il commence par fustiger la “croisade fanatique” que certains tels Steward Brand ont entrepris. A cette occasion, il n’hésite pas à mettre dans le même panier des activistes Al Gore, Unabomber, et le pape François ! En substance, “Les justiciers climatiques” voudraient qu’au lieu d’enrichir les pays pauvres, on appauvrisse les pays riches.
Sous l’éclairage de courbes et de chiffres difficilement contestables, on découvre que la pollution n’a pas cessé de diminuer. Un seul exemple, depuis les années 70 les États-Unis ont réduit des deux tiers leurs émissions de cinq polluants atmosphériques, alors que la population dans le même temps s’est accrue de 40% ! Il n’y a donc pas lieu de manifester un pessimisme alarmiste, d’autant que le développement de l’économie numérique devrait permettre de progresser encore en dématérialisant nombre de procédures matérielles.
Toutefois, Pinker fait également preuve d’un étonnant manichéisme, le conduisant par exemple à déplorer, face au réchauffement climatique et aux méfaits du carbone, “le déni des géants de l’énergie et de la Droite politique”, oubliant au passage que c’est le président Obama, son idole, qui a ouvert largement la voie à l’exploitation du gaz de schiste.
Revenant tout à coup à l’idéologie politique, il préconise également le recours massif aux taxes punitives, notamment sur l’utilisation de produits carbonés… Lui le libéral affirmé devient soudain le partisan de règles contraignantes et d’un étroit encadrement des comportements par l’État. Et c’est là que surgissent dans le discours certaines incongruités, parfois au détriment de l’impartialité, et que les choses commencent à se gâter... (à suivre)

18 janvier 2020

Expectatives 3

A part ça tout va bien madame la marquise... Si l’on excepte évidemment les gigantesques incendies qui ravagent depuis quelques semaines une partie de l’Australie. Les images pour l’occasion sont à foison, et elles ne laissent pas d’impressionner, donnant à certains un avant-goût de l’enfer. Le plus terrible étant toutefois l’impuissance apparente des pouvoirs publics à contenir ces feux géants, dont on nous dit qu’ils risquent de durer encore longtemps voire de s’amplifier.
Nul doute, il s’agit bien d’un désastre. Tout le monde est bien d’accord sur cela. Qu’on y songe : pour l’heure, une superficie grande comme l’Irlande a déjà été “rayée de la carte” comme ils disent ! Des habitations dévastées, une végétation consumée à perte de vue, des victimes humaines et un nombre incalculable d’animaux carbonisés ou étouffés. Les supputations vont bon train. On parle d’un demi milliard de bêtes occises. Comment ce compte a-t-il été fait peu importe. A-t-on compté les insectes, on s’en tamponne. Il faut du chiffre on en a, c’est l’essentiel.
Dans la confusion, et comme si cela ne suffisait pas, on nous annonce que des “snipers” ont été commandités pour abattre 10.000 dromadaires ! Il semble que cela n’ait aucun rapport avec le reste, mais tant pis, cela ne peut qu’apporter de l’eau, dont on a plus que jamais besoin, au moulin des écologistes atterrés de voir ces coups ainsi portés à la planète.
Nul besoin pour eux d’aller chercher loin le coupable, il est là, terrifiant dans toute sa puissance et son impunité : le réchauffement climatique !
Inutile d’argumenter devant une telle évidence. On avait déjà "des dizaines de milliers de scientifiques" à l’appui de cette thèse, cette fois le forfait est commis au grand jour. Des températures largement supérieures à 40°C ont été relevées, preuve irréfutable qu’à côté d’un brasier, ça chauffe…

Foin de provocation, admettons que le climat joue un rôle dans le développement de ces catastrophes, voire même que l'Humanité ait une part de responsabilité. Mais une fois qu’on a dit ça, que fait-on ? Continue-t-on de croire que les incendies s’allument tout seuls et que la combustion spontanée soit une fatalité satanique ourdie par Trump, Bolsonaro & Co ? Feint-on de penser qu’il suffise d’enrayer la montée des températures sur la planète pour résoudre le problème ? Qu’il suffise pour cela d’ordonner la décroissance économique, de mettre à terre le Grand Capital, et de revenir au bon vieux temps préindustriel où comme chacun sait, on vivait sereinement d’amour et d’eau fraîche ?
Ou bien va-t-on commencer enfin à se dire qu’il y a peut-être des solutions plus pragmatiques que les anathèmes pour empêcher les pyromanes criminels ou inconscients de jouer avec le feu, pour éviter la propagation insensée des flammes, ou à l’inverse d‘empêcher le déferlement anarchique des eaux de pluie débordant des fleuves et autres tempétueuses submersions côtières ? Pour rendre grâce aux mânes de Darwin, saura-t-on mettre à profit nos capacités adaptatives, source d’évolution créatrice, ou bien donnera-t-on  libre cours à nos pulsions destructrices pour faire la révolution, cause à coup sûr de malheurs et de mort ?

A côté de ces enjeux planétaires, les remous de l’affaire Matzneff qui n’en finissent pas d’éclabousser le landerneau médiatique franchouillard paraissent bien ridicules.
Pour dérisoires qu’ils soient, ils sont parfois cause d’amusement, tant ils sont révélateurs de l’éternelle sottise du conformisme sociétal, même lorsqu’il verse dans la transgression. L’heure est à l’exhumation des cadavres exquis d’une époque où le dernier chic intellectuel était justement de déborder les limites de la morale judéo-chrétienne et de l'ordre réactionnaire. En 1977, une pétition parue dans les journaux de la gauche bourgeoise bien pensante Le Monde et Libération, prenait ingénument la défense de trois obscurs quidams coupables «d’attentats à la pudeur sans violence sur mineurs de [moins de] 15 ans».
Certains signataires, tel Bernard Kouchner, clament aujourd’hui leur innocence avec une candeur qui confine soit à la lâcheté soit à la friponnerie, au choix. L’ancien ministre pour sa défense, ose en effet affirmer qu’il n’avait pas lu le texte, et qu’il l’avait ratifié à la demande expresse de son ami Jack Lang. Quelle excuse ! Il fallait oser... D'autres, tels Sollers "ne se souviennent plus bien" tant ils avaient l'habitude de signer des pétitions... Aveu tardif mais réjouissant d'une inconséquence qui fut portée jusqu'aux cimes de la cuistrerie  !
Toujours est-il qu’on peut prendre connaissance avec délectation de ce texte récemment ressorti des archives, écrit paraît-il par Matzneff en personne, et surtout de la liste de ses 67 signataires, rassemblant la fine fleur de ce "peuple de gauche" qui nous a tellement bassinés avec ses leçons de morale politique et de justice sociale. Quelques noms parmi les plus connus, pour mémoire : Kouchner, Bory, Beauvoir, Sartre, Barthes, Lang, Guattari, Deleuze Aragon, Sollers, Glucksmann, Rancière, Chéreau, Chatelet, Hocquenghem...

14 janvier 2020

Expectatives 2

Pendant ce temps, “à l’international” comme disent les journalistes, ça chauffe.
Contre toute attente, le président Trump a frappé l’Iran, et le monde est interloqué.
Bien sûr il y a les anti-américains primaires incurables qui voient l’acte dangereux d’un impulsif, tandis qu’ils accordent aux ayatollahs le sens de la raison, mais dans l’ensemble, il faut bien dire que la surprise domine, et on sent même poindre un léger sentiment admiratif chez certains, devant la maîtrise technique avec laquelle ce raid a été accompli, et la froide détermination qu’il suppose.
Il fallait bien que cela arrive un jour quand même ! Depuis le temps que la clique de théocrates qui règne à Téhéran nargue l’Amérique avec ses anathèmes haineux et ses coups d’épingles enfoncés narquoisement dans son gros postérieur yankee !
Dans ce contexte délicat, Trump a semble-t-il réalisé un coup de maître. Il a patiemment attendu, rongeant son frein tout en multipliant les avertissements. Puis un jour, alors qu’un Américain venait de perdre la vie dans une nouvelle escarmouche, il a sorti sa massue. Et quelle massue !
Il dézingue le numéro 2 du régime, qui était sans doute un peu trop sûr de lui, alors qu’il effectuait à la manière d’un suzerain, une visite “de courtoisie” chez son voisin irakien, en voie de vassalisation.

Ironie du sort, l’éclat de cette opération fut souligné par la sobriété verbale inhabituelle du président américain et surtout par la panique auto-destructrice qui s’en est suivie au pays des mollahs. L’enterrement en grandes pompes ordonné et organisé par ces tyranneaux enturbannés a tourné au fiasco. Une gigantesque “bousculade” s’est traduite par la mort de plusieurs dizaines de personnes et des centaines de blessés. Que sait-on exactement de cet échauffourée ? Rien ou presque, puisque aucune image non autorisée n’a pu s’échapper et que ce drame n’a fait l’objet que d’une brève allusion dans les journaux télévisés. S’agit-il d’un excès de ferveur
 pour le défunt, ou bien au contraire est-ce le résultat sanglant d’une répression de malheureux, rétifs à l’obligation de faire semblant de se lamenter ?
Le pire était toutefois à venir. Une vingtaine de missiles furent tirés en guise de représailles “raisonnables”, visant des bases américaines en Irak. Hormis quelques dégâts matériels, ils manquèrent largement leur objectif, sauf un (ou plutôt deux) qui pulvérisa “par erreur”, un avion civil malchanceux, en partance pour l’Ukraine, faisant 176 victimes innocentes dont plusieurs dizaines d’Iraniens…
On imagine avec effroi ce que donnerait la force nucléaire aux mains de tels incapables !

Dans l’histoire, comme d’habitude, l’Europe est restée les bras ballants. Notre pauvre président, a certes déclaré sa "solidarité" avec Trump. Mais décidément de plus en plus insignifiant sur la scène mondiale, il s’est borné à abjurer les dirigeants iraniens “d’éviter l’escalade militaire”, et de ne pas trop continuer à violer les accords en lambeaux de non prolifération nucléaire auxquels il croit toujours. Avec autant de chance de succès sans doute que sa demande de libération “sans délai” de nos deux chercheurs, retenus prisonniers en Iran, on ne sait trop pourquoi...

12 janvier 2020

Expectatives 1

Une année s’ouvre à nouveau. Les jours succèdent aux jours et le temps passe. Dans quelques mois ce blog aura 14 ans.
A quoi sert-il ? A rien, si je m’en tiens à l’opinion de Malherbe (1555-1628) qui stipule “qu’un bon poète n’est pas plus utile à l’État qu’un bon joueur de quilles…” Encore précisait-il que le poète était bon…
Un blogueur ne vaut certainement pas mieux en tout cas, mais qu'importe, après tout. Quant à l’État, on finit par se demander ce qui pourrait lui être utile !
Sûrement pas les syndicats qui le poursuivent de leur fureur destructrice dès qu’il entreprend la moindre action, fut-elle proposée dans un programme électoral. On a pu récemment entendre Laurent Brun, “l’ultra cheminot de la CGT” en appeler le plus naturellement du monde à “la guerre totale” et à Révolution, supposées satisfaire les délirantes revendications s’opposant à la réforme des retraites en cours. Son attitude radicale irait jusqu’à mettre “par terre” l’entreprise qui le paie et le nourrit, pourvu que la CGT restât debout ! Dans l’arrogance bornée, force est de constater qu’il n’y a plus de limite...

A dire vrai, personne ne sait plus trop bien où est rendue la négociation sur ce trajet périlleux. Après avoir promis des augmentations de salaires à plusieurs catégories de fonctionnaires, après avoir ménagé des exceptions de plus en plus nombreuses à la règle de l’universalité, après s’être engagé à prendre en compte la pénibilité des carrières, le gouvernement a fini par céder sur le fatidique âge pivot, un des points essentiels de la réforme. Il ne reste donc plus qu’à abroger le système à points pour être revenus à la case départ, non sans avoir dépensé au passage beaucoup d'énergie et surtout d’argent public. La poignée d’excités, plus jusqu’au-boutistes que jamais exigent le retrait pur et simple du texte, seule issue selon eux qui traduirait la volonté d’ouverture démocratique du gouvernement. Tiendront-ils longtemps sur ce farouche credo insurrectionnel qui semble les isoler de plus en plus ? Fasse le ciel qu’à force de pousser le bouchon, ces sinistres personnages parviennent à ruiner définitivement leur cause et qu’enfin leur indécente capacité de nuisance finisse au rang des mauvais souvenirs de la république...

Une chose semble sûre, la SNCF a augmenté, du seul fait de la grève, son déficit de plus de 600 millions d’euros ! Selon la Presse, les trains qui recommencent à circuler, envers et contre tous les mots d’ordre guerriers de Laurent Brun et compères, sont quasi vides. Bon nombre d’usagers excédés ont trouvé des solutions alternatives. Reviendront-ils à ce service public calamiteux, rien ne permet de le dire…

Illustration : Socrate réfléchissant. Académie d'Athènes. Grèce

31 décembre 2019

Le pilori

Pas de semaine sans une nouvelle victime expiatoire, sacrifiée sur l’autel de la Vertu. Cette fois c’est l’écrivain Gabriel Matzneff qui est cloué au pilori pour ses frasques sexuelles d’un autre siècle. Autrefois assimilées à un badin libertinage, elles sont désormais jugées à l’aune de la pédophilie la plus abjecte.
A l’époque, il était du dernier chic dans les milieux intellectuellement évolués et politiquement engagés, de célébrer toutes les transgressions à ce qu’il était convenu d’appeler “l’ordre bourgeois”. Cela n’excuse évidemment rien si l'on se réfère à l’absolu de l’impératif catégorique kantien, mais il était permis, pour ceux qui restaient rétifs à ces pratiques, de ne pas s’abandonner à la lecture de leurs errances assez glauques et misérables (selon l’aveu même de l’auteur…)
Le fait est qu’il ne s’agissait que de déviances “mineures” si l’on peut dire et globalement peu de gens s’intéressaient vraiment à cette littérature sulfureuse.
Le désormais vieillard Matzneff, rendu bien inoffensif par l’âge autant
sans doute que par la solitude et par la lassitude, était depuis bien longtemps rangé des voitures, lorsqu’il fut amené brutalement sous les feux des projecteurs médiatiques. Et cela fit quelques victimes collatérales au passage. La foule anonyme de ceux qui n’ont pas moufté du temps des forfaits, mais surtout le cher Bernard Pivot dont l’extrait d’une émission datant de 1990 fait florès depuis quelques jours sur Youtube et se propage à la vitesse des virus via les réseaux sociaux. Le moins qu’on puisse dire est qu’il se révéla en la circonstance bien complaisant vis à vis de celui qu’il qualifia aimablement de “collectionneur de minettes”.
Face au tollé, l’animateur a bien tenté de se défendre et de minimiser les faits, mais c’était sans compter sur la force du tsunami qui s’abat sur l’opinion publique. Il a donc jugé prudent de faire amende honorable, regrettant en définitive “de n’avoir pas eu les mots qu’il fallait”...

La raison de tout ce tintamarre polémique ? Une des victimes supposées de l’écrivain, répondant au doux prénom de Vanessa, s’est souvenue tout à coup qu’elle avait été abusée par le prédateur, il y a plus d’une trentaine d’années, alors qu’elle n’avait que 14 ans (et lui 50). Elle se rappelle tout à coup que sa liaison qui dura plusieurs années avec le satyre, remplie de lettres d'amour et parfaitement connue de ses parents, n’avait rien d’une relation librement consentie.
On peut trouver étrange, si ce n’est quelque peu opportun, cette remontée subite d’un dégoût pour des faits si lointains, mais passons… Elle a bien le droit d’écrire au moment qui lui chante et de raconter les faits tels qu’elle les a vécus. A l’instar des récits de son ex-Pygmalion, personne n’est obligé de la lire ni de la croire...

Ce qui est le plus troublant dans cette histoire, c’est de voir tant de juges se lever soudain, et de les entendre, avec beaucoup, beaucoup mais vraiment beaucoup de retard, condamner des actes, en usant d’une violence et d’une intransigeance qui contraste singulièrement face à la mansuétude avec laquelle ils furent jugés à l’époque.
Les accusations portées après coup, alors que rien n’interdisait qu’elles soient émises au moment opportun sont d’une médiocrité affligeante. C’est le mal de notre époque. Les censeurs contemporains s’érigent en justiciers rétrospectifs pour faire le procès du passé. C'est commode, facile et peu risqué, mais cela ne sert à rien qu’à se donner bonne conscience à peu de frais.
Tel n’est pas le cas de Denise Bombardier, journaliste et femme de lettres québécoise, qui osa défier Matzneff il y a 30 ans sur le plateau de la fameuse émission Apostrophes, et lui envoya sans ménagement dans la figure tout son mépris et son indignation. A l’époque elle fut très mal vue pour cette audace et fut reléguée dans l’arrière-cour de la bonne société littéraire.
Autre temps autres mœurs. Bernard Pivot n’avait pas tort en évoquant cela lors de sa première intervention, après le scandale...


La sagesse serait de voir la société telle qu’elle fut et non telle qu'elle aurait dû être, et d’en conclure qu’à quelques exceptions près, les coupables étaient légions. Cela servirait probablement à mieux discerner les faiblesses du temps présent. Cela nous épargnerait également ces viles attaques ad hominem qui ressemblent de plus en plus à une chasse aux sorcières aux relents de curée, et cela nous éviterait le retour horrible de la délation systématique.
Cela préserverait enfin le repos d’âmes dont l’immoralité n’a quand même tué personne, contrairement à la “justice sociale” brandie par nombre d’idéologues bien pensants. La liste pourrait être longue de ces artistes maudits. Gauguin et ses vahinés, Nabokov et sa Lolita, Gainsbourg et son hymne acide au Lemon Incest, Thomas Mann et Visconti idéalisant l'éphébophilie avec Mort à Venise, Roger Peyrefitte et ses amitiés particulières, Verlaine déniaisant le jeune et “pas sérieux” Rimbaud, Degas et ses petits rats, Balthus et ses fillettes lascives, Radiguet et son arrogant diable au corps, Montherlant, Gide, Cocteau…
Si l'on condamne outre-tombe tous ces gens, où s’arrêtera-t-on sur la pente savonneuse de l’hypocrisie déguisée en morale ? 2020 et les années à suivre nous le diront peut-être...

16 décembre 2019

Sa Déclaration...

En plein psychodrame national au sujet de l’introuvable réforme des retraites, l’épisode Delevoye fait figure de pantalonnade. Sauf à avoir tenté d’ajouter une touche comique au scénario tordu et fastidieux de ce texte qui devait sceller l’acte II du mandat d’Emmanuel Macron, le gouvernement n’a vraiment pas fait preuve de perspicacité en conférant à ce briscard rassis le titre de “haut-commissaire aux Retraites auprès de la ministre des Solidarités et de la Santé” !
On le savait confus, maladroit, gaffeur, le voici maintenant qui passe pour un coquin !

L'histoire pourrait être cocasse tant elle est révélatrice du niveau d'absurdité auquel sont parvenues nos institutions. L’objet du délit réside en la non conformité de la déclaration d’intérêts communiquée par M. Delevoye au moment où il prit ses fonctions.
On se souvient que pour atténuer l’onde de choc liée à la révélation des turpitudes émanant de son propre gouvernement, l’ineffable François Hollande crut très fin de créer la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique (HATVP). Ainsi, depuis cette date chaque nouveau ministre ou apparenté doit se livrer à une énumération par le menu de toutes les fonctions qu’il exerce, susceptibles ou non d'interférer avec son magistère républicain.
M. Delevoye s’y plia donc, en déclarant quelques activités accessoires, telle la présidence de la Chartreuse de Neuville sous Montreuil ou celle de l’Association Française des Orchestres … L’ennui, c’est qu’il en “oublia” d’autres, ce qui nous valut un mignon feuilleton à rebondissements.
Par les magazines Le Parisien et Capital on apprenait successivement qu’il avait omis de mentionner son poste d’administrateur “bénévole” d'un institut de formation de l'assurance (Ifpass), un secteur qui lorgne par nature sur l'épargne retraite des Français…
Deux jours plus tard on découvrait qu’il avait occulté une fonction au conseil d’administration de la Fondation SNCF, chargée d’orchestrer les actions de mécénat du géant français des transports.

Mais le pire était à venir...
En épluchant sa déclaration, certains remarquèrent une troisième fonction, certes bien déclarée celle-là, mais qu’il n’avait tout simplement pas le droit d’exercer depuis son entrée au gouvernement car faisant l’objet d’une rémunération: la présidence, depuis 2017, de Parallaxe, un institut de réflexion sur l'éducation dépendant du groupe de formation IGS. En deux ans ce n’est pas moins de 120.000€ qui furent ainsi versés e toute illégalité au Haut Fonctionnaire distrait !
Enfin, durant le week end, M. Delevoye, après moultes excuses et circonlocutions, se décidait à faire une nouvelle déclaration, décrivant cette fois pas moins de 13 fonctions, en lieu et place des 3 mentionnées initialement !
Confronté à cette situation invraisemblable, le Haut Dignitaire de la République estime qu’il doit rester toutefois à son poste pour mener à bien la réforme. Les membres du gouvernement, plus que jamais sur les charbons ardents, se relaient pour affirmer que la bonne foi du bonhomme “est totale” (Édouard Philippe), qu’il est “extrêmement responsable et engagé pour l’intérêt général” (Jean-Baptiste Djebari), que c’est quelqu’un “de très droit, qui travaille, qui négocie avec les syndicats, qui a leur confiance…” (Élisabeth Borne).

A quelque chose malheur est bon. Hormis les effets désastreux qui risquent de plomber un peu plus un projet de réforme déjà mal en point, cette affaire pourrait servir de leçon à tous nos satrapes pondeurs de réglementations ineptes et d’administrations superfétatoires.
Dans l’histoire, l’HATVP supposée exercer une vigilance sans faille sur la probité des grosses légumes de notre république, n’a vu que du feu ! Sans les révélations de la Presse (Le Parisien, Capital) tout serait passé inaperçu.
Il paraît donc plus que jamais évident que les “agences”, “commissions” et “hautes autorités” d’état, très coûteuses, ne servent à rien. C’est peut-être là le vrai scandale !
Chacun peut voir à cette occasion que personne n’est réellement indépendant et pas forcément parce qu’il a des intérêts financiers. Et bien que le cumul des mandats soit désormais limité, cela n’empêche nullement la plupart des politiciens de continuer à collectionner les postes honorifiques et autres prébendes, supposés sans doute leur donner le sentiment d’importance.
Enfin, preuve est faite une fois de plus qu’en édictant des règles et des lois de plus en plus complexes, de plus en plus contraignantes et de plus en plus absurdes, on ne fait en somme que fabriquer des délinquants à la pelle !
Hélas, comme à l’accoutumé cette affaire, qui n’aura sans doute aucune conséquence pratique intéressante, pourra se résumer à “beaucoup de bruit pour rien”...


PS: les choses allant très vite, au moment même ou je publiais ce billet, on apprenait la démission de M. Delevoye. J'avais longuement hésité à titrer ce texte "Un de chute"...

12 décembre 2019

Vices publics, vertus privées

En France, les grèves on connaît.
Aussi fréquentes si ce n’est plus, que les aléas climatiques, elles sont susceptibles de survenir à tout moment, pour un oui pour un non. Toute occasion est bonne à saisir pour ceux qui les déclenchent. Et rarement ailleurs que chez nous, on en vit poussé si loin le raffinement organisationnel : avec un minimum de grévistes on parvient à empoisonner la vie d’un maximum de gens.

Ce système épatant est actionné par des syndicats qui représentent à peine 10% des salariés et qui faute d'adhérents, bouclent sans le moindre scrupule leurs budgets grâce aux subventions de l’État. Il est à peine exagéré de dire que ce dernier les finance pour qu’ils puissent mieux lui mettre des bâtons dans les roues. Le comble est que ces gens clament haut et fort qu’ils agissent au nom du Service Public dont ils se gargarisent du haut de leur citadelle inexpugnable. Il faut dire que dans notre beau pays de cocagne, les syndicats sont des vaches sacrées, et le droit de grève est intouchable et quasi illimité. Il peut même s’exercer en dehors de toute revendication statutaire, à la moindre contrariété susceptible de représenter “objectivement” un danger pour les salariés ou pour les usagers. On appelle alors cela “le droit de retrait”.
Dans les transports publics où le fléau sévit tout particulièrement, contrairement à l’Allemagne où la grève est tout simplement interdite et à beaucoup d’autres pays où les grévistes sont réquisitionnables, il n’y a en France que l’imputation éventuelle des jours d’arrêt de travail sur les salaires, qui puisse représenter un frein. Pourquoi donc se gêner ? C’est un vrai pousse-au-crime si l’on peut dire. De fait, la grève se moque de toute morale, et de tout esprit civique.

Outre le fait que ces débrayages incessants soient anti-démocratiques et épuisants pour la vie économique du pays, ils s’inscrivent habituellement en toute impunité contre les principes écologiques élémentaires. Passons sur les dégradations du bien public, les menaces de pollution volontaire, et les feux et incendies en tous genres, souvent déclenchés par les manifestants les plus enragés. Ces tout derniers jours en Ile de France, en l’absence de tout train, et de tout métro, on a dépassé les 600 km de bouchons cumulés ! Bonjour les émissions de CO2...
Mais il y a pire. Le coût astronomique de fonctionnement de la SNCF, lié en grande partie aux nombreuses interruptions de services, et à quantité de juteux avantages et autres dispositions “républicaines”, altère gravement la rentabilité de l’entreprise. Résultat, le réseau ferroviaire est sous-utilisé, en dépit de toutes les vaines promesses des ministres écologistes qui se sont succédés au gouvernement. Le transport de fret par chemin de fer a baissé de moitié en 25 ans. A ce jour, il ne représente plus que 10% des volumes, contre 88% par voie routière (et 2% par voie fluviale). C’est un pur scandale, largement ignoré par les contempteurs du réchauffement climatique et autres anti-capitalistes.
Détail croustillant, lorsque les écologistes viennent apporter de l’eau au moulin des “opposants à la réforme”, ils oublient leur combat pour l’environnement au profit de l’insurrection bassement partisane. Le mouvement Extinction Rébellion par exemple, était tout fier d’annoncer qu’il avait saboté 3600 trottinettes à Paris, non parce qu’elles polluent (largement moins que les autos), mais tout simplement parce qu’elles ont été accusées d’être des “briseuses de grève” !

Tous ces excès sont le fait quasi exclusif du service public qui n’a jamais porté aussi mal son nom. Par démagogie, les gouvernants présents mais surtout passés portent également une large part de responsabilité. Il est tellement facile de concocter une loi fixant l’âge de la retraite à 60 ans comme le fit François Mitterrand, ou de réduire inconsidérément la durée de temps de travail hebdomadaire à 35 heures comme s’en vante Martine Aubry, pour ne prendre que deux exemples de ce qu’il est convenu d’appeler “acquis sociaux”. Il est si tentant d’acheter la paix sociale en cédant régulièrement du terrain républicain face aux folles exigences et aux revendications irréalistes de minorités agissantes…
Le gouvernement actuel est pris à son tour dans ce piège infernal. Pourra-t-il s’en sortir sans abandonner l’essentiel de ce qui fait sa fragile légitimité et le cœur du programme pour lequel il a été élu ? Entre l'épreuve de force et le déshonneur, que choisira-t-il sachant que s’il opte pour le second, il devra nécessairement faire face un autre jour et plus durement encore, à la première…

Pendant ce temps, les employés du secteur privé rongent leur frein. Ils prennent dans la figure toutes les conséquences de la grève, qui par la force des choses les empêchent peu ou prou de se rendre à leur travail, de faire leur job, et un fine de satisfaire leur clientèle. Il faut dire que cette dernière n’est pas assujettie comme le sont les usagers du service public. Le client est roi, ça change tout…
S'agissant des retraites, le système à points n’est pas une nouveauté pour eux. C’est la règle pour la plupart des organismes dont ils relèvent. Quant à "l'âge pivot", mieux vaut sans doute pour eux en sourire. Ils savent bien qu’il leur faudra bon gré mal gré se résigner à cesser leur vie professionnelle un peu plus tard. Aujourd'hui, la barre des 63 ans est déjà franchie. Ils peuvent donc à la manière des Beatles, chanter en attendant des jours meilleurs, “When I’m Sixty-Four...” 


Illustration: Hercule entre le Vice et la Vertu, par Carracci