19 janvier 2007

Comment parler des livres qu'on n'a pas lus ?


Un livre épatant. Facile à lire, d'autant plus qu'on peut en parler sans l'avoir lu comme son titre provocateur y encourage...
Trève de plaisanterie, cet essai recèle une vraie originalité, sous-tendue par une question simple : qu'appelle-t-on lire ?
Les réponses sont en réalité complexes et dépassent la réalité triviale.
Car on peut avoir lu consciencieusement un livre et n'en avoir qu'un souvenir imprécis ou une compréhension approximative. On peut lorsqu'il s'agit d'un ouvrage en langue étrangère, en avoir une connaissance erronée par une mauvaise traduction. Et, comme le constate l'auteur, il est même « par moments difficile de savoir si l'on ment ou non quand on affirme avoir lu un livre. »
Reste que dans bien des cas, il faut pourtant bien en évoquer le contenu. Et ceux dont c'est le métier, les commentateurs, les critiques, les enseignants, ne peuvent humainement être tenus de connaître précisément la substance de tout ce dont ils sont obligés de parler.
Heureusement d'ailleurs car comme le démontre Pierre Bayard, il s'avère « tout à fait possible de tenir une conversation passionnante à propos d'un livre que l'on n'a pas lu ou qu'on a rapidement parcouru ».
D'ailleurs le raisonnement pourrait être tenu dans d'autres cas de figure : lorsqu'il s'agit par exemple de parler des films qu'on n'a pas vu, de raconter des évènements qu'on n'a pas vécu. L'ère des mass-médias permet désormais de faire tout cela sans trop d'état d'âme. Qui n'a jamais eu l'impression de pouvoir faire l'économie d'un film ou d'un livre après avoir subi un matraquage télévisé à son sujet ? Qui n'a jamais confirmé ce sentiment après coup en se disant qu'il n'avait rien découvert qui ne fut déjà dans l'impression initiale ?
Qui peut affirmer avoir pris connaissance « en profondeur » de Joyce, Hegel, Kant, Heidegger, Lowry... ou du dernier et pesant Goncourt : « les bienveillantes » ? Qui a été vraiment surpris par le contenu de films tels que « les bronzés 3 », « Camping », « King Kong » ou « Les dents de la mer »?
Enfin qui peut prétendre avoir une vision parfaiitement objective d'un livre qu'il a lu ou d'un événement qu'il a vécu ?
La morale de l'histoire c'est peut-être de conclure que la lecture, même superficielle - quoique intelligente - permette de se constituer une sorte de « livre intérieur » fait de « l'amoncellement hétéroclite de fragments de textes remaniés par notre imaginaire ».
Car en définitive, être cultivé, « ce n'est pas avoir lu tel ou tel livre, c'est savoir se repérer dans leur ensemble, donc savoir qu'ils forment un ensemble et être en mesure de situer chaque élément par rapport aux autres. »
Mais je crains d'en avoir déjà trop dit. Il serait trop bête de décourager ceux qui voudraient découvrir cet ouvrage. Lavater (que je n'ai pas lu) avait un souhait : « que Dieu préserve ceux qu'il chérit des lectures inutiles. » Cet adage ne s'applique pas au livre de Pierre Bayard...

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