Larry,
c'est bien sûr Lawrence Durrell (1912-1990). Et cette
familiarité c'est celle que son ami Henry Miller se permettait lors
de leurs infatigables échanges épistolaires... Que les mânes du grand écrivain me pardonnent d'en user moi aussi.
Lawrence
Durrell fut l'auteur inspiré du magique Quatuor d'Alexandrie,
véritable sommet littéraire du XXè siècle. Mais aussi un insatiable voyageur, un poète délicat, un peintre distingué et même
un pianiste à ses heures perdues. Un artiste au sens le plus complet du terme en
somme.
Il
naquit voici exactement un siècle, en Inde, et vécut ses premières
années à Darjeeling, au pied de l'Himalaya. Il y a de quoi donner
le vertige, ou bien porter aux plus hautes aspirations, si ce n'est aux
rêves et à l'évasion...
De
fait, sa vie fut un voyage permanent.
Par
le hasard de sa venue au monde, il fut sujet de la Gracieuse Majesté
d'Angleterre. Mais si son humeur vagabonde le poussait à se
qualifier lui-même d'islomaniaque, il ne manifesta guère d'intérêt
pour la mère patrie qu'il appelait l'île du Pudding, et dont
il comparait la grisaille humide propre à s'enrhumer, à un paradis
pour les virus...
C'est plus au sud qu'il aspirait à vivre.
C'est plus au sud qu'il aspirait à vivre.
Son
parcours-vie mouvementé, effectué au gré de jobs variés dans les
missions diplomatiques britanniques, le fit passer par Corfou, la
Crète, l'Egypte, Rhodes, l'Argentine, la Yougoslavie, Chypre...
Et
c'est en définitive - pour des raisons fiscales (!) - qu'il finit
par poser ses valises en France, à la fin des années 50, où il
s'éteignit en 1990, à Sommières dans le Gard.
A
l'occasion du centenaire de sa naissance, grâce à l'association du
magazine La Quinzaine Littéraire et de Louis Vuitton, vient d'être
publié un ouvrage fort intéressant, permettant de découvrir toutes
les facettes de cet écrivain si attachant. On y trouve une analyse
émoustillante de son œuvre, faite par Corinne Alexandre-Garner,
émaillée d'extraits de romans, de poèmes et de peintures, qu'il signait malicieusement Oscar Epfs.
Dans
le même temps le Quatuor est réédité. C'est bien le moins qu'on
puisse faire pour ce géant si discret des lettres.
Les lecteurs qui passent parfois sur ce blog savent l'affection que j'ai pour la littérature de Lawrence Durrell. Chaque ouvrage est un ravissement dont je m'extirpe à grand peine.
Ce
fin connaisseur du monde méditerranéen n'avait pas son pareil pour
décrire les enchantements émanant de l'infinité d'îles qui
peuplent cet univers, doré par un doux et intemporel soleil. Il
possédait une grâce unique, qui lui permettait de mêler à un
discours léger et poétique, d'arides notations historiques,
géographiques, ou sociétales. Sous sa plume érudite, cette
alchimie savante restait naturelle et agréable. Lorsqu'on lit
Durrell, on éprouve l'agréable sentiment de croître en
intelligence...
La
première des principales escales de ce grand voyageur, le fit
s'arrêter avec sa jeune femme Nancy, dans l'Ile de Corfou, et y
séjourner durant près de quatre années.
En plus de lui révéler le monde méditerranéen, ce petit eden lui offrit une des périodes les plus heureuses de sa vie. Il lui consacra un livre entier (L'ile de Prospero) et de belles pages dans un ouvrage consacré aux iles grecques, réédité en 2010.
En plus de lui révéler le monde méditerranéen, ce petit eden lui offrit une des périodes les plus heureuses de sa vie. Il lui consacra un livre entier (L'ile de Prospero) et de belles pages dans un ouvrage consacré aux iles grecques, réédité en 2010.
Corfou
au nom si charmant, est la plus septentrionale des îles ioniennes.
Et un des trois plus beaux trésors de la nébuleuse hellène,
d'après Durrell, avec la Crète et Rhodes.
Au
large de l'Albanie, elle ouvre les portes de "ce jardin sauvage
qu'est la Grèce, où tout tombe en ruine, le violet, la verticalité,
la poussée vers le ciel... un pays non domestiqué." Un pays
où "les fleurs, les maisons, les nuages, tout vous regarde d'un
œil photoélectrique, à la fois corporel et en quelque sorte
immatériel".
Corfou
est une île facile à reconnaître, "avec ses montagnes
albaniennes polies comme de gros fruits, spacieuses et nues,
chaudement colorées par le soleil qui cherche à regarder la mer
par-dessus leur épaule..."
Corfou
est aussi le nom de la capitale de l'ile, sur laquelle Durrell ne
tarit pas d'éloges : « La beauté de la petite ville !
On a prévenu le voyageur qu'il n'en trouverait pas de plus jolie en
Grèce, ce qui deviendra de plus en plus évident à mesure que le
temps passe...
Les
rayons de lumière de l'aube de satin vieux rose qui plongent vers
l'île par les ouvertures des ravins, sont vraiment comme "les
doigts de rose"...
Les
colonnes de fiacres élimés, dont les chevaux portent le typique
chapeau de paille percé de deux trous pour les oreilles qui leur
donne un air à la fois malicieux et éméché...
Les
petits matins lorsqu'on arrose les trottoirs, et la terre chaude qui
dégage des odeurs délicates de citron et de poussière humide...
Enfin
le dôme rouge de Saint-Spiridion, église où est conservée la
momie du saint-patron de l'île, qui resplendit la haut avec son
vieux cadran d'horloge balafré. Pas moins de quatre processions par
an célèbrent celui qui est resté cher au cœur des Corfiotes (Rameaux, Pâques, 11 août, et le premier
dimanche de novembre).
En
plus d'avoir été le théâtre d'une histoire mouvementée, Corfou
est un endroit fertile pour les légendes. L'île qui fut une étape
initiatique pour Durrell, fut la dernière du périple d'Ulysse,
avant son retour à Ithaque. On raconte
qu'il se serait échoué sur le rocher qui se trouvait sur l'îlot
de Pondikonissi, à la pointe de Kanoni au sud de la ville de Corfou.
Les Phéaciens, l'auraient aidé, et Nausicaa fille
du roi Alcinoos, l'aurait accueilli.
Lorsqu'il évoque Corfou, Durrell ne peut s'empêcher de réinterpréter la figure
mythologique de Méduse qu'on peut voir au musée, l'une des trois Gorgones,
à la lumière de la philosophie yogiste indienne de ses origines
natales ! Le noeud de serpents qu'elle arbore en guise de chevelure,
évoque en effet à ses yeux "les cobras rois sacrés faisant
fonction d'hamadryades, symboles des anciens yogas du rang le plus
élevé, les Raja Yoga." Et de cette image, on arrive à la
signification profonde du yoga qui consiste à réveiller en nous les
sources du perfectionnement individuel, à la manière de serpents et
à les faire monter "comme la colonne de mercure dans un
thermomètre, jusqu'au crâne". En y parvenant, "il réalise
la conscience parfaite, la plus haute conscience dont l'homme soit
capable."
La
médecine et son caducée serait une lointaine réminiscence de cette
riche symbolique. Autour du joug en forme de baguette (yoga veut dire
joug), "les deux forces primordiales sont attelées ensemble, et
une fois qu'elles sont parfaitement mariées, elles atteignent
simultanément l'expérience ultime, le zénith aveuglant du
Nirvâna."
Shakespeare
enfin, s'inspira paraît-il de Corfou, pour imaginer le décor de La Tempête.
Et pour conter le charme étrange auquel succombent les naufragés
échouant sur ses rivages : « lls deviennent des rêveurs,
des somnambules, ils sont la proie de visions et d'amours tout à
fait étrangères aux limites étroites de leur vie milanaise. »
Selon
Durrell, « cette propriété sédative ce désintérêt magique
de tout souci, il ne vous faudra pas longtemps pour les ressentir
ici. L'air que vous respirez devient petit à petit de plus en plus
anesthésiant, il s'imprègne de béatitude, d'une somnolence
sacrée... et vous vous rendrez compte que c'est exactement ce qui
est arrivé aux conquérants qui ont débarqué ici : ils se
sont endormis... »
A
suivre...
Références :
Les
Iles Grecques Bartillat 2010
L'ombre
Infinie de Cesar Gallimard 1994
Dans
l'Ombre du Soleil Grec La Quinzaine Littéraire – Louis Vuitton
2011
Le
Quatuor d'Alexandrie Buchet-Chastel 2012
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