29 août 2009

Flânerie bordelaise



Il y a quelques jours je passais par Bordeaux. Arrivée par le Pont de Pierre qui étend ses arches aux couleurs roses de vin entre les rives de la Garonne. Appuyés sur des piliers trappus les grands bras de briques tendres semblent embrasser les eaux brunes du fleuve qui se trainent nonchalamment dans la tiédeur estivale. Au dessus, les noirs réverbères coiffés d'élégants chapeaux pointus défilent en formant une procession altière. Comment entrer plus noblement dans cette belle cité ?
Depuis le quasi achèvement des opérations de rénovation, Bordeaux a retrouvé sa classe et son charme de grande bourgeoise. En débouchant sur le cours Victor Hugo on se croirait un moment sur le Bosphore tant sont présentes les références à la Turquie : bars aux noms exotiques frappés du croissant levantin, restaurants typiques, épiceries et boucheries hallal, femmes quasi inexistantes...
Mais à côté de la ville méridionale s'allongent impassiblement à perte de vue les quais emblématiques des Chartrons. Souvenir de temps où le temps s'écoulait comme les eaux tranquilles du fleuve, et où l'on pouvait voir de ces nobles fenêtres, les gabarres défiler sur ce cours fluide comme autant de repères rassurants d'une industrie paisible, immémoriale, attachée toute entière à l'art de la vie.
Bordeaux avec ses rues piétonnières, ses petites places tranquilles et ses belles esplanades n'est pas trop affectée par les turbulences futiles et les urgences inutiles du monde moderne.
Dans la rue Porte-Dijeaux, la vénérable librairie Mollat continue d'entretenir avec soin ses belles vitrines dont l'encadrement bleu, tout simple, est à lui tout seul déjà apaisant. Quand on songe que Montesquieu habita l'endroit,on est traversé par un frisson indicible. A l'intérieur, de belles grandes salles peuplées de milliers d'ouvrages, sont organisées et rangées impeccablement. Au hasard de mes déambulations, je trouve présentés pour attirer l'oeil du chaland, les inévitables piles des derniers livres prétendument à la mode. Cette accumulation racoleuse a le don de m'énerver prodigieusement et me rebute.
Plus intéressant, un livre invitant aux lectures de Hume, deux titres de Ralph Waldo Emerson, les poèmes de Malcolm Lowry, le Quartet of Alexandria en version originale...
En dépit du plaisir que j'éprouve a y flâner, comme souvent je m'interroge sur l'avenir de tels magasins. Contrairement à la musique qui est désormais très largement véhiculée sous forme de fichiers informatiques, les bouquins restent encore synonymes de papier pour nombre de gens. Il est vrai que les écrans des ordinateurs s'avèrent à ce jour incapables d'offrir les mêmes conditions de lecture, notamment au grand jour, et plus encore au soleil, sur une chaise longue.
Je suis persuadé qu'il ne s'agit que d'un répit. Quoi de plus immatériel que la littérature ? Pourquoi accumuler toute cette paperasse si laborieuse à ranger, à transporter, à déménager ? Les belles reliures sont démodées, les beaux papiers également. C'était pourtant un alibi recevable, mais qu'on ne vienne pas dire que l'odeur ou le toucher d'un livre de poche ou même d'un volume encollé industriellement soit de même nature que les divines fragrances émanant d'un vieux cuir ou du velin.
La dématérialisation a du bon. Elle incitera peut-être le monde de l'édition a plus d'humilité, chassera les marchands cupides et vendeurs de niaiseries du temple de l'art et fera peut-être renaître de ses cendres la notion de mécénat. En tout cas tout est préférable à cette loi HADOPI, bourrée de bureaucratie et de bonnes intentions stériles... Ô mannes de Montesquieu, écartez ces lois inutiles qui affaiblissent les lois nécessaires...
Pour finir, s'agissant de la musique, je ne dédaigne pas le support physique du disque, lorsqu'il est d'un prix abordable. Dans une petite boutique de Saintes, j'ai trouvé deux petites perles que même sur internet j'aurais eu de la peine à me procurer : Nat King Cole chantant en espagnol, un vrai velours imprégné de soleil et de farniente et Pepper Adams dont le saxo baryton n'a rien à envier à ceux de Gerry Mulligan ou de Serge Chaloff, et qui ramène à l'oreille ravie les sonorités détendues de la West Coast, tandis que l'été qui semble vouloir s'éterniser caresse de sa douce chaleur les pêches dans les arbres...

16 août 2009

Tétralogie durrellienne

En littérature, le style c'est l'homme, paraît-il. Que dire du style de Lawrence Durrell ? Lorsque je m'en imprègne par la traduction française du Quatuor d'Alexandrie, je suis envahi par un ravissement absolu. Est-ce la magie d'une écriture tellement belle, qu'elle continue de faire effet, même par traducteur interposé ? Est-ce le talent, rare, de ce dernier, Roger Giroux (1912-1990), d'être parvenu à enjoliver l'œuvre originelle, ou tout au moins à préserver toutes ses qualités, toutes ses nuances et son ineffable fraicheur ? 
Un peu des deux sans doute, mais n'étant pas anglophone suffisamment averti, je ne saurais trancher. Le fait est qu'à chaque lecture de Justine, je suis saisi d'une sorte de vertige extatique. Ce n'est que le premier volet de la fameuse aventure alexandrine, mais il révèle une telle prégnance que les trois autres récits ne peuvent être envisagés qu'à la manière d'éclairages complémentaires. C'est d'ailleurs le but de cette tétralogie envoûtante qui multiplie sur un même continuum, les points de vue. Tout se tient, mais chaque épisode constitue un tout en soi. Tout est relatif. Après tout, sait-on tout de sa propre histoire ? Aimons-nous ceux que nous croyons aimer ?
La force du quatuor d'Alexandrie, est qu'après y avoir goûté on y revient sans cesse. Comme de toutes les grandes créations, on n'en épuise jamais la substance tant ses facettes sont nombreuses, et aussi parce qu'après avoir plongé dans cette matière si dense, on peut y nager à toute profondeur.
On dit de cette somme qu'elle est d'un abord difficile : c'est vrai et c'est probablement en partie à cause de cela qu'elle est belle. Une sorte d'universalité émane de son propos égaré dans le temps, et cheminant librement dans l'espace. Autour des personnages, on virevolte sans contrainte, tantôt comme des papillons capables d'appréhender les détails les plus infimes (les mouvements spasmodiques de l'œil de verre de Scobie), tantôt comme des aigles survolant les infinis les plus complexes (les méandres de la Kabbale). Même s'il sont étincelants, Durrell livre en morceaux son énigme. Charge au lecteur d'en faire une harmonie. Je voudrais faire un livre qui serait libre de rêver dit l'un des personnages écrivains du roman...
La ville égyptienne ne dévoile quant à elle qu'une partie de ses mystères comme une statue antique parle en son langage muet, de temps révolus. Elle se veut à la fois le lieu où se cristallise un doux espoir de syncrétisme spirituel entre les civilisations, et le point de fuite où se rejoignent dans un néant sinistre, le passé et l'avenir.
C'est un fait, ce monde éblouissant, aux couleurs d'or et d'argent, de bitume et de poussière est un monde finissant. Les grondements sourds de la guerre ébranlent ses fondations millénaires. Après avoir perdu son phare, Alexandrie la magnifique s'enfonce dans la médiocrité. Peu à peu ce qui était cosmopolite devient interlope, ce qui relevait de sortilèges se mue en vils stratagèmes. Alexandrie était riche et généreuse, elle devient mesquine et agressive.
Dans ce monde qui s'éteint tout en se radicalisant, les silhouettes altières de Justine, de Nessim, Balthazar, Pursewarden et compagnie se confondent peu à peu avec l'évanouissement général des valeurs et des repères. Au début les caractères et les sentiments semblent clairs. Chaque personnage apparaît à son tour dans la lumière crue de celui qui les crée. Les moindres traits de la personnalité de chacun sont comme disséqués par son regard pénétrant. Mais lorsque le scalpel s'éloigne, les chairs se referment et chaque figure tend à échapper à son maître, pour vivre un destin fluctuant au gré de l'humeur de celui qui les suit.
En dépit de leur caractère insaisissable ces gens sont pourtant profondément attachants, suggérant à maintes reprises les beaux vers de Verlaine :
Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant. . .
Ils vivent en nous, et entrent en résonance avec une sorte de mémoire archaïque. Justine par exemple, évoque aussi bien l'éternel féminin, l'image d'une amoureuse romantique ou bien celle d'une hétaïre amorale ou encore d'une machiavélique Mata-Hari. Elle communique à toute chose sa grâce étrange et délicate, sans qu'on sache bien d'où elle la tient ni même s'il s'agit d'une entité tangible : Justine et sa ville se ressemblent en cela qu'elles ont toutes deux une forte saveur sans avoir un caractère réel...
Dans ce livre, les personnages et les lieux sont mêlés si étroitement qu'ils finissent par former un ensemble indissociable. Quatre angles d'attaque ne sont pas trop pour épuiser tous les arcanes de ce microcosme. S'il en avait eu le temps et la force, l'écrivain aurait pu les multiplier à l'infini, jusqu'à obtenir un reflet de plus en plus approchant de la vérité... Mais à quoi bon ? L'élan est donné, à chacun de trouver les prolongements indicibles à cette intrigue ensorcelante pour appréhender la mesure d'une plénitude faite de sagesse et de sérénité.
Pour toutes ces raisons, pour cette écriture limpide et tellement suggestive, pour cette capacité stupéfiante à extraire de réalités triviales des morceaux d'éternité, en un mot pour son style si merveilleux, à mon sens Le Quatuor d'Alexandrie constitue la clé de voute de la littérature moderne et un des chefs-d'œuvres de la littérature universelle
NB :
le site de la revue LIFE qui publie d'intéressantes photos de l'écrivain
Le site Paris Review sur lequel on peut lire une interview datant des années 50 peu après la publication du Quatuor.

10 août 2009

La très chère santé d'Obama




Dans un récent éditorial (3/08/09), la célèbre revue médicale britannique LANCET prend résolument position en faveur du projet de réforme du système de santé américain, que tente de promouvoir le président Obama. Pour défendre sa thèse, le texte, sans auteur, n'hésite pas à prendre des accents rappelant les slogans de campagne électorale : « Yes it can be done ! ».
Cette attitude qui relève davantage d'une démarche politicienne que scientifique est assez surprenante dans les colonnes d'un tel périodique, d'autant que l'argumentation reste théorique voire nébuleuse.
En premier lieu, l'éditorial reprend pour introduire le sujet, le thème classique de l'inflation vertigineuse des dépenses de santé (elles avoisinent en effet les 2500 milliards de dollars par an). Il est rappelé également, mais c'est devenu une vrai scie, que malgré ces provendes fantastiques, le système laisse un grand nombre de citoyens sans couverture maladie, et que sa performance globale est somme toute assez médiocre s'il on en juge par le palmarès de l'OMS (37è rang mondial).
Ce constat de départ n'est donc pas très original, même s'il n'est pas contestable stricto sensu. Une information retient toutefois l'attention : d'après la revue, le tiers des dépenses de santé outre-atlantique est à ce jour absorbé par la bureaucratie supposée gérer le monstre...
D'après le Lancet, le but de la réforme est de garantir une couverture santé universelle et de créer une assurance maladie gouvernementale destinée à « concurrencer » les plans gérés par des organismes privés, pour procurer in fine des soins mieux adaptés à la population.
Mais on voit mal comment la mise en place d'un système de « régulation » sous tutelle gouvernementale pourrait être la solution. A moins de niveler par le bas, de manière purement comptable les dépenses, à la manière du système anglais, ou bien, à la mode française, de faire enfler encore la bureaucratie et de creuser les déficits. Le programme élaboré par Mr Obama est actuellement chiffré à plus de 1000 milliards de dollars sur 10 ans, à la charge de l'Etat Fédéral, actuellement déjà en déficit de 1700 milliards de dollars !
Évidemment, aux yeux des anti-libéraux de tous poils et autres adorateurs de l'Etat Providence, taxer les riches est le moyen le plus facile et le plus « juste », de se procurer cette manne. Comme par hasard c'est celui qu'a trouvé l'administration Obama, qui propose notamment la suppression des déductions pour les dons aux œuvres.
Certaines remarques émises dans l'article ne sont toutefois pas dénuées de fondement. Il est à l'évidence regrettable qu'un aussi grand nombre de personnes soient sans assurance, même si la cause première est tout simplement l'absence d'obligation. On peut également s'insurger contre le système des plafonds de dépenses maladies, mis en œuvre par certaines compagnies d'assurance (« annual or lifetime caps »). Ils conduisent en effet à limiter le montant des remboursements annuels ou même cumulés sur une vie entière ! Ce genre de disposition peut s'avérer très pénalisant pour des patients victimes d'affections exigeant des soins tés coûteux. Si les franchises trouvent une légitimité dans une démarche raisonnée de maitrise des dépenses, de tels plafonds sont difficilement compréhensibles, sauf à définir un "panier» d'affections prises en charge à 100%.

Mais voilà l'Amérique n'est pas la France. Même dans son propre parti, le Président rencontre de sérieuses objections. Elles tiennent bien sûr avant tout à l'énormité des dépenses envisagées. Mais des élus ont également argué qu'il n'y avait pas de rapport évident entre le souci d'améliorer le système de santé et la pénalisation fiscale suggérée, et pas davantage de lien de cause à effet évident entre l'instauration d'un système étatisé et l'amélioration de la qualité des soins et de la couverture assurantielle.

31 juillet 2009

Blues d'été


A emporter en vacances quand on aime le blues et les sonorités pas trop formatées, stéréotypées, calibrées...
Tout d'abord le nouvel opus de Madeleine Peyroux , Bare Bones : Du jazz qui déploie sa douce musique à la manière de la caresse languide et chaude du soleil à travers les persiennes au coeur de l'été... C'est tamisé, distillé, retenu mais ça irradie le bonheur discret d'exister, lorsque les soucis sont comme par magie évaporés. Madeleine Peyroux joue avec volupté des subtiles intonations de sa voix ensorcelante. Elle se promène sur les délicieuses mélodies et un quatuor idéal l'accompagne dans cette infinitésimale odyssée. On retrouve notamment Vinnie Colaiuta qui du bout de ses balais effleure le rythme avec sensualité. De leur côté Jim Beard au piano et Dean Parks à la guitare libèrent avec tendresse tout le jus de leur instrument. O temps suspends ton vol...

Ensuite l'éternel compagnon des âmes errantes, Bob Dylan qui invite toujours au voyage, Together Through Life. C'est un vrai bonheur de constater qu'avec l'âge, il ne perd manifestement pas sa verve créatrice. Elle prend au contraire une saveur de plus en plus troublante et attachante. Comme celle d'alcools délicatement imprégnés des parfums du chêne dans lequel ils vieillissent, et qui grâce à une mystérieuse alchimie révèlent une infinité d'arômes subtils. Ce nouvel album est assurément de la même veine que ceux qui le précèdent. Comme le magnifique Modern Times il cache ses trésors derrière une modeste pochette illustrée d'une très suggestive photo noir et blanc. Cette fois-ci un bref moment de tendresse au fond d'une auto filant sur le bitume, capturé par Bruce Davidson, donne l'atmosphère.



La musique quant à elle, s'inscrit dans cet univers fugace du temps qui passe, avec une indicible prégnance. Comme souvent avec Dylan, elle n'a l'air de rien au premier abord, mais elle imprime profondément son sillon. Sur des rythmiques tendues ou chaloupées, admirablement servies par des musiciens épatants, le chanteur pose tranquillement sa poésie si particulière, en jouant à merveille de sa voix enjôleuse, à la fois nasale et pointue, écorchée mais un peu grasseyante, trainante, lointaine et si proche...
Les chansons sont toutes simples. Elles tiennent parfois du blues (life is hard, my wife's home town) mais aussi plus souvent de la ballade amoureuse (Beyond here lies nothin, Jolene, the dream of you). On y trouve aussi des réminiscences de rêves passés : I feel a change comin' on... L'ambiance est un rien feutrée, avec ce qu'il faut d'acidité. Quelques beaux riffs de guitare électrique, une pincée de douceur apportée par la pedal steel, les volutes ensorcelantes du banjo, de la mandoline et surtout d'un accordéon qui rappelle parfois les bonnes vieilles sonorités du Band...
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Un rescapé des sixties ensuite, qui semble renaître de ses cendres depuis quelque temps, Jeff Beck. L'homme n'a jamais été attiré par les feux de la rampe, mais il a fait une exception il y a quelques mois, pour une parenthèse enchantée dans un petit club londonien le Ronnie Scott's.
Guitariste éphémère des Yardbirds pendant les sixties, c'est un artiste plus que discret. Les aficionados de Brit Blues et de Jazz Rock connaissent son nom mais sont sans doute peu nombreux à mesurer vraiment ce dont il est capable. Avec cette prestation extatique, il faut espérer qu'il gagne enfin la place qui lui revient de toute évidence au panthéon des rock stars : celle d'un géant !
C'est tout simplement une révélation. Ce qu'il fait sur scène est diablement sioux. Pas à cause du collier plus ou moins indien qu'il arbore modestement, mais parce qu'il fait preuve d'un toucher de guitare absolument unique, quasi indicible. Il n'a pas son pareil en effet pour pincer, tirer, marteler, pousser, griffer, effleurer les cordes afin d'en extraire un jus incroyable. Tantôt ce sont des stridulations qui vrillent l'air comme les fusées d'un festival pyrotechnique, tantôt c'est une plainte qui meurt en feulant sous la caresse du bottleneck. Et tout ça totalement maitrisé, pétri avec amour par des doigts nerveux et agiles qui n'ont que faire d'un médiator mais semblent faire corps avec le bras du vibrato.
Dans le cadre de ce fameux petit club de jazz de Londres, quoi de plus naturel à entendre que du jazz ? Mâtiné de blues, de rock et de rythmes funky c'est bien du jazz en quelque sorte qu'on entend. Jazz rock avant tout, sous tendu par les arpèges d'une jeune bassiste prodige Tal Wilkenfeld. Elle a la pêche de Jaco Pastorius ou de Stanley Clarke, avec en plus un air malicieux de ne pas y toucher, qui fait manifestement l'admiration attendrie de son mentor. A la batterie Vinnie Colaiuta assure le tempo comme une horloge suisse, tandis que Jason Rebello tient sans faiblir les claviers comme un chef ses fourneaux.

Comme Jeff ne chante pas, les mauvaise langues pourraient dire qu'il ne lui manque que la parole... C'est vrai mais à la place, il a l'heureuse idée de donner la vedette à des artistes bourrées de charme et de talent : Joss Stone, et Imogen Heap. La première revisite de manière très convaincante un titre de Curtis Mayfield (People get ready), et la seconde sur une composition personnelle, se lance avec Jeff à la strat, dans un duo irradiant qui est un des sommets du concert (Blanket), puis donne une version décapante du fameux Rollin' and Tumblin'. Sans oublier Eric Clapton en personne qui vient faire le boeuf sur deux blues bien juteux à la fin du concert.
En, prime on a même droit en intersession, à une savoureuse séquence typiquement rockabilly avec les Big Town Playboys.
Au total, ce DVD/Blu ray est un enchantement. Signalons enfin qu'il est remarquablement filmé et doté d'une prise de son impeccable, chaude, précise, détaillée. Bref, une belle euphorie...

27 juillet 2009

Le libéralisme à la Lumière de l'Encyclopédie


On prétend souvent que les écrivains, philosophes et savants du XVIIIè siècle communément appelés Lumières furent par les idées qu'ils propagèrent, les promoteurs de l'émancipation des peuples. A ce titre, on leur impute une large part de responsabilité dans la survenue de la Révolution Française. Les nostalgiques de ce sanglant chambardement leur attribuent pour celà un grand mérite et portent aux nues Rousseau, Voltaire et compagnie. D'autres au contraire les vouent aux gémonies, et considèrent qu'il s'agit d'un vrai drame qui illustre de manière édifiante comment les théories intellectuelles peuvent conduire en pratique à de vrais désastres humains.
Pourtant, si les concepts véhiculés par les Lumières brisaient en quelque sorte l'ordre établi, à peu près rien ne laissait présager la violence des mouvements sociaux qui s'ensuivirent, bien au contraire.
Le primum movens de cette nouvelle manière de raisonner était avant tout scientifique, et Newton en fut la figure emblématique. Les penseurs et écrivains tentèrent d'appliquer la rigueur du raisonnement mathématique à la philosophie et y introduisirent la notion d'expérience (ce qui est vrai, est ce qui réussit...). On se souvient de l'exclamation de Voltaire : « En fait de philosophie, un chapitre de Locke est par rapport au bavardage de l'antiquité, ce que l'optique de Newton est par rapport à celle de Descartes ».
Cette manière empirique de penser la société et d'améliorer l'étendue des connaissances humaines a certes été dévoyée par les Révolutionnaires qui la menèrent aux excès de la Terreur et à la dictature, mais il serait vain d'accuser d'avoir inspiré ces forfaits, les Penseurs qui les précédèrent. On sait d'ailleurs le peu de cas que faisaient des Intellectuels les « barbouilleurs de lois » du Comité de Salut Public : « La République n'a pas besoin de savants.... La République n'a pas besoin de poètes... ». Voltaire lui-même dans ses Lettres Philosophiques, anticipa sa défense et celle de ses pairs : « Ce n’est ni Montaigne, ni Locke, ni Bayle, ni Spinosa, ni Hobbes, ni milord Shaftesbury, ni M. Collins, ni M. Toland, ni Fludd, ni Bekker, ni M. le comte de Boulainvilliers, etc., qui ont porté le flambeau de la discorde dans leur patrie: ce sont, pour la plupart, des théologiens qui, ayant eu d’abord l’ambition d’être chefs de sectes, ont eu bientôt celle d’être chefs de partis. »
En vérité, la démarche pragmatique et humble qui lie Locke à Voltaire en passant par Newton et Lavoisier, s'oppose en tout point à la brutalité, aux principes et aux a priori de la Révolution. Voltaire, toujours dans ses Lettres Philosophiques l'explique de manière limpide : « Locke a développé à l’homme la raison humaine, comme un excellent anatomiste explique les ressorts du corps humain. Il s’aide partout du flambeau de la physique; il ose quelquefois parler affirmativement, mais il ose aussi douter. Au lieu de définir tout d’un coup ce que nous ne connaissons pas, il examine par degrés ce que nous voulons connaître. »
Le projet titanesque d'Encyclopédie mené par Diderot et d'Alembert entre 1751 et 1772 constitue une illustration magnifique de cette façon de raisonner.
Il est révélateur que ce soit l'Université de Chicago qui s'attache à notre époque à faire revivre cette aventure. En collaboration avec le CNRS, et par l'intermédiaire de son
projet ARTFL (American and French Research on the Treasury of the French Language ), elle donne accès via l'internet, à l'intégralité de cette œuvre monumentale.
On y trouve l'essence même du libéralisme bien compris : celui qui anime encore les esprits outre-atlantique et dont il faut espérer qu'il continue de perdurer, car en dépit de toutes les caricatures qui tendent à le discréditer, lui seul est un vrai gage de progrès et liberté.
En furetant dans le moteur de recherche de l'Encyclopédie, j'en extrais un article de Jaucourt sur les Lois, dans la droite ligne de la pensée de Montaigne et de Montesquieu. On peut y lire :
« Si les
lois indifférentes ne sont pas bonnes, les inutiles le sont encore moins, parce qu'elles affaiblissent les lois nécessaires; celles qu'on peut éluder, affaiblissent aussi la législation. Une loi doit avoir son effet, et il ne faut pas permettre d'y déroger par une convention particulière.
On établit des lois nouvelles, ou pour confirmer les anciennes, ou pour les réformer, ou pour les abolir. Toutes les additions ne font que charger et embrouiller le corps des lois. Il vaudrait mieux, à l'exemple des Athéniens, recueillir de temps en temps les lois surannées, contradictoires, inutiles et abusives, pour épurer et diminuer le code de la nation.../...
Il faut se hâter d'abroger les
lois usées par le temps, de peur que le mépris des lois mortes en retombe sur les lois vivantes, & que cette gangrène ne gagne tout le corps de droit.... »
Et ce second sur le Gouvernement :
« Ce n'est pas assez que
d'abroger les lois qui sont des défauts dans un état, il faut que le bien du peuple soit la grande fin du gouvernement. Les gouverneurs sont nommés pour la remplir; et la constitution civile qui les revêt de ce pouvoir, y est engagée par les lois de la nature, et par la loi de la raison, qui a déterminé cette fin dans toute forme de gouvernement, comme le mobile de son bonheur. Le plus grand bien du peuple, c'est sa liberté. La liberté est au corps de l'état, ce que la santé est à chaque individu; sans la santé, l'homme ne peut goûter de plaisir; sans la liberté, le bonheur est banni des états. Un gouverneur patriote verra donc que le droit de défendre & de maintenir la liberté, est le plus sacré de ses devoirs. »
Tout cela est plus que jamais d'actualité...

21 juillet 2009

La Terre se lève aussi...


Jamais notre planète n'avait été vue d'aussi loin par un œil humain. Le 21 juillet 1969 pour les Européens ou la veille pour les Américains, peu importe, ça fait tout de même quarante ans déjà qu'on sait que la Terre se lève aussi !
Cette boule bleue si indicible dont la clarté perce la nuit infinie au dessus de la "magnifique désolation" de l'horizon lunaire, cette perle de vie auréolée de douces vapeurs, cette source étrange de pensées perdue dans l'univers, cette sphère irradiante interroge l'esprit sans fin. Quel est donc ce mystère qu'on croit approcher de plus près en partant toujours plus loin ? Où donc est la clé de ces incertitudes gigantesques qui gouvernent notre infime existence ? De quelle essence est faite cette substance indéfinie dont le pouvoir muet assujettit jusqu'à notre âme ? Sommes-nous de ce monde, qui conjugue en une merveilleuse et intemporelle harmonie la matière et l'imaginaire, où bien tout n'est-il qu'illusions, enfermées ad nihilum dans une grande horloge absurde ?
Depuis ce voyage extraordinaire, l'exploration spatiale a compté de belles prouesses techniques mais n'a plus jamais livré une aussi intense poésie ni ouvert de champ si inouï à l'ivresse spirituelle. Cette expédition insensée et pourtant si bien calculée marque indéniablement la fin d'une ère scientifique en même temps qu'elle semble également borner pour un temps au moins l'espérance humaine.
Depuis cette date les rêves et les chimères paraissent s'estomper comme le panache des fusées qui propulsèrent ce bizarre mélange d'intelligence, de chair et d'instruments dans l'espace intersidéral, en quête de réponses intelligibles...
Tout est désormais pesé à l'aune du rendement, le temps n'a de signification qu'immédiate, et la recherche du bonheur ne s'exprime plus que sous le couvercle "bas et lourd" de la satisfaction d'objectifs purement matériels, égarée par la peur névrotique du risque, et par le leurre désespérant de l'égalité universelle, qui se confond de plus en plus avec une plate et uniforme médiocrité...

18 juillet 2009

L'âme du jasmin et la vanité du Monde


Cette année notre jasmin semble avoir décidé de livrer toute la quintessence de son âme de fleur. Est-ce le fait de lui avoir fait goûter l'air frais du dehors pendant quelques semaines ? Est-ce l'effet des belles journées qui ont salué par ici l'arrivée de l'été ? Toujours est-il qu'il est couvert depuis quelque temps d'une magnifique floraison blanche dont les effluves nous envahissent dès le matin. Ah ce parfum entêtant mais enivrant qui paraît venir d'un autre monde... Il pourrait presque, à l'image du mythique népenthès, noyer dans un doux oubli les soucis et peines du quotidien...
Depuis notre retour d'Amérique je dois pourtant dire que je suis presque indifférent aux choses de l'actualité. Ce n'est pourtant pas qu'elle soit creuse mais elle me semble de plus en plus vaine.
Que s'est-il passé durant ces derniers mois qui vaille d'être retenu ?
Sont-ce les élections européennes qui témoignent une fois encore de la médiocrité du débat politique dans notre pays ? Un parti socialiste à bout de souffle incapable d'émettre la moindre idée neuve, cramponné à une idéologie déliquescente. Un soi-disant Centre situé en fait au milieu de nulle part, et qui s'engloutit dans le délire monomaniaque d'un chef aussi creux et infatué qu'obtus. Des extrêmes en morceaux ressassant opiniâtrement leurs vieilles haines recuites et leur sombre ritournelle d'imprécations revanchardes. Enfin, le parti du Président, bien rangé, qui lui non plus ne brille pas par l'originalité, mais dont l'apparente unité s'avère en définitive le meilleur argument électoral. Ah, j'oubliais cette subite flambée écologique dont les médias se gargarisent avec délectation. Le tour fut assurément bien joué par ce vieux renard de Cohn-Bendit, mais faut-il voir dans le conglomérat hétéroclite qui s'agite aux basques de l'ex-révolutionnaire d'opérette autre chose qu'une habile farce sans lendemain ?
Pendant ce temps, le gouvernement fait mine d'agir, mais on s'interroge sur le bien fondé des quelques mesures engagées de ci de là sans ligne stratégique claire. Plus grave, les dernières lois promulguées font craindre un nouveau renforcement de la bureaucratie. Ainsi en est-il par exemple des textes ruisselant de bonnes intentions baptisés emphatiquement HADOPI pour la protection des droits des artistes et HPST pour la nième réorganisation de l'Hôpital. Leur infernale complexité, et l'invraisemblable arsenal administratif sur lequel elles appuient leurs objectifs grandiloquents sont de fort mauvais augure.
D'une manière générale, la crise a hélas réduit à néant tout embryon d'audace, tout pragmatisme et tout esprit critique. Après avoir une fois encore sacrifié le libéralisme sur l'autel de la Justice Sociale, l'Etat est revenu plus fort que jamais, et tout particulièrement sa fâcheuse tendance à dépenser sans compter. Non content d'avoir approfondi dramatiquement la dette du pays, non content d'avoir négligé toute rigueur en laissant flamber les déficits, voici qu'il propose un grand emprunt, sans même donner l'impression d'avoir une idée de ce qu'il pourrait bien en faire ! Au point d'estimer indispensable de mettre sur pied une commission chargée de déterminer à quoi l'hypothétique manne devrait être dépensée ! Et en y mettant à sa tête deux des plus calamiteux représentants du microcosme technocratique. On croit parfois rêver...
Et le Monde dans tout ça ?
Il tangue au gré de la Crise. Partout les dettes se creusent. A la fin de l'année, Barack Obama aura multiplié le déficit budgétaire de l'Amérique par quatre ! Tous les repères s'estompent. Les experts ont doctement prétendu que le Krach était l'expression d'excès en matière de crédit, mais jamais on a autant hypothéqué la richesse des nations, en invoquant le retour d'une croissance qu'on qualifie dans le même temps de fléau du capitalisme...
Le Monde découvre que le nouveau président américain n'est pas un messie. La crise se moque de ses mesures pharaoniques de relance.
Quant à sa politique extérieure d'apaisement, elle ne produit pas l'esquisse de l'ébauche du changement escompté. La Corée du Nord, de plus en plus folle ignore avec forfanterie ses avertissements mollassons. L'Afghanistan vit toujours sous la menace des barbares et il faut bien se résoudre à accroître la pression armée sous peine de perdre les fragiles résultats obtenus. Selon le même principe, en Irak, le retrait des troupes engage le pays dans un avenir très incertain. Le processus de règlement du conflit Israelo-Palestinien quant à lui n'a pas avancé d'un iota. Le Pakistan est au bord du chaos. L'Iran n'hésite plus à montrer au grand jour les griffes de son abominable dictature. Certains font mine de s'en apercevoir, mais depuis 30 ans qu'elle dure, il fallait vraiment être myope ou de très mauvaise foi pour ne pas la voir. Au total si le président US se refuse à qualifier tous ces gens d'axe du mal, pour eux à l'évidence, il est toujours l'incarnation du grand Satan.
Michael Jackson a décidé lui, de tirer sa révérence. A l'instar des fleurs, il a vécu de manière spectaculaire mais brève. Paradoxalement, en dépit du charme et de la grâce dont la Nature l'avait doté, il était profondément insatisfait de son apparence physique. Pour y remédier et comme pour donner raison à cette époque qui privilégie de plus en plus la forme sur le fond, il se servit de tous les artifices techniques de la chirurgie esthétique pour transformer son corps. Il était devenu une sorte de dérisoire Prométhée du showbiz. Mais un titan très seul et plus contraint que quiconque, par le poids des chaines dorées qu'il s'était inconsciemment mises aux pieds.
Happé par un destin fulgurant et brutal, il n'eut pas le loisir de se faner derrière son masque de star aseptisée. Et puisque rien n'était plus naturel dans sa manière de braver la réalité, sa mort même avec tout ce qui l'entoure, paraît factice. Après un éblouissant et dernier feu d'artifice, il est probable que ses gentilles chansons se dissolvent sous peu en scories, dans le vide de l'univers brillant mais vain du monde contemporain...

29 juin 2009

Un printemps américain (13)



Vendredi 17 Avril. Tout a une fin, notre petite odyssée américaine n'échappe hélas pas à la règle. Aujourd'hui est déjà le jour du retour...
Avant de regagner pour la dernière fois Washington, nos amis nous ont préparé un détour très prometteur à travers la campagne.
Comme pour nous laisser le plus beau des souvenirs, le temps est absolument magnifique. On se croirait cette fois en été pour de bon. Le ciel est entièrement dégagé et l'air a une douceur idéale.
Après avoir rassemblé tous nos bagages, avoir englouti un solide breakfast, et dit adieu à la maison qui nous a si agréablement logés durant ces quinze jours, nous nous entassons tous les six dans la Mercury, et en route !

Avant de quitter Baltimore, nos hôtes voudraient nous faire passer devant la statue érigée à la mémoire de Billie Holiday, native de la ville. Délicate attention, car ils se souviennent qu'elle est pour moi la déesse incomparable du Jazz, et que je suis sous le charme dès que j'entends le son si troublant de sa voix.
Malheureusement nous tournons et retournons dans le quartier de Lafayette Street sans rien voir qui ressemble de près ou de loin à Lady Day. « Ça ne fait rien ! » leur dis-je, puis en paraphrasant le titre d'une de ses chansons : « Don't worry 'bout me »...

Nous sortons de Baltimore par les quartiers ouest. Nous pouvons une fois encore mesurer l'étendue de cette cité d'environ 650.000 âmes. Une fois passées les dernières maisons de l'agglomération, façon de plaisanter, Jeff nous dit que sur notre lancée, nous pourrions désormais rouler sans pratiquement changer de chemin, sur la Route 40, pendant près de 3000 miles (environ 5000 kilomètres), jusqu'à San Francisco !
Ça serait bien volontiers mais malheureusement les impératifs horaires nous interdisent un tel crochet...

A la place ce sera une charmante déambulation bucolique dans une Amérique humble et simple. Nous sommes en effet tout à coup bien loin des grandes mégalopoles, des fastes du showbiz ou du progrès technique. On se croirait au contraire revenu au temps d'Emily Dickinson, entre poésie et traditions, dans un univers serein et comme détaché des trépidations du monde moderne. La route est bordée de maisons rustiques, rénovées à l'ancienne, souvent en bois, parfois associé à des briques. Toutes arborent des fenêtres a petits carreaux, ouvrant à la mode « guillotine », composant tantôt des bow-windows, tantôt des vérandas et s'ouvrant sur des coursives extérieures ou même parfois sur des péristyles à colonnes.


La première étape est le petit village de New Market. Il compte à peine plus de 500 habitants, mais a une superbe allure. Le long de la rue principale, les maisons et échoppes alignent sagement et proprement leurs bardages en bois peint et leurs toits de tôle, égayés par des drapeaux et des fanions colorés. Comme une plaque en bronze le rappelle, la ville a célébré le bicentenaire de sa création en 1993.
L'endroit vit aujourd'hui probablement en grande partie du tourisme, mais il conserve beaucoup de charme et d'authenticité. Les magasins vendent surtout des antiquités ou des objets d'artisanat rustique.
Nous entrons dans une belle boutique logée dans une vaste villa de style néo-colonial, tenue par un sympathique Latino qui nous accueille chaleureusement. Il se targue de descendre des Indiens Zuni du Nouveau Mexique. Le gars est plutôt volubile. Il nous raconte l'histoire de cette tribu étonnante, qui descend probablement des premiers indiens autochtones d'Amérique du Nord, les Anasazis, dont on retrouve des traces sur le continent, remontant à plus de 20.000 ans.
Il nous dit non sans fierté comment ses aïeux parvinrent à résister à toutes les invasions notamment à celle des conquistadores Espagnols. Aujourd'hui encore affirme-t-il, les Zunis continuent de revendiquer leur farouche personnalité, du côté de Santa-Fe, et ont conservé nombre de leurs us et coutumes. En tout cas son magasin est plein de leur production, très originale et gaie, et nous nous laissons tenter par deux ou trois bijoux et colifichets « faits main »...

Au fil de notre balade, nous passons devant la caserne des pompiers. A l'intérieur, attendent sagement quelques véhicules rutilants, dont un splendide camion arborant des chromes qui n'ont rien à envier à ceux du New York Fire Departement...
Nous rendons ensuite visite à un magasin étonnant. Un genre de drugstore rural qu'on croirait sorti d'une reconstitution du XIXè siècle. Sur des étagères en bois, sont disposés quantité de bocaux en verre, de toutes tailles, remplis de denrées diverses : herbes, épices, bonbons... Mais aussi d'appétissantes sauces, des confitures en veux-tu en voilà.
On trouve également des objets artisanaux les plus variés, des faïences, des poteries, et des instruments de cuisine ou de jardinage en tous genres, mais toujours d'inspiration traditionnelle.
Dans le fond, sur un tableau noir et à la craie, on peut lire la pensée du jour « Do not let kindness and truth leave you... ». Enfin, sur le comptoir, pour faire la pesée une antique balance chromée, et pour gérer le commerce, tout de même un petit ordinateur portable...


Nous quittons à regret cette petite bourgade pleine de nostalgie et continuons notre route vers Frederick, située à une petite vingtaine de kilomètres, plus grande mais vouée semble-t-il au même culte de douce intemporalité. Les rues sont plus larges et les maisons plus cossues mais on baigne dans la même ambiance un peu rétro. Située non loin de Gettysburg, elle reste particulièrement marquée par le souvenir de la guerre de sécession et possède d'ailleurs un musée dédié spécialement à l'art médical de l'époque.
Frederick est également associée au nom d'un habitant éminent mais controversé, à savoir
Roger Brooke Taney. Ce dernier fut nommé en 1836 Chief of Justice à la Court Suprême par le Président Jackson. A ce titre, il fut l'auteur en 1857 d'une décision assez désastreuse restée dans les mémoires sous le nom de Scott vs Sandford.
Celle-ci, s'appuyant pourtant « à la lettre » sur les textes de la Constitution et de la Déclaration d'Indépendance, refusa aux esclaves la qualité de citoyens des Etats-Unis. Elle ajoutait au surplus que le fait de posséder des esclaves relevait de la décision des Etats et non du Pouvoir Fédéral, et qu'en tout état de cause elle s'inscrivait dans le droit à la propriété privée !
Entérinée au moment où les tensions allaient crescendo entre états du Sud et ceux du Nord, elle fit l'effet d'une provocation et joua selon les historiens un rôle significatif dans la survenue de la terrible guerre civile.

Raney qui était le beau frère de Francis Scott Key (l'auteur de Star Spangled Banner), qui fut toujours unioniste et dévoué au gouvernement fédéral, et qui à titre personnel avait émancipé les esclaves dont il avait hérité, ne comprit jamais vraiment l'hostilité accueillant cette décision qu'il estimait fondée sur des arguments objectifs. L'esclavage qu'il jugeait comme un mal, ne pouvait selon son opinion être défait que progressivement et par les seuls états où il subsistait à l'époque. Comme quoi l'esprit des lois vaut souvent mieux que la lettre et comme quoi de bonnes et honnêtes intentions peuvent parfois conduire à d'horribles conséquences...

Après avoir flâné, et beaucoup photographié les rues de la ville, ses églises et bâtiments historiques, nous nous arrêtons pour déjeuner dans un petit restaurant de spécialités Tex Mex. Nous apprécions particulièrement ce dernier et délicieux repas, pris en plein air dans le jardin, sous un soleil juste doux et chaud comme il faut.
En pensant à ce voyage merveilleux qui s'achève par cette promenade si intemporelle, si décalée par rapport aux idées reçues souvent véhiculées au sujet des Etats-Unis, les mots de Thoreau me reviennent à l'esprit, comme particulièrement propices : « En tuant le temps on blesse l'éternité... »

Après Frederick, il ne nous reste plus qu'à gagner sans hâte mais avec certitude l'aéroport. Nous traversons le Potomac, ce fleuve aux consonances si évocatrices, en empruntant le petit pont métallique de Point of Rocks. L'endroit se situe pratiquement à la jonction entre le Maryland et la Virginie. Son atmosphère champêtre tranquille appelle à une promenade que nous ne pouvons hélas plus envisager...
Ensuite c'est Leesburg, et enfin les abords de l'aéroport de Washington Dulles.
Nous arrivons en avance mais les derniers moments passent très vite à s'affranchir des incontournables formalités administratives. Après un dernier pot pris ensemble, les adieux à nos amis sont brefs mais intenses. Il y a une grande tristesse à devoir déjà se séparer mais une immense gratitude pour l'accueil qu'ils nous ont réservé et pour leur dévouement à nous montrer tant de lieux et de curiosités. Grâce à eux, nous repartons riches de souvenirs et certainement un peu initiés aux particularités les plus attachantes de la vie américaine. Il nous reste encore beaucoup à découvrir mais toute la famille est heureuse de cette aventure.

Pour ma part je suis comblé. L'Amérique que j'ai vu concorde bien avec l'idée que j'en avais. Ce que j'en ai relaté au long de ces billets quotidiens reste sans doute assez médiocre et lacunaire, mais les écrire a prolongé mon plaisir et a été comme une sorte d'accomplissement...

25 juin 2009

Un printemps américain (12)


Jeudi 16 Avril. La journée commence sous un vrai soleil de printemps. Dehors il fait déjà presque chaud. Rien à voir avec le temps sinistre d'hier. Nous partons pour une balade dans les quartiers chics situés au Nord de Baltimore.

Avant de les atteindre, comme par un paradoxe ironique, nous sommes contraints de traverser des faubourgs beaucoup moins favorisés. Après avoir franchi les derniers bâtiments composant le gigantesque complexe du Johns Hopkins Hospital, nous pénétrons en effet dans de longues rues rectilignes, où alternent espaces plus ou moins en friches, et alignements de petites maisons mitoyennes souvent décaties. Bon nombre d'entre elles sont à l'évidence inhabitées, et de grands panneaux de bois occultent hermétiquement portes et fenêtres. Dans les rues la population, rare, est quasi exclusivement noire. Comme pour rappeler que Baltimore est constituée de plus de 60% d'African-American People comme on les appelle ici. En 2007 la maire actuelle Sheila Dixon fut d'ailleurs élue avec plus de 87% des voix...
En plus d'un certain abandon et du désœuvrement, une violence endémique sévit hélas dans ces quartiers. Malgré des allures de ville ouverte et de port moderne, Baltimore n'est pas vraiment parvenue à endiguer la forte criminalité qui la caractérise depuis de nombreuses années. Près de 250 meurtres sont recensés chaque année. Même si la maire actuelle peut se vanter d'une amélioration sensible par rapport aux presque 400 des années 90, les chiffres restent sept fois supérieurs à la moyenne des USA et notamment 6 fois plus élevés qu'à New York.
Cette violence touche essentiellement la population jeune, et noire et s'avère souvent liée à la drogue.

Lorsque nous arrivons à hauteur de l'enclave huppée, baptisée Homeland, l'ambiance change du tout au tout. L'atmosphère est ici quasi campagnarde. Les parcelles sont impeccablement entretenues. Sur chacune est posée une belle maison du genre cottage. Comme souvent aux Etats-Unis, il n'y a pas de mur d'enceinte, ni même de haie pour cacher les maisons et leurs jardins à la vue des passants.
Tout est ouvert et l'atmosphère est d'une tranquillité totale, presque artificielle. En effet, le fait même de se promener comme nous le faisons dans les allées verdoyantes, pourrait selon Jeff, paraître suspect. Nous ne voyons personne, hormis un couple qui discute à l'entrée d'une propriété.
En définitive le coup d'oeil vaut surtout pour les styles architecturaux assez variés de ces villas, comme les décrit la brochure publicitaire : Georgian, Norman, Tudor, French Country, Colonial, and Early American...


Après la traversée rapide de la charmante petite bourgade de Towson qui jouxte ces beaux quartiers, la journée se poursuit avec la visite du Baltimore Museum of Art, situé à proximité, au nord de la ville juste à côté du complexe universitaire Johns Hopkins. Ce musée, comme la National Gallery de Washington est régi par des subsides d'Etat aussi bien que privés. Grâce à ce mariage harmonieux, il peut offrir l'entrée libre, et mérite vraiment le détour pour la richesse et l'originalité de son fonds. Derrière une façade majestueuse avec un péristyle de style antique, il possède par exemple la plus imposante collection de tableaux de Matisse au monde. Elle provient à l'origine de legs venant de la collection rassemblée par les soeurs Claribel et Etta Cone. On y trouve également quelques belles pièces de Braque, Picasso, Gauguin, Cézanne ou même Corot.
Nous apprécions également les salles consacrées à l'Art Indien, et les quelques mosaïques provenant de la ville antique d'Antioche en Turquie. On trouve également quelques sculptures intéressantes, notamment une réplique en bronze du fameux penseur de Rodin...

L'après-midi s'inscrit comme un épisode peu banal dans un voyage touristique. Grâce à l'amabilité d'un ami de Jeff qui y a ses entrées en tant que consultant, nous avons le privilège d'une visite guidée dans le Baltimore Shock Trauma Center. Cette structure hospitalière à nulle autre pareille est un bâtiment de huit étages entièrement consacré à la prise en charge en urgence des blessés les plus gravement atteints, en provenance de toute la région.
Son fondateur, le Professeur R Adams Cowley (1917-1991), qui fut chirurgien cardiaque, a passé toute sa vie à militer pour la modernisation des soins d'urgence, insistant avant tout sur l'importance de la prise en charge durant les premières heures des traumatisés les plus graves. Selon son expérience, c'est pendant ce délai fatidique ,qu'il a appelé golden hour, que tout se joue en effet, en terme de pronostic. Tout retard ou toute négligence conduit, si ce n'est à la mort immédiate, en règle à l'installation d'un choc et de défaillances viscérales, d'évolution quasi constamment fatales.
C'est pour répondre à cet objectif qu'il préconisa l'élaboration de centres médico-chirurgicaux hyper-spécialisés d'une part, et la création d'équipes paramédicales d'un genre nouveau, dont la mission est de convoyer le plus vite possible les blessés vers l'hôpital, c'est à dire souvent le bloc opératoire. Ces professionnels qu'on appelle aux USA les paramedics sont issus de la filière infirmière, mais avec des compétences extrêmement pointues en soins d'urgence et des responsabilités accrues en matière de technique et de prescription. Ils n'ont pas d'équivalent en France où l'on a fait le choix de placer des médecins à tous les niveaux de responsabilité des SAMU et où la priorité n'est pas tant de rapatrier le plus vite possible les patients que de commencer les soins sur place. Cette option est souvent contestée à l'étranger (par exemple à l'occasion de la mort de Lady Di) en raison de son coût très élevé en personnel médical, paradoxalement pas toujours très bien formé, et du temps qu'elle fait parfois perdre à trop vouloir « mettre en condition » les blessés sur les lieux de l'accident avant de les transporter.
Le Professeur Cowley mit quant à lui de nombreuses années à convaincre les autorités, notamment le Gouverneur de l'Etat du Maryland, du bien fondé de sa théorie. Bien que tombant sous le simple bon sens, elle trouve parfois ses limites, eu égard à l'importance des moyens engagés face aux résultats obtenus, et notamment aux lourdes séquelles dont ces derniers sont souvent grevés. Certes de beaux succès ont couronné ces efforts, certes les soins d'urgence sont devenus une discipline d'excellence, voire prestigieuse, tout particulièrement aux Etats-Unis. D'autre part, nul ne conteste l'intérêt d'une intervention la plus rapide possible, mais il semble persister encore des barrières infranchissables, notamment en traumatologie crânienne ou de la moelle épinière.

La visite du centre, sous la conduite du Professeur Pollak, chef de l'unité de Traumatologie Orthopédique, est très impressionnante. L'hôpital, équipé des technologies les plus modernes, dispose de 6 blocs opératoires en activité quasi ininterrompue. Nous les avons sous yeux grâce à des écrans de contrôles. Dans la salle d'accueil, le personnel ne chôme pas. En plus des soins en cours, une équipe multidisciplinaire se tient prête à prendre en charge à tout moment toute nouvelle entrée. Dans les salles d'Imagerie, plusieurs scanners, échographes et IRM de dernière génération tournent en permanence. En matière d'hospitalisation on ne compte pas moins de 72 lits de réanimation spécialisée répartis sur 3 étages. Enfin, sur le toit, duquel nous dominons la cité qui vibrionne, un héliport est le siège de rotations incessantes (entre 7 et 10 par jour...).

Je ressors de cette aventure avec l'impression que Baltimore est décidément une ville particulièrement bien dotée en établissements de soins : pas moins d'une dizaine de structures différentes, dont le colossal Johns Hopkins Hospital !
A elle toute seule une ville dans la ville, cette institution privée, qui comprend un hôpital et une université, fut fondée à la fin du XIXè siècle par un legs faramineux d'un banquier philanthrope. Elle n'a pas cessé depuis d'affirmer un haut niveau de compétences, et pouvait revendiquer en 2008 pour la 18è année consécutive, le titre de "meilleur hôpital" du pays, et une aura internationale solide en Urologie, en Gynécologie, Oto Rhino Laryngologie, Rhumatologie, Ophtalmologie...

Aux Etats-Unis on ne plaisante pas avec le Bench Marking et les classements. Hôpitaux comme plans d'assurance maladie, tout est passé à la moulinette impitoyable des agences de notation et d'évaluation. Il faut dire que la démarche qualité qui date de plus d'un siècle est quasi consubstantielle à la mentalité américaine. Même si elle n'est pas exempte de critiques et de faiblesses, sa force vient du fait qu'elle est librement choisie et fondée sur l'émulation et la concurrence. En France où on essaie laborieusement depuis 5 ans de transposer le système, il est placé sous tutelle étroite de l'Etat ce qui le prive d'emblée de réactivité et de pragmatisme. Au surplus, cela lui donne de fait, le caractère peu attractif d'une obligation, sans vrai enjeu tant les situations sont le plus souvent monopolistiques lorsqu'elle ne sont pas gérées et organisées par l'Etat lui-même... Est-il possible d'imaginer ce dernier nuire à ses enfants que sont les hôpitaux (sauf pour de basses raisons de planification...), où faire de vraies remontrances à son rejeton qu'est l'intouchable Sécurité Sociale ?

19 juin 2009

Un printemps américain (11)


Mercredi 15 avril. Ce matin sur Baltimore, la météo n'a pas tendance à s'arranger. Il pleut et il fait même assez frais. Temps de musée pourrait-on dire...
C'est l'occasion en mille de retourner à Washington DC pour y découvrir la
National Gallery. Vivante illustration du mécénat à l'américaine, elle fut créée en 1937 grâce aux collections et au support financier de Andrew W. Mellon.
Ce personnage étonnant fut à la fois collectionneur avisé, banquier, industriel, philanthrope, enfin homme d'Etat, et non des moindres. Il occupa en effet durant trois mandats présidentiels, le poste de secrétaire d'Etat au Trésor. Aujourd'hui, la National Gallery continue d'administrer ses collections et d'autres qui sont venues s'y adjoindre, avec un savant dosage de fonds publics et privés. Elle est ouverte toute l'année 7j/7 et l'entrée est gratuite.


Comme la dernière fois nous prenons le bon vieux Marc train, pas rutilant mais économique et pratique. Dans Union Station nous tombons en plein tournoi national de Monopoly ! Curieux endroit et drôle d'époque pour se livrer à des spéculations immobilières, même en jeu...
Dehors l'air est presque hivernal. Le sol est moiré des reflets de la dernière averse. Un vent cinglant nous oblige à nous emmitoufler. A la sortie de la gare, toujours aussi belle, je remarque une réplique exacte de Liberty Bell. En réalité, j'apprendrai que chaque Etat en possède une. Nous avons donc celle du District of Columbia sous les yeux.

En traversant le parc qui longe Constitution Avenue, nous nous arrêtons un moment devant le Taft Memorial. Il s'agit d'un grand parallélépipède de pierre dressé verticalement, dont l'extrémité supérieure est creusée de sept logettes ou sont accrochées les cloches d'un impressionnant carillon. Devant, est érigée une statue en pied de
Robert A. Taft. Bêtement j'imagine dans un premier temps qu'il s'agit du président de la république mais mon ami me détrompe : en réalité c'est le sénateur.
Fils du premier, il fut distingué en 1957 par un comité spécial mené par John F. Kennedy, qui en fit l'un des 5 meilleurs sénateurs de l'histoire américaine.
Ce monument lui rend hommage avec ces quelques mots gravés dans le marbre : « Hommage du peuple à l'honnêteté, à l'indomptable courage, aux principes élevés de libre gouvernement symbolisés par sa vie. »
.

Parmi les faits marquants de cette destinée, on retient sa lutte acharnée contre la bureaucratie et les gaspillages. Il batailla notamment contre beaucoup d'initiatives du New Deal qu'il jugeait inutilement dispendieuses...
On lui doit aussi d'avoir jeté les bases d'un dialogue social moderne et assaini avec les syndicats. Plus curieusement, et comme par fidélité aux principes de George Washington, il compta également parmi les défenseurs les plus opiniâtres du non interventionnisme au moment de la montée du Nazisme puis du Communisme en Europe et s'opposa à la création de l'OTAN qu'il estimait trop provocatrice face à Staline...
Bien qu'il jugea excessifs les procès de Nuremberg, il appela toute sa vie de ses voeux la création d'un tribunal International. Aujourd'hui encore un club très actif continue de faire vivre les principes de sa philosophie politique.

Nous continuons notre route vers le Musée. Dans les parcs publics que nous traversons, se détachent dans la grisaille ambiante les fleurs délicates des arbres de Judée et de splendides cornouillers (dogwood).
Nous apercevons le Capitole derrière les jets d'eau de la Senate Garage Fountain. L'élément liquide retombant en cascade, est comme une nacre fluide qui mélange ses nuances subtiles avec les teintes grises et lourdes du granit et du ciel.


La National Gallery est un vaste ensemble à l'architecture contrastée. L'aile Ouest, la plus ancienne est de style antique athénien, l'aile Est datant de 1978 est au contraire composée de structures géométriques ultra-modernes. Les deux corps de bâtiment sont reliés par une galerie souterraine dotée d'un tapis roulant sous un éclairage futuriste, une vraie oeuvre d'art en soi.
Dans l'entrée sous verrière, d'immenses mobiles de Calder oscillent doucement et au mur des formes abstraites signées Motherwell sont comme de lourds papillons noirs .
L'endroit préféré de mon ami est la salle consacrée aux peintres français autour du thème de l'impressionnisme : Small French Paintings. Il s'agit d'une très intéressante collection qui comprend outre quelques prestigieux chefs de file tels Monet, Renoir, ou Pissaro, également quelques précurseurs comme Corot, Boudin, ou bien d'autres compagnons de route plus ou moins proches : notamment Degas, Vuillard, Derain...

Au gré des salles nous découvrons certains artistes américains originaux : Cattlin et ses portraits d'indiens dans des camaïeux de couleurs ocres, George Bellows dont on propose des vues de New York, à l'aube de l'ère industrielle.
Le temps passe vite hélas, nous ne pouvons naturellement explorer à fonds les richesses du Musée. Je retiens toutefois entre autres, quelques beaux spécimens de la peinture hollandaise que je photographie à la volée : trois sublimes portraits de Vermeer (femme écrivant, jeune fille à la flute, jeune fille au chapeau rouge), quelques paysages signés Ruysdaël, un saisissant autoportrait de Rembrandt...
Au moment de notre visite se tient précisément une très belle expo de paysages hollandais et flamands du XVIè et XVIIè siècle.
Nous traversons également de belles salles en forme de jardins intérieurs, agrémentés de fontaines, de colonnes en marbre, de plantations et de sculptures élégantes.
D'une manière générale, les oeuvres sont remarquablement bien mises en valeur. Contrairement aux musées de Florence par exemple, sombres, surchargés et croulant sous les dorures, la présentation est ici aérée, lumineuse, reposante.

De retour à Baltimore, nous terminons la soirée dans un restaurant-pub très prisé, le Mama's On the Half Shell. Au menu, des huitres frites et de plantureuses coquilles Saint-Jacques sur un lit d'épinards, le tout arrosé de Budweiser. Un des très bons souvenirs gastronomiques du séjour, dans une ambiance détendue et néanmoins très animée.
En sortant, nos amis nous offrent de délicieuses et onctueuses crèmes glacées, dont une seule suffirait à nourrir une famille entière...


12 juin 2009

Un printemps américain (10)


Mardi 14 Avril. Après la visite de grandes métropoles, nous partons cette fois pour une petite station du bord de mer, à quelques dizaines de kilomètres de Baltimore : Annapolis.
On se souvient qu'elle eut brièvement les honneurs des médias en 2007 lorsqu'elle fut le théâtre de négociations entre Palestiniens et Israéliens sous l'égide du président Bush. Bien que cette initiative s'inscrivit dans la tradition chargée d'histoire de la ville, force est de reconnaître que ce ne fut pas un gage de succès...

Le temps est aujourd'hui au crachin, ce qui ne fait pas trop nos affaires. Dès l'arrivée c'est pourtant le coup de cœur pour cette aimable cité de quelques 8000 habitants, qui malgré son apparente modestie et son charme désuet, reste envers et contre tout la capitale du Maryland.

Autrefois Annapolis fut un port prospère, et devint même durant quelques mois, la capitale des Etats-Unis après la signature du traité de Paris en 1783. En matière de commerce tout ne fut malheureusement pas idyllique puisqu'on sait que l'endroit fut longtemps une porte d'entrée forcée pour les esclaves arrivant d'Afrique.
Sur le quai une curieuse sculpture montrant l'écrivain et journaliste Alex Haley discutant avec des enfants, évoque sa fameuse et controversée saga « Racines » sur le sujet. Mais la scène insiste surtout sur l'importance des liens familiaux pour conjurer la fatalité, et sur la fierté qu'il faut avoir de ses origines...
De nos jours heureusement, l'activité maritime se résume essentiellement aux fruits de mers (crabes et huitres) et aux régates de voiliers.
Le port de plaisance prend un faux air de lagune avec ses grands pieux en bois émergeant de l'eau, ses pontons qui semblent dessiner des canaux, sur fond de ciel gris légèrement brumeux. Au loin le dôme bleuté de la Naval Academy Chapel a des allures de Salute...

Nous déjeunons dans une charmante auberge, la Middleton Tavern. Cette grande maison toute simple en briques revendique un glorieux passé. Elle accueillit en effet comme clients réguliers des gens aussi célèbres que Washington, Jefferson et Franklin... A l'intérieur, beaucoup de bois vernis et de cuivre. Et de nombreuses affichettes publicitaires et d'écrans de TV égayant une grande salle un peu sombre. Nous avons ici la première occasion de goûter le fameux Crab Cake, une des spécialités du Maryland. Il s'agit de grosses croquettes à base de chair de crabe fraiche, assaisonnée avec de la mayonnaise ou différentes sauces rehaussées d'oignons, d'épices plus ou moins pimentées ou de tabasco. L'ensemble est enrobé de chapelure, doré dans du beurre ou de l'huile, et servi avec de la salade. Mieux vaut sans doute ne pas en abuser pour la santé, mais c'est diablement savoureux...
J'essaie également les huitres, qui ressemblent beaucoup aux classiques creuses de Bretagne. On dirait qu'elles ont été lavées tant elles paraissent nettement moins salées et peut-être un peu moins goûtues qu'à Cancale. C'est sans doute pourquoi elles sont assorties ici de sauces piquantes bienvenues.

Après ce plantureux repas nous nous promenons dans les petites rues adorables du bourg, dont les maisons impeccablement briquées entretiennent avec amour le style colonial de l'époque des Pères Fondateurs. Nous entrons dans la McBride Gallery qui se vante d'être une des plus anciennes demeures de la rue principale, ayant appartenu à William Paca, un des signataires pour le Maryland, de la déclaration d'Indépendance. Nous discutons quelque instants avec la charmante propriétaire des lieux. Elle dispose de pas moins de 7 salles d'exposition au charme rustique, contenant un certain nombre d'œuvres de facture néoclassique ou naturaliste. Nous repérons notamment des peintures de Louis Escobedo et des aquarelles de Bruce Handford.
En remontant nous débouchons sur le State Circle, la place principale de la ville, centrée par la très élégante et vénérable Maryland State House. En parfait état, elle date de 1772 et se caractérise par un joli dôme en bois peint de style typiquement georgien.

A côté de cette petite bourgade délicieusement confite dans ses traditions, siège une gigantesque institution sans commune mesure : la US Naval Academy. Cette école prestigieuse qui forme l'élite de la marine de guerre américaine est une vraie ville à elle seule. On n'y pénètre qu'après avoir montré patte blanche, mais le spectacle en vaut la peine. Sur le vaste campus, de grands bâtiments en pierre très classiques hébergent les quelques 4000 étudiants.
Nous entrons dans le Halsey Field House qui est un énorme hangar destiné sans doute à toutes sortes de manifestations honorifiques ou sportives et qui ne laisse pas d'impressionner par ses proportions. Elles permettent en effet sans peine de le décorer avec d'antiques avions suspendus au plafond. Au fond la grande cafeteria aux allures de pub.

Nous nous promenons ensuite dans le parc immense. Je repère un petit canon en bronze, 75mm Howitzer., d'origine allemande La pancarte indique qu'il fut pris ainsi que ses artilleurs le 16 août 1944 sur les côtes de Provence au niveau de Saint-Raphaël...
Derrière cette silhouette quelque peu désuète on devine le dôme de la Chapelle. Il s'agit en réalité d'une église aux proportions imposantes. L'intérieur est très lumineux, grâce à de nombreuses ouvertures et à plusieurs grands vitraux dans le style art-déco. L'un d'entre eux représente Galahad, le chevalier de la Table Ronde vainqueur de la quête du Graal. On remarque également de magnifiques grandes orgues, malheureusement silencieuses ce jour.
Nous terminons la visite par le quartier des officiers, composé de demeures cossues avec vérandas blanches alignées avec une belle unité le long d'une allée. Sur chacune les noms des habitants. Enfin, celle du Superintendant.

Cette journée s'inscrit donc comme un nouveau jalon dans notre parcours historique de la côte Est des Etats-Unis. Bien que cette découverte nous enchante, nous espérons avoir l'occasion de revenir un jour de beau temps où Annapolis doit dégager un charme fou...