25 juin 2009

Un printemps américain (12)


Jeudi 16 Avril. La journée commence sous un vrai soleil de printemps. Dehors il fait déjà presque chaud. Rien à voir avec le temps sinistre d'hier. Nous partons pour une balade dans les quartiers chics situés au Nord de Baltimore.

Avant de les atteindre, comme par un paradoxe ironique, nous sommes contraints de traverser des faubourgs beaucoup moins favorisés. Après avoir franchi les derniers bâtiments composant le gigantesque complexe du Johns Hopkins Hospital, nous pénétrons en effet dans de longues rues rectilignes, où alternent espaces plus ou moins en friches, et alignements de petites maisons mitoyennes souvent décaties. Bon nombre d'entre elles sont à l'évidence inhabitées, et de grands panneaux de bois occultent hermétiquement portes et fenêtres. Dans les rues la population, rare, est quasi exclusivement noire. Comme pour rappeler que Baltimore est constituée de plus de 60% d'African-American People comme on les appelle ici. En 2007 la maire actuelle Sheila Dixon fut d'ailleurs élue avec plus de 87% des voix...
En plus d'un certain abandon et du désœuvrement, une violence endémique sévit hélas dans ces quartiers. Malgré des allures de ville ouverte et de port moderne, Baltimore n'est pas vraiment parvenue à endiguer la forte criminalité qui la caractérise depuis de nombreuses années. Près de 250 meurtres sont recensés chaque année. Même si la maire actuelle peut se vanter d'une amélioration sensible par rapport aux presque 400 des années 90, les chiffres restent sept fois supérieurs à la moyenne des USA et notamment 6 fois plus élevés qu'à New York.
Cette violence touche essentiellement la population jeune, et noire et s'avère souvent liée à la drogue.

Lorsque nous arrivons à hauteur de l'enclave huppée, baptisée Homeland, l'ambiance change du tout au tout. L'atmosphère est ici quasi campagnarde. Les parcelles sont impeccablement entretenues. Sur chacune est posée une belle maison du genre cottage. Comme souvent aux Etats-Unis, il n'y a pas de mur d'enceinte, ni même de haie pour cacher les maisons et leurs jardins à la vue des passants.
Tout est ouvert et l'atmosphère est d'une tranquillité totale, presque artificielle. En effet, le fait même de se promener comme nous le faisons dans les allées verdoyantes, pourrait selon Jeff, paraître suspect. Nous ne voyons personne, hormis un couple qui discute à l'entrée d'une propriété.
En définitive le coup d'oeil vaut surtout pour les styles architecturaux assez variés de ces villas, comme les décrit la brochure publicitaire : Georgian, Norman, Tudor, French Country, Colonial, and Early American...


Après la traversée rapide de la charmante petite bourgade de Towson qui jouxte ces beaux quartiers, la journée se poursuit avec la visite du Baltimore Museum of Art, situé à proximité, au nord de la ville juste à côté du complexe universitaire Johns Hopkins. Ce musée, comme la National Gallery de Washington est régi par des subsides d'Etat aussi bien que privés. Grâce à ce mariage harmonieux, il peut offrir l'entrée libre, et mérite vraiment le détour pour la richesse et l'originalité de son fonds. Derrière une façade majestueuse avec un péristyle de style antique, il possède par exemple la plus imposante collection de tableaux de Matisse au monde. Elle provient à l'origine de legs venant de la collection rassemblée par les soeurs Claribel et Etta Cone. On y trouve également quelques belles pièces de Braque, Picasso, Gauguin, Cézanne ou même Corot.
Nous apprécions également les salles consacrées à l'Art Indien, et les quelques mosaïques provenant de la ville antique d'Antioche en Turquie. On trouve également quelques sculptures intéressantes, notamment une réplique en bronze du fameux penseur de Rodin...

L'après-midi s'inscrit comme un épisode peu banal dans un voyage touristique. Grâce à l'amabilité d'un ami de Jeff qui y a ses entrées en tant que consultant, nous avons le privilège d'une visite guidée dans le Baltimore Shock Trauma Center. Cette structure hospitalière à nulle autre pareille est un bâtiment de huit étages entièrement consacré à la prise en charge en urgence des blessés les plus gravement atteints, en provenance de toute la région.
Son fondateur, le Professeur R Adams Cowley (1917-1991), qui fut chirurgien cardiaque, a passé toute sa vie à militer pour la modernisation des soins d'urgence, insistant avant tout sur l'importance de la prise en charge durant les premières heures des traumatisés les plus graves. Selon son expérience, c'est pendant ce délai fatidique ,qu'il a appelé golden hour, que tout se joue en effet, en terme de pronostic. Tout retard ou toute négligence conduit, si ce n'est à la mort immédiate, en règle à l'installation d'un choc et de défaillances viscérales, d'évolution quasi constamment fatales.
C'est pour répondre à cet objectif qu'il préconisa l'élaboration de centres médico-chirurgicaux hyper-spécialisés d'une part, et la création d'équipes paramédicales d'un genre nouveau, dont la mission est de convoyer le plus vite possible les blessés vers l'hôpital, c'est à dire souvent le bloc opératoire. Ces professionnels qu'on appelle aux USA les paramedics sont issus de la filière infirmière, mais avec des compétences extrêmement pointues en soins d'urgence et des responsabilités accrues en matière de technique et de prescription. Ils n'ont pas d'équivalent en France où l'on a fait le choix de placer des médecins à tous les niveaux de responsabilité des SAMU et où la priorité n'est pas tant de rapatrier le plus vite possible les patients que de commencer les soins sur place. Cette option est souvent contestée à l'étranger (par exemple à l'occasion de la mort de Lady Di) en raison de son coût très élevé en personnel médical, paradoxalement pas toujours très bien formé, et du temps qu'elle fait parfois perdre à trop vouloir « mettre en condition » les blessés sur les lieux de l'accident avant de les transporter.
Le Professeur Cowley mit quant à lui de nombreuses années à convaincre les autorités, notamment le Gouverneur de l'Etat du Maryland, du bien fondé de sa théorie. Bien que tombant sous le simple bon sens, elle trouve parfois ses limites, eu égard à l'importance des moyens engagés face aux résultats obtenus, et notamment aux lourdes séquelles dont ces derniers sont souvent grevés. Certes de beaux succès ont couronné ces efforts, certes les soins d'urgence sont devenus une discipline d'excellence, voire prestigieuse, tout particulièrement aux Etats-Unis. D'autre part, nul ne conteste l'intérêt d'une intervention la plus rapide possible, mais il semble persister encore des barrières infranchissables, notamment en traumatologie crânienne ou de la moelle épinière.

La visite du centre, sous la conduite du Professeur Pollak, chef de l'unité de Traumatologie Orthopédique, est très impressionnante. L'hôpital, équipé des technologies les plus modernes, dispose de 6 blocs opératoires en activité quasi ininterrompue. Nous les avons sous yeux grâce à des écrans de contrôles. Dans la salle d'accueil, le personnel ne chôme pas. En plus des soins en cours, une équipe multidisciplinaire se tient prête à prendre en charge à tout moment toute nouvelle entrée. Dans les salles d'Imagerie, plusieurs scanners, échographes et IRM de dernière génération tournent en permanence. En matière d'hospitalisation on ne compte pas moins de 72 lits de réanimation spécialisée répartis sur 3 étages. Enfin, sur le toit, duquel nous dominons la cité qui vibrionne, un héliport est le siège de rotations incessantes (entre 7 et 10 par jour...).

Je ressors de cette aventure avec l'impression que Baltimore est décidément une ville particulièrement bien dotée en établissements de soins : pas moins d'une dizaine de structures différentes, dont le colossal Johns Hopkins Hospital !
A elle toute seule une ville dans la ville, cette institution privée, qui comprend un hôpital et une université, fut fondée à la fin du XIXè siècle par un legs faramineux d'un banquier philanthrope. Elle n'a pas cessé depuis d'affirmer un haut niveau de compétences, et pouvait revendiquer en 2008 pour la 18è année consécutive, le titre de "meilleur hôpital" du pays, et une aura internationale solide en Urologie, en Gynécologie, Oto Rhino Laryngologie, Rhumatologie, Ophtalmologie...

Aux Etats-Unis on ne plaisante pas avec le Bench Marking et les classements. Hôpitaux comme plans d'assurance maladie, tout est passé à la moulinette impitoyable des agences de notation et d'évaluation. Il faut dire que la démarche qualité qui date de plus d'un siècle est quasi consubstantielle à la mentalité américaine. Même si elle n'est pas exempte de critiques et de faiblesses, sa force vient du fait qu'elle est librement choisie et fondée sur l'émulation et la concurrence. En France où on essaie laborieusement depuis 5 ans de transposer le système, il est placé sous tutelle étroite de l'Etat ce qui le prive d'emblée de réactivité et de pragmatisme. Au surplus, cela lui donne de fait, le caractère peu attractif d'une obligation, sans vrai enjeu tant les situations sont le plus souvent monopolistiques lorsqu'elle ne sont pas gérées et organisées par l'Etat lui-même... Est-il possible d'imaginer ce dernier nuire à ses enfants que sont les hôpitaux (sauf pour de basses raisons de planification...), où faire de vraies remontrances à son rejeton qu'est l'intouchable Sécurité Sociale ?

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