28 août 2017

Les gens sont fous, les temps sont flous

Au moment où l’ouragan Harvey atteint les côtes américaines, présenté par le choeur monolithique des médias comme “le plus puissant depuis Katrina en 2005” et responsable d’inondations “extrêmement graves”, on ne peut s’empêcher de penser qu’un vent de folie souffle plus que jamais sur nos sociétés déboussolées.
La Presse, dont la pluralité et l’esprit critique devraient être si importants en démocratie, est saisie d’un consternant grégarisme. De plus en plus délaissée par le public car de plus en plus inintéressante, elle se livre à une course au scoop totalement stupide.
Malheureusement, hors le flot des nouvelles déversé à jet continu, sans recul ni analyse originale, que reste-t-il pour se faire une idée du monde et comment éclairer nos consciences ?

Il y a quelques jours, lors de l’éclipse “historique” de soleil aux Etats-Unis, nombre de titres ont par exemple cru intelligent de révéler la prétendue inconscience de Donald Trump qui regardait le phénomène sans protection.
Le court instant pendant lequel le président américain a levé la tête vers le ciel avant de chausser ses lunettes a été tourné en dérision comme chaque fait, chaque geste, chacune de ses paroles.
Sur l’éclipse, comme sur la Corée du Nord, sur le Vénézuela, ou sur le réchauffement climatique, c’est, depuis que M. Trump est devenu le bouc émissaire de tout ce qui ne va pas, une épuisante répétition de lieux communs confinant à l’abêtissement. Affligeant spectacle.

Pendant ce temps, le monde est parcouru d’une vague d’attentats islamistes. Les plus spectaculaires furent évidemment ceux de Barcelone, à l’occasion desquels on apprit avec stupeur que la Catalogne était devenue depuis plusieurs années et en toute indifférence, un vrai bouillon du culture pour les fanatiques salafistes.
Les hommages sont certes émouvants mais les bougies, les fleurs et les nounours en peluche et même les manifestations monstres paraissent bien vains dans de telles circonstances. D’autant que l’impact de l’horreur apparaît relatif, selon qu’elle frappe à nos portes en Europe, ou qu’elle est plus distante…
On peut espérer que ces actes ignobles soient les dernières convulsions d’une organisation qui bat en retraite sur tous les fronts au Proche Orient. Mais rien n’est moins sûr hélas et bien irresponsable est le discrédit jeté par une bonne partie de la Presse sur la récente décision américaine de poursuivre et d’intensifier la lutte contre les Talibans en Afghanistan (sans doute parce que la décision venait de Donald Trump…).
On peut également s’interroger sur la tendance étonnante à minimiser toutes les exactions isolées qui surviennent quasi chaque jour. Si à l’étranger, on n’hésite guère à évoquer l’islamisme, en France c’est avec une pudeur insoutenable qu’on qualifie quasi rituellement de simples “déséquilibrés” les sinistres crétins qui se livrent à des “attaques” insensées au couteau ou à la voiture bélier.

Le Pape lui-même donne l’impression d’habiter sur une autre planète lorsqu’il exhorte les pays occidentaux à accueillir toujours plus de migrants, sans souci des raisons qui les poussent ainsi à affluer, ni de la manière dont ils affichent leurs convictions religieuses.  Sans souci non plus de la sécurité nationale des pays hôtes et de leurs capacités d'accueil dans la dignité.
Alors qu’on le voit si discret lorsque des Chrétiens se font ridiculiser, voire massacrer ou martyriser, s’agit-il d’angélisme, d’irréalisme ou tout simplement de niaiserie ? La question est posée, de savoir à quoi sert vraiment ce pontife s'il est incapable de véhiculer autre chose que de futiles paroles...

S’agit-il de cette même niaiserie qui agite actuellement les belles consciences tout à coup révoltées par le moindre élément tiré du passé pouvant rappeler que la destinée humaine n’est pas un long fleuve tranquille ? A défaut de tenter d’affronter les périls actuels, ces gens concentrent toute leur énergie sur les forfaits dont ils accusent leurs aïeux.
Suite aux évènements de Charlottesville en Virginie, la mode est au déboulonnage des statues. Le général Robert E. Lee, qui mena les troupes confédérées pendant la guerre civile américaine fut ainsi mis à bas, piétiné, conspué, au milieu d'une bousculade où les esprits s'échauffèrent jusqu'au drame.

Ce qui s'est passé en Virginie fut détestable à tous points de vue et la mort d'une femme en témoigne tristement. Mais le plus grave sans doute est cette lubie qui s'étend, et qui cherche à fracasser l'Histoire au nom d'une morale aussi approximative qu'outrancière.
Peu sensibles aux nuances et au doute, de nouveaux fanatiques d’un manichéisme intransigeant entendent faire table rase du passé. Leur interprétation de l’Histoire est parfois surréaliste. Tout s'emmêle sans souci de chronologie ni de cohérence. On les entend par exemple souvent dire qu’il faut refuser les amalgames, et pourtant le malheureux général Lee fut assimilé en la circonstance aux néo-nazis !
L’Amérique a failli se détruire au motif de la sécession. Elle s’est au contraire reconstruite après de mortelles déchirures, grâce à la paix de braves à laquelle contribua largement le président Lincoln, mais également certains confédérés dont précisément le général Lee. Relevons d’ailleurs le fait que les statues furent érigées bien après la défaite des Confédérés, dans un pays libre et en toute connaissance de cause.
Aujourd’hui les nouveaux apôtres de la Bonne Pensée veulent effacer le souvenir de ces évènements tragiques, de ces cruelles blessures dont les cicatrices témoignent d’une guérison lente et douloureuse et contribuent à la grandeur indicible d’une nation. Ces censeurs imbéciles de l’Histoire n’hésitent pas, pour faire mousser leur morale à la petite semaine, à risquer de rouvrir les plaies. C’est faire preuve à la fois d’arrogance et de bêtise.
On a vu à l’oeuvre ce zèle épurateur lors de maintes révolutions dites populaires. A chaque fois, cela s’est soldé par de nouveaux malheurs. On se souvient également du communisme triomphant qui chercha à détruire systématiquement sur terre et dans les esprits tout ce qui rappelait de près ou de loin le monde qui le précéda. On a vu plus récemment les fous de Dieu détruire sur leur passage tous les symboles de la culture antique, et tout ce qui ne rentrait pas dans le cadre de leur idéologie obtuse.
Combien faudra-t-il de temps pour que cessent ces cycles infernaux qui font ressurgir les violences et les haines qu’on croyait assagies ?
Nos sociétés, qui baignent dans une prospérité inouïe, jamais connue auparavant, semblent n'avoir de cesse d’anéantir tous les repères sur lesquels elles reposent. Le modèle même sur lequel fut construit cette prospérité, et sur lequel ont éclos les fleurs de la liberté, paraît de plus en plus honni. Pure folie ou bien simple dérèglement passager ?

Heureusement, malgré toutes les vicissitudes qui plombent nos vies, les touristes font paraît-il leur grand retour Paris. Une fois encore la Presse est unanime pour annoncer cette nouvelle majeure qu'on attendait tous. Ouf, la vie est belle en somme !
NB Le titre de ce billet est emprunté à une chanson désopilante de 1966, par Jacques Dutronc

14 août 2017

Dylan's Triplicate

Décidément le bonhomme n’a pas fini de surprendre son monde. Un monde très partagé à son propos, les uns le méprisant, les autres le vénérant, ce qui n’empêche pas de toute façon la légende de doucement s’inscrire dans le marbre du temps...
Après toutes ces folles années que reste-t-il donc à Bob Dylan à prouver ?
Pas grand chose sans doute et c’est pourquoi au crépuscule de sa vie aventureuse, il prend plaisir à interpréter sans prétention, quelques grands classiques qui firent les beaux jours du jazz, du blues et du bel canto, puisés à la source magique du Great American Songbook.
N’était sa voix éraillée, nasillarde, réduite désormais à un souffle quasi sépulcral, on pourrait évoquer la belle période du crooning. L’ambiance musicale est en effet bien là, feutrée, veloutée, un brin swingante, toujours légère et pétillante comme la mousse d’un bonne bière bien fraîche. Tout le mérite en revient aux garçons inspirés qui accompagnent de manière jubilatoire le vieux maître : Charlie Sexton et Dexton Parks à la guitare, Donnie Herron à la pedal-steel (pas omniprésente cette fois), Tony Garnier à la basse et George Recelli à la batterie. Ajoutons y une touche de cuivres posés ça et là pour donner un peu de peps, et le cocktail est parfait.
Là dessus, Bob Dylan déroule avec une sincérité confondante ces rengaines inépuisables. Il monte encore bien dans les aigus et sait donner à sa voix, que d’aucuns diraient monocorde faute d’y être réceptifs, des intonations troublantes. A condition de s’être mis en condition, il est impossible de ne pas tomber sous le charme de ces délicieuses bluettes qui évoquent avec une poignante nostalgie, l’ineffable scintillement puis l’évanouissement des époques et des êtres. Quand on regarde les étoiles, on dit qu’on voit dans le passé. C’est un peu de ce temps révolu qui vous entre avec volupté dans les oreilles.
Il n’est certes sans doute pas recommandé d’écouter à suivre les 30 titres que ce Triplicate a colligés, surtout qu’ils viennent après deux albums consacrés à des rencontre musicales du même type (Shadows in the night sorti en 2015 et Fallen Angels en 2016), mais à petites doses, quel bonheur !
On a dit qu’il s’agissait d’une sorte d’hommage à Frank Sinatra, car presque toutes les chansons rassemblées ici furent interprétées par lui mais on peut y voir beaucoup plus. Que dire en effet de Stardust dont on ne compte pas moins de 1500 versions depuis l’année de sa création par Hoagy Carmichael en 1927, dont les magnifiques performances de Nat King Cole et de Louis Armstrong. Stormy Weather ou These Foolish Things furent successivement magnifiées par Ella Fitzgerald et Billie Holiday. Le pimpant I guess I’ll have to change my plans qui débute la série, rappelle irrésistiblement Lester Young, My one and only love fait penser à John Coltrane, et How Deep is the ocean à Miles Davis...
Après s’être empli de ces tendres mélodies que reste-t-il donc à faire ?
Reprendre depuis le début la carrière de Bob Dylan et réécouter tous les refrains qui résonnent aux quatre coins du monde depuis plus d’un demi-siècle, pour mesurer le chemin parcouru par cet infatigable vagabond du folk song, du blues et du beat...
Pour rappel, quelques perles de ces vingt dernières années, en forme de flegmatique apothéose : Time Out of Mind (1997) Love and Theft (2001), Modern Times (2006), Together through Life (2009), Tempest (2012)

11 août 2017

Périls en la demeure

La rhétorique arrogante est toujours puisée au même tonneau. Que cela soit en Corée du Nord ou au Venezuela, les petits tyranneaux qui maltraitent  depuis des décennies leurs peuples au nom du socialisme, continuent de jeter en toute impunité leurs folles imprécations urbi et orbi.
Surtout, derrière ces torrents d’insanités, ils maintiennent plus que jamais leur pouvoir autocratique comme si le monde n’existait pas.
Le monde, quant à lui, est pris d’une étrange léthargie face à ces abominations. Il y a bien quelques réprobations de ci de là, quelques sanctions financières même. Mais dans l’ensemble rien de bien méchant et cela depuis des lustres, pendant lesquels ces infâmes potentats ont continué de sévir.

Dès qu’un dirigeant ose élever la voix, il est suspecté de parti pris, voire mis sur le même pied que ces jean-foutres, à l’instar de Donald Trump ces derniers jours dans son face à face avec le dictateur nord-coréen Kim Jong-Un.
Il n’est pour s’en convaincre que de lire les manchettes des principaux quotidiens et magazines nationaux : Donald Trump joue-t-il au fou avec la Corée du Nord ? (Figaro), Stratégie du fou ? A quoi joue Trump avec la Corée du Nord ? (l’Express), Donald Trump et la Corée du Nord: les vacances du dr Folamour (Le Point), La crise nord-coréenne souligne les lacunes de l’administration Trump (Le Monde)...

C’est bien gentil de préconiser la détente, l’apaisement, la négociation, voire de feindre l’indifférence pour masquer l’impuissance, comme la Communauté Internationale l’a fait si souvent depuis l’affaire de Munich en 1938. Avec ces principes lénifiants, on a accepté au lendemain de la seconde guerre mondiale la division en deux de l’Allemagne et de la Corée; on a laissé s’installer la dictature castriste à Cuba, on a abandonné le Vietnam et le Cambodge à la barbarie communiste. On a laissé sombrer l’Iran dans la révolution religieuse des ayatollahs, on a fermé les yeux sur nombre de massacres en Afrique dont celui du Rwanda, on a négligé la pullulation des foyers terroristes en Afghanistan, on a permis à Saddam Hussein de réinstaller sa sombre dictature après la première guerre d’Irak…
A cause d’un manque de détermination aux moments cruciaux, on a souvent laissé passer les occasions d’empêcher l’installation de régimes horribles. un récent documentaire sur Cuba diffusé à la télévision sur Le Canal Parlementaire (LCP) rappelait que l’échec de l’opération de la Baie des Cochons avait été probablement causé par l’insuffisance de moyens aériens accordés par le Président Kennedy.

Aujourd’hui, Donald Trump qui n’avait pas fait de la politique étrangère un point essentiel de son programme, monte au créneau, et pas qu’en paroles, sur tous les fronts : Irak, Syrie, vénézuela, Cuba, Iran, Corée du Nord…
Concernant les velléités guerrières insensées de cette dernière, il tente de mettre la Chine devant ses responsabilités. Il voudrait éviter une confrontation, mais le pourra-t-il, et d’une manière générale, combien de temps la Communauté Internationale tolérera-t-elle encore ce soi-disant royaume ermite qui fait un chantage permanent à la terreur nucléaire en même temps qu’il asservit, torture et affame tout un peuple ?

Trump, pas davantage que George W. Bush en son temps, ne doit rester seul à faire des propositions concrètes.  Ces abjections relèvent de la responsabilité de tous. Il n’est plus possible de dire qu’on ne savait pas. Après avoir tant péroré sur les erreurs commises au moment de l’ascension de Hitler, après avoir tant commémoré les victimes des atrocités nazies en battant sa coulpe et en déclamant des “plus jamais ça”, la politique de l’autruche est plus que jamais méprisable.
Si mal nommer les choses, disait Albert Camus, c’est ajouter au malheur du monde, ne plus vouloir discerner le bien du mal, c’est accepter le nihilisme...

illustration : araignée, par Odilon Redon

08 août 2017

Un poète très américain

Il aura fallu que Sam Shepard passe l’arme à gauche pour que je découvre son talent d’écrivain. J’ai d’autant plus honte que je connaissais et j’appréciais l’acteur.
Je savais qu’il était l’auteur de nouvelles et de pièces de théâtre, mais j’avais manifesté un navrant manque de curiosité à leur égard.
S'agissant du comédien, on évoque souvent le rôle du pilote supersonique Chuck Yeager qu’il incarna dans le film tiré du roman de Tom Wolfe l'Étoffe des Héros (The Right Stuff). Pour ma part, je me souviens davantage de lui dans les Moissons du Ciel du trop rare Terrence Malick. Splendide fresque rurale dans laquelle l’âpre rugosité du personnage faisait merveille.
Plus récemment, on a pu voir de ci de là (Cogan: Killing Them Softly, Blackthorn, Mud...), rarement hélas dans des compositions majeures, sa gueule de yankee taillée au couteau, percée d’un regard aquilin, et coiffée d’une brosse à poils drus. Même dans de petits rôles il ne laissait pas indifférent. On sentait que ce gars avait une âme bien trempée.
Il fut également l’auteur du scénario de Paris Texas, cette étrange errance mise en images par Wim Wenders, au milieu d’un nulle part imprégné de poisse, de soleil et de poussière, rythmée par la guitare de Ry Cooder tirant opiniâtrement des bends minimalistes mais entêtants.
Cette ambiance faite de petits riens, d’aventures microscopiques, de destins écorchés, de regrets, de solitude et de nostalgie, c’est la substance même de ses nouvelles. Enfin autant qu’on puisse en juger par les Balades au Paradis* qu’avec retard j’ai fini par entreprendre.
Un style cru et dépouillé, évoquant parfois Steinbeck pour conter des histoires très courtes, partant d’une anecdote souvent infime, parfois sans queue ni tête, sans début ni fin, mais qui mettent l’âme humaine à nu. En quelques traits incisifs, parfaitement maîtrisés, l’écrivain, comme un peintre, dessine une impression indélébile plus vraie que nature. C’est l’essence d’une bonne littérature, celle qui se déguste comme une liqueur où les arômes le disputent à l’acidité, mais dont chaque lampée vous chauffe les boyaux.
Sam Shepard n’est plus, mais ce héros discret d’une Amérique sauvage et libre, laisse l'empreinte d’un authentique poète...
* Balades au paradis (Cruising Paradise). Sam Shepard. Laffont Pavillon Poche.

31 juillet 2017

Encore une loi inutile...

Au terme d’un marathon de plus de cinquante heures, ponctué par la discussion de quelques 800 amendements, l’Assemblée Nationale a finalement accouché du projet de loi ordinaire visant à restaurer «la confiance dans la vie politique
Adopté à une très large majorité, il ouvre selon toute probabilité la voie à une usine à gaz législative vérifiant une nouvelle fois l’adage de Montesquieu selon lequel “les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires”.
Pour moraliser la sphère politique, il faudrait sans doute autre chose que cet assommoir bien intentionné dont la mise en oeuvre risque d'entraîner un nouveau déluge de paperasserie, de contrôles et de bureaucratie.

Ainsi la suppression proposée de “l’indemnité représentative de frais de mandat”, qui était fondée sur l'attribution d'une enveloppe forfaitaire mensuelle d’un peu plus de 5000 euros, va se traduire par l’obligation de déclarer toute dépense par une note de frais dont la légitimité sera jugée par on ne sait trop qui et on ne sait jusqu’à quel montant… Bonjour la simplification !
Les emplois familiaux seront interdits, ce qui suppose là aussi des contrôles pointilleux de tous les recrutements, et pour chacun, l’analyse méticuleuse du degré de parenté avec l’élu. Vaste fumisterie, qui ne manque pas de sel au moment même où le président de la république est en train d’aménager un statut privilégié pour son épouse !
Afin de lutter contre le lobbying, “un registre des déports” sera institué pour lister les conflits d’intérêts que chaque élu devra déclarer à chaque fois que cela serait susceptible d’entacher la légitimité de son vote. Encore un flicage en perspective du moindre fait ou geste et des polémiques à n’en plus finir…
Dans le même ordre d’idée, on imagine le travail de détective des fonctionnaires chargés de faire respecter l’interdiction pour un élu d’être partie prenante d’une société de conseil pendant ou moins d’un an avant un mandat !

S’agissant du statut judiciaire des élus, les députés ont là encore reculé devant la simplification. A l’obligation dure mais saine d’avoir un casier vierge, ils ont préféré la promulgation d’une liste des condamnations ou poursuites incompatibles avec l’exercice de représentant du peuple.
Parlons enfin d’un des joyaux de cette loi en gestation : la création d’une “Banque de financement des partis”, encore appelée "banque de la démocratie" supposée octroyer plus équitablement les prêts et financements que ne le font paraît-il les banques privées. Au vu des expériences passées de banques nationalisées, on peut sérieusement en douter, et de toute manière cette  lourde et dispendieuse machinerie paraît redondante avec le “médiateur du crédit aux partis et aux candidats” que la même loi se propose d’instituer…

L’abolition de la réserve parlementaire pourrait en définitive être la seule mesure s’apparentant à une certaine clarification, générant au surplus quelques substantielles économies. Cette coquette enveloppe, de plus de 100.000€ annuels, dont jouissent les députés et sénateurs pour distribuer comme bon leur semble aides et subventions, coûte en effet 146 millions d’euros à l’Etat. Elle a maintes fois été accusée de donner lieu à de nombreux abus relevant du favoritisme ou du clientélisme. Sa suppression paraît donc bienvenue, à condition qu’elle ne soit pas remplacée par un dispositif aussi coûteux et tarabiscoté.
On parle en effet déjà de sa substitution par un “fonds d'action pour les territoires et les projets d'intérêt généraux”....

Pendant ce temps le Président de la République procède benoîtement à la nationalisation des chantiers navals de Saint-Nazaire, dont l’entreprise coréenne STX vendait sa part majoritaire, tout cela pour éviter de la céder au groupe italien Fincantieri.
En la circonstance, on serait tenté de dire que M. Macron a tout faux.
Il ne s’agit ni d’une bonne décision car les nationalisations sont en règle de bien piètres solutions, surtout pour un Etat endetté jusqu’au cou, ni d’un geste fair play vis à vis d’un partenaire européen, ni enfin d’une opération rentable car cette branche de STX, malgré ses belles réussites et un carnet de commande bien rempli, n’était semble-t-il pas bénéficiaire.
Décidément, tout change, mais rien ne change….

24 juillet 2017

Tout change, rien ne change

En matière de politique gouvernementale, les temps changent paraît-il, mais derrière les artifices de communication, les incohérences subsistent.
On voulait espérer que le jeune et sémillant président de la république que la France s’est choisi, fasse preuve de plus d’audace, de détermination et de constance que ses prédécesseurs.
Hélas, à mesure que le temps passe, l’actualité semble démentir cet espoir.

Dans le but louable d’assainir les finances du pays, le chef de l'Etat et plusieurs de ses ministres nous ont annoncé à grands fracas des économies “jamais vues” sur les dépenses publiques, touchant tous les ministères sans exception.
Et pan dans l’Armée, sommée de trouver 850 millions d’euros avant la fin de l’année !
Après avoir vu le Président parader pendant tout le printemps auprès des soldats, après avoir entendu ses belles paroles vantant l'armée et le rôle majeur qu'il prétend lui voir jouer, l’injonction “jupiterienne” détonne si l’on peut dire. Pire, le président ouvre brutalement une crise avec la Grande Muette en prenant à rebrousse poil le chef d’état major Pierre de Villiers qu’il venait pourtant de renouveler dans ses fonctions, sans lui avoir de toute évidence révélé ce serrage de ceinture drastique. Résultat : démission dudit chef d'état major !

Quelques jours après le clash, en pleine polémique, maladroitement attisée par M. Castaner, porte-parole du gouvernement, on apprend ce jour que la ministre des armées a obtenu le dégel de 1,2 milliards d’euros sur 2017 !
Pour le péquin moyen, il faut reconnaître que cette politique ressemble à celle de Gribouille. Comment ne pas comprendre que l’Etat fait volte face et qu’en fait d’économies, il engage des dépenses supplémentaires ?
Certes, cette coquette somme "gelée" était inscrite au budget. Elle faisait même partie d’une enveloppe plus large, de 1,9 milliards d’euros…
Sans doute y a-t-il des finesses qui nous échappent à nous les béotiens, mais en fin de compte, n’eut-il pas été plus simple d’annoncer que le Chef de l’Etat, dans sa grande magnanimité, et ce malgré les contraintes budgétaires, débloquait immédiatement 1,2 milliards d’euros de cette enveloppe, ce qui revenait à faire une économie nette de 700 millions ! Trop simple sans doute...

Dans le même temps, on apprend que les allocations destinées à venir en aide au logement vont baisser dès le 1er octobre de 5 euros par mois. Et selon la bonne vieille habitude, le gouvernement tente de faire porter la responsabilité sur les autres en prétendant qu’il ne s’agit que de l’application d’une mesure votée lors du précédent quinquennat.
Pas de quoi fouetter un chat en somme. A peine 16 centimes par jour, c'est à dire trois fois rien !
Tout étant relatif, ça fait aussi soixante euros par an, ce qui n’est pas négligeable pour des étudiants, dont les représentants ont tôt fait de monter au créneau pour protester. Quant au gouvernement précédent, il s’est empressé, par la voix du peu regretté M. Eckert, de décliner toute responsabilité dans cette affaire. Il avait grignoté l’aide au logement par presque tous les bouts, mais pas par celui-là !
Certes il s’agit d’une réduction de la dépense publique, dont un libéral aurait sans doute tort de s’offusquer, mais c’est aussi une forme d’impôt puisque la mesure est unilatérale et qu'elle réduit le pouvoir d'achat. En d’autres termes on pourrait en accepter le principe si elle s’accompagnait d’une diminution des prélèvements obligatoires.
Car pour l'heure, c'est un peu comme si l’Etat décidait d’une diminution des remboursements de certains soins par la Sécurité Sociale sans baisser les cotisations (ce qu’il ne se gêne d’ailleurs pas pour faire...).
Bref, il s'agit une fois encore d'une demi-mesure dérisoire qui sera sans doute inefficace sur le mal dont souffre le pays, mais qui risque de coûter cher en crédibilité pour le Pouvoir…
Comme pour corroborer ce sentiment, un tout récent sondage révèle que la popularité du Président de la République vient de chuter de 10 points en un mois ! Décidément tout change mais rien ne change...

22 juillet 2017

Petit voyage dans le monde des quanta

En achetant l’ouvrage d’Etienne Klein, “Petit voyage dans le monde des quanta” je ne savais de lui que ce que la jaquette du livre en disait. Notamment qu’il avait créé et qu’il dirigeait le laboratoire de recherche sur les sciences de la matière au Commissariat à l’Energie Atomique (CEA).
J’ignorais qu’il avait été mis en cause dans une affaire de plagiat par l’Express puis par Mediapart (notamment pour son ouvrage à succès “le pays qu’habitait Albert Einstein”)
C’est en cherchant à me renseigner un peu plus sur lui que j’appris ces accusations, sans doute fondées puisqu’il a été destitué il y a quelques mois par le Président de la République de ses fonctions de président de l'Institut des hautes études pour la science et la technologie !


Tant pis, je viens de finir son bouquin et ne vais pas me priver de le commenter, en essayant de faire abstraction de cette histoire récente.
Ce petit traité n’apporte pas de révélations fracassantes sur l’univers étrange des particules, mais on peut y trouver quelques éléments de réflexion fort stimulants. La plupart des thèmes se rapportant au sujet y étant évoqués, l’ouvrage peut être enrichissant pour le béotien qui cherche à se faire expliquer les choses complexes avec des mots simples.


Tout commence évidemment avec l’expérience fascinante mais quelque peu ressassée, des fentes de Young, laquelle introduit d’emblée aux mystères de la physique quantique, en montrant que les particules élémentaires obéissent à une double nature, corpusculaire et ondulatoire, “à la fois indissociables et exclusives l’une de l’autre.”
De cette indécidabilité découle naturellement la question de l’indéterminisme apparent de certains phénomènes naturels, à l’échelon microscopique. C’est là qu’entrent en scène la fameuse constante de Planck  et le non moins célèbre principe d’incertitude de Heisenberg. La première définit le plus petit “paquet” d’action entre deux états, appelée précisément quantum. Le second stipule qu’il est impossible de mesurer précisément et simultanément deux propriétés intrinsèques des particules telles que leur position et leur quantité de mouvement (en d’autres termes, leur vitesse), les deux étant irrémédiablement liées par une incertitude fondée précisément sur la constante de Planck…


On peut porter au crédit d’Etienne Klein, une belle digression sur ce qui apparaît le plus troublant dans la mécanique quantique, à savoir l'indéterminisme. A ce sujet, il décortique brillament la querelle de fond qui opposa Einstein à Bohr.
Albert Einstein, pourtant père de la notion de relativité, n’admit jamais qu’une partie de la physique soit régie par les règles hasardeuses de la mécanique quantique. “Dieu ne joue pas aux dés” avait-il l’habitude de répéter… Sans remettre en cause les constats ni même les prédictions de la mécanique quantique, il tenta de démontrer en 1935 avec deux collègues (Boris Podolsky et Nathan Rosen) son incomplétude, c’est à dire son incapacité à décrire complètement la réalité. Il proposa en l’occurrence une expérience de pensée basée sur un corpus de règles connues sous l’acronyme EPR, faisant allusion aux trois signataires d’un article retentissant. La démonstration entend prouver que la théorie n’empêche pas la contradiction de survenir entre trois postulats suivants :
  • Les prédictions de la mécanique quantiques sont justes,
  • Rien ne peut se propager plus vite que la lumière (autrement dit deux objets très éloignés ne peuvent s’influencer simultanément)
  • le fait de pouvoir prédire avec certitude la valeur d’une quantité physique implique qu’il existe un élément de réalité physique correspondant à cette quantité physique.


Mais, ironie du sort, croyant démontrer les lacunes d’une théorie, Einstein n’a fait qu’en souligner les aspects paradoxaux, s’agissant notamment du principe de localité (il s’avère impossible de décrire l’intrication au moyen de la physique classique), et celui de causalité (impossibilité de déduire des résultats d’une expérience l’état d’un système avant les mesures).
Les auteurs de l’article EPR supposaient l’existence de “variables cachées”, dont la méconnaissance interdirait de décrire complètement les phénomènes et obligerait à conclure que certains seraient indéterminés.
Bohr ne partageait pas cet avis, mais ne parvint à être plus convaincant qu’Einstein. C’est le physicien John Bell, avec son fameux théorème sur les inégalités, qui démontra qu’il était impossible de ne pas violer les postulats EPR, dans une conception déterministe à variables cachées !
La confirmation expérimentale vint plus récemment, grâce au physicien français Alain Aspect, qui prouva que deux particules intriquées violent systématiquement le principe de localité (elles se comportent de manière corrélée quelque soit la distance qui les sépare, donc sans que l’une puisse influencer l’autre par la transmission d’informations). Les deux particules, bien que séparées et possiblement très éloignées, ne sont qu’une seule entité indissociable !
La conclusion s’impose sans appel, selon Etienne Klein : il n’y a donc pas de variables cachées, la théorie quantique est complète et, qu’Einstein le veuille ou non, elle intègre une part d’indéterminisme !


Les constats tirés de la mécanique quantique, font surgir d’intéressantes perspectives pratiques que détaille l’auteur.
Par exemple, les développements prometteurs en matière de cryptographie, faisant entrevoir la possibilité de mettre au point des clés inviolables sur le principe de la corrélation des particules. Il est en effet envisageable d’utiliser une règle de codage basée sur l’état d’une particule, conféré immédiatement et intégralement à sa jumelle sans nécessité de transmission et ce, quelle que soit la distance séparant les deux.
Le fantasme de la téléportation si souvent exploité dans les romans de science fiction pourrait trouver un début de concrétisation grâce au même principe d’intrication. Mais Klein montre que s’il est applicable a priori à l'information, il est illusoire d'envisager pouvoir téléporter de la matière. Au surplus, il oblige à envoyer préalablement à l'endroit désiré les substrats exprimant l’information, c'est à dire une partie des particules intriquées, ce qui en réduit l’intérêt, notamment lorsque les distances sont très éloignées.
Des ordinateurs quantiques pourraient également voir le jour, fondés sur le principe de superposition qui s’exprimerait par des bits quantiques, pouvant être dans plusieurs états simultanément. La rapidité de telles machines pourrait en théorie dépasser de loin les calculateurs classiques dont les bits ne peuvent prendre qu’une seule valeur 0 ou 1...
Enfin, le microscope à effet tunnel, est quant à lui déjà une réalité. Fondé sur la probabilité non nulle et fonction de la distance à parcourir, qu’ont les électrons de franchir la fameuse barrière de potentiel, même s’ils n’en ont pas l'énergie suffisante, il permet de cartographier très précisément un paysage microscopique. Le principe est de mouvoir une pointe métallique à quelque nanomètres au dessus de la surface à examiner, et d’en faire varier l’altitude de manière à garder constante “le courant tunnel” des électrons.


L’effet tunnel est une belle illustration de l’étonnant indéterminisme qui règne à l’échelle microscopique et qui paraît entrer en contradiction avec les lois de causes à effets de la physique classique.
En mécanique quantique, tout est possible tant que les choses n’ont pas été actées. La réduction du paquet d’ondes selon l’expression de Werner Heisenberg, exprime le fait que la superposition quantique permettant à une particule d’être dans deux états simultanément, disparaît dès qu’on mesure précisément l’état dans lequel elle se trouve.
La superposition quantique est donc “détruite par l’opération de mesure”. Pourtant, “l’indétermination n’est pas liée à une imperfection du dispositif expérimental, ni à une quelconque restriction de nos appareils de mesure.” Paradoxe bien difficile à admettre et qui exprime en définitive le fait que notre monde, régi par la loi de causalité, repose en fait sur un autre, totalement aléatoire...


Si les démonstrations et les constats faits dans le monde des particules semblent relever de la magie, celle-ci fond comme neige au soleil dès qu'on tente la transposition à l'échelle humaine humaine. La mécanique quantique est en effet atteinte d’une “décohérence” progressive lorsqu’on tente d’en faire l’expérience dans le monde macroscopique. Force est de constater en effet que “Lorsqu’on envoie des boules de pétanque à travers une plaque percée de deux fentes, cela ne donne lieu à aucun phénomène d’interférences...”
Pareillement, la probabilité qu’une bille passe un relief ou bien traverse un mur si la somme de ses énergies cinétique et potentielle est insuffisante, est nulle.
Quant au fameux chat de Schrödinger, personne évidemment ne peut se résoudre à le déclarer moitié-vivant moitié-mort tant que la boîte maléfique dans laquelle il est enfermé n’est pas ouverte…
Cette apparente impossibilité de faire entrer la mécanique quantique dans les schémas logiques du raisonnement fait dire à l’épistémologue Michel Bitbol, cité par Etienne Klein, “que nous sommes tellement impliqués dans le réel que nous ne pourrons jamais expliciter le rapport que nos théories entretiennent avec lui…” 
Ce n’est jamais que l’expression moderne du postulat kantien affirmant qu’il nous est impossible de connaître “la chose en soi...”