07 février 2019

Le Grand Débat : piège ou con-fisc-ation ?

Depuis le lancement de la fameuse pétition de Priscilla Ludovsky le 29 mai 2018, intitulée “Pour une baisse du prix des carburants à la pompe”, beaucoup de barils furent écoulés et un grand tumulte s’est fait dans le pays dans le sillage de la colère d'automobilistes définitivement lassés par l’irrépressible hausse des taxes et le nombre croissant des réglementations et des contraintes.
Où en est-on aujourd’hui ?
Les récriminations ont été entendues en haut lieu et le résultat obtenu est loin d’être négligeable, si l’on s’en tient à l’objectif principal. Certes les taxes n’ont pas vraiment diminué, mais leur hausse s’est arrêtée net.
S’agissant de la loi limitant à 80 km/h la vitesse sur le réseau routier secondaire, elle est sérieusement ébranlée et tout porte à croire qu’elle sera aménagée avec plus de souplesse prochainement à l'échelon départemental.
En prime, le Président de la République a donné des gages de sa bonne volonté, lâchant quelques 10 à 12 milliards d'euros (qu'il n'a pas...) d’aides diverses au pouvoir d’achat. Il a également ouvert un Grand Débat national, auquel il apporte sa contribution personnelle en rencontrant autant qu’il peut, les maires de France.

Ce catalogue de bonnes intentions, a calmé l’agitation confuse qui secoue depuis 3 mois le pays et redoré un peu le blason du Chef de l’État, au moins dans les sondages, mais y a -t-il pour autant grand chose de changé ?
On peut en douter.
De la baisse de la fiscalité qui était le socle initial des revendications, on est passé étrangement à des perspectives haussières tous azimuts.
Sans doute a-t-on assisté progressivement à la récupération politique du mouvement et a-t-on beaucoup trop entendu dans les médias les voix de gauche. Le fait est qu’on a vu rechuter la névrose obsessionnelle typiquement française, de “taxer les riches”, de lutter contre “l’évasion”, “l’optimisation” et la “fraude” fiscales supposées priver l’État de précieuses ressources.
Une fois encore le débat dérape et quitte le champ du pragmatique pour s’enliser dans les lieux communs de l’idéologie. Logiquement on réclame rituellement le retour du bon vieux et inutile impôt de “solidarité” sur la fortune (ISF). C’est l’occasion de souligner une fois encore l’erreur funeste d’Emmanuel Macron qui l’a simplement transformé en Impôt sur la Fortune Immobilière (IFI). Ce faisant, il mécontente tout le monde: les ultra-riches qui sauf à n’avoir aucun bien immobilier n’ont guère vu la différence et dont la défiance est sans doute inchangée, et les autres qui croient dur comme fer qu’on a fait à ces derniers un nouveau “cadeau”...

Tout cela serait presque comique, puisqu’en définitive rien ne change sauf les mots.
Le plus grave est ailleurs. Dans ce Grand Débat qui commence, il n’est pas un jour sans qu’on entende de nouvelles propositions pour augmenter directement ou indirectement la pression fiscale et les réglementations biscornues qui pèsent sur les contribuables et sur leur sacro-saint pouvoir d'achat !
La première, déjà entrée en application, est cette mesure dont bizarrement tout le monde se réjouit, consistant à encadrer les promotions commerciales faites par les grandes surfaces. Dégoulinant de bonnes intentions comme d’habitude, elle va se traduire à coup sûr par une augmentation des prix, notamment pour les plus modestes, ceux-là même qui cherchent avec le plus d’assiduité les ristournes et autres rabais. Les commerçants vont en revanche accroître mécaniquement leurs gains, ce d’autant qu’ils auront un boulevard pour promouvoir leur propres marques. Quant aux producteurs, et aux petits commerces, il ne leur restera sans doute que des miettes…
Autre sujet de satisfaction quasi générale, c’est l’imminence annoncée joyeusement par le ministre de l’économie Bruno Lemaire, d'une surtaxe infligée par notre pays aux fameux GAFAM (Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft) ! Il semble en effet avoir trouvé le moyen (des plus flous à ce jour...) de s’affranchir de l’Europe et de faire rentrer dès 2019 dans les caisses de l’État quelques mirobolantes recettes supplémentaires... sur le dos des consommateurs ! Qui paiera en effet, si ce n’est eux, encore une fois par l’inévitable hausse des prix qui s’ensuivra ?

A la suite de ces quelques réjouissances, se succèdent des légions d’idées, de propositions, toutes plus innovantes (à condition de faire de la spoliation étatique un dogme).
On a vu par exemple le Think Tank auto-prétendu social-démocrate Terra Nova, suggérer benoîtement d’alourdir massivement la fiscalité pesant sur les successions, déjà l'une des plus lourdes d’Europe, qu'il faudrait si l’on suit ces experts, augmenter de 25% !
Une proposition alternative ou complémentaire serait de rogner les quelques maigres avantages fiscaux qui persistent encore sur les plans d’Assurance Vie. Proposition particulièrement incongrue, au moment où la question va se poser d'introduire un étage de capitalisation dans le système des retraites, comme l'ont fait la plupart des pays voisins.

Pendant ce temps le Président fait son show. Lors de celui qu'il fit à Bourg-de-Péage (le bien nommé…), on a compris qu'il écoutait avec beaucoup d’attention ceux qui recommandent de taxer les plus-values réalisées lors des ventes de résidences principales (Figaro). Il est vrai qu’elles faisaient l’objet d’une exonération, contrairement à celles des résidences secondaires taxées à hauteur de 36% ! Il n’est pas inutile de préciser qu'à ce jour, les droits de mutation (improprement appelés frais de notaire) sont déjà parmi les plus lourds d’Europe...
Les propriétaires de logements, déjà bien assaisonnés par le fisc, risquent de se voir par ailleurs littéralement assommés par la révision en cours du calcul de la taxe foncière (fondé sur la valeur cadastrale, non réévaluée paraît-il depuis les années soixante-dix). Selon les spécialistes, cela pourrait se traduire par des hausses allant jusqu’à 150% à l’horizon 2023.
Pour donner un ordre de grandeur, les recettes des prélèvements "récurrents" opérés en France sur les propriétaires sont cinq fois plus élevées qu'en l'Allemagne.... Et pour nombre de ces derniers, ils attendent toujours la baisse si ce n’est la suppression de la taxe d’habitation, promise par M. Macron, sans se faire beaucoup d’illusions. Ils savent trop bien qu’il ne s’agit que d’un leurre puisque “dans le même temps”, le Président a promis de compenser auprès des communes le manque à gagner “à l’euro près” !


En termes d’imagination fiscale, M. Macron est bien servi par ses ministres. Ils font irrésistiblement penser aux satrapes de Père Ubu, ceux-là mêmes qui actionnaient avec zèle la Pompe à Phynances.
On a vu l'enthousiasme communicatif avec lequel M. Lemaire s’emploie à siphonner le chiffre d'affaires des GAFAM. On sait également combien il s’insurge contre le “dumping fiscal” qui pousse nombre de gens très fortunés à s’exiler hors de France. Il est persuadé le bougre, que la concurrence fiscale est néfaste aux pays qui en profitent ! Mais ses arguments, cherchant à les convaincre que le bonheur est dans l'impôt, sont loin de faire mouche. Il semble n’avoir pas encore compris ce qui est à la portée de tout collégien normalement constitué : à savoir que pour éviter les fuites hors du chaudron fiscal, rien ne sert de colmater ni d'augmenter la pression régnant tout autour. Il suffit de la faire baisser à l’intérieur…
Quant à M. Darmanin, sémillant ministre de l’Action et des Comptes Publics, il s’évertue, chaque jour que Dieu fait, à nous gratifier d'une trouvaille. Parmi les dernières citons celle consistant à baisser le plafond des exonérations relatives aux niches fiscales. Fixé arbitrairement à 10.000€, il permet très artificiellement d’alléger ici ou là un peu la charge pesant sur les contribuables tout en favorisant certains domaines d’activité (les emplois relevant du service à la personne par exemple). Autrement dit la "simplification" qu’il propose ne serait qu’un moyen détourné de relever le niveau de l’imposition, sans pour autant s’attaquer au problème de fond qui est la prolifération de cette jungle invraisemblable dans laquelle on ne compte pas moins moins de 474 niches différentes…
Ce jour même, afin sans doute qu’il n’y ait plus de doute, M. Darmanin annonce fièrement (Le Figaro) que sa proposition permettrait de trouver au bas mot 1 milliard de ressources supplémentaires qui seraient mises à profit pour “adoucir l’entrée dans l’impôt des foyers modestes”. Les malheureux peuvent toujours rêver. La plupart sont déjà exonérés et on sait par expérience que la générosité redistributrice du fisc fait généralement long feu. Même lorsqu’elle est mise en œuvre, elle s’avère inefficace, comme en faisait le constat désabusé M. Macron lui-même dans sa fameuse saillie : “On met un pognon de dingue dans les minima sociaux et les pauvres restent pauvres…” 
Bien que cette provocation lui fut reprochée, à l’évidence elle est fondée. Comme le rappelait les invités de l’émission C dans l’Air du 5/02/19, le modèle social français est l’un des plus redistributifs au monde. L’écart des revenus avant impôt est de 1 à 22. Lorsque la tondeuse fiscale est passée, il n’est plus que de 1 à 5,6 ! Jusqu’où faut-il donc aller dans l'égalisation, sans tomber dans la version la plus aboutie du socialisme qu’est le communisme ?

Alors que le Grand Débat fait rage, tout porte à croire que le pays aura bien du mal à sortir de l’ornière dans laquelle les politiciens l’ont embourbé par leur incurie et leur démagogie. Le Peuple, dont ils se gargarisent à longueur de journées, l’aura une fois de plus dans l’os. Il faut dire qu’il est en partie responsable de ce qui lui arrive puisque nous sommes, qu’on le veuille ou non, en démocratie.
Pour l’heure en tout cas, rien n’est précisé sur le devenir des hausses de taxes soi-disant écologiques sur les carburants, lorsque le moratoire en cours sera parvenu à son terme. Vont-elles reprendre leur rythme insensé en 2021 ?
Rien ne dit non plus s’il sera envisagé de simplifier les réglementations qui empoisonnent de plus en plus le quotidien. On dit qu'un impôt pour être efficace doit être simple, avoir une assiette très large, et un taux faible. En France, c'est clair, on a tout faux !
Quant à espérer la réduction des dépenses publiques, autant se tamponner la rétine avec une patte de cloporte enfarinée...

30 janvier 2019

PMA, GPA, aux confins de l'être

Les progrès scientifiques et techniques plongent de plus en plus dans l’embarras les docteurs es morales et autres comités habilités à définir ex cathedra ce qu’est l’éthique. Les manipulations génétiques, les tripatouillages sur l’embryon donnent le vertige aux censeurs de la bienséance, voire de la bientraitance pour utiliser un terme à la mode. Derrière les considérations philosophiques, surgissent également des problématiques économiques de plus en plus inextricables.
Les débats qui font rage actuellement sur la Procréation Médicalement Assistée (PMA) et la Gestation Pour Autrui (GPA) illustrent le désordre grandissant qui s’installe dans les esprits.
La PMA est positionnée jusqu’à présent, comme son nom l’indique, dans le champ médical. Ce sigle abstrus est utilisé pour décrire l’ensemble des techniques permettant d’offrir aux couples infertiles la possibilité d’avoir des enfants, soit par insémination artificielle soit par fécondation in vitro. Dans les deux cas l’embryon résulte chaque fois que possible, de l’union des gamètes de chacun des deux parents. L’impossibilité de procéder de la sorte oblige à recourir à un ou deux donneurs ce qui crée une complication en terme de filiation car la loi stipule dans ce cas que les donneurs ne peuvent revendiquer aucun droit sur leur progéniture biologique.
Le problème se complique encore lorsqu'il s’agit d’étendre ces techniques aux femmes célibataires ou vivant en couples homosexuels. Il est indispensable en effet de recourir dans ces cas à un donneur de sperme nécessairement anonyme, ce qui prive de facto l’enfant de père biologique. On objectera que cet état de fait existe déjà lorsque une maman accouche sous X par exemple. Mais est-il légitime d’exciper de ces cas de figure dramatiques et peu souhaitables pour permettre voire organiser légalement et prendre en charge financièrement des techniques aboutissant peu ou prou au même résultat ?
On atteint un niveau supplémentaire de confusion lorsque la démarche émane d’un homme ou d’un couple homosexuel masculin.
Dans les pays où cette pratique est légale, il faut alors non seulement recourir à une donneuse d’ovocyte mais également à une femme porteuse, assurant la gestation de l’enfant fécondé in vitro à partir du sperme d’un des deux conjoints, parfois aléatoirement, ce qui induit pour l’enfant un doute qui peut s’avérer déstabilisant.
Précisons enfin que si les donneurs de gamètes restent anonymes, il est impossible d’exiger l’anonymat de la mère porteuse. De fait, le rôle de cette dernière est ambigu, parfois objet de discorde, sans parler des problèmes liés à une éventuelle rémunération plus ou moins officielle de la prestation...

A ce stade, on peut se demander où commence et où finit la morale, si ce n’est l’éthique. Pourquoi ne pas imaginer un couple formé par un frère et une soeur, s’aimant d’amour tendre ? Pourquoi d’ailleurs ne s’agirait-il pas de couples de même sexe, associant deux frères ou bien deux soeurs ? Et pourquoi en définitive s’arrêter à deux personnes ? Qu’y a-t-il d’immoral à imaginer des unions à trois, voire davantage ? Pourquoi enfin, de telles “associations” seraient-elles exclues par principe, du champ de la PMA et le de la GPA ? Et en fin de compte, pourquoi interdirait-on à un couple “standard” de recourir à une mère porteuse pour éviter les désagréments d’une grossesse ?
Selon le principe qui veut qu’une fois que les bornes sont franchies il n’y a plus de limites, jusqu’où peut-on aller ? La pente est des plus glissantes. On voit bien qu’on est en passe de faire sortir la PMA de son cadre strictement médical pour le généraliser à toute convenance personnelle. Comment dès lors empêcher de faire de même pour la GPA, ce que certains pays ont déjà entériné ?
La moralité n’est en l’occurrence peut-être pas le problème principal. Après tout, qui suis-je pour décréter ce qui est moral et ce qui ne l’est pas ? En vertu de quel principe immanent puis-je réclamer l’interdiction de pratiques susceptibles de procurer du bonheur aux autres, sachant que je n’ai pas besoin d’y recourir personnellement ?
On a vu émerger une problématique similaire avec la fameuse “interruption volontaire de grossesse” (IVG). Bien que le législateur se soit prononcé depuis belle lurette sur le sujet, croyant naïvement et en toute bonne conscience avoir épuisé le sujet, la controverse fait toujours rage. Et les arguments relèvent le plus souvent de la subjectivité, se réclamant de la Morale ou bien de la Foi. Mais qui peut raisonnablement prétendre avoir raison ? Qui peut affirmer par exemple qu’avant 12 semaines de gestation le foetus ne soit qu’un embryon, et qu’il devienne un être humain dès ce délai passé ? Où donc s’arrête le bon sens et la raison et quand commence l’eugénisme ? On voit trop que le sujet prête hélas le flanc à tous les débordements, à tous les excès doctrinaux...
Même si l’on fait fi de la morale, il est toutefois un constat dérangeant. Celui qui permet d’objectiver que malgré des méthodes de contraception toujours plus efficaces et nombreuses, on compte une IVG pour quatre accouchements ! Pire, ce ratio n’a aucune tendance à s’infléchir au fil du temps, traduisant un vrai problème de société, surtout lorsqu’on sait que l’IVG est prise en charge par l’Assurance Maladie d’Etat.

Là est sans doute le noeud du problème. Est-ce à la Sécurité Sociale de couvrir des frais occasionnés par des convenances personnelles ? L’IVG et par extension les techniques de PMA ou de GPA, hors du champ strictement médical, doivent elles être considérées comme des risques de la vie ou des accidents de santé qui doivent nécessairement être couverts par un système de protection dont la particularité est d’être obligatoire, et en situation de monopole absolu ?
La dérive incessante depuis des décennies des dépenses de santé couvertes par le système étatisé devient préoccupante. A force d’étendre le périmètre des prestations prises en charge, le risque est désormais grand de plonger le système entier dans la faillite.
Qui dit liberté devrait dire également responsabilité… En définitive, la morale est peut-être à ce prix, même si comme toujours, certains seront nécessairement mieux lotis que d’autres !

20 janvier 2019

Canned Blues

Foin des Gilets Jaunes, du Grand Débat, du RIC ou de l’ISF, voguons une fois encore vers les sixties flamboyantes pour faire un retour sur le blues et en la circonstance, sur un groupe météorique autant qu’incandescent, Canned Heat.
Cette formation existe encore mais ses plus riches heures furent brèves, se situant à la fin des années soixante, entre 1967 et 1970 pour être précis.

L’histoire commence par la rencontre improbable de deux êtres que tout oppose hormis le Blues. D’un côté Bob Hite, exubérant colosse gras et barbu, surnommé “the bear”, vendeur et collectionneur de disques de son état, de l’autre, Alan Wilson, frêle et timide garçon, doux rêveur épris de nature et de science musicale, on l’appelle “the blind owl” en raison de sa gaucherie et de ses lunettes de myope qui lui donnent un petit côté chouette égarée.
L’alchimie fonctionne à merveille quasi immédiatement. Autour d’eux vont se greffer quelques musiciens aussi talentueux que déjantés: Henry Vestine guitariste, Larry Taylor, bassiste et Adolfo De La Para, batteur. L’affaire est conclue, ces gars là vont débouler très vite sur les ondes radio, dans les bacs des disquaires et sur les scènes des plus grands festivals de l’époque, à Monterey, à Woodstock...
Ah, la belle époque ! A travers les fumées et les vapeurs exquises, plus ou moins illicites, on entrevoyait la liberté et l'on rêvait d'un retour idyllique au passé et la nature. Pendant ce temps la prospérité régnait et la science galopait. On pouvait être dans la Lune au propre comme au figuré, nom d'une pipe ! Et question musique, c'était le pied...

Qui n’a jamais entendu ou fredonné le riff entêtant de la flûte enchantée qui parcourt leur fameux “Going Up The Country” ? Qui n’a pas cédé aux modulations fragiles mais poignantes du chant d’Alan Wilson ? On y retrouve toute l’émotion et l’authenticité des lamentos du delta du Mississippi. Une fraîcheur troublante vous envahit, d’autant plus que le gars s’accompagne à l’harmonica aussi bien qu’à la guitare, avec un feeling pour lequel on serait presque prêt à se damner. Pas de doute, le Blues est bien la musique du diable…
A ses côtés, Bob Hite n’est pas en reste. Il fait plus que contrepoids, tirant de sa masse impressionnante et de sa voix de stentor une puissance phénoménale, chauffée au rouge par le shuffle toujours impeccable du boogie distillé par ses petits camarades.
Sur cette recette détonante mais gagnante sont conçus toute une série de blues et de rocks brûlants parfaitement calibrés : On The Road Again, Let’s Work Together, Future Blues, Fried Hockey Boogie, Bullfrog Blues et quelques reprises survitaminées de bons vieux standards ; Dust My Broom, Rollin’ And Tumblin’...


Mais attardons nous encore quelques instants sur Alan Wilson et sur son ensorcelante précarité. Elle donne toute son originalité à cette musique tonitruante solidement charpentée, et son chant haut perché plane extatiquement sur la puissante et indéréglable mécanique rythmique. On dirait tantôt un vol de papillons multicolores au dessus d’un troupeau de bisons, tantôt une légère brise s’insinuant dans la touffeur caniculaire d’un soir d’été. C’est magique, ravissant et envoûtant, quoiqu’un peu désespéré, lorsqu’on songe aux paroles qui s’égrènent mine de rien: The Owl Song, My Mistake, My Time Ain't Long, Shake It And Break It, Poor Moon, Human Condition, Time Was, London Blues…

Hélas le charme ne dure pas. Alan à la manière de l’albatros de Baudelaire est terriblement malhabile et malheureux sitôt qu’il redescend sur terre: “ses ailes de géant l’empêchent de marcher...”

Son corps sera retrouvé inanimé un matin de septembre 1970, imbibé d’alcool et de barbituriques, alors qu’il s’était assoupi en pleine nature, à la belle mais fatale étoile, tel Endymion, amoureux éperdu de la Lune, devenu par la volonté de Zeus, dormeur éternel.

Juste avant cette issue tragique, il avait, avec ses camarades, réalisé son rêve: jouer avec John Lee Hooker. Ultime consécration qui lui donna l’occasion d’être définitivement adopté par la famille du blues. Hooker ira jusqu’à le qualifier de meilleur joueur d’harmonica de tous les temps.
En définitive, la reviviscence du blues à laquelle il n’a pas peu contribué par ses compositions, son jeu, et son chant inspirés, en font l’alter ego de Robert Johnson, disparu comme lui à l’âge de vingt-sept ans, âge fatidique comme chacun sait...
Après sa mort, Bob Hite essaiera courageusement de faire survivre le groupe mais il manquera toujours quelque chose, et depuis sa disparition elle aussi prématurée, en 1981, il ne reste plus qu’une formation accrochée aux tubes d’antan et de qualité respectable, mais privée de génie. Faut-il préciser que l’époque non plus n’y est plus...

Uncanned Blues
Le soir où il devait partir
Des arbres montait un murmure
Qui cherchait à le retenir
Mais hélas il n’en avait cure

C’était un beau jour pour mourir
Au cœur même de la Nature
Et l’été avait fait sortir
Des fleurs, peuplant cette heure obscure

Il avait tout dit tout chanté
Sublimant sa timidité
Par sa voix intense et fragile.

Mais l’amour est trop versatile
Qui sans cesse lui résistait.
Fort du Blues il partait en paix…


11 janvier 2019

Le monde selon Hölderlin

Goethe affirmait qu’il existait entre les êtres des affinités électives, à l’image de ce qui se passe dans le monde de l’infiniment petit, entre certains atomes et certaines molécules. Il est possible de faire sienne cette hypothèse lorsqu’on songe aux mystères de l’amour et au fameux "coup de foudre". Elle n’est pas moins crédible si l’on pense à certaines communautés spirituelles, philosophiques ou artistiques. La poésie offre quant à elle le champ libre à toutes les fantaisies, et certaines destinées ont tant de points communs qu’on est tenté d’y voir à l’œuvre cette alchimie qui relie peut-être les âmes entre elles.
Depuis ma plus tendre adolescence j’éprouve une fascination pour les poètes romantiques, spécialement anglais et allemands. Parmi eux, quatre font une sorte d’ensemble à mes yeux presque indissociable : Percy Bysshe Shelley (1792-1822), John Keats (1795-1821), Novalis (1772-1801) et Friedrich Hölderlin (1770-1843).


C’est Hölderlin que je voudrais évoquer aujourd’hui et autour duquel me vient l’idée d’opérer quelques téméraires rapprochements.
Premières constatations, tous quatre furent quasi contemporains et tous quatre restent auréolés d’une éternelle jeunesse devant l’éternité, frappés qu’ils furent par un destin tragique se terminant autour de la trentaine. Certes Hölderlin vécut 73 ans, mais il avait à peine atteint l'âge de 32 ans lorsque la folie gagna son esprit, altérant de manière croissante et irrémédiable son génie...

De ce quatuor incandescent, Hölderlin est sans doute celui dont l’art est le plus difficile à pénétrer. La langue y est sans doute pour quelque chose. C’est une vraie gageure pour quelqu’un qui ne maîtrise pas bien l’allemand, de percevoir l’harmonie musicale de ses vers, qui n’a d’égale que la puissance et la somptuosité des flots du Neckar, sur les rives duquel il vécut. Mais plus encore, ce qui peut rebuter c’est surtout la teneur de son chant, tout en symboles, en ellipses hermétiques et en envolées lyriques.
Pour tenter de dire en quelques mots ce qui constitue l’essence de la poésie hölderlinienne, il faut trouver quelques axes forts, dont il est possible d’imaginer des prolongements chez les trois autres poètes.


La Grèce antique fut en quelque sorte son berceau spirituel. Mais quel jeune artiste de cette époque aurait pu rester indifférent à la magnificence du passé hellénique ? “Ô Grèce bienheureuse, demeure de tous les Immortels !” s’écrie-t-il dans l'une de ses plus célèbres élégies, “le Pain et le Vin”.
De fait, ce sera l’alpha et l'oméga de sa pensée, inscrit dans une recherche ardente de la beauté sous toutes ses formes. La Grèce et ses vestiges illuminés, c’est le royaume par excellence de l’art, de la philosophie, des Dieux et de la mythologie, ainsi qu’on le trouve exprimé dans le petit roman poétique, Hypérion: “le premier enfant de la beauté, le premier enfant de la beauté humaine, de la beauté divine, c’est l’art**”, anticipant en quelque sorte Keats, dont la réflexion sur une urne grecque fera écho un peu plus tard: “Beauté, c'est Vérité, Vérité, c'est Beauté, voilà tout ce que vous savez sur terre, tout ce qu'il vous faut savoir…”

Au détour de ses vagabondages éthérés, quasi parnassiens, parfois un peu ardus, Hölderlin se révèle parfois étonnamment pragmatique.

S’il fut proche de Fichte qu’il eut comme professeur, de Hegel et de Schelling avec lesquels il partagea les bancs de l’université, et une partie de l’idéalisme, c’est à Kant qu’il voua une vraie admiration, le comparant même à Moïse ouvrant la voie pour guider son peuple. L’auteur de la Critique de la Raison Pure lui apprit en effet à distinguer le champ du réel de celui de la métaphysique.
S’il aime s’abandonner aux songeries, dans lesquelles tout est permis, le poète se méfie de la “raison raisonnante”. Ainsi selon lui “L’homme est un Dieu quand il rêve et un mendiant quand il réfléchit...” Plus fort encore, il affirme que ”l'intellect pur n'a jamais rien produit d'intelligent, ni la raison pure rien de raisonnable. (Hyperion**)...”
Il tira de son expérience philosophique une morale éprise d’espérance et de liberté, totalement liées selon lui, comme il s’en épanche dans un hymne magnifiant cette dernière : “Il me suffit d’avoir goûté au calice de l’espérance, d’en avoir savouré le douce aurore. Voici que dans un lointain sans nuage, je vois briller le terme sacré de la Liberté..”

Cette fois c’est Shelley auquel on pense, et à son combat intransigeant contre toutes les tyrannies et tous les esclavages tel qu’il l'a superbement transcrit dans son Ode à la Liberté, dans laquelle il voit par une prescience inspirée, naître un grand espoir, à l’ouest, du côté de l’Amérique : "A l’heure où Minuit rêve, à l’occident sur les flots, les hommes, tressaillant, chancelèrent, pleins d’une stupeur heureuse, sous les éclairs de tes yeux, qu’ils avaient oubliés..."
Hölderlin alla quant à lui encore plus loin et se révéla dans son Hypérion, étonnamment libéral et même anti-étatique : “Par le ciel ! Il ne se rend pas compte de son péché, celui qui veut faire de l’État une école des mœurs. C’est, après tout, ce qui a fait de l’État un enfer, que l’homme ait voulu en faire son paradis. L’écorce rugueuse autour du noyau de la vie, et rien d’autre, voilà ce qu’est l’État. Il est le mur autour du jardin des fruits et légumes cultivés par l’homme, mais à quoi sert un mur autour d’un sol desséché ?**”

Autre thématique puissante, qui traversa la vie de Hölderlin comme celle de ses gémeaux en poésie, c’est bien sûr l’Amour. Véritable pont-aux-ânes pour les amateurs de vers, propice à toutes les effusions et à tous les poncifs, ce fut une révélation pour Hölderlin, un chemin de Damas en quelque sorte qui transfigura littéralement son existence et ne fut sans doute pas pour rien dans le basculement dans ce qu'il est convenu de nommer folie.

Il le rencontra sous les traits d’une jeune femme mariée, Susette Gontard (1769-1802), dont le banquier de mari cherchait un précepteur pour leur fils.
Devenue Diotima, par référence à la déesse philosophe dont parle Platon dans son Banquet, elle est le sujet de maints poèmes, et le cœur même de son roman épistolaire Hypérion.
Amour impossible s’il en fut, il resta sans doute en grande partie platonique, c’est le cas de le dire, et dura bien peu de temps, puisque Hölderlin fut remercié par le mari pourtant compréhensif, mais lassé sans doute d’une situation guère tenable. Les amants eurent quelques occasions de se revoir et continuèrent durant plusieurs années à entretenir une correspondance fournie. En 1802, alors qu’il avait trouvé un poste de tuteur à Bordeaux, la nouvelle lui parvint que Susette était tombée gravement malade. Il traversa à pied toute la France pour rejoindre Nürtingen, mais arriva trop tard, juste pour apprendre qu’elle venait de mourir...
Dès lors, le Poète entra dans une étrange nuit spirituelle. Diotima était en quelque sorte son alter ego et se retrouver seul face à l’existence se révéla une épreuve insurmontable. Il y a dans la noirceur du désespoir et dans toute douleur, une sorte de brûlante exaltation qui n’est pas sans évoquer les sensations que procurent les ténèbres venant après la lumière. Hölderlin l’avait si bien chanté sans son hymne au Pain et au Vin :
“La Nuit vient, peuplée d’étoiles, et toute indifférente à notre vie ;
Brillante et mystérieuse, étrangère parmi les hommes
Elle monte triste et splendide au dessus des collines…*”

On pourrait évoquer également à ce propos, Novalis dont la vie fut si courte, si brillante, et marquée elle aussi par le drame de l’amour en la personne de Sophie von Kühn, qu’il aima d’une passion mystique alors qu’elle était encore une enfant, et qui lui fut arrachée par la maladie, deux ans à peine après leurs fiançailles. De ce chagrin indicible naquit les bouleversants Hymnes à la Nuit.
Hölderlin se retrouva terriblement seul sans sa muse en laquelle il avait cru approcher le monde idéal qui emplissait ses rêves. Un très beau texte de Bernard Groethuysen*** traduit excellemment ce sentiment : “Il y eut un moment dans sa vie où il croyait avoir trouvé ce monde. Le poète ne peut-il rencontrer dans l’être qu’il a aimé ce qu’il n’avait pu retrouver qu’en lui-même ? Le monde est là, il a pris forme; tu es à moi. l’infini c’est toi. L’infini dans le fini. Le Moi a trouvé le Toi que le poète avait appelé vainement dans le silence du Tout…
La voix s’est tue et le poète a connu les peurs de la solitude qui se sait et du silence qui s’écoute…”

Dans cette obscurité envahissante, il y eut bien quelques éclairs pour illuminer encore un peu le génie du Poète, mais bientôt le chant devint de plus en plus décousu, se réduisant à des bribes, célébrant la nature et les saisons, avant de s’éteindre tout à fait.
Fût-ce le signe de l’incurable “mélancolie d’un ange exilé qui se souvient du paradis” comme le suggéra Stefan Zweig ?
Fut-ce l’incapacité à exprimer l’alchimie secrète entre le monde antique et le génie du christianisme comme l’évoquait subtilement Groethuysen : “Dionysos a rejoint son frère le Christ qui a survécu à Dieu. Dieu est mort et le monde est seul...”
Fut-ce enfin l’immensité du chagrin dû à la perte de l’être aimé, comme on pourrait le supposer en lisant quelque part dans Hypérion « C'est un terrible mystère qu'un être pareil soit destiné à mourir !»
Sans doute y a-t-il un peu de tout cela.

Toujours est-il que Hölderlin s’était forgé à travers son beau poème en forme d’adieu (Der Abschied), une vraie philosophie consolatrice :
“Je m’en irai. Peut-être un jour, beaucoup plus tard te reverrai-je ô Diotima. Mais alors le désir aura saigné sa dernière goutte, et paisibles comme deux bienheureux, l’un à l’autre étrangers, nous irons côte à côte, au gré d’un long entretien, songeant, hésitant mais soudain ce lieu de notre adieu se rappellera à nos âmes oublieuses, le coeur se réchauffera en nous….*”


Sources:
*Hölderlin, Poèmes traduits par G. Bianquis. Aubier Montaigne
**Hölderlin, Hypérion traduit par Philippe Jaccottet. Poésie Gallimard
***Bernard Groethuysen, dit par Pierre-Jean Jouve (Friedrich Hölderlin, folie et génie, France Culture 1951)
Illustrations:
Hölderlin d'après Franz Karl Hiemer
Susette Gontard par Landolin Ohmacht


06 janvier 2019

Bon an, mal an

Étrange début d’année. Rien ne semble vouloir bien redémarrer vraiment, après l’agitation désordonnée qui marqua la fin 2018.
Gilets jaunes, gouvernement, chacun se cherche.
Le président de la république s’est montré sous un jour martial lors de la traditionnelle allocution consacrée aux vœux. Il a fait comme si la rébellion était maté, affichant une détermination sans faille. Il entend bien poursuivre ses réformes sans trop préciser la direction dans laquelle il veut les engager, même si pour beaucoup d’observateurs ou d’opposants c’est l’option libérale qui semble toujours privilégiée. Plutôt bizarre, car le chef de l’Etat affirme que “le capitalisme ultra-libéral et financier va vers sa fin..."

Est-il attristé par ce constat (très incertain au demeurant) ou bien prend-t-il ses désirs pour la réalité? Imagine-t-il qu’il a le destin du monde en mains ? Où donc a-t-il à vu l’œuvre ce fameux ultra-libéralisme en France ? Trouve-t-il donc qu'il n'y a pas encore assez de réglementations, de taxes, de bureaucratie dirigiste ?
Tout ça n’augure rien de bon d’autant que dans le même temps, une rafale de sondages confirme l’impopularité profonde dont il est frappé lui et ses ministres. Pire, d’après les mêmes sondages, quasi personne ne connaît ces derniers ce qui le laisse bien seul, exposé à la vindicte populaire...

Il est vrai que le mouvement des Gilets Jaunes paraît lui aussi mal en point. Bien malin qui sait précisément ce qu’ils veulent désormais. Les médias nous ont annoncé à grands renforts de publicité un "acte VIII", mais tout ça n’a plus aucun sens. Ils ne sont que quelques poignées ici ou là, de plus en plus violents à l’image de leurs slogans radicaux. Spectacle écoeurant dont on ne voit pas bien vers quelle issue il emmène le pays.

Les sondages nous disent que 75% des personnes interrogées souhaitent le rétablissement de l'ISF. Etrange pour des gens qui réclament moins d'impôts et de taxes...
Dans le but de préparer la grande concertation nationale voulue par Emmanuel Macron,
une consultation 
vient d'être organisée sur internet par le très superfétatoire Conseil Économique, Social et Environnemental (CESE). Elle apprend que la première revendication et de loin, serait d’abroger la loi Taubira instituant le mariage pour tous !
On a vu également sur le web se croiser de manière assez comique deux gigantesques pétitions, l’une demandant l’arrêt des taxes sur les carburants promulguées parait-il pour protéger l’environnement, l’autre voulant au contraire poursuivre devant les tribunaux le gouvernement pour inaction en matière d’écologie !
Simultanément, le Think Tank socialoïde “Terra Nova” faisait la proposition insensée d’alourdir de 25% la fiscalité déjà écrasante pesant sur les successions et de revoir à la baisse les avantages dont bénéficient les titulaires d’un plan d’assurance vie.
Autant dire qu’on ne sait pas bien où on va…
A l’image du dernier roman de l’ineffable Michel Houellebecq, abondamment promu par toute la Presse, et subtilement intitulé du nom de l’hormone du bonheur, “Sérotonine”.

On y retrouve semble-t-il le nihilisme insipide dans lequel “l’écrivain français vivant le plus connu au monde” patauge depuis ses débuts, et dont il s’est fait une très juteuse marque de fabrique. Une chose est sûre, il a le flair pour être dans le courant des idées reçues et des poncifs charriés par l’actualité. Autant intellectuellement que physiquement, il accompagne merveilleusement cette décadence informe aux vagues accents d’insurrection qui ronge le pays.
Est-il plus inspiré lorsqu’il déclare que Donald Trump “est un des meilleurs présidents américains qu’il ait jamais vus” ? On peut en douter, car l’instant d’après il explique le fond de sa pensée (si l’on peut dire): ce serait grâce au locataire actuel de la Maison Blanche que les Etats-Unis ont cessé de «répandre» à l'étranger leurs valeurs comme la démocratie ou la liberté de la presse… En définitive, après avoir jeté en pâture aux nigauds de journalistes quelques sentences aussi provocatrices qu’ineptes, il rejoint le consensus, affirmant que «sur un plan personnel, (Trump) est bien sûr assez repoussant», notamment pour «s'être moqué des handicapés» lors d'un meeting électoral fin 2015…
Pendant ce temps, le président américain bataille ferme au Congrès contre des Démocrates revanchards, requinqués par les mid-terms, pour appliquer le programme sur lequel il a été élu, notamment la maîtrise de l’immigration par l’achèvement du fameux mur entre les USA et le Texas.
Le journal Le Monde, peu suspect de sympathie pour Trump révèle quant à lui que depuis son arrivée au pouvoir en 2016, plus de cinq millions d’emplois ont été créés.
On croit rêver…
Excellente année 2019 à tous les lecteurs réguliers ou de passage de ce blog !

19 décembre 2018

Vita Nuova

A l’aube d’une vie nouvelle
Le jour hésite à se lever
Comme s’il se trouvait privé
De ce qui dans la nuit l’appelle

L’habitude a perdu son aile
Et je ne suis donc plus couvé
C’est le moment de retrouver
Une attache, oui mais laquelle ?

Tel un marin à son réveil
Découvrant à perte de vue
La mer inondée de soleil,

Magnifique mais dépourvue
De repère ou de continent,
Je m’interroge exquisément...

Illustration : Odilon Redon. Pégase noir.

14 décembre 2018

Point d'Orgue

Peut-on encore trouver une manière originale d’interpréter la musique de Johann Sebastian Bach ?
La réponse est oui, je le dis tout de suite et en connaissance de cause, après l’écoute des partitas no 4 et no 6, jouées au piano par Anton Batagov*.
Il s’agit de quelque chose d’inattendu, d’exceptionnel, de bouleversant, pour tout dire quelque chose qui vous transporte ailleurs.
La première chose qui frappe évidemment c’est le tempo ralenti à l’extrême que l’artiste adopte. Pour s’en donner une idée, il faut imaginer que chaque œuvre dure plus d’une heure et qu’il faut donc 2 CD pour les contenir, là où la plupart des pianistes casent l’intégralité des 6 partitas !

Il faut passer cette première surprise quelque peu déroutante, ne pas avoir d’obligation trop pressante à satisfaire, et faire preuve d’un peu de patience. Mais au bout du compte, la récompense est là. On comprend peu à peu qu’on a plongé dans un nouveau et merveilleux continuum espace temps dans lequel on évolue avec une troublante délectation.
Chaque mouvement s’étire avec suavité au gré du toucher gracile de mains inspirées, et de la plénitude ronde, quasi parfaite, de la prise de son. C’est chaud, lent et indicible. Le temps fait presque mine de suspendre son cours ou en tout cas de se perdre en d’ondoyants détours.

Par une étrange coïncidence, je découvre cet enregistrement au moment même où ma vie professionnelle arrive à son terme, et ces notes de musique tournant autour de l’infini me procurent un sentiment étrange. C’est une sorte de vide inouï qui se déploie dans mon esprit, mais je n’éprouve aucun vertige ni aucune crainte car il se remplit tranquillement d’une délicieuse certitude. Je n’éprouve pas d’appréhension à m'y laisser flotter en douceur et à m’y abandonner sans retour sachant que rien de mal ne pourra plus arriver.
Une fois encore la preuve est faite de l’universalité de la musique de Bach.
Il n’y a dans cette interprétation ni trahison ni infidélité, mais une tentative réussie de transcender ce que l’on croyait acquis et de voir les choses sous un jour nouveau.
Tout étant relatif, à l’approche de Noël, la joie naît de l’éternel recommencement. Le mystère de la Nativité n’est pas moins éclairant que les lumières de l’été et l’insondable stupidité humaine se noie pour un instant dans le génie de l’Être…

* JS BACH : Partita n° 4 en ré majeur, BWV 828, Jesus bleibet meine Freude, choral de la Cantate Herz und Mund und Tat und Leben, BWV 147, Partita n° 6 en mi mineur, BWV 83. Par Anton Batagov. Melodiya 2017.

09 décembre 2018

Récupérations et recyclages

A l‘heure où le mouvement des Gilets Jaunes est guetté par la dislocation entre factions rivales, revendications confuses, radicalisation et saccage anarchique des biens de la nation, beaucoup cherchent comment récupérer les fruits de ce tumulte au goût acre de révolution.

Il y avait évidemment une certaine jubilation à voir ce week-end les bobos, marcheurs “pour le Climat et le beau temps” côtoyer les Gilets Jaunes, vociférant contre les “taxes écolo-carbonées” et revendiquer l’augmentation du “pouvoir d’achat”. Qui récupère qui, c’est bien la question...

Plus sérieusement, parmi les pouvoirs constitués et les fameux corps intermédiaires c’est devenu la course à l’échalote.
A commencer par le Gouvernement naturellement qui tente timidement de faire amende honorable en prodiguant au bon peuple de vagues déclarations en formes d’excuses tout en commençant à céder du terrain sur le plan de la fiscalité. Sa marge de manœuvre est des plus étroites, coincé qu'il est entre l’inflation permanente des dépenses publiques et les rappels incessants aux principes de réalité émanant de la Commission de Bruxelles…
Pour l’heure il s’auto-congratule pour avoir limité les dégâts ce samedi 8 décembre. A quel prix serait-on tenté de dire ! Mobilisation de plus de 80.000 policiers et gendarmes, 1385 interpellations, fermeture de très nombreux commerces dont le chiffre d’affaires plonge. Et si Paris a subi un peu moins de destructions, la province a plus souffert : Toulouse, Nantes, Bordeaux, Saint-Etienne, Marseille, Lyon…

Pour les médias qui couvrent complaisamment les évènements et qui nous inondent à jet continu d’images, les affaires marchent. On pourrait même imaginer qu’elles n’ont pas forcément intérêt à ce que le fleuve rentre trop tôt dans son lit, particulièrement lorsqu’on les entend insister lourdement sur le fait que la mobilisation ne faiblit pas et qu’un acte V se prépare…

Les syndicats paraissent quant à eux "à la ramasse". On ne les a jamais aussi peu entendus lors de manifestations populaires, notamment lorsque le pouvoir d’achat est en jeu. Totalement débordés par la tournure des manifestations, désavoués par les rebelles, souvent déchirés par les luttes de pouvoir aux seins de leurs propres instances, ils se retrouvent sans voix ni revendication...

Quant à l’opposition elle essaie de tirer profit des difficultés dans lesquelles se débat le gouvernement, mais ça part dans tous les sens.
Il faut plaindre le pauvre Edouard Philippe qui a dû se coltiner 28 entretiens avec ces jean-foutres, incapables d’articuler la moindre proposition cohérente.
Non seulement ils font preuve d’une consternante immaturité politique mais également d’une lâcheté insondable, en flattant les plus vils instincts du peuple dont ils se gargarisent le gosier. Aucun ne s’élève un peu au dessus du spectacle des exactions de rues, aucun n’appelle à la responsabilité. Il s’éparpillent en mille critiques et autant de propositions plus ineptes les unes que les autres, le pire étant que tous, peu ou prou, ont une bonne part de responsabilité dans la montée de la colère.
J’ai pour ma part bien apprécié l’intervention de la chroniqueuse Alba Ventura sur RTL le 2 décembre. Elle ne ménagea certes pas le gouvernement en affirmant “qu’il n’avait plus droit à un autre samedi noir” et fustigea les explications hasardeuses du ministre de l’intérieur évoquant “un problème de communication et de pédagogie de la part de l’exécutif.”
Mais derrière son exclamation “ça suffit”, il y en eut pour tout le monde, sans excepter les Gilets Jaunes, car s'exclama-t-elle, "lorsque la manifestation dérape c’est aussi de [leur] responsabilité. Quand on appelle à envahir les Champs-Elysées on joue avec le feu.”
C’est toutefois vers l’opposition qu’elle décocha ses critiques les plus acerbes : “Parmi les opposants, c’est le festival des c… car si le Pouvoir est raide, eux sont particulièrement tordus.”
“ça suffit, François Ruffin vous faites honte à la République en disant que Macron finira comme Kennedy, ce qui est un appel au meurtre à peine voilé.”
“ça suffit Jean-Luc Mélenchon d’applaudir à l’insurrection et d’appeler conjointement avec Marine le Pen à des élections anticipées pour essayer de récupérer les marrons du feu; c’est minable.”
“ça suffit François Hollande vous qui avez été, je crois, Président, qui vous amusez à souffler sur les braises pour vous venger d’Emmanuel Macron et qui regrettez ensuite les violences. Passer de président à pompier pyromane, ce n’est pas très glorieux."
“ça suffit les socialistes qui ont mis en place la taxe carbone et qui donnent des leçons à tout va.”
“ça suffit Laurent Wauquiez d’appeler à un référendum sur les promesses de Macron et sur les taxes au motif que ce n’était pas dans le programme alors que c’était écrit noir sur blanc.”
En définitive, selon madame Ventura, à qui on ne peut donner tort: “aucun n’est à la hauteur de l’enjeu car ils ne sont qu’à la hauteur de leurs egos…”

La palme de l’inconsistance revient me semble-t-il une fois encore à M. Juppé. Constatant ce matin même les dégâts dans la cité dont il a la charge, il se répand en propos lénifiants, minimisant le désastre et déclarant benoîtement que les forces de l’ordre étaient parfaitement dimensionnées et efficaces. Il nous révèle au passage qu’il a assisté en personne à la mise à sac de l'Apple Store qu’il décrit par le menu ! Selon l’usage établi, il fait part de son “émotion” et de son “indignation”, et réclame du président de la république “qu’il tienne un discours fort” et “qu’il annonce des mesures fortes”, sans dire évidemment ce qu’il proposerait à sa place.
Prisonnier de la langue de bois, il n’a en revanche pas un mot pour qualifier ces manifestants qui se réclament de l’anti-capitalisme et n’ont de cesse de s’approprier par la violence ses fruits les plus palpables, et pas un mot sur l’impuissance manifeste de la force publique à protéger les biens publics et privés.
“Ma che coglione !”, s’était exclamé Bonaparte devant Louis XVI pareillement désemparé devant la populace montant à l’assaut des Tuileries.

Devant ces désordres et en pensant à l’ouvrage pré-électoral que M. Macron avait cru bon d’intituler “Révolution”, les mots de Saint-Just reviennent sinistrement: “Ceux qui font les révolutions à moitié ne font que se creuser un tombeau.”
Mais aussi ceux de Napoléon, sans doute plus empreints de pragmatisme : “Dans les révolutions, il y a deux sortes de gens : ceux qui les font et ceux qui en profitent…”

03 décembre 2018

En marche vers le chaos

L’horrible spectacle donné par la manifestation parisienne de ce 1er décembre risque de ruiner une bonne partie du crédit accordé au mouvement des Gilets Jaunes, qui secoue le pays depuis quelques semaines.
Cette journée n’est pas moins désastreuse pour le gouvernement, incapable de faire respecter l’ordre public et impuissant même à protéger l’Arc de Triomphe, emblème impérial de la nation. En l’occurrence, la stratégie de bloquer les Champs Élysées par une illusoire ligne Maginot fut un fiasco: tout s’est passé à côté !
S’il y a de quoi être vraiment révolté par ces saccages récurrents commis au nom du peuple, il n’est plus possible de ne pas y voir l’expression d’une crise très grave et la faillite d’un système de gouvernement à la fois démagogique et déconnecté du pays.
Dans cet infernal tohu-bohu, l’incompréhension est totale. D’un côté le Pouvoir reste cramponné à ses taxes et à sa nébuleuse transition écologique à laquelle plus personne ne croit vraiment, de l’autre, les prétendus représentants du mouvement de contestation se répandent en propositions confuses et de plus en plus hasardeuses.
La dernière plateforme en date, ne compte pas moins de 42 revendications dont certaines relèvent d’une naïveté confondante. Par exemple la toute première demandant de manière urgente « zéro SDF ». Ou encore celle qui exige de « déclarer illégitimes les intérêts de la dette » et donc de cesser de les payer. On peut citer également le retour de la retraite à soixante ans, voire à 55 « pour les maçons et les désosseurs », ou encore une multitude de vœux pieux : limitation des loyers, interdiction des délocalisations, création d’emplois pour les chômeurs, plafonnement des salaires à 15.000 euros…
La fin de la hausse sur les carburants n’est plus qu’une ligne au sein de ce fatras.
Autant dire que donner satisfaction ne serait-ce qu’à quelques propositions est devenu mission impossible pour le gouvernement, faute d’avoir réagi assez vite…

Comment réformer de fond en comble le pays dans l’urgence ? Comment réparer les dégâts causés par des années d’incurie ? Comment affronter les réalités plus dures que jamais, mais qu’on n’a cessé d’occulter durant des décennies ?

La priorité des priorités semble à l’évidence d’atténuer la pression fiscale, devenue intolérable. Le minimum minimorum serait bien sûr de mettre un terme à la hausse des taxes sur les carburants, mais cela ne suffira pas hélas et on ne voit pas trop comment aller plus loin dans l’immédiat.
Le Chef de l’Etat a eu la calamiteuse idée de supprimer la taxe d’habitation "pour tous" mais il n’a pas les moyens de ses ambitions. Peu de gens en définitive ont vraiment perçu la petite baisse cette année, et ils devront patienter un an pour en voir peut-être plus. Au surplus, on sait qu’il ne s’agit que d’un trompe-l’œil puisqu’il faudra bien donner aux communes de quoi vivre, donc recourir à la bonne veille mais détestable habitude, qui consiste à donner d'une main ce qu'on va reprendre de l'autre.
L’impôt sur le revenu est devenu quant à lui une absurdité, mais il est impossible d’y toucher. Dans l’absolu on pourrait pourtant le supprimer, si la gestion de l’État était plus saine, car on sait qu’il ne sert qu’à couvrir les fameux intérêts de la dette... Mais on sait aussi qu’à ce jour, moins de la moitié des foyers le paient. Il n’y a plus moyen de l’alourdir et il est illusoire d’envisager son allègement, qui ne satisferait qu’une minorité de Français. Il faut juste souhaiter que sa mutation vers le prélèvement à la source se fasse sans trop de heurts...
Le retour de la composante non immobilière de l’ISF serait imbécile comme l’ont compris tous les pays sauf la France. Il est tout aussi vain d’espérer augmenter l’efficacité de la lutte contre la fraude et l’optimisation. Le seul moyen de diminuer les fuites dans l’infernale marmite fiscale serait précisément d’en diminuer la pression…

On pourrait envisager, dans le souci d’apaiser sans délai les frustrations, de donner un « coup de pouce » aux salaires et aux retraites, mais cela supposerait de revenir sur la hausse de la CSG, et donc de trouver très rapidement le moyen de faire des économies dans les dépenses publiques.
Tout comme le poids des prélèvements, elles doivent absolument décroître, vu les sommets vertigineux qu’elles ont atteint. L’ennui c’est qu’il s’agit surtout de dépenses structurelles et d’acquis sociaux qu’il n’est jamais populaire de raboter (on l’a vu avec les malheureux 5€ pris sur les APL).
Il est toutefois envisageable de réduire sensiblement le train de vie de l’État. Si la diminution des salaires des ministres n’est qu’une goutte d’eau, des coupes sombres s’imposent dans la gabegie des collectivités territoriales. De même, il serait nécessaire également de désengager l’État d’une foule de missions pour lesquelles il n’est vraiment pas doué.
On peut par exemple tailler sans ménagement dans le bazar invraisemblable des agences étatiques, dont le coût de fonctionnement annuel a été chiffré à plus de 50 milliards d’euros. On se demande par exemple à quoi servent les agences régionales de santé (ARS), si ce n’est à freiner les initiatives par leur monstrueuse inertie. Le Canada qui avait fait la même sottise que nous, les a tout simplement supprimées récemment, pourquoi pas nous ?
Le simple bon sens voudrait qu’on donne enfin un peu plus d’autonomie aux hôpitaux, aux écoles et aux universités. Tout plaide également pour qu’on casse enfin le monopole inepte de l’Assurance Maladie et qu’on revoie avec pragmatisme le panier des soins pris en charge. Mais on est loin de cette responsabilisation des acteurs de la santé quand on voit madame Buzyn annoncer fièrement qu’elle demande désormais à la Sécurité Sociale de rembourser les préservatifs et les consultations médicales que leur prescription exige ! Pareillement, on rêve devant les miroirs aux alouettes du tiers payant généralisé, des lunettes et des soins dentaires gratuits, de la nouvelle mutuelle à 1€ par jour, de l'Aide Médicale d’État (AME) dont le budget 
a augmenté quatre fois plus vite que celui du régime général et avoisine le milliard d'euros, alors qu'il devait se stabiliser en dessous de 100 millions…

Pour nombre d'entreprises, dont celles du secteur public, de nombreuses dépenses pourraient être évitées si les contraintes réglementaires n’étaient pas si lourdes. Les budgets sont plombés par une bureaucratie épouvantable obligeant à faire enfler sans fin les effectifs dévolus aux tâches logistiques.

Les subventions de l’État pourraient également être revues à la baisse. L'absence de crédibilité des syndicats en France faisait en 2004 que 8% de cotisants, ne produisaient que 190 millions d'euros alors que la collecte était de l'ordre d'un milliard dans un petit pays comme la Suède, où 83% des salariés sont syndiqués... En 2016, près de 123 millions d'euros étaient donc versés par L’État au fonds de financement du dialogue social...
Tout aussi choquantes sont les aides à la Presse et à l'Audio-Visuel public qui oscille selon le rapport de la Cour des Comptes de février 2018, entre 580 millions et 1,8 milliards d'euros !
Comment prétendre que cet asservissement financier ne nuise pas à l'indépendance de tous ces organes ?

Sans s’étendre sur le sujet des retraites, pourtant des plus brûlants, si une nouvelle réforme devait être engagée, il serait aberrant qu’elle n’introduise pas enfin un étage de capitalisation, comme presque tous les pays l’ont fait.
Tout ça aurait dû être accompli depuis belle lurette. On reste rêveur lorsqu’on pense que M. Cameron n'avait pas hésité à supprimer 400.000 postes de fonctionnaires au Royaume Uni, dont le taux de chômage est actuellement de 4 %, en dépit des affres du Brexit...

S’agissant de la fameuse transition écologique, il faudrait raisonner sur des données objectives et cesser de mouliner en permanence les crécelles de la fin du monde. Les Gilets Jaunes ont beau jeu de crier que ce qu’ils redoutent surtout, c’est la fin du mois..
S’il n’est pas question de remettre en cause la protection de l’environnement, on se demande tout de même comment on a pu accorder autant d’importance au lobby écologiste. Celui-ci est rongé par les divisions, il est incapable de proposer une politique cohérente, il n’attire pas vraiment les suffrages des électeurs, et toutes ses préconisations finissent invariablement en nouvelles taxations. Bien souvent la subjectivité et l'idéologie prennent le pas sur les données objectives, comme on le voit dans maints débats : sur le glyphosate, sur le gaz de schiste, sur le nucléaire, sur l’huile de palme, sur les abeilles, sur les conservateurs dans l’alimentation etc… C’est bien simple, on dit tout et son contraire, le plus souvent au mépris des évidences. Lorsque les Pouvoirs Publics après nous avoir encouragés à opter pour les véhicules roulant au gazole, affirment tout à coup sans l'ombre d'une preuve tangible que le diesel « tue 50.000 personnes par an », comment les prendre au sérieux ?

S’agissant enfin des institutions, on s’interroge sur la pertinence d’assemblés citoyennes telles qu’elles sont proposées. Surtout si on accompagne cela de la suppression du Sénat, elle aussi réclamée à corps et à cris.
Il est vrai que ce dernier ne sert quasi à rien puisque son pouvoir est insignifiant. Mais l’Amérique nous a bien démontré qu’un parlement bi-caméral est un puissant facteur de démocratie et de stabilité, à condition de veiller à l’équilibre des pouvoirs, et d’éviter la pléthore d’élus (100 sénateurs aux USA pour 380 millions d’habitants contre 348 en France pour 68 millions d’habitants…)
Faire maigrir le Sénat et renforcer ses prérogatives, voilà qui serait donc une perspective plus saine qu’une suppression pure et simple…
Cela n’empêche pas d’instaurer des consultations directes plus fréquentes et sans doute plus proches du terrain comme les Suisses le font avec le système des votations. Cela redonnerait peut-être aux citoyens le sentiment d’exister et d’être acteurs de leur destin, tout en évitant un certain nombre de lois inutiles ou indésirables dont nous sommes submergés…

Mais les Français drogués aux services publics, et à leur pseudo-gratuité, habitués à s’en remettre à l’État pour tout, peuvent-ils accepter de telles transformations ? Ce peuple parfois si courageux et inventif, mais si enclin à la haine de classe, aux utopies et aux révolutions va-t-il une fois encore s’abandonner à ces lubies dévastatrices ? Comment faire le tri entre la voyoucratie la plus débridée à laquelle on ne peut opposer que la fermeté, et la violence désespérée qui demande des réponses concrètes ?
Ce sont les questions auxquelles le gouvernement de M. Macron doit faire face. On peut lui accorder quelques circonstances atténuantes car il hérite comme il le dit, de plusieurs décennies de laisser-aller. Mais depuis 18 mois, force est de constater que la marche en avant qu’il avait promise, est surtout faite de très petits pas et malheureusement de beaucoup de nouvelles taxes...

29 novembre 2018

Vers la fin des démocraties molles ?

Dans la confusion sociale qui ronge actuellement le pays, plusieurs titres de la Presse attirent l’attention.
La couverture du Point du 22/11 par exemple qui pose crûment la question à propos d’Emmanuel Macron et des “réformes qui ne peuvent plus attendre” : “Est-il Thatcher ou bien Hollande ?”

Pendant ce temps Nicolas Sarkozy répondait aux questions de l’Obs, affichant un pessimisme assez effrayant: “Nos démocraties sont devenues des caricatures, des régimes d’impuissance.” Sur l’Europe il n’était pas moins expéditif, affirmant qu’elle est devenue un “système en pilotage automatique, que plus personne ne maîtrise.../... Que vous mettiez quelqu'un de très intelligent ou de très bête à la tête de la Commission européenne, c'est pareil.”
Il y a peu, c’était Telerama qui avait choisi une stèle funéraire, pour évoquer sur sa couverture, la fin inéluctable des démocraties.

Il n’est pas certain qu’il faille prendre au pied de la lettre ces oiseaux de mauvais augure. Tout d’abord parce que derrière les constats, les interprétations divergent. Dans l'esprit des Français, devoir choisir entre Hollande et Thatcher, c'est se trouver entre Charybde et Scylla. Écouter les leçons de M. Sarkozy, c'est se pâmer dans le néant quand on connaît le fiasco dans lequel s'est achevé son mandat présidentiel. Quant à prendre au sérieux les voix de gauche telle celle de Telerama, c'est s'abandonner à la reductio ad hitlerum qui assimile à des dictateurs tous les politiciens parlant haut et fort, un langage pragmatique et compréhensible. Pour décrire ce qui se passe aux Etats-Unis, en Pologne, en Hongrie, en Italie, au Brésil... le vocabulaire varie, mais il relève du délire monomaniaque : populisme, nationalisme, fascisme, extrême, démocrature…
On sait bien que rien n’étant jamais acquis, le risque existe bel et bien que de la liberté on passe à la tyrannie, mais il y a quelque lassitude à écouter ce lamento obsessionnel qui rappelle à chaque instant l’arrivée au pouvoir du National-Socialisme.
Comparaison n’est pas raison comme disent les politiciens.
Ne s’agit-il pas plutôt d’une saine réaction à la décomposition du modèle démocratique à laquelle on assiste depuis quelques décennies ? Une vigoureuse remise en cause de la mièvre dictature des bonnes intentions dans laquelle s'étiolent peu à peu nos libertés ?


Outre les problèmes économiques (tout particulièrement en France), nos nations sont confrontées à des menaces sociales croissantes, nées de décennies de démagogie et d’indécision. A la manière d’étoiles usées, nos sociétés risquent de s’effondrer sur elles-mêmes dans de profonds trous noirs.
Le modèle sur lequel elles furent édifiées est perpétuellement remis en cause, et les valeurs sur lesquelles il s’appuie s’effilochent au vent mauvais d’une rébellion insane aux slogans incohérents. Derrière la mise en accusation récurrente du capitalisme, du libre-échange, ou du libéralisme, c’est la liberté qu’on tente d’étouffer.
Elle guida les pas de nos aïeux, mais aujourd’hui, il semble qu’on soit prêt à la sacrifier au nom de l’égalité des conditions, de la bureaucratie régulatrice, d’un protectionnisme frileux et de la confiscation fiscale généralisée. Partout le sens des responsabilités s’éffrite au profit hypothétique d’une corne d’abondance qui permettrait à l’Etat Providence omnipotent de distribuer les droits, les prébendes et les subventions.
Mais la poule aux oeufs d’or ne recèle aucun trésor immanent. Lorsqu’elle rendra l’âme sous les coups de boutoir des écervelés qui veulent lui faire rendre gorge au motif “qu’il faut chercher l’argent là où il est”, ces derniers comprendront mais un peu tard que rien n’est jamais acquis dans ce monde sublunaire, et que ce n’est hélas pas en appauvrissant les riches qu’on enrichit les pauvres. Ce serait trop facile.
Face à ces périls, l’espoir est peut-être qu’une nouvelle espèce de gouvernants prennent enfin conscience qu’il faille parler au peuple comme à des adultes, lui faire comprendre que le scandale n’est pas qu’il y ait des riches mais des pauvres, et quantifier les libertés nécessaires aux citoyens à l’aune des responsabilités qu’ils acceptent d’endosser. Les unes ne vont pas sans les autres et point n’est besoin de multiplier les réglementations a priori. Tout est affaire de confiance. A l’enseigne de ce que préconisait Montaigne, il est de l’intérêt de tous que les lois soient rares et de portée générale.
Sauf à considérer que les gens soient forcément mauvais ou immatures, il n’est pas souhaitable de s’échiner à leur imposer des contraintes préventives, dans la crainte qu’ils ne respectent pas la loi. En contrepartie, les sanctions doivent être réelles et appliquées.
Dans les limitations de vitesse, ce qui est stupide, ce ne sont pas les sanctions, même si elles sont sévères, mais les règles elles-mêmes, qui par leur rigueur excessive deviennent absurdes et quasi inapplicables. Il en fut ainsi lorsqu’on tenta de prohiber l’alcool par des lois qui transformèrent du jour au lendemain de paisibles distillateurs en dangereux gangsters. De même, c’est dévoyer le sens de la contribution des citoyens au bien commun que d’en faire l'essence d'une machine redistributive, voire une punition infligée par principe aux riches comme dans le cas de l’impôt dit “de solidarité” sur la fortune. Il est tout aussi inepte de considérer “la pompe à phynances” comme une sorte de deus ex machina ayant l’ambition d’influencer le comportement des citoyens ou de les rendre plus vertueux (selon le principe fumeux de la Transition Ecologique).

Il n’est pas moins essentiel de s’affranchir de tout tabou mais également de toute faiblesse coupable vis à vis de nombre de problématiques qui assaillent notre univers qu’il serait trop long d’aborder ici dans le détail : religion, immigration, éducation, justice morale, esprit civique.

En revenant aux principes de base de la démocratie, sans faiblir sur leur mise en œuvre et sans faillir sur la liberté et l’équité (l’égalité des droits et des chances), il est sans doute possible de régénérer le vieux modèle, quelque peu émoussé mais qui n’a pas encore perdu tous ses ressorts. Ce ne serait qu’appliquer les conseils du très sage et inspiré Tocqueville...

27 novembre 2018

Sauve qui peut les Gilets Jaunes

La manifestation des “Gilets Jaunes” qui s’est déroulée pour l’essentiel sur les Champs-Elysées ce samedi 24 novembre, et le déferlement de violence qui l’a accompagnée suggère plusieurs réflexions.
La première est relative au faible nombre de manifestants. Les estimations ont fait état de 8000 personnes environ alors que 30.000 au bas mot étaient annoncées. C’est un échec en termes de mobilisation, même si 100.000 personnes se sont exprimées en parallèle selon des modalités variées dans l’ensemble du pays..
Les contraintes imposées par les forces de l’ordre et les débordements rapides auxquels on a assisté dès le début de la matinée expliquent sans doute pour partie cette désaffection sur Paris. Il n’empêche que le spectacle ne fut pas très beau à voir, et par vraiment représentatif de “la philosophie du mouvement” comme l’a déploré l’un de ses leaders auto-proclamés.

Le moins que l’on puisse dire est qu’il y a beaucoup d’incohérence entre les déclarations d’intentions et les actes. Comment justifier les dégradations du bien public et “la mise à sac de la plus belle avenue du monde” lorsqu’on se dit opposé à toute augmentation d’impôts ou de taxes ? Comment expliquer que pour défendre la liberté de circuler et le pouvoir d’achat, on se plaise à bloquer les ronds-points routiers et les commerces ?
Quant aux revendications, on y trouve tout et son contraire. Derrière la lassitude légitime face à la pression fiscale, les interprétations divergent et certains n’hésitent pas à demander plus de services publics tout en réclamant la baisse des prélèvements obligatoires. D'autres veulent le rétablissement de l'ISF, toujours plus d'impôts pour les riches et le durcissement de la chasse aux fraudeurs du fisc. Comme le constatait ironiquement un commentateur : “on ne veut pas des impôts qu’on paie mais on exige le maintien et l’augmentation de ceux qu’on ne paie pas”. CQFD...
Il faut espérer que beaucoup de sympathisants ne se soient pas retrouvés dans ce désastre, mais encore eut-il fallu le dire haut et fort, avec fermeté, et se désolidariser très rapidement de tels agissements.

Si cette journée du 24 novembre n’a pas servi le mouvement, elle n’a guère été plus favorable au gouvernement. L’image de la France est une fois encore ternie aux yeux des étrangers. Le spectacle était quelque peu surréaliste, de la belle perspective illuminée par les décorations de Noël, allant jusqu’à l’Arc de Triomphe, livrée à la dévastation. Les installations publiques en ont pris un coup mais également les propriétés privées. On estime à plus de 1,5 million d’euros les dégâts dont 500.000 rien que pour la boutique Dior, livrée au pillage (Le Figaro). En dépit de l’intervention musclée des forces de l’ordre, une fois encore ce dernier n’a pas été respecté.
Les Gouvernants n’ont pas brillé par leur intelligence ni par leur clairvoyance en ce jour sinistre, notamment le Ministre de l’Intérieur qui s’est emmêlé les pinceaux, accumulant les exagérations et les affabulations. Dès le début des échauffourées, il n’hésita pas à incriminer le parti de Marine Le Pen en qualifiant les manifestants de “séditieux de l’Ultra-Droite”. M. Darmanin, ministre “de l’Action et des Comptes Publics” alla encore plus loin, en évoquant à leur sujet la “peste brune”...
Etaient-ils mal renseignés, mal inspirés ou bien carrément de mauvaise foi ? Le fait est que le lendemain, le magazine Le Point révélait que les plus enragés des insurgés dont 103 furent interpellés par les policiers, appartenaient en fait pour la plupart à l’extrême gauche (Le Point) !

On peut certes accuser certains politiciens de tenter de récupérer le mouvement, mais également les Pouvoirs Publics lorsqu'ils manquent à ce point de discernement, tout en étant aussi désemparés dans l’action.


Lorsqu’à l’instar du peu regretté Nicolas Hulot, ils en sont réduits à proposer d’accompagner par des aides l’augmentation irrépressible des taxes on peut se poser des questions. Il faudrait donc subventionner les citoyens pour qu’ils continuent à acheter le carburant que l’Etat contribue largement à rendre de plus en plus cher dans le but de moins en consommer ! Jacques Dutronc avait donc raison : les gens sont fous, les temps sont flous...