La Chine constitue un passionnant modèle expérimental en terme d'organisation sociale. Elle fut plongée durant plusieurs décennies dans le paradigme socialiste, dans sa version la plus pure, la plus aboutie, à savoir le communisme. De nos jours, elle opère une nouvelle révolution, qui la conduit à s'approprier le modèle capitaliste, de façon sauvage, quasi caricaturale.
A l'origine de ce bouleversement, il est facile d'identifier deux causes toutes simples : le retour de la propriété privée et de la liberté d'entreprendre.
Sous leur effet conjugué, la mue s'avère extraordinaire à plusieurs titres. En même temps qu'elle transfigure le pays à la vitesse de la lumière, elle met à nu, à mesure que la carapace se déchire, les rouages intacts de l'implacable mécanique collectiviste. Et notamment l'absence complète de tout système de protection sociale.
Dans le régime maoïste qui faisait pourtant de "la cause du peuple" sa raison d'être, l'individu était totalement assujetti au Parti, pour ainsi dire nié en tant que dimension. Les travailleurs transformés en une gigantesque masse uniformisée, au service d'un objectif collectif intangible, n'avaient en définitive qu'un seul droit : celui de travailler ! Ni élection, ni syndicat, ni juridiction d'aucune sorte ne pouvait permettre à la moindre revendication d'éclore. En toute circonstance et à tout moment, le Parti était réputé savoir ce qui était bon pour le peuple, lequel se voyait privé de tout moyen de s'exprimer.
Libérée du carcan rigide qui maintenait cette effroyable usine à l'abri des regards et empêchait toute contestation interne, elle explose littéralement sous la pression de la liberté. Celle-ci se rue dans le système entrouvert, à la manière d'un fleuve en crue. Elle fait sauter une à une les digues et promet d'ébranler sous peu les fondements du Parti Unique, tout en submergeant le mythe de la Dictature du Prolétariat.
Aujourd'hui, faisant craquer le glacis archaïque, on voit surgir un peu partout les gratte-ciels d'un nouveau monde. La Chine se redresse et le spectacle est grandiose. Il n'a sans doute pas fini de nous étonner.
Les dirigeants chinois qui ont voulu cette inflexion, montrent pour le moment une grande habileté dans la manœuvre du colossal vaisseau dont ils ont rompu deux des principales amarres. S'ils poursuivent le mouvement entamé, et rien ne permet de penser le contraire, il est probable que la Chine retrouve bientôt le rang qu'elle mérite dans le monde, eu égard à sa population et à son histoire.
Probablement rencontrera-t-elle des écueils, peut-être même de graves tempêtes, au cours de cette aventure. La problématique du Tibet fait partie de ces drames. Et au cœur même du système, les premières manifestations du mécontentement ouvrier préfigurent la soif de vrai progrès social, qui pourrait se transformer en révolte de grande ampleur.
Face à ces formidables défis, s'il paraît clair que la volonté des dirigeants est de n'accorder les libertés que très progressivement, on voit non moins clairement que le libéralisme, même limité au seul domaine économique, en même temps qu'il apporte la prospérité, va offrir la possibilité d'améliorer la condition du prolétariat. Superbe leçon que peu de gens, et sûrement pas les affidés au marxisme, peuvent apprécier à sa juste valeur.
Le capitalisme avance à pas de géant dans ce pays paradoxalement vierge de tout acquis social. Il est naturel de s'en inquiéter car dans un monde de libre échange, c'est source de déséquilibre. Mais il y a fort à parier que cette progression ralentisse peu à peu, d'elle-même. Car si le communisme en mourant offre un fabuleux terreau pour l'éclosion du système capitaliste, ce dernier comme le prédisait en son temps Schumpeter, voit sa course progressivement freinée par l'aspiration grandissante au bien être social. Car la négation des droits élémentaires au bonheur individuel, qui était permise sous la férule monolithique et implacable de l'Etat Communiste, ne l'est plus dans un système ouvert et concurrentiel.
La Chine est évidemment encore très loin de l'Etat Providence qui commence à plomber mortellement le dynamisme des sociétés occidentales, mais un jour peut-être, ça sera aussi son problème, comme ça l'est devenu pour le Japon, la Corée du Sud, Les USA, et bien sûr l'Europe occidentale...
Serait-ce opportun pour la Communauté Internationale de fustiger trop violemment le gouvernement de Pékin, au moment précis où il change aussi radicalement de cap ? On a vu par le passé tant de complaisance, tant d'indulgence, tant de candeur irresponsable envers le régime maoïste qui imposait la terreur et l'enfermement à tout un peuple, qu'il paraîtrait incroyable de jouer les censeurs intransigeants au moment où ses successeurs entreprennent d'en déconstruire enfin les effroyables murailles. Hélas, le Monde Libre n'est pas à une inconséquence près. Entre mille excès, on se souvient de Valery Giscard d'Estaing comparant la mort du tyran à "un Phare de l'Humanité qui s'éteint..."
Le plus sage n'est-il pas plutôt de s'efforcer d'accompagner ce grand chambardement, comme le président Reagan sut admirablement le faire face à la Perestroïka mise en oeuvre par Gorbatchev en URSS; avec sympathie mais détermination, qui sont les bases du respect mutuel. Les Chinois sont plus que jamais des partenaires à part entière de l'organisation du monde à venir. Il serait vain de les mépriser ou de trop leur faire la leçon.
Pour accomplir pleinement leur challenge, ils ont besoin d'un monde occidental compréhensif, mais également fort et uni, comme l'affirme Tony Blair auquel il me paraît opportun de donner le mot de la fin :
"Nous devons offrir à la Chine le partenariat qui répondra aux intérêts de chaque partie. Mais il vaut toujours mieux des partenaires puissants plutôt que faibles. Un Occident divisé, rivalisant pour s'attirer les faveurs des nouvelles puissances, ne présente nul avantage pour personne..." (A Journey, postface, 2010)
2 commentaires:
excellente analyse RAMONE
Gracias Amigo Ramone (de toute manière, je ne saurais pas le dire en chinois...)
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