Il y a quelques années, pendant le mandat présidentiel du peu regretté François dit “Le Normal”, le microcosme socialiste, pétri d’aigreur, déversait sa haine recuite sur l’évadé fiscal Depardieu, ce qui me fit réagir. Cette antipathie à l’égard d’un des meilleurs acteurs contemporains prend désormais un tour moral et envahit à nouveau par son tintamarre assourdissant le quotidien. Impossible d’y échapper. Faut-il qu’on ait du temps à perdre dans notre pays, déclinant, rongé par toutes sortes de ruines et de vicissitudes, pour s’attacher à de pareilles billevesées.
Sur la foi d’accusations non démontrées jetées à dessein sur la place publique, et de quelques plaisanteries obscènes, rendues publiques non moins à dessein, les censeurs de la bienséance découvrent tout à coup, mais un peu tard, que Gérard Depardieu est un être excessif, grossier, parfois vulgaire. Mais Depardieu a toujours été Depardieu. Une sorte de colosse mal dégrossi (si l’on peut dire vu la boursouflure de sa silhouette). Un gros nounours mal léché en somme.
Il n’a pas d’éducation comme on disait autrefois lorsque l’éducation avait un sens. Petit voyou, il est devenu acteur et le génie lui est tombé dessus comme la foi sur d’autres. Emporté malgré lui par le tourbillon de la gloire, il est devenu une sorte de monstre jovial, jouisseur, à la fois sympathique et détestable, pratiquant avec une jubilation puérile l’outrance et la déraison. Sous la carapace de graisse, il resté l’enfant turbulent, mal élevé qu’il a toujours été. Si l'on connaît nombre de ses excès, on ne l’a jamais vu manifester de méchanceté et pas davantage de perversité. Dans l’intimité, ce serait autre chose à ce qu'il paraît.
L’infamie dont certains cherchent à le couvrir a quelque chose de cocasse si cela n’était l’expression du tragique de l’époque. On croit rêver devant les flots de salive, les tonnes d’encre répandues pour flétrir ce comédien de génie au sourire de garnement, pour fustiger ses écarts de conduite, pour le clouer au pilori, voire l’envoyer au bûcher. On propose même de l’effacer de la mémoire cinématographique ! France Television, qui se moque de l'avis du public comme d'une guigne, annonce, sans jugement et sans appel, dès à présent suspendre toutes les rediffusions de films avec Gérad Depardieu et cesser toute collaboration à venir avec lui.
Quelques dizaines de personnalités téméraires se sont élevées contre la curée dont l’acteur est victime. Elles ont bravé les foudres de la bien-pensance en signant une lettre de soutien et en invoquant cette foutue “présomption d’innocence” qui ne veut rien dire si ce n’est le contraire de ce qu’elle est supposée exprimer. Le Président de la République lui-même est descendu dans l’arène pour défendre le paria, après les menaces de retrait de la Légion d’Honneur, émises par l’inconsistante ministre de la cul-ture, petite sainte laïque besogneuse et grande prêtresse de l’art subventionné. Cela ne fit que redoubler l’ardeur des tribunaux populaires et provoquer l’hallali. Des centaines, puis des milliers de culs-bénits du consensus ont répliqué outragés en publiant un nouveau texte à charge. Dans le même temps, on a vu certains signataires de la motion initiale de soutien, essuyer la vindicte de puritains frénétiques et d’autres, pris de remords, sont revenus sur leur paraphe en y apportant moultes nuances pudibondes et réserves oiseuses.
On est en pleine bouffonnerie bourgeoise. Les précieux ridicules se gargarisent de belles phrases creuses, et de circonlocutions quintessenciées, les Sainte-Nitouche se dressent sur leurs petits ergots vengeurs.
On se souvient qu’il y a quelques décennies, c’était la liberté des mœurs qu’on réclamait à grands cris, et à la force de pétitions et de manifestations. On affirmait haut et fort qu’il était “interdit d’interdire”. De fait, tout devenait possible et on s’extasiait devant des œuvres répugnantes faisant l’apologie de la dépravation, d’obscénités en tous genres et de l’irresponsabilité. Au cinéma, Depardieu accédait à la célébrité en jouant une petite gouape lubrique dans Les Valseuses. Le Tout Paris était enchanté par ces lamentables pitreries faisant du viol un jeu. On fit de l’ignoble Dernier Tango à Paris un chef-d'œuvre, des immondes Nuits Fauves un hymne à la lutte contre le SIDA et de l’atroce Baise-Moi, "un bon petit film de genre qui efface la frontière entre porno stricto sensu et cinéma normal" (les Inrocks) !
Autre temps, autres mœurs. Désormais, il est devenu interdit d’interdire d’interdire. On brûle tout ce qu'on a adoré.
Éternel retour des choses, les chantres de l'émancipation sont devenus inquisiteurs intransigeants. Ils sévissent un peu partout, imposant leur exaltation destructrice au nom d’un wokisme confit jusqu’à l’absurde dans les principes. Fanatisme et nihilisme se rejoignent en un magma nauséabond dans lequel s’enlisent l’esprit et la liberté. Signe des temps, ces chasseurs de sorcières ne s’attaquent qu’aux faibles et aux héros morts ou sur le déclin. Le triste spectacle de l’actualité montre que les vrais salauds, les violeurs, les assassins, et les pervers continuent quant à eux de sévir impunément…
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