09 juillet 2007

Paul Morand et la Grosse Pomme

Lu l’ouvrage de Paul Morand consacré à New York, qu’il a écrit à la fin des années 20. Belle écriture, sèche, rapide élégante ; une foule de détails croqués sur le vif et quelques aspects que je retiens tout particulièrement.
Cette jolie description notamment qu’il rapporte, l’attribuant à Sarah Lockwood : « New York est un jeune géant de trois cents ans, haut de vingt kilomètres et couché sur le dos ; ses pieds sont à la Batterie, sa colonne vertébrale, si droite, c’est la Cinquième Avenue, ses côtes sont les rues transversales, ses yeux sont Broadway et Park Avenue son foie ; son ventre, les deux gares ; sa tête est à Harlem ; ses bras s’étendent au dessus des rivières ; son argent, il le met dans sa botte, en un endroit sûr appelé Wall Street. Quant à son cœur, il n’en a pas…. ».
Sur le drapeau américain : « Rien ne se prête mieux à la décoration que l’étendard américain, avec ses étoiles sur fond bleu profond et ses belles rayures horizontales de l’époque Louis XVI » ou encore : « Le drapeau étoilé est partout, dans les prétoires, dans les églises, dans les matches, dans les ventes des grands magasins, à la campagne, au haut du mât des bungalows ; quelle fierté à le voir flotter ; et d’ailleurs il est si beau ! »

Sur l’esprit de l’Amérique enfin, qu’incarne New-York : « Un des bonheurs que nous attendons de New York, c’est de vivre là où ni le gaz, ni l’électricité, ni le télégraphe, ni le téléphone, ni les moyens de communication, ni l’éducation ne sont des monopoles d’Etat ou de municipalité, et, grâce à cela fonctionnent. » ou encore : « J’aime New-York parce que c’est la plus grande ville de l’univers et parce qu’il est habité par le peuple le plus fort, le seul qui depuis la guerre, ait réussi à s’organiser, le seul qui ne vive pas à crédit sur son passé ».

La lecture du premier tome du Journal Inutile ne m'a pas donné le même plaisir. Déception : le poids d’abord, du volume de 800 pages, mais également le caractère un peu superficiel et répétitif des annotations. Cet écrivain dont le style est si maîtrisé, si incisif et concis, se perd ici en banalités domestiques, en aphorismes faciles ou en jugements hâtifs. Peu de réflexions abouties. Plutôt des bribes. On reste sur sa faim et en même temps on éprouve assez vite une sorte de satiété.

02 juillet 2007

Un cinéaste bien excentrique


David Lynch est un cinéaste déroutant, capable du meilleur comme du pire. Le ressort de ses films réside tantôt dans l'émotion la plus simple et la plus poignante, tantôt au contraire, dans l'étalage vain de procédés et d'artifices, au service de mystères plutôt frelatés. Avec Blue Velvet, par exemple c'est la seconde option hélas qui s'impose. En dépit d'un délicieux accompagnement musical et d'une affiche séduisante, cette histoire est bien consternante. Derrière une sorte de théâtralisme laqué censé créer une ambiance mystérieuse, le scénario s'avère plat et artificiel. Les personnages sont vides d'émotion et leur jeu est plutôt laborieux. L'ensemble est certes soyeux mais sans accroche.
Pour Mulholland Drive, le cinéaste puise au même tonneau de chimères. La mise en scène est somptueuse, les images superbes, les actrices et acteurs excellents, la musique envoûtante. Pourtant on reste sur sa faim. Car le film qu'on imagine narratif au début, dans le style noir, évoquant l'excellent " LA confidentials ", bascule un bref moment dans la violence décalée genre Tarantino, puis dérape brutalement et définitivement dans le délire le plus total, rappelant " une nuit en enfer " de Rodriguez.
Qu'un film vous déstabilise, voilà qui n'a rien de dérangeant, bien au contraire, lorsque le propos reste captivant. Mais lorsqu'on s'aperçoit que les retournements de situations ne sont que des incohérences accumulées, on finit par se lasser. Le chaos stérile qui règne dans toute la seconde partie de ce long métrage, en limite considérablement l'intérêt. L'impression la plus forte qui s'impose, c'est que D. Lynch avait dans la tête le début de son film, mais hélas pas la fin. Il en fait des tonnes pour tenter de faire croire à la complexité, à l'originalité, multipliant les chausse-trappes, les faux semblants et les pseudo indices, mais tout ceci n'aboutit à rien d'autre qu'à l'exaspération avec laquelle on ressort, après plus de deux heures d'efforts pour comprendre… qu'il n'y a rien à comprendre !
Ces reproches qu'on pourrait adresser également au baroque et déjanté Dune par exemple, à l'insensé road movie Sailor et Lula, ou encore au très anarchique et boursouflé Lost Highway, sont toutefois totalement hors de propos pour deux films vraiment décapants : Elephant Man et une Histoire Vraie. Ce sont assurément les plus bouleversants dans cette oeuvre inimitable (les deux, étant d'ailleurs tirés d'histoires vraies).

A partir d'un sujet scabreux pour le premier, dans une ambiance lourde et austère, filmée en noir et blanc, Lynch tire une fable bouleversante sur la souffrance humaine, sur la misère d'être né différent. Aucun artifice ne vient polluer ce récit dramatique, transcendé par le sublime adagio de Barber qui lui sert de bouleversante toile de fond musicale.
Pour Elephant Man comme pour une Histoire Vraie, le cinéaste, dont on connaît la propension à divaguer, voire parfois à délirer, apparaît ici comme fasciné, captivé par les faits qu'il raconte. Il resserre en conséquence son discours et contraint sa caméra pour capturer sans artifice l'émotion à fleur de peau. Et cela donne de purs et inoubliables chefs d'oeuvres.
Et comme John Hurt, bien méconnaissable, fait une composition extraordinaire dans Elephant Man, Richard Farnsworth incarne le personnage principal d'une Histoire Vraie avec une densité fabuleuse.
Sitôt acclimaté à l'univers décalé de cette épopée singulière, on tombe en effet irrésistiblement sous le charme de ce vieillard entêté qui au soir de sa vie, entame envers et contre tout une stoïque remontée de son passé pour tenter d'en effacer les actes manqués et en apaiser les meurtrissures. Et pour renouer in extremis avec un frère moribond, les liens magiques de l'enfance, brisés par des années de disputes largement arrosées d'alcool.
Ce pèlerinage expiatoire que d'autres feraient sur les genoux jusqu'à la Vierge Noire de Rocamadour, il choisit de l'accomplir, lui, en dépit d'affreux rhumatismes, de manière cocasse et pathétique, sur plusieurs centaines de kilomètres, à cheval sur le seul et unique véhicule à sa portée, une dérisoire tondeuse à gazon.
Cela confère à ce film une simplicité évangélique. On songe parfois, le long de cette longue route, au bord des immensités sauvages, à la solitude sublime qui sous-tend les films de Terence Malick.
Indiscutablement un grand classique, solide et beau comme une tragédie antique.
Rien que pour ces deux joyaux, et en dépit de ses excentricités, David Lynch mérite donc une place à part au Panthéon du cinéma.

30 juin 2007

Apocalypto : voyage au bout de la peur

Mel Gibson est une sorte de vilain petit canard du cinéma. Il est vrai qu'il énerve par ses cabotinages et qu'il peut se montrer parfois sous un jour détestable. Il faut reconnaître toutefois qu'il sait faire des films. Celui-ci est une brillante démonstration de son savoir-faire. On peut n'y voir qu'une aventure trépidante chez les Mayas. Ce ne serait déjà pas si mal car, n'était l'éclipse de soleil rappelant un peu trop Tintin, ce récit dont l'essentiel se déroule au sein d'une nature sauvage et magnifique, est haletant, terrifiant, et remarquablement mené.

On peut également y distinguer un périple initiatique, éprouvant mais illuminé vers les valeurs essentielles. Le héros qui fuit une société cruelle, brutale, ignorante et vaine, tente en courant à perdre haleine dans la jungle, de retrouver une vie simple, associant joies familiales et amour de la forêt. Derrière la théâtralisation de la violence, il s'agit en fait d'une fable écologique, à mi-chemin entre le Candide de Voltaire et le Walden d'Henry-David Thoreau.

L'apocalypse consiste pour l'homme, à savoir surmonter ses peurs et ses aveuglements afin de retrouver le paradis perdu...

25 juin 2007

L'Europe à nouveau sur les rails


C'est un peu l'image que renvoyait l'Europe ces derniers temps : celle d'un train de marchandises, arrêté en rase campagne. Ses wagons étaient toujours attachés entre eux, mais il n'avaient plus ni dessein, ni destination.

Il faut rendre hommage à Nicolas Sarkozy. Moins d'un mois et demi après son élection, il est parvenu à redonner un élan à cette machinerie toujours fumante, mais immobile. Il n'a pas ménagé sa peine. Selon sa méthode, il s'est rendu à tous les endroits où il y avait des frictions. Et surtout il n'a pas éludé la responsabilité que portait la France dans cet échec : « Je comprends les réticences, je suis le représentant d'un pays qui a dit non à la constitution ».
Pour une fois la France a fait profil bas. Pour une fois elle a semblé vraiment tenir compte de l'opinion de ses partenaires et les a respectés. Et pour une fois elle a exprimé une vraie conviction, celle de construire avec ses voisins un avenir commun. Cela fut payant. La partie est encore loin d'être gagnée mais elle est bien engagée. Le climat a paru bon, même détendu. Les échanges ont été directs et pragmatiques.
On n'avait pas vu ça depuis longtemps. Et tant pis pour la constitution. De toutes manières à 27, il était devenu illusoire d'espérer mener à bien un projet aussi complexe.

Avec un peu de chance le mini-traité sera suffisamment simple pour être efficace et suffisamment approfondi pour constituer le socle solide d'une vraie nation européenne...

24 juin 2007

L'homme révolté


Le destin, qui lui faucha brutalement la vie à moins de cinquante ans, a sans doute empêché Albert Camus de livrer sa pensée dans toute sa plénitude. Pressé par le temps, hanté par l'absurdité de l'existence, il jeta pêle-mêle une foule d'idées dans le brûlant chaudron idéologique du XXè siècle, mais son oeuvre prolixe paraît quelque peu déconcertante et désespérée. Pourtant, si son cheminement intellectuel est ardu, il ne manque pas de cohérence. Il sut très vite, grâce à sa clairvoyance et à sa profonde honnêteté, se libérer de l'aliénation des engagements bornés. Et si les illusions déçues, et les désastres humains qui ensanglantèrent le monde lui inspirèrent une certaine propension au nihilisme, il parvint à en tirer sagesse et humilité, plutôt qu'arrogance et certitudes.
Un absolu inhumain car démesuré
L'homme révolté, qui date de 1951 illustre cette attitude courageuse. Il s'agit d'une douloureuse mise au point sur les révolutions, les révoltes et autres folies humaines engendrées par la soif d'absolu. Camus y montre le caractère inhumain de cette exigence, qui oscille entre idéalisme et nihilisme, « tel un pendule déréglé qui court aux amplitudes les plus folles», et finit par mener aux enfers, en s'abîmant dans le terrorisme, la dictature et d'une manière générale dans l'horreur.
Il met en garde d'emblée contre la confusion des sens qui caractérise le nihilisme: « si l'on ne croit à rien, si rien n'a de sens, et si nous ne pouvons affirmer aucune valeur, tout est possible et rien n'a d'importance. »
Par une phrase, devenue célèbre, il montre d'ailleurs que ces dérives naissent autant de l'inversion des valeurs que de leur disparition : « Le jour où le crime se pare des dépouilles de l'innocence, par un curieux renversement qui est propre à notre temps, c'est l'innocence qui est sommée de fournir ses justifications. »
Précisant ensuite sa pensée, il souligne le danger qu'il y a de vouloir donner corps, sans contrôle, aux constructions théoriques de la Philosophie : « Il y a des crimes de passion et des crimes de logique. Le Code Pénal les distingue assez commodément, par la préméditation. Nous sommes au temps de la préméditation et du crime parfait. Nos criminels ne sont plus ces enfants désarmés qui invoquaient l'excuse de l'amour. Ils sont adultes au contraire, et leur alibi est irréfutable : c'est la philosophie qui peut servir à tout, même à changer les meurtriers en juges. »
Dieu et la justice en question
Et puisque le nihilisme et l'idéalisme se conjuguent en règle avec l'athéisme, c'est aussi l'absence de Dieu qui est pour lui en cause : « l'actualité du problème de la révolte tient seulement au fait que des sociétés entières ont voulu prendre aujourd'hui leur distance par rapport au sacré. »
Camus, qui s'attaque avant tout aux idéologies modernes, semble ici occulter les fanatismes religieux. Au spectacle de leur résurgence actuelle, on aurait envie de compléter son propos en suggérant que le mal vient tantôt de ce qu'il n'y a pas assez de dieu et tantôt de qu'il y en a trop.
Avec ou sans Dieu, la révolte exerce cependant un indéniable pouvoir d'attraction, car c'est bien souvent l'injustice qui est brandie comme prétexte : « le révolté « métaphysique » se dresse sur un monde brisé pour en réclamer l'unité. Il oppose le principe de justice qui est en lui au principe d'injustice qu'il voit à l'oeuvre dans le monde. » Et c'est à ce moment que s'enclenche une mécanique infernale, car commence alors « un effort désespéré pour fonder, au prix du crime s'il le faut, l'empire des hommes. »
Esthétique de la révolte
Au long de son enquête, Camus s'attache à extraire de l'Histoire les figures les plus emblématiques de la révolte. Il voit par exemple en Sade, débuter « vraiment l'histoire et la tragédie contemporaines. » Dans l'oeuvre de ce dernier il décèle en effet les ingrédients des totalitarismes à venir : « la revendication de la liberté totale et la déshumanisation opérée à froid par l'intelligence. »
En somme le délire sadique, par sa diabolique organisation, apparaît plus pervers que les constructions éthérées des poètes révoltés qui suivront : Baudelaire, Lautréamont, Rimbaud...
Et il faudra attendre Dostoïevski et surtout André Breton pour formuler à nouveau une vraie esthétique « littéraire » de la révolte. « l'acte surréaliste le plus simple, dit Breton, consiste à descendre dans la rue, revolver au poing, et à tirer au hasard dans la foule. » Mais ce genre d'affirmations imbéciles ne vise qu'à inspirer quelques têtes brûlées, non un système cohérent.
Quand la Révolte devient révolution
Évidemment les révolutionnaires français figurent en bonne place dans le catalogue monstrueux dressé par Camus. Avec 1789 on entre en effet dans l'application froide et méthodique de la révolte, fondée sur des principes intellectuels. « le Roi doit mourir au nom du contrat social » et les religions et classes établies doivent disparaître, car sources d'injustice. Pour cela, les révolutionnaires, qui s'opposent au début à la violence et à la peine de mort, en viendront à barbouiller leurs nouvelles lois avec le sang du peuple : « les échafauds apparaissent comme les autels de la religion et de l'injustice. La nouvelle foi ne peut les tolérer. Mais un moment arrive où la foi, si elle devient dogmatique, érige ses propres autels et exige l'adoration inconditionnelle. Alors les échafauds reparaissent et malgré les autels, la liberté, les serments et les fêtes de la Raison, les messes de la nouvelle foi devront se célébrer dans le sang. »
Dans l'inventaire sinistre, la palme revient toutefois aux idéalistes athées ou matérialistes, car ce sont eux les pères des grands génocides modernes.
L'apocalypse festive de Nietzsche
Nietzsche bien sûr, « la conscience la plus aiguë du nihilisme ». Camus lui trouve toutefois des circonstances atténuantes car « il n'a pas formé le projet de tuer Dieu. Il l'a trouvé mort dans l'esprit de son temps.»
Si l'on suit le raisonnement, Nietzsche n'est pas un révolté à proprement parler puisqu'il ne fait que remplacer le culte de Dieu par celui de Dionysos, c'est à dire la foi ascétique en un paradis céleste par la fête perpétuelle sur terre. Hélas l'avènement des Nazis s'inscrivait dans cette perspective orgiaque...
En 1950 cette parenthèse démoniaque semble close. Nietzsche; Hitler, Mussolini comme Dieu sont morts et en définitive, c'est à Hegel et Marx qu'il faut remonter pour voir surgir vraiment le spectre monstrueux de la « Lutte Finale ».
Hegel, le bousilleur de vérité
Hegel qui « a rationalisé jusqu'à l'irrationnel », a ouvert la boite de Pandore de toutes les révoltes, en galvaudant sans vergogne la notion même de vérité : « Ceci est la vérité qui nous paraît pourtant l'erreur, mais qui est vraie, justement parce qu'il lui arrive d'être l'erreur. Quant à la preuve, ce n'est pas moi mais l'histoire, à son achèvement, qui l'administrera. » En somme, d'une seule affirmation, terrifiante, Hegel enlève toute limite au processus révolutionnaire et lui confère un dessein inhumain : « Si la réalité est inconcevable, il nous faut forger des concepts inconcevables ».
Le scientisme prophétique de Marx
Dès lors tout devient envisageable. Marx peut énoncer les plus extravagantes prophéties, pourvu qu'elles aient une vague assise scientifique. Dans l'euphorie scientiste, il approprie à la cause toute espèce de preuve, écrivant par exemple à Engels « que la théorie de Darwin constitue la base même de leur théorie. »
Grâce à ces stratagèmes il peut alors affirmer tranquillement que le communisme « est la véritable fin de la querelle entre l'homme et la nature, et entre l'homme et l'homme, entre l'essence et l'existence, entre l'objectivation et l'affirmation de soi, entre la liberté et la nécessité, entre l'individu et l'espèce. Il résout le mystère de l'histoire et il sait qu'il le résout. »
Massacres et asservissement sont les mamelles de la Cause
Et puisque tout est permis, la Cause, définitive et universelle, justifie la soumission totale des individus. Bakounine exige dans les statuts de la Fraternité internationale, « la subordination absolue de l'individu au comité central, pendant le temps de l'action ». Netchaiev va encore plus loin : il décide « qu'on peut faire chanter ou terroriser les hésitants et qu'on peut tromper les confiants. » Tkatchev va jusqu'à proposer « de supprimer tous les Russes de moins de vingt-cinq ans, comme incapables d'accepter les idées nouvelles. » Et Feuerbach consacre le règne du Centralisme Bureaucratique : « le vrai dieu humain sera l'état. »
La mort des idéologies
Mais la prophétie est un échec. Au plan scientifique, les faits s'accumulent peu à peu contre la doctrine. Il faut d'abord « nier les découvertes biologiques depuis Darwin », puis, sous l'égide de Lyssenko, « discipliner les chromosomes », et à la fin, « n'être scientifique qu'à condition de l'être contre Heisenberg, Bohr, Einstein... »
Tout cela devient difficile à tenir, d'autant qu'au plan économique et social, les credo s'affaissent pareillement : « La faillite de la seconde internationale a prouvé que le prolétariat était déterminé par autre chose encore, que sa condition économique et qu'il avait une patrie, contrairement à la fameuse formule. » On connaît la suite...
Certes Camus ne fut pas le premier à écrire tout cela mais en 1950, ils étaient nombreux en France, les intellectuels abusés et pour longtemps encore, par les chimères du marxisme. A l 'heure où certains continuaient de les propager, « pour ne pas désespérer Billancourt », il savait pour sa part à quoi s'en tenir : « la révolution sans autres limites que l'efficacité historique signifie la servitude sans limites. »
Le sens de la mesure
Bien qu'il ne se réclame pas du libéralisme, Camus au terme de son éprouvante et longue enquête, parvient à un point d'équilibre, fait d'humilité et de pragmatisme. Au vertige mortel des grandes idées il oppose, en citant Lazare Bickel, les grandeurs relatives : « l'intelligence est notre faculté de ne pas pousser jusqu'au bout ce que nous pensons afin que nous puissions croire à la réalité. »
Et il tire une magnifique conclusion des vraies données de la science moderne : « les quanta, la relativité jusqu'à présent, les relations d'incertitude, définissent un monde qui n'a de réalité définissable qu'à l'échelle des grandeurs moyennes qui sont les nôtres. »
Camus vient du nihilisme et de l'agnosticisme. Il est épris de justice et de progrès, mais après mûre réflexion, il refuse de les assujettir au Moloch sanguinaire de la révolte. "Entre ma mère et la justice, dit-il, je préfèrerai toujours ma mère".
En un mot, il est humain...

20 juin 2007

Les fantômes de la Liberté


Les grands scrutins nationaux de ce printemps 2007 sont à peine clos qu'une question s'impose, brûlante : La France a-t-elle vraiment choisi la manière avec laquelle elle souhaite aborder les cinq prochaines années ? Elle s'est dotée d'un président bien élu et lui a donné une majorité confortable à l'Assemblée Nationale, pourtant des doutes subsistent. Dimanche soir la victoire avait pour la plupart des observateurs, des airs de trop peu.
Que s'est-il passé pour que tout à coup, l'élan semble ainsi freiné ? Les électeurs ont-ils cru bon de lancer un avertissement au nouveau gouvernement comme certains en sont persuadés ? La Gauche se redresse-t-elle comme par magie, grâce à quelque trouvaille de génie ?
Tout cela est peu probable dans des délais si courts. En tout cas rien n'accrédite de telles suppositions.
Bien sûr on avait sans doute exagéré l'ampleur prévisible de la fameuse « vague bleue ». Peut-être même était-on parvenu en agitant ce spectre, à dissuader quelques personnes d'aller voter, ou au contraire à encourager d'autres à le faire pour opposer un rempart à la déferlante annoncée.
Mais il y a de toute évidence autre chose.
Peut-être une sorte de pressentiment sur la tournure à venir des évènements.
Sur la TVA sociale par exemple. Cette idée, évoquée par Nicolas Sarkozy bien avant son élection n'est pourtant pas d'une originalité fracassante. Elle n'a même rien de bien révolutionnaire et encore moins de libéral. On se souvient qu'elle faisait partie du vivier d'idées « nouvelles » de François Bayrou, et qu'elle avait également cours sous d'autres noms dans les cercles de réflexion socialistes.
Peut-être après tout est-ce justement ce qui effraie...
Car en dépit d'une appellation rassurante, ça fleure avant tout l'impôt nouveau. Et ça rappelle diablement, parmi d'autres hausses, l'augmentation de 2 points de la TVA dès l'accession de Jacques Chirac au pouvoir en 1995...
On a beau nous dire qu'elle permettra de diminuer les charges sociales pesant sur les entreprises, on a beau nous assurer qu'elle ne conduira à aucune augmentation des prix, il y a de quoi être sceptique. Comment croire les gens qui affirment que pour baisser les impôts, il faille avant tout les augmenter ?
Alors qu'on invoque le pouvoir intransigeant de la Commission de Bruxelles pour faire mariner depuis des années les restaurateurs qui espèrent un allègement de la leur, voilà qu'on annonce sans rire une augmentation de cinq points de la TVA générale !
Mais le pire si je puis dire est qu'il faille aux gouvernants une « mission d'experts » pour garantir que cette invention ne jouera aucun rôle néfaste sur le pouvoir d'achat ! Les Français ont sûrement fait leurs comptes à l'aide de leur simple bon sens. S'agissant de tous les produits importés, dont quantité concernent les activités de loisir, l'augmentation des prix ne fait aucun doute.
Pour les autres cela dépendra de la bonne volonté des entreprises, à supposer qu'elles soient satisfaites des baisses de charges consenties par le gouvernement. A supposer aussi que ces baisses soient durables dans le temps, car nul doute que la TVA elle, restera accrochée pour longtemps aux sommets...
Quant aux effets bénéfiques sur les délocalisations, il faut être bien confiant pour y croire. Même si elle y parvenait, cette mesure qui n'est en somme qu'un artifice protectionniste, pourrait pénaliser tôt ou tard nos exportations, ne serait-ce qu'en provoquant de la part des partenaires commerciaux des actions de rétorsion.
Tout ça n'est franchement pas très sérieux. Le problème n'est pas de savoir comment répartir différemment la charge écrasante des prélèvements, mais plutôt de parvenir à les faire enfin vraiment diminuer.
Il y a des analogies entre ce pis-aller pseudo-social et les franchises en matière de remboursement de soins, qui sont envisagées pour tenter de contenir le dérapage des dépenses de santé, tout en préservant notre sacro-saint modèle de protection sociale.
Il est temps sans aucun doute d'engager la responsabilité de chacun, mais ici encore la méthode choisie est-elle la plus opportune ?
Le procédé semble hélas devoir une fois de plus s'intégrer dans la politique suivie depuis de nombreuses années, consistant à augmenter continuellement les prélèvements et les cotisations tandis qu'on diminue parallèlement les prestations servies aux assurés sociaux.
Les franchises quant à elles ne sont pas nouvelles. La première d'entre elles en matière d'assurance maladie ne date pas d'hier. Il s'agit bien évidemment du ticket modérateur laissé à la charge de l'assuré après remboursement du prix des soins.
Sitôt créé, il eut pour conséquence de provoquer l'apparition d'un régime d'assurances complémentaires privées, créant de fait une entorse au principe de l'égal accès aux soins pour tous. Pour en atténuer la nature perverse, il fallut inventer la notion d'affection de longue durée bénéficiant d'une prise en charge à 100% par le régime « obligatoire » de la Sécurité Sociale. On créa dans la foulée quantité d'exceptions au ticket modérateur : actes exonérants, supérieurs à K50, aide médicale gratuite, prise en charge intégrale des interruptions volontaires de grossesses, et pour finir la CMU. Mais dans le même temps, les zones de franchise s'étendirent : « déremboursement » progressif des médicaments, forfait journalier, 1 euro non remboursable, seuil incompressible de 18 euros pour les actes exonérants... On alla jusqu'à inventer un diabolique « parcours coordonné de soins » avec des pénalités pour les usagers « déviants »... Et naturellement les cotisations ne furent pas en reste : augmentation des cotisations de base, invention de nouvelles contributions : CSG, RDS, taxes diverses sur les alcools, le tabac...
Résultat, le système à l'instant présent est d'une effroyable complexité, les usagers sont toujours aussi irresponsables, les médecins guère moins, et la Sécurité Sociale continue de s'abîmer dans les déficits et la gabegie, tandis que les politiciens ne cessent de brandir l'idéal usé de la « santé gratuite ».
Un système d'assurance est d'autant plus efficace que les cotisants sont nombreux et que les risques couverts ont une faible probabilité de se réaliser. C'est malheureusement l'inverse qui se passe dans le domaine de la santé. La médicalisation grandissante de la société conduit de plus en plus d'assurés à puiser, pour des soins le plus souvent de confort, dans les fonds d'une banque que les contribuables sont de moins en moins nombreux à alimenter. Il n'est plus possible de faire perdurer un tel système sauf à pérenniser les déficits, ou bien à devoir accepter d'entamer irrémédiablement la solidarité qui doit s'exercer vis à vis des malades atteints d'affections particulièrement douloureuses ou pénibles et à voir s'installer un navrant égalitarisme de la médiocrité.
Il n'est pas possible non plus de demander toujours plus à un nombre décroissant de gens. Si les franchises sont inévitables elles doivent être significatives, s'imposer à tous avec avance réelle de frais, mais s'accompagner en contrepartie d'un allègement non moins significatif des cotisations et prélèvements. En définitive, il faudrait que chacun désormais ait la responsabilité de gérer une partie de son portefeuille de santé. Probablement faudrait-il également que les citoyens puissent librement déterminer le niveau de couverture qu'ils souhaitent et plus encore qu'ils puissent choisir leur assurance. Puisque la Sécurité Sociale s'avère incapable de garantir la prise en charge optimale des soins pour tous, elle doit abandonner ses prérogatives exorbitantes et monopolistiques, acquérir une vraie indépendance vis à vis de l'Etat et se soumettre à la concurrence.
A vrai dire, la partie sera probablement en passe d'être gagnée lorsque les patients, cessant d'exiger toujours plus au motif « qu'ils sont à 100% », demanderont à leurs médecins de les soigner le mieux possible mais au meilleur coût.
Sur ces deux sujets, TVA sociale et franchises médicales les annonces un peu hâtives ont peut-être dores et déjà fait perdre quelques dizaines de sièges de députés au nouveau Pouvoir. S'il devait persister dans cette voie, il est à craindre qu'il accumule une impopularité croissante sans parvenir pour autant à s'émanciper des a priori et des idéologies qui tuent l'efficacité. Et les grandes promesses, les grandes aspirations se décomposeraient une fois encore en fantômes de la Liberté.
Mais le pire serait qu'il marque le pas par crainte de la fronde sociale. L'Opposition hélas n'a rien perdu de ses certitudes arrogantes et archaïques. Elle menace ouvertement et annonce clairement son intention de faire de l'obstruction systématique. Plus que jamais il faut des convictions et du courage.

13 juin 2007

De natura rerum


Il n'est pas forcément besoin pour se ressourcer comme on dit, d'aller chercher des perspectives exotiques, des destinations lointaines ou des points de vues grandioses.
A l'instar de Voltaire qui pensait que l'art de cultiver son jardin constituait une forme de sagesse, il est possible d'éprouver de puissantes sensations en s'immergeant au sein d'univers microscopiques.
Certains artistes vous terrassent par la magnificence ou l'ampleur de leur oeuvre. Pourtant c'est souvent un détail qui s'impose à jamais dans les souvenirs plus que la masse des concepts et des digressions. Proust assomme par le poids de sa Recherche du Temps Perdu et somme toute, ce qu'on évoque le plus communément, c'est l'épisode intime de la madeleine. Victor Hugo survole le XIXè siècle littéraire de sa stature gigantesque et tout un chacun retient l'image du vieil homme ému qui évoque la mémoire de sa fille « à l'heure où blanchit la campagne ». Au milieu des dizaines d'heures de lourd tumulte émanant des opéras de Wagner, surgissent quelques minutes de grâce indescriptible, celles du lied de Wolfram qui illuminent à tout jamais Tannhaüser...
Une ville, un paysage, un voyage peuplent l'esprit de visions fantasmatiques. Mais parfois le trop plein d'émotions, submerge l'esprit. On se souvient de Stendhal en proie au malaise après avoir visité Florence et ses musées. Rassasié, saturé comme après un festin trop pléthorique, il se sent mal, croit défaillir : « J'étais arrivé à ce point d'émotion où se rencontrent les sensations célestes données par les Beaux Arts et les sentiments passionnés. En sortant de Santa Croce, j'avais un battement de cœur, la vie était épuisée chez moi, je marchais avec la crainte de tomber. »
En somme la leçon est peut-être qu'il ne faut abuser de rien et savoir parfois se satisfaire des beautés discrètes qui résident sous le regard mais qu'on néglige tant on est tenté de chercher loin ce qui se trouve près. On peut voyager et voir de haut le monde à la manière neutre de l'objectif d'un appareil de photo, mais il suffit de regarder en s'approchant une fleur, pour y percevoir d'infinies nuances de formes, de couleurs, et de parfums.


C'est un peu le sentiment que j'ai en contemplant les natures mortes d'Edouard Manet. J'y trouve une force expressive peut-être supérieure à celle qui émane de ses tableaux plus célèbres, de ses audacieuses mais un peu artificielles compositions qui firent scandale autrefois : le Déjeuner sur l'Herbe, l'Olympia...
Car dans ces modestes tableaux domestiques la réalité est transcendée. De la peau mate et irisée des fruits sourd une douce sensualité, une sorte de délicate palpitation organique; des arrangements de fleurs dans un vase jaillissent des contrastes subtils, tempérés par les transparences conjuguées du verre et de l'eau. Un bouquet de violettes est comme une mousse bleue abstraite qui sort de l'ombre et emplit de bonheur l'espace. Les huîtres dans leur plat opposent presque suavement leurs nuances nacrées, le velours de leur chair ocre et brune, à l'éclat acide des citrons...


Toute sa vie Manet, inspiré largement par son grand ancêtre Chardin, pratiqua l'art de la nature morte. Souvent c'était pour apporter une touche de couleur, un détail insolite ou original à ses portraits et ses compositions intérieures. Durant les dernières années de sa vie elles sont devenues l'objet même de sa peinture, occupant toute son attention. Il en créait partout, même pour illustrer ses courriers. Elles forment comme un accomplissement intérieur imprégné de tendresse et d'humilité. Elles parlent au spectateur comme une voix douce chuchotant à l'oreille de précieux secrets. La sublimation de l'art en quelque sorte.

09 juin 2007

Instants fragiles


J'ai commencé ce blog il y a exactement un an.
Je m'interroge parfois sur l'utilité d'une telle entreprise. J'ai l'impression de jeter des bouteilles à la mer. Mais les mots, les phrases disparaissent emportés par l'immédiateté de l'instant. L'océan de l'internet engloutit tout dans son insondable magma vermiculaire.
La France est un des pays où les blogueurs sont les plus nombreux. Tout ça pour quoi ? Une sorte de vacarme informe. Quelques propos aussi délébiles que les traces sur le sable, balayées par la marée montante. Et chaque jour présente une nouvelle page blanche...
Je pense aux quelques lecteurs qui me font l'honneur de venir flâner ici. Ils me font à la fois une sorte d'obligation et sont en même temps un encouragement très fort. J'aimerais ne pas les décevoir. Évidemment je suis un peu dubitatif. Si l'on juge un blog au nombre de commentaires, le mien n'a pas grande valeur...
J’écoute les variations Goldberg de Jean-Sébastien Bach, qui glissent délicieusement sous les doigts inspirés d'Andras Schiff. Le temps se resserre autour de ce cycle fermé de 32 brefs mais inépuisables moments musicaux. Durant ces instants d’intense émotion intérieure me reviennent des fragments de vie passée, soudainement révélés à la manière de clichés photographiques, ou de séquences sautillantes comme celles d'un vieux film. Les évènements y apparaissent parfois avec une troublante précision, mais l’ensemble baigne dans une irradiation confuse : les objets, les êtres, l’atmosphère même des situations.
Je pense à mon père disparu il y a presque vingt ans déjà et je ressens avec acuité la pudeur de cet homme que j’ai connu, sans doute sans vraiment le connaître ; sa réserve, presque sa gaucherie parfois pour exprimer ses sentiments. Et pourtant je reconnais nombre de mes attitudes dans les souvenirs que j'ai des siennes. Etrange sentiment.
Sont-ce des matins ou de soirs, des jours, des mois, des saisons ou des années qui traversent ainsi mon esprit ?
Les souvenirs filent comme de lointains paysages à l'horizon du navigateur. Ils existent assurément mais sont enveloppés dans une aura irréelle. Les fragments épars ou imbriqués de notre vie se succèdent ainsi, bruissant de mille préoccupations lorsqu'ils caractérisent l'instant présent et mystérieusement muets dès qu'ils lui échappent, irrémédiablement figés pour l'éternité.
Ai-je vécu ces instants qui nimbés du voile du passé semblent si doux ? Pourquoi faut-il que le sens des choses apparaisse si clairement par instant, puis se dérobe si vite en laissant le goût d’un regret inexplicable ? Ou encore, pour reprendre une interrogation de Montherlant qui servit de titre à l'un de ses ouvrages : aimons nous vraiment ceux que nous aimons ?
Le temps d'écrire ces quelques lignes, elles appartiennent déjà au passé...

01 juin 2007

La tentation de Venise

En visite à Dunkerque, le président Sarkozy a « préconisé de réformer l'hôpital » (Figaro 22/05/07).
N'est-il pas au courant qu'il meurt précisément sous le poids de toutes celles qui lui sont tombées dessus depuis des années ? Sait-il seulement que les dernières en date sont loin d'être achevées, tant leur complexité est grande, leur utilité discutable et leur objectif imprécis ?
Est-ce donc l'annonce d'une nouvelle couche sur ce magma asphyxiant, est-ce un voeu pieux inscrit dans le rite du « changement dans la continuité », ou bien, est-ce enfin l'arrivée du printemps des élagueurs dans ce maquis impénétrable ?
J'aime à croire à la dernière hypothèse, sans me faire trop d'illusions toutefois. Chat échaudé craint l'eau froide.

Voici le tableau que je proposais à ce sujet pour la revue DH Magazine, et au Quotidien du Médecin, en Avril :

La France c'est un peu Venise : une ville musée qui s'enfonce irrésistiblement dans les miasmes tandis qu'on tente à grands frais d'en sauvegarder les dômes et les palais rutilants. Un chef d'oeuvre fragile et dépourvu d'utilité, bâti sur des fondations aléatoires qui se dérobent sous le poids d'un passé décomposé. Telle était la Sérénissime sous la plume de Paul Morand : « une vieille sur ses béquilles, qui s'appuie sur une forêt de pieux; il en a fallu un million rien que pour soutenir la Salute; et c'est insuffisant. » Telle est la France dans un Monde qu'elle ne comprend pas : en équilibre instable entre le passé et l'avenir; entre la théorie et la réalité.
Et les habitants de ce microcosme précieux mais à la dérive ? Ils semblent parfois se jouer de cette ambiance exquise de désastre imminent. A l'image des Vénitiens jouant la comédie derrière des masques où le grotesque le dispute à l'hilarant, ils s'enivrent de vérités travesties et de fantasmes extravagants, et tournent tantôt en riant, tantôt en grimaçant, leur sort en dérision.

Mais cet air virevoltant cache un mal rampant plus profond, car « tout en chantant sur le mode mineur l'amour vainqueur et la vie opportune, ils n'ont pas l'air de croire à leur bonheur. »
Sous la verve drolatique surgit par instant le spectre blafard d'une réalité trop longtemps refoulée. Car la France, tient un peu également de ce vieil écrivain égaré dans une Venise en proie à la peste, qui cède avec une délectation morbide aux délices émollients d'un amour ébloui mais sans issue, pendant que la ville se meurt autour de lui. La France ressemble à cet artiste déclinant, hypnotisé par la beauté angélique d'un éphèbe insaisissable, et qui se laisse envahir par d'indicibles visions, en semblant ignorer son propre enlisement.
Et lorsque le maquillage s'efface peu à peu, et que le rimmel en dégoulinant souligne les rides qu'il était censé faire oublier, les traînées et les coulures noirâtres sur des joues décaties sont comme une sorte de signature tragique au bas d'une destinée qui n'en finit pas de mourir dans les larmes et la frustration.

La France au moment de faire de grands choix politiques, est une nouvelle fois à la croisée de chemins opposés. Continuera-t-elle de croire aux mirages plutôt qu'aux choses tangibles ? Continuera-t-elle d'imaginer que l'avalanche de lois représente une alternative acceptable à l'action, et que la bureaucratie constitue l'encadrement indispensable à tout désir d'entreprendre ? Continuera-t-elle de faire de la planification étatique l'alpha et l'oméga des stratégies en matière de santé publique ? Préférera-t-elle en un mot continuer de se leurrer doucement en préférant l'immobilisme égotiste de Narcisse à l'aventure difficile mais sublime des défricheurs de Liberté ?

L'hôpital souffre de cette mortelle irrésolution. Faute de décisions claires et d'objectifs pragmatiques, il attend inquiet ce qu'il adviendra de lui, suspendu un peu stupidement au milieu d'une confusion délirante. Il est pris en tenaille entre les mâchoires de l'ARH et celles de L'Assurance Maladie, il patine de plus en plus laborieusement entre Tarification à l'Activité (T2A) et budget global, tergiverse sur ses perspectives existentielles sous la pression d'absurdes objectifs quinquennaux d'activité émanant de SROS bornés, et convulse mollement au rythme d'une Nouvelle Gouvernance si complexe et alambiquée qu'elle le vide de son énergie et l'oblige à détourner des tâches de base, l'essentiel de ses précieuses « ressources humaines ».
L'hôpital est-il amené à se transformer en un gigantesque kolkhoze anonyme, assujetti à une planification rigide des soins et une maîtrise égalitariste des dépenses ? Va-t-on au contraire le propulser avec son infrastructure brinquebalante, ses appendices gestionnaires tarabiscotés et ses boulets organisationnels « de service public » dans une logique de production concurrentielle à laquelle il n'est aucunement préparé ?

Ces questions sont au coeur du débat qui agite le pays à l'occasion des grands scrutins nationaux de ce printemps 2007. Hélas les programmes politiques, plus riches en promesses générales qu'en mesures pratiques ne donnent guère de clés pour imaginer ne serait-ce qu'une esquisse de réponse à ces interrogations. Il faut dire aussi que depuis plus de deux décennies, les réformes n'ont pas manqué dans le monde de la santé.
Mais quels que fussent les dirigeants en place, ils ont surtout procédé par replâtrages approximatifs, empilant des strates les unes sur les autres sans vraie détermination, et sans autre ligne directrice qu'un vague canevas pétri de bonnes intentions. Bien que soit annoncée à chaque fois la « mère de toutes les réformes », en même temps qu'une « simplification » et une « modernisation » des procédures, force est de constater que l'hôpital comme la France dans son ensemble, reste à ce jour englué dans un amalgame toujours plus confus et pléthorique de règles contradictoires ou superflues.
Le Budget Global était à bien des égards pervers, mais la T2A, insuffisamment préparée, plonge la gestion des établissements de santé dans des abîmes de perplexité et d'incertitude. Les Pouvoirs Publics eux mêmes sont aux abois. Le torchon brûle entre les instances ministérielles et l'Assurance Maladie.
D'un côté, les ARH3 sont mises sur la sellette par l'IGAS4 et l'IGF5 pour leur incapacité à piloter les hôpitaux6 : le comble vu qu'elles furent créées spécialement à cet effet en 1997 ! De l'autre, le dynamitage soudain de l'hospitalisation de jour par une Sécurité Sociale incapable de contenir ses propres gabegies, constitue la preuve flagrante d'un grand désordre en même temps qu'il révèle une stratégie de panique. On condamne aujourd'hui ce dont on avait à grand peine fait la promotion hier, en jetant des anathèmes déshonorants sur la quasi totalité des établissements « visités ». Le plus étonnant dans un pays par nature si rebelle, est l'acceptation docile de procédés carrément vicieux : utilisation rétroactive de textes de lois confus, méthodologie bâclée, interprétation grossière et mécaniquement à charge, application de tarifs inadéquats. Tout est réfutable dans ce simulacre de contrôle.
L'absence de lisibilité est devenue plus que jamais la règle en matière de gestion. Le bazar inextricable et inexplicable de la Nouvelle Gouvernance est le dernier avatar de la décomposition grandiose d'un système en proie à la déraison administrative. La cité dorée croule sous le poids de ses contradictions et de ses redondances.

Ces boursouflures absurdes n'ont hélas rien de la grâce et des mystères qui émanent des chefs d'oeuvres en péril. Faut-il donc renforcer une fois encore au nom de principes dépassés l'édifice monstrueux qui craque de toute part ou bien au contraire tenter de l'élaguer une bonne fois pour lui donner enfin un peu de bon sens et de cohésion ?
Nous le saurons sûrement bientôt...


2 : SROS Schéma Régional D'organisation Sanitaire
3 : ARH Agence Régionale de l'Hospitalisation
4 : IGAS Inspection Générale des Affaires Sociales
5 : IGF Inspection Générale des Finances
6 : Rapport 2007 sur les ARH et le pilotage des dépenses hospitalières, Igas/IGF

DH Magazine No 112 Avril 2007

30 mai 2007

L'âme des écrivains


En me promenant sur le blog de Pierre Assouline, je découvre des réflexions intéressantes sur la nature profonde des écrivains.
Notamment l'analyse de propos tenus par Julien Gracq pour lequel une des particularités de l'écrivain, et qui conditionne profondément son oeuvre serait « qu’il secrète de bonne heure autour de lui une bulle, liée à ses goûts, à sa culture, à son climat intérieur, à ses lectures et rêveries familières, et qui promène partout avec lui, autour de lui, une pièce à vivre, un “intérieur” façonné à sa mesure souvent dès la vingtième année, où il a ses repères, ses idoles familières, ses dieux du foyer, où son for intérieur se sent protégé contre les intempéries et à l’aise. »
Un peu avant, c'était la réédition récente des « Deux Etendards » du polémiste d'extrême droite Lucien Rebatet qui suggérait à Pierre Assouline la question torturante : « un parfait salaud peut-il être également un bon écrivain et, le cas échéant, peut-on séparer certains de ses livres de l’homme qu’il fut ? »
Je dois dire que j'ai trouvé très attachante cette théorie de la bulle. Elle résume bien en tout cas pour moi l'oeuvre de Julien Gracq : secrète, intérieure, contenue.
Ce qui me touche également chez l'auteur du Chateau d'Argol, c'est sa proximité intellectuelle et spirituelle avec Ernst Jünger.
J'aime la sorte de noble détachement avec lequel ces deux « passeurs de siècles » observent le monde et ses folies. J'aime leur longévité aristocratique (Gracq va sur ses 97 ans, Jünger est mort à 102 ans en 1998), j'aime leur stoïcisme fait d'expérience et d'humilité, et les manières d'entomologistes attentionnés avec lesquelles ils parlent des hommes. J'aime en un mot leur belle figure hiératique qui les ancrent tranquillement dans l'éternité.
Ceci m'amène aux qualités requises chez les écrivains, recoupant notamment les allusions au sujet de Rebatet. La question posée est délicate à trancher mais tout de même, on a beau avoir du talent, pour être grand il faut à mon sens avoir une belle âme. En ce sens je ne peux certes tenir en grande estime des écrivains tels que Céline, Rebatet ou Brasillach. Mais on a un peu trop tendance à ne voir qu'à droite les « parfaits salauds ». Sartre, Aragon, Eluard ne valaient pas mieux. Quand on chante les louanges de Staline on perd toute crédibilité en matière d’amour, de poésie ou de philosophie… Il ne reste au mieux que des mots creux, même s’ils “vont très bien ensemble”…

28 mai 2007

American Black Box


Il fallait bien qu'un jour ou l'autre, je tombe sur un livre de cet Ostrogoth de la littérature qu'est Maurice G. Dantec.
Et bien c'est fait. Je viens d'ingurgiter les quelques 700 pages d'American Black Box, le dernier volume de son journal en forme de trilogie, intitulé « Le théâtre des opérations ».
Par une coïncidence étrange j'ai sur ma table au même moment « L'homme révolté » D'Albert Camus, dont le titre aurait tout aussi bien pu convenir à l'ouvrage de Dantec, tant le sujet en est proche et tant il contient d'imprécations contre les inconséquences et les absurdités du Monde contemporain.
A ceci près que Camus situait sa réflexion dans le champ de la philosophie, tandis que Dantec lui, accouche d'un pamphlet énorme, massif, impétueux, et vindicatif.
Et si la forme est différente, le fond l'est également à bien des égards. A l'agnosticisme religieux, et à la désillusion politique de Camus, Dantec oppose en effet « le corps glorieux du Christ », et le retour aux sources des valeurs occidentales traditionnelles.
N'empêche, les constats contiennent des similitudes. Notamment au sujet de l'inanité des idéologies et de la démission de l'opinion publique face à leurs diktats mortifères.
Dantec annonce d'emblée la couleur : « ce livre est l'enfant du chaos », « Le chaos laissé par la dévolution de la pensée, par la peur, la haine de soi, le ressentiment, la culpabilité, et les divers étrons idéologiques qui font de la France ce pays qui est sorti définitivement de l'Histoire pour entrer dans l'âge des postures culturelles et des impostures politiques à grande échelle. » Tel un nouveau Saint-Georges, il entreprend donc de terrasser les dragons de notre époque, au premier rang desquels figurent pour lui, l'islamisme radical, l'antiaméricanisme primaire et le nihilisme « zéropéen ».
Primum movens des périls qui menacent aujourd'hui le monde, l'islam est selon lui une religion fondamentalement perverse : « Il n'y a pas d'islam militant et d'islam modéré. Il n'y a que des variations d'intensité. Les lois coraniques ne peuvent être adoucies que très provisoirement. » Et le danger est gravement sous-estimé : « L'aveuglement des nihilistes occidentaux au sujet de l'islam semble un condensé de tous les aveuglements successifs de l'Occident depuis deux siècles. Sur le danger jacobin, sur le danger marxiste, positiviste, bolchevik, puis nazi, tiers-mondiste, maoïste, post-moderniste... »
L'Humanité à n'en pas douter, est entrée dans une nouvelle guerre de religions. Et Dantec ne voit rien d'autre à opposer à ce qu'il considère comme l'impérialisme destructeur des fous d'Allah, qu'une sorte de christianisme régénéré mais plutôt abscons : « Le prochain Christ sera à la fois celui du jugement et celui de la transcendance actualisée de l'amour, transvaluée au sens de devenir de l'être humain totalement assumé comme risque ontologique. »
Ce mystique retour aux sources de la spiritualité conduit l'imprécateur aux lunettes noires à n'envisager l'avenir qu'en regardant vers l'Ouest : « le futur de l'humanité s'élabore en Amérique. » D'ailleurs il a décidé de quitter l'Europe qu'il juge surannée et déconfite : « Je suis parti de France pour aller vers les Amériques qu'elle a perdues. Je viens en Amérique avec en moi toute la France qui s'est perdue en route » (étonnement à ce sujet : il a posé ses valises au Québec, qu'il qualifie pourtant de « petite colonie chic-et-choc des nihilismes zéropéens... »).
Il ne pouvait plus endurer « le lavage de cerveau anti-américain quotidien ». Il ne pouvait plus supporter ce qu'il qualifie d'arrogance et d'ingratitude « franchouilles » : « Plus de trois cent mille soldats américains sont morts en terre de France lors des deux conflits mondiaux du XXè siècle. Villepin et Chirak (sic), à l'unisson avec leur « peuple » et ses « représentants », ont d'un seul geste déboutonné leur braguette et allègrement pissé sur cette colossale pyramide de cadavres. »
Il ne pouvait plus accepter cet incroyable panurgisme haineux qui conduit à inverser les données du problème : « Ce ne sont pas les islamistes qui font peur, grâce à un décervelage idéologique total pour ne pas dire totalitaire, c'est l'Amérique qui représente le danger... »
Il en avait assez de ces intellectuels et journalistes français, hypocrites, qui disent aimer l'Amérique mais qui n'aiment « rien d'autre que l'Amérique qui déteste l'Amérique. Cette cucurbitacée du néo-trotskisme de Michael Moore par exemple, ou le juif anti-sémite Noam Chomsky...»
Sur la France, Dantec ne se fait donc plus guère d'illusions : « y-a-t-il une sortie vers le haut pour cette nation qui s'efforce par tous les moyens à sa disposition de rejoindre la bonde d'éjection des eaux usées de l'Histoire ? »
Sur l'Europe même, son jugement n'est guère plus indulgent : « L'Europe aura donc été une magnifique possibilité, morte avant que d'avoir vécu, ange avorté pour lequel il m'est difficile de ne pas ressentir le poids d'une chagrin lesté de toutes ces civilisation épuisées en vain. » Dans l'élan, Dantec fustige sans nuance l'Europe de Maastricht et dit son opposition catégorique au projet de constitution qu'il appelle « l'immonde papelard ». De ce point de vue la victoire du NON au réferendum de 2005 lui a procuré quelque satisfaction...
En définitive, la vision de ce « maudit Français » est sombre : « je vis la fin d'un monde, je vis le Crépuscule des Hommes, je vis la terminaison de toute l'histoire. » Ses diatribes ne sont pas exemptes de boursouflures, d'excès, de redondances. Le discours est quelque peu plombé par des notions abstruses (matrices, vortex, méta-codes, syncrétismes, ontologies), par des formules à l'emporte pièce et par de curieux poèmes hermétiques. Mais il y a du vrai dans ses constats, il y a de la clairvoyance dans ses opinions et il y a du courage dans ses prises de positions.
En tout cas sa théorie du déclin de l'Occident, n'a rien à voir avec la manie des bobos gauchisants qui ressassent avec délectation la faillite inéluctable du modèle capitaliste incarné par l'Amérique. Elle est l'expression de convictions sincères et d'une réelle angoisse. Il n'a rien d'un extrémiste, ni d'un fanatique. Son apocalypse est aussi une supplique, un appel désespéré, le cri du naufragé sur le radeau de la Méduse. Il faut savoir l'entendre...

22 mai 2007

Michael est de retour...

Le festival de Cannes donne à nouveau l'occasion à Michael Moore de ramener sa grosse fraise. Triste spectacle sur la Croisette, que la parade ronflante de cette outre pleine de soupe à qui un jury de cuistres trouva très fin de décerner "la palme" il y a trois ans. Aujourd'hui ce tripatouilleur d'images, qui est au cinéma ce que les ballerines de Botéro sont à la danse, refait le coup du pseudo documentaire "iconoclaste", à propos cette fois du système de santé américain ! On devine déjà par où cet enfonceur de portes ouvertes va faire passer ses caricatures d'enquêtes, grossièrement cousues de fil blanc...
Cela me donne l'occasion de reprendre mes notes de 2004 à propos de son Fahrenheit 9/11 que j'avais fait l'effort de subir, pour en avoir le coeur net. Il est évident que je suis désormais vacciné :

"Enfin je l’ai vu ce film qui a tant fait coulé d’encre, Fahrenheit 9/11 de Michael Moore, dont je pensais tout connaître avant de le connaître !
Eh bien c’était effectivement le cas...
Pourtant je dois lui reconnaître avant toute chose quelques mérites :
Il illustre la magnifique liberté d’expression qui règne en Amérique.
Il vérifie également qu’à trop vouloir en dire on ne dit rien, voire le contraire de ce qu’on voulait démontrer. La réélection éclatante de George Bush doit probablement quelque chose aux excès clownesques de Michael Moore.
Enfin, il a permis de mesurer la mauvaise foi et les a priori du monde artistique et intellectuel, qui ont atteint un sommet vertigineux lors de l’attribution de la palme d’or du festival de Cannes à ce petit chef d’œuvre de désinformation.
Sur la forme, il ne s’agit en effet que d’un montage cinématographique faisant feu de tout bois pour tenter de dégrader l’image de George W. Bush.
Michael Moore concentre le feu de sa très lourde artillerie sur le président américain qu’il a pris en haine on ne sait trop pourquoi. Comme dans les procès en sorcellerie, tous ses faits et gestes sont interprétés à sens unique par sa caméra torve.
Michael Moore est mauvais joueur et sa rancune est tenace.
Entre autres falsifications, il accuse Bush d’avoir volé l’élection de 2000 alors que tous les recomptages officieux et officiels en Floride ont entériné sa victoire. Il s’agit donc de pure diffamation. Il insinue que sa popularité n’a cessé de décroître dès l’élection passée ce qui est faux comme en atteste le triomphe républicain lors des scrutins de mid-term de 2002.
Emporté par son délire obsessionnel il en vient même à se contredire, accusant par exemple Bush d’avoir négligé la sécurité avant le 11/9 et fustigeant dans le même temps toutes les mesures prises pour la renforcer ensuite! Il occulte au passage le fait qu’en dépit des menaces brandies sans cesse par les terroristes, aucun attentat ne s’est reproduit sur le territoire américain (pourvu que ça dure).
S’agissant de l’Irak, il ment effrontément en suggérant que ce pays était un jardin d’Eden tranquille et prospère, sauvagement agressé par les USA, affirmant même que Saddam n’avait quant à lui jamais attaqué personne !
Moore qui a le gabarit d’un éléphant, ne semble pas en avoir la mémoire car il oublie que cette intervention se situe dans le droit fil de la crise de 1991 qui vit l’Irak annexer le Koweït. Il oublie qu'une coalition internationale s'était formée à l'époque pour le chasser des terres qu'il avait envahies. Il omet enfin de rappeler que faute de détermination de cette même communauté, le tyran de Bagdad put se maintenir et continuer de massacrer son peuple sous le regard atone de l’ONU. Le "film", lacunaire, ne contient de toute manière pas une seule allusion aux 16 résolutions prises à son encontre, rien au sujet de la prise en otage durant 44 jours des inspecteurs dès la fin 1991, et rien sur leur expulsion pure et simple en 1998...
Niant les liens d’Al Quaeda avec Saddam, Moore "oublie" que ce dernier fut le seul chef d’état au monde à faire cause commune avec les terroristes en se réjouissant publiquement des attentats du 11/9.
Au chapitre – volumineux – des absences, on ajoutera qu’à aucun moment Moore n’évoque la montée des dangers pendant la présidence insouciante de Bill Clinton qui laissa croître et embellir Al Quaeda, en dépit d’un premier attentat contre le World Trade Center en 1993 et de plusieurs attaques terribles dont celle qui fit près de 200 morts à Nairobi.
Evoquant enfin la crise économique et la montée du chômage, il accuse Bush d’en être responsable. Pourtant chacun sait que le Krach économique commença au cours du second semestre 2000 sous la présidence Clinton qui n’avait pris aucune mesure pour dégonfler la bulle spéculative et lutter contre les malversations patentes de certaines entreprises comme Enron. En revanche, il néglige de dire qu’avec des actions audacieuses et déterminées, l’Administration Bush a réussi à l’enrayer et que l’Amérique est en train de retrouver la prospérité et le plein emploi !
Il y aurait encore quantité d’artifices à démonter dans cet ersatz de film à thèse. Le fait par exemple qu’on ne trouve aucune séquence sur les progrès faits par l’Afghanistan grâce à l’intervention américaine, qui ont abouti à la tenue d’élections libres récemment, à la dignité retrouvée des femmes, à la réouverture d’écoles et de cinémas...
Tout ceci converge vers une seule conclusion : Moore est un fieffé menteur. Avec les vieilles ficelles qu’il emploie, et la mauvaise foi qui l'anime, il est possible d’affirmer n’importe quoi. D’autres s’en sont inspiré pour suggérer qu’aucun avion ne s’est écrasé sur le Pentagone par exemple, ou que les attentats du 11/9 ont été un coup monté par le lobby militaro-industriel. Auparavant, certains avaient déjà tenté de faire croire que la conquête de la Lune ne fut qu’une gigantesque mascarade organisée par les studios d’Hollywood, que le Communisme était un idéal de paradis sur terre, ou que Hitler représentait un avenir radieux !
Faut-il avoir de la crotte dans les yeux pour suivre béatement ce genre de filou sans scrupule !"

16 mai 2007

Black pearls


Cette expression pour caractériser deux DVD trouvés par hasard dans les rayons d'un grand magasin, consacrés à Lester Young et à Count Basie.

Edités à très petits prix par la maison EFORFILMS, il s'agit de véritables petites merveilles (collection Stars of Jazz).

Naturellement en la circonstance il ne faut pas attendre d'images haute définition ou de "son multi-canal 5.1". Il faut prendre ces enregistrements en noir et blanc pour ce qu'ils sont : des témoignages émouvants d'une époque malheureusement évanouie.

Intitulée Jammin' the blues, la première session, hélas un peu courte, met en scène Lester Young en petit comité, en 1944 (il avait environ 35 ans). Dans une sorte de clair obscur flottant, sa silhouette altière mais alanguie, coiffée de son chapeau plat, exhale du saxophone une indicible musique qui déroule ses volutes comme la fumée des cigarettes. De la moindre de ses interventions, il émane une telle tendresse, un tel mélange de douceur et de mélancolie, qu'on se sent comme suspendu hors du temps. Une seule phrase mélodique contient un univers entier de sentiments. On y plonge et on ne voudrait surtout pas en sortir. Cet homme avait en lui une parcelle d'éternité qui vibre sous la grâce nonchalante.
Auprès de lui, on retrouve le trompettiste Harry Edison, particulièrement inspiré, mais aussi Illinois Jacquet au saxo, les magnifiques Sid Catlett et Jo Jones à la batterie, et la délicieuse chanteuse Mary Bryant, dont les inflexions vocales ne sont pas sans rappeler Billie Holiday, la soeur spirituelle de Lester Young.

La session consacrée à Count Basie date de 1968. Il est juste accompagné de Norman Keenan à la contrebasse, Sonny Payne à la batterie et Freddie Green à la guitare.

Bien que Basie soit connu avant tout pour ses swingantes envolées à la tête de son grand orchestre, je me suis personnellement toujours délecté de ses prestations en petite formation. On peut y apprécier la légèreté inimitable de son toucher au piano, le velouté délicat de son phrasé. Il cultiva ce type d'expression intime jusqu'à la fin de sa vie (en 1984), notamment avec Zoot Sims, Dizzy Gillespie, Harry Edison, Roy Elderidge ou même Oscar Peterson, le tout solidement encadré par des sections rythmiques hors pair au sein desquelles on compte bien sûr le fidèle Freddie Green, le batteur Louie Bellson et le contrebassiste Ray Brown. Nombre de ces sessions furent gravées pour le compte de la maison Pablo.

C'est dans le même esprit décontracté et libre que se situe ce petit épisode « soixante-huitard »... au bon sens du terme !

11 mai 2007

I did what I thought was right


Aujourd'hui, je ne peux vraiment pas m'empêcher d'évoquer à nouveau Tony Blair.
Après les salutations distinguées qu'il vient d'adresser à la France et à son président fraîchement élu, le voici qui annonce avec sobriété, qu'il met fin de son propre chef à ses responsabilités gouvernementales.
Dans une intervention d'à peine plus d'un quart d'heure, il s'est expliqué ce matin sur cette décision qui vient clôturer dix années passées au 10 Downing Street : "Je crois que c'est assez long, non seulement pour moi, mais également pour le pays. Parfois, la seule façon de maîtriser l'attirance pour le pouvoir, c'est de l'abandonner."
Comment ne pas penser à George Washington qui sut résister à la tentation de s'incruster au pouvoir malgré les amicales pressions de son entourage et du peuple.
Comment ne pas penser également à José Maria Aznar, l'artisan de la renaissance espagnole, qui fit le choix de ne pas se représenter à l'issue de 2 mandats successifs, et dont le geste fut hélas occulté par la survenue des épouvantables attentats de Madrid et surtout terni par l'exploitation éhontée de ces massacres, faite à ses dépends par une horde vindicative de pleutres pacifistes.
Tony Blair est mal aimé en France. On ne pardonne pas à ce socialiste pragmatique d'avoir affirmé tranquillement : « La gestion de l'économie n'est ni de gauche ni de droite, elle est bonne ou mauvaise. » On est horrifié par ce fan des Rolling Stones qui osa trouver des mérites au style de gestion incarné par Margaret Thatcher !
A l'époque on insinua qu'il avait trahi sa cause par pure ambition et par démagogie.
Mais avec les années il fallut bien se rendre à l'évidence : Tony Blair était mu par un dessein autrement plus complexe.
Ce jeune homme, en plus d'un indéniable pouvoir de séduction avait une conscience, des convictions et du courage. Il les montra à maintes reprises aussi bien en politique intérieure qu'internationale. Il est européen sincère, et peut notamment s'enorgueillir de belles actions en ex-Yougoslavie et en Irlande du Nord.
Et dans les épreuves il révéla qu'il était déterminé, patient, fidèle en amitié, et doté d'une force rare : l'anticonformisme.
Son engagement en Irak, on a essayé de lui faire payer cher. On a tenté de le déstabiliser par de misérables calomnies et semé le doute sur la droiture de ses choix. Il fut totalement blanchi de toutes les accusations. Tony Blair a donc sincèrement cru pouvoir libérer le peuple irakien du joug qui l'opprimait. Il a sincèrement cru que l'installation d'un espace de liberté dans cette partie du monde serait le début d'une ère de progrès.
La partie n'est d'ailleurs pas encore perdue et s'il se désole de l'insuffisance des résultats, il ne regrette pas son pari.
Interrogé en mars 2006 sur les conséquences de son alliance avec George Bush, il a répondu : « Dieu sera mon juge. ». Ces derniers jours encore il affirmait qu'il ne fallait pas retirer les troupes anglaises d'Irak et avertissait que "les terroristes n'abandonneraient jamais si nous, nous abandonnions."
Au moins pourrait-on lui accorder d'avoir agi par conviction davantage que par intérêt. Jacques Chirac en fit d'ailleurs l'aveu assez affligeant en novembre 2004 : « Tony Blair n’a rien obtenu des Américains en retour de son aide en Irak... »

Pour terminer, je cite cet hommage de Colin Powell trouvé dans le New York Times : « Il fut un ami, constant face à l'hostilité de l'opinion publique, et impavide dans les périodes critiques. Nous avons toujours pu compter sur lui. »
Et cette réflexion de Tony Blair sur sa propre expérience : « Lorsque je débutais en politique, je voulais faire plaisir à chacun. Après quelque temps, j'appris qu'il est impossible de satisfaire tout le monde. Je compris alors que la meilleure chose était de faire ce que je pensais être bien puis de m'en remettre au jugement de chacun. »

10 mai 2007

Honni soit qui Malte y pense


Tout ce foin pour deux malheureux jours de vacances ! Les anti-Sarkozy sont vraiment de grands malades.
Le spectacle est proprement stupéfiant : à la simple évocation du nom du nouveau président, au moindre de ses gestes, ils sont pris d'une sorte de transe vaudoue, une excitation hystérique. Ils écument, ils se roulent par terre, la fureur et la haine sortent de leurs naseaux en jets brûlants.
Le sursaut « résistant » est déjà à l'oeuvre.
Contre la « brutalité policière » et pour la « préservation de la Justice Sociale », dans les rues « on » brûle des voitures et « on » pille des vitrines. On ne sait comment il faut appeler ces « on ». Des « racailles », des « caillera », des « voyous », des « faquins », ce serait injurieux et brutal, des « jeunes » ce serait réducteur, des « gens de gauche » ce serait politiquement incorrect. Alors des zombies peut-être, des revenants de 1789, ou encore des extra-terrestres...
L'université de Paris I Panthéon-Sorbonne quant à elle se met en grève préventivement : « On veut lancer un avertissement à Nicolas Sarkozy. » dit un "étudiant " aux envoyés spéciaux du "Monde". "On est bien d'accord pour dire que la démocratie qui amène ce genre de catastrophe, on chie dessus !" affirme une autre à ceux de "Libération". Bonjour l'ambiance quand ils vont passer à l'action !
Enfin, parmi les partenaires sociaux, ceux qui s'inspirent des propos du gentil Besancenot se préparent à bloquer par tous les moyens les « sales lois » qui ne sauraient selon eux tarder de déferler. « Défendons le Code du Travail » clame la CGT sur son site, car « la démocratie ne se réduit pas à l’expression citoyenne à l’occasion d’une élection. »
Plus conservateur, tu meurs...

Heureusement, ce raffut donne tout de même l'occasion de s'amuser de quelques contradictions délicieuses : au moment où les crypto-staliniens piétinent joyeusement la vie privée de Nicolas Sarkozy avec leurs gros souliers de lutteurs des classes, l'avocat du couple Hollande-Royal s'apprête à saisir la justice contre un livre paraît-il attentatoire à la leur ! Lorsqu'on sait que les auteurs du délit sont des journalistes du Monde et que la diffusion des « meilleures pages » a dores et déjà été faite par le Nouvel Obs, on se retient d'éclater de rire : comment diable vont-ils parvenir à mettre ça sur le dos du Grand Capital à la solde de l'UMP ?

Pour finir, j'ai été très touché par le petit clip de Tony Blair félicitant en français Nicolas Sarkozy (et la France). La simplicité de la manière et la sincérité du ton ne trompent pas (sauf naturellement ceux qui ne voient en lui qu'un traître à la Cause du Peuple, le caniche de Bush...). Une chose me désole. Que l'un s'en aille au moment où l'autre arrive. Quel duo épatant ils auraient fait pour impulser un nouvel élan à l'Europe !

07 mai 2007

Un vote d'adhésion

Derrière la victoire nette et sans bavure de Nicolas Sarkozy, une chose m'a frappé dans le flot de chiffres et d'analyses dont on nous a abreuvés hier soir : La grande majorité des gens qui ont élu le nouveau président se sont prononcés par adhésion à son programme et à sa personne. N'est-ce pas somme toute, la confirmation d'un élan datant de plusieurs mois, dont l'étonnante stabilité des sondages en sa faveur était le signe évident ?
Dans le camp Royal, à peine la moitié des électeurs ont fait de même, les autres ayant exprimé avant tout le rejet du candidat UMP.

Quelque chose semble bien avoir changé en France. On exprime sa pensée plus librement. Les tabous tombent. Le mépris et la haine de l'autre ne paient plus, même enveloppés dans les grands principes galvaudés de la "Justice Sociale". La victoire était joyeuse mais simple et vraiment populaire. Pas de grandiloquence, pas de référence prétentieuse à l'Intelligence, au Progrès, à la Lumière... Juste des mots de tous les jours pour parler d'espoir et une attention pour les vaincus.

Madame Royal quant à elle, n'a pas félicité son adversaire, comme c'est l'usage. C'eût écorché sans doute son joli sourire glacé. Elle paraissait toutefois bien détendue, on eut dit presque soulagée, après les résultats. Se voyait-elle vraiment dans la peau d'une « France présidente » ?

05 mai 2007

Un "Américain" au dessus de tout soupçon...


Mr Colombani est coutumier des pamphlets en demi-teintes. Il n'a pas son pareil pour assassiner "paisiblement" les victimes qu'il se choisit, du haut de sa chaire de commandeur des croyants.
Son éditorial des « Deux France » (Le Monde 3/5/07) est un bijou dans le genre.
Qu'il dise pour laquelle il penche n'aurait rien de choquant en soi s'il en faisait une opinion personnelle d'éditorialiste d'un journal partisan. Mais il préfère à la manière franche et loyale, les torves insinuations, présentées ex cathedra, comme les constats incontournables d'un média "indépendant et objectif".
Morceaux choisis :
A propos des derniers meetings des 2 candidats, selon Mr Colombani, « le public de Bercy montrait une société homogène; celui de Charléty une société plus diverse, plus colorée. Dans le premier cas, beaucoup d'inclus; dans le second, beaucoup d'aspirants à l'intégration » C'est qu'il a l'oeil le bougre ! Il s'y connaît en foule pour faire d'aussi perspicaces observations...
Lorsqu'il évoque ensuite les aspirations des 2 candidats, il est clair que celle de Ségolène « fait de la refonte du dialogue social la clé du retour de la confiance », tandis que « Nicolas Sarkozy, au fond, a une vision plus "américaine" ». En clair, pour celui qui a oublié qu'il était lui-même « Américain » il n'y a pas si longtemps, cette approche est « peut être source de nouvelles inégalités et aboutit à favoriser les plus favorisés », c'est même pour tout dire, « une conception revancharde de l'histoire ».
Pour enfoncer le clou, il ressort benoîtement en guise d'argument, « la qualité de la relation que Nicolas Sarkozy entretient avec Martin Bouygues, Arnaud Lagardère ou Serge Dassault » qui à l'évidence « est la marque d'une puissance potentielle dans les médias qui appelle une vigilance de tous les instants ». Qu'en termes doux cet ignoble procès en sorcellerie est fait !
Anticipant le résultat probable de l'élection, il concède comme pour faire bonne mesure, que « le PS n'a pas su engager un travail de refondation ». Mais c'est pour aussitôt décréter « qu'il faut donc d'urgence, pour la clarté et la dynamique du débat démocratique, renouveler la pensée de la gauche » Et comme s'il voulait conjurer le sort il s'exclame à propos d'une hypothétique victoire de Ségolène : « C'est un pari. Pour le pays, il mérite d'être tenté. »
Tout l'esprit du « Monde » est ici concentré. En somme, il n'y a guère de changement depuis les propos irresponsables de Jean Lacouture en 1975 sur « Phnom Penh libéré » !

03 mai 2007

Un débat guère inspiré

Il n'y avait sans doute pas grand chose à attendre d'un exercice trop formel et trop encadré. Le débat entre les 2 candidats à l'élection présidentielle n'a donc rien révélé qu'on ne sache déjà .
Madame Royal s'est voulue offensive. Comme une joueuse de tennis, elle a cherché à monter au filet mais elle a loupé la plupart de ses attaques. Sur l'insécurité avec sa proposition ridicule de raccompagner les policiers chez eux le soir. Sur l'énergie, en démontrant une méconnaissance grossière du dossier nucléaire. Sur les handicapés enfin, en affichant une arrogance totalement hors de propos qui témoigne là encore d'une vaste ignorance de la réalité.
Pour le reste elle a déroulé d'une voix sèche et monocorde une litanie de bonnes intentions floues, anticipant un retour de la croissance qu'elle imagine manifestement relever de l'opération du Saint-Esprit. Elle s'est montrée glaciale, imprécise et indécise, n'hésitant pas à contredire ce qu'elle affirmait hier, renvoyant aux calendes ou « aux partenaires sociaux » tout ce sur sur quoi elle n'a aucune idée, et coupant sans cesse la parole de son interlocuteur : une "épée", comme l'a qualifiée hier soir son coreligionnaire Mr Moscovici, mais qui donne la plupart de ses coups dans l'eau...
Quant à Mr Sarkozy on l'a senti sur la réserve, jouant plutôt du fond du court. Il a montré une grande maîtrise de ses nerfs mais a manqué d'inspiration et d'esprit d'à propos même s'il a réussi à placer deux ou trois beaux passing-shots, notamment sur les retraites. Bien qu'il ait fait preuve d'infiniment plus d'esprit pratique que sa rivale, il s'est heurté aux limites de sa stratégie, libérale qui n'ose avouer son nom. Par exemple, il juge à raison désastreuses les 35 heures mais ses mesures sur les heures supplémentaires restent timides et probablement complexes à mettre en oeuvre. Il n'est guère plus convaincant au sujet du bouclier fiscal, qui lui évite une remise à plat de la fiscalité et la suppression d'impôts imbéciles comme l'ISF, mais au prix d'une nouvelle usine à gaz.
Enfin aucun des deux n'a démontré de grand dessein sur l'Europe ou en matière de politique internationale. Les échanges sont restés limités à quelques propos assez convenus sur la Turquie.
Bref on reste sur ses positions.