12 octobre 2008

Le Clézio, un Nobel insulaire


La France est à l'honneur, avec 2 prix Nobel cette année. On s'étonne évidemment du quart de siècle nécessaire à l'Académie Suédoise pour se décider à attribuer celui de Médecine à Luc Montagnier et Françoise Barré-Sinoussi, qui découvrirent le virus du SIDA... au début des années 80 ! On peut également s'étonner de l'hommage inattendu rendu à J.M.G. Le Clezio, si discret, si classique, surtout qu'il est qualifié à cette occasion par le jury « d'écrivain de la rupture ». Ce qui a plu c'est peut-être cette aura étrange qui nimbe le personnage et en fait « un cas », en quelque sorte...
Je ne connais Le Clézio que par un petit ouvrage paru à la fin des années 80, Voyage à Rodrigues. Il y raconte à peu près la même histoire que dans son roman Le Chercheur d'Or, à savoir celle de son grand-père, juge à Port-Louis de l'Ile Maurice, ruiné, exproprié de sa maison de famille et parti, seul, dans l'espoir de « se refaire », vers Rodrigues, à la recherche du mythique trésor du pirate Olivier Levasseur dit « la Buse ».
Le Clézio raconte en réalité sa propre équipée vers ce petit bout de terre perdu dans l'Océan Indien, quelques soixante ans après son grand-père.
Qu'est-il allé y faire, il ne le sait lui-même : « Ai-je vraiment cherché quelque chose ? ».
Il faut bien dire qu'on s'en doute dès le début : pas plus que son aïeul qui s'y est éreinté durant une bonne vingtaine d'années, il ne trouvera le fameux butin.
Par moment surgit une sorte d'éclair : « Je vois ce que je suis venu chercher réellement à Rodrigues : les traces visibles de cet homme, restées apparentes par le miracle de la solitude... ». Mais le lecteur reste sur sa faim car en définitive il ne s'agit que de « coups sur les parois, vers le fond du ravin, qui ont ouvert des blessures dans le schiste, détachant les blocs de lave ».
Peut-être alors l'illusion étrange, à travers cette aventure vaine, « de ne faire qu'un » avec son grand-père, « comme deux hommes qui auraient la même ombre ». Mais, de son propre aveu, il s'agit d'un rêve et, « Comme tous les rêves, il s'achève sur rien... »
Au bout du compte, on est donc un tantinet frustré par ce récit erratique, écrit dans un style limpide mais un peu répétitif. La personnalité sûrement originale du grand-père ne ressort pas vraiment : il est comme une silhouette ahanant silencieusement sur fond de cailloux et de basalte. Quant au paysage, il inspire manifestement des sentiments contradictoires. Tantôt il est « d'une pureté extraordinaire, minéral, métallique, avec les arbres rares d'un vert profond, debout au-dessus de leurs flaques d'ombre, et les arbustes aux feuilles piquantes, palmiers nains, aloés, cactus, d'un vert plus aigu, pleins de force et de lumière », tantôt c'est un « paysage de pierre noire, où blesse la lumière et brûle le vent. Paysage d'éternel refus... », une « Terre brûlée, noire, dure qui refuse l'homme. Terre indifférente à la vie, rocs, montagnes, sable, poussières de lave ».

Le Clézio est un personnage atypique. Sûrement s'agit-il d'un authentique écrivain, mais la substance de son oeuvre paraît quelque peu évanescente, nébuleuse. Et son style est si fluide et lointain, qu'on se demande si le nom même de cet auteur évoque quelque chose de précis à quelqu'un. Une sorte d'île mystérieuse, peu accessible, sans doute...

05 octobre 2008

Je sème à tout vent


La crise financière qui secoue le monde donne lieu à beaucoup d'interprétations. Il est curieux d'entendre colportées, rabâchées, ânonnées, beaucoup d'affirmations à l'emporte-pièce et d'excès en tous genres, ne reposant bien souvent sur aucun substratum rationnel.
Passons, sur quelques superlatifs auxquels nous sommes habitués à force de les entendre répétés à tout bout de champ : « c'est la plus grande crise depuis... ». Que ce soit la météo, l'économie, l'insécurité, le moral des ménages ou je ne sais quel paramètre, il est toujours au plus haut ou au plus bas depuis... la dernière fois !

« Le capitalisme ne sera plus jamais comme avant ». Évidemment, personne n'en sait rien mais la plus grande probabilité est que tôt ou tard, « le naturel revienne au galop ». Les temps à venir seront peut-être durs mais, pas plus qu'après 1929 la société ne changera fondamentalement, à moins d'une révolution violente, qui n'arrangerait rien...

« Les dogmes de l'idéologie libérale sont remis en cause ». Les personnes qui me font l'honneur de leur visite sur ce blog, savent que la conception du libéralisme que je défends est tout simplement l'amour « raisonné » de la liberté, hérité en droite ligne du précepte tocquevillien. Par conséquent, hormis cet attachement fondamental, il ne peut y avoir ni dogme, ni idéologie. A contrario, l'Histoire des Peuples montre et démontre que plus le gouvernement des hommes est régi par des dogmes ou des idéologies, moins il y a de liberté. CQFD.

« Le libéralisme a besoin d'être régulé ». Monsieur de La Palisse n'aurait pas dit mieux. Autant affirmer que pour faire des phrases, il faille des mots ! Encore faut-il qu'ils soient cohérents, en bon ordre, et qu'on soit corrigé si l'on commet des fautes. En l'occurrence, le rôle de l'Etat est ici évident, par l'intermédiaire de ses bras législatif, exécutif et judiciaire. A condition que les règles qu'il édicte soient nécessaires, utiles, applicables... et appliquées !
Trop souvent les lois sont promulguées sans qu'on ait soupesé leur utilité réelle, sans qu'on se préoccupe de leur application sur le terrain, et sans qu'on évalue objectivement leur impact. Les limitations de vitesse sur les routes, n'ont montré vraiment leur pertinence, qu'à dater du moment où elles ont été respectées. Pour cela, il a fallu la mise en place de radars pour repérer et sanctionner les excès.. et l'analyse des statistiques pour prouver a posteriori que la loi était utile Cette démarche devrait être requise systématiquement.

« L'Amérique redécouvre les nationalisations ». Le plan Paulson qui devrait disperser 700 milliards de dollars, vise à reconstituer les « liquidités » évanouies, afin de rétablir la confiance et enrayer le jeu fatal de dominos inter-bancaire. Cette opération est ponctuelle, et hormis la mise provisoire sous tutelle des AIG, Freddie Mac et Fanny Mae, il n'a jamais été question de nationaliser les banques. Les chances de succès du nouveau plan sont assez aléatoires, mais ne rien faire serait sans doute pire. Ce plan a rencontré des réticences, car il y a beaucoup de gens aux USA pour vouloir limiter l'intervention étatique qui va endetter le pays tout entier, et surtout exiger des garanties quant au retour de la manne exceptionnelle.
Quant à nationaliser "par principe", rappelons qu'en France, la dernière expérience remonte à celle du Crédit Lyonnais en 1982 et qu'elle a conduit à « l'une des plus grosses faillites qu'ait connu le pays », quelques années ans plus tard
(130 milliards de francs évaporés)...

« On privatise les profits et on socialise les pertes ». Rien de plus faux. Affirmer cela c'est ignorer que l'Etat vit par nature au dépends des contributions des entreprises et des particuliers. Plus ceux-ci sont riches et plus celui-là engrange de recettes.
Pour autant l'impôt n'est pas un fin en soi, pas plus que l'enrichissement de l'Etat. Car si ce dernier peut faire oeuvre utile en rendant ou en prêtant un peu de ce qu'il a ponctionné, sa fonction redistributrice, chère aux socialistes est un leurre, car elle consiste, après avoir englouti une bonne part de l'oseille en frais de fonctionnement, à arroser en pure perte du sable ou à remplir le tonneau des Danaïdes. Le risque est toujours le même : celui de favoriser l'irresponsabilité par un interventionnisme, assimilé à une rassurante providence, et in fine, ruiner l'Etat...

Tout ça pour dire que ces leitmotiv qui plaident triomphalement pour le retour de l'Etat, confondent joyeusement les rôles dans lesquels ce dernier est susceptible d'intervenir. L'Etat régulateur est à l'évidence une nécessité, à condition d'éprouver l'efficacité des règles. Quant à l'Etat redistributeur, ou l'Etat nationalisateur, ça reste envers et contre tout, une hérésie contre le simple bon sens.

02 octobre 2008

When you got a good friend


Ce joli titre d'une chanson de Robert Johnson (1911-1938), donne à merveille à mon sens, la mesure de ce que représente dans le coeur de beaucoup d'amoureux du Blues, un musicien hors norme, d'une sensibilité exceptionnelle : Peter Green.

Natif de Londres, en 1946 pour être précis, il pinça ses premières cordes auprès de John Mayall, notamment au sein de son mythique groupe The Bluesbreakers. Sorti brillamment de cette excellente école, il fut le guitariste fondateur et compositeur de Fleetwood Mac à la fin des années soixante. On lui doit notamment les superbes Albatross et Black Magic Woman.
Mais, anti-star caractérisée, il ne supporta pas le succès fulgurant du groupe et sombra dans une sorte de terrible dépression arrosée de quantité de substances toxiques. Cette affreuse descente aux enfers le maintint hors des sunlights pendant de longues années. Alors qu'il errait dans un état second, Il fut en quelque sorte repêché par une bande de copains, musiciens chevronnés et amateurs invétérés de Blues. Bien décidés à le remettre en selle, ils formèrent autour de lui en 1996 le Splinter Group. Le résultat fut d'emblée éblouissant, donnant naissance à de merveilleux enregistrements, une ribambelle de nouvelles compositions, et une nouvelle vie sur la route des salles de concerts à travers le monde.


Peter Green est un remarquable représentant du blues anglais, courant très original, illustré par une pléiade de grands noms (qui outre Mayall, compte Mick Taylor, Eric Clapton, Alvin Lee, Jeff Beck et dans une certaine mesure Rory Gallagher, Gary Moore, Jimmy Page...) Comme beaucoup de ses compatriotes, il fut toutefois saisi par le charme ensorcelé des chansons de Robert Johnson.
Grâce à son jeu fluide, un peu décalé, superbement mélodique, et à la douceur nostalgique de sa voix écorchée, il parvient à donner une intonation sublime à cette musique au charme rustique mais à l'inspiration céleste.

L'histoire de cet artiste à nul autre pareil, est donc celle d'une chaude amitié. Celle avant tout qui le lie à travers l'éternité au grand pionnier du Delta, et lui fit consacrer un vibrant hommage en 1998 sous forme d'un CD avec le Splinter Group : The Robert Johnson Songbook, et un autre deux ans plus tard : Hot Foot Powder.
Bien sûr Peter Green revient de loin. Il est marqué, et sa voix est parfois un brin chevrotante. Mais ça fait vraiment chaud au coeur de voir sa bonne bouille ronde s'illuminer de joie lorsqu'il joue avec ses amis (dans un superbe DVD tiré de sa tournée 2003). En acoustique aussi bien qu'en électrique, on est littéralement sous le charme. Ses interventions à la guitare gardent un feeling incomparable et lorsqu'il chante on est envahi par l'émotion, malgré ou peut-être à cause du timbre usé de sa voix et de sa diction hésitante. De toute manière, Nigel Watson, qui lui prodigue manifestement une affection gigantesque, se révèle à ses côtés, un guitariste hors pair doublé d'un chanteur exceptionnel. Enfin Roger Cotton au piano et la section rythmique parfaitement réglée (Neil Murray, basse, Larry Tolfree batterie), complètent admirablement cet ensemble très homogène.

De vrais petits bijoux, à posséder si l'on est amateur de travail bien fait et d'émotion. Et qui donnent un deuxième sens à l'amitié : celui du lien mystérieux entre cet archange du blues et tous ceux qui éprouvent parfois la dureté de la vie et qui trouvent auprès de lui une intense et chaude consolation...

When you got a good friend, that will stay right by your side
When you got a good friend, that will stay right by your side

Give her all of your spare time, love and treat her right


I mistreated my baby, but I can’t see no reason why
I mistreated my baby, but I can’t see no reason why
Anytime I think about it, I just wring my hands and cry

Wonder, could I bear apologize, or would she sympathize with me
Mmm, or would she sympathize with me
She's a brownskin woman, just as sweet as a girlfriend can be

Mmm, baby I may be right or wrong
Tell me your feeling, I may be right or wrong
Watch your close friend, baby, then you enemies can't do you no harm

When you got a good friend that will stay right by your side
When you got a good friend that will stay right by your side
Give her all of your spare time, love and treat her right.....

25 septembre 2008

Faux démons et vraies évidences


Il n'y a pas de mérite à vivre dans un monde libre.
Dans ces conditions en effet, la Liberté paraît aussi naturelle que l'air qu'on respire. Rien ne permet d'en mesurer la valeur, le risque étant de la sous-estimer, ou bien de ne pas l'utiliser à bon escient, voire même de s'en départir plus ou moins consciemment, en échange d'une poignée de cacahuètes.
Pure folie lorsqu'on sait les sacrifices à consentir pour la retrouver.
Pour autant, la Liberté, si difficile à conquérir et si facile à perdre, ne signifie pas l'anarchie, c'est à dire une jungle sans foi ni loi, où tout est permis et où rien n'a véritablement de sens.
C'est précisément ce qui distingue le libéralisme de l'utopie libertaire.
Dans les temps de crise hélas, la confusion s'empare vite des esprits. Certains exploitent la situation et tentent plus ou moins sciemment de faire prendre des vessies pour des lanternes. D'autres, naïfs cèdent à la panique, abandonnent toute raison, et se fient imprudemment à ces faux docteurs.

Aujourd'hui on voit des ténors de la Gauche s'appuyer sur les circonstances pour ressortir de plus belle leurs insanités intellectuelles. Martine Aubry par exemple, qui annonce bravache, que « le libéralisme s'effondre autour de nous », et qui en tire des conséquences plus qu'expéditives : « On assiste à la fin d'un modèle, d'un système, alors il faut faire appel à tous les socialistes pour amener un nouveau modèle ».
On connaît hélas trop bien celui qu'elle voudrait fourguer, après en avoir retapé en toute hâte les gentilles dorures de « justice sociale » qui en fardent l'inanité. De toute manière, bien malin celui qui pourrait discerner une proposition audacieuse et novatrice dans le tumulte dérisoire qui entoure la guerre des chefs sévissant chez les socialistes. Cette semaine, le nouvel Obs titrait en grand : « le PS est-il nul ? ». On se demande comment on peut encore poser la question...

De son côté Nicolas Sarkozy, profite de la tribune de l'ONU pour faire de grands moulinets moralisateurs sur les fautes du capitalisme et sur l'impéritie des « patrons voyous ». Comme s'il découvrait tout à coup les évidences, le voilà qui réclame « plus de régulation » exigeant notamment des sanctions à l'encontre de « ceux qui mettent en danger l'argent des épargnants ». Au moment même où Bernard Tapie se voit indemnisé par l'Etat dirigé par le même Sarkozy, de près de 300 millions d'euros, on croît rêver... (en dépit de nombreuses dettes à soustraire, il devrait tout de même d'après ce qu'on en dit, s'enrichir de la coquette somme de 40 millions d'euros). On ne connaîtra sans doute jamais le fin mot de l'histoire, tant elle est emberlificotée, et tant les juridictions amenées à statuer à son sujet se révèlent opaques ou aléatoires (la dernière « procédure arbitrale » est un petit bijou en la matière). Chacun jugera donc si l'homme d'affaires emblématique du socialisme mitterrandien, est un chef d'entreprise avisé, moral et constructif ou bien un brillant funambule de la finance...

En réalité, ce n'est pas parce que le monde « libre » est en crise qu'il faut remettre en cause le fondement même de son existence. Pour les libéraux sensés, il n'a jamais été question de supprimer ni les règles, ni l'Etat qui régissent toute société humaine. Il n'y a donc aucune raison aujourd'hui de se mettre « par principe », à sécréter plus de lois et plus de gouvernement...
Plus que jamais en revanche il apparaît nécessaire de veiller à ce que ces derniers protègent contre les pestes qui menacent en permanence le beau mais fragile jardin de la liberté : bureaucratie, centralisme, monopole, corruption, spéculation, irresponsabilité....
Il faut donc, comme le recommandait déjà Montaigne, des règles simples et les moins nombreuses possibles, et un Etat modeste mais efficace, garant de leur mise en oeuvre.

Or depuis des années, les gouvernements en France, qu'ils soient de gauche ou de droite n'ont cessé de prôner le renforcement de l'Etat et de compliquer l'arsenal législatif, au point d'imposer des dispositions de plus en plus inapplicables voire contradictoires entre elles. Et tous ont applaudi ou encouragé les folles fusions d'entreprises et d'organismes bancaires. Il y a quelques jours encore, on voyait EDF investir plus de 15 milliards d'euros pour « s'offrir British Energy », avec la bénédiction des gouvernements britannique et français...
Résultat, nous n'échappons pas à la crise des banques et des entreprises, mais avons en prime celle, chronique, de l'Etat !

Dans son discours à la Nation Américaine, George W. Bush de son côté s'est exprimé sans détour mais finalement avec plus de conviction et d'esprit pratique que bien des discoureurs de la méthode. Il n'a pas caché la gravité de la situation, tout en restant optimiste sur l'avenir.
Il a réaffirmé qu'il était «
un fervent partisan de la libre entreprise », et que son « instinct naturel » était de « s'opposer à une intervention du gouvernement ».
En plaidant pour cette dernière, il a insisté sur son caractère exceptionnel et sur le fait qu'elle ne visait pas à secourir des intérêts privés en péril, mais à « préserver l'économie américaine en général ». Afin qu'il n'y ait aucune ambiguïté, il a d'ailleurs enfoncé le clou : « Je crois qu'on devrait laisser les entreprises qui prennent de mauvaises décisions s'éteindre »

Quant à la fameuse régulation, il a rappelé qu'elle existait mais qu'elle devrait être adaptée aux défis du 21è siècle, et s'attaquer tout particulièrement aux méfaits du gigantisme : « récemment, nous avons vu qu'une seule compagnie pouvait devenir si grosse que ses difficultés mettaient en péril la totalité du système financier ». CQFD...

19 septembre 2008

Liberté, j'écris ton nom


Accoudé au balcon surplombant les flancs de la défunte forteresse de Taillebourg (Charente Maritime), je songe à la vanité du monde.
Dans la douce tiédeur baignant la fin d'un été sans chaleur ni parfum, je vois de cet auguste tumulus, les toits des maisons alanguies s'épauler les uns les autres en descendant en douces inclinaisons vers le fleuve.
Comme ces cascades de tuiles, comme ce château évanoui, tout semble s'écrouler dans ce monde épuisé par tant de vaines exigences et de productions futiles. C'est la crise, c'est peut-être la récession ! Mais pourquoi au fond s'en faire ?

« Car personne ici-bas ne termine et n'achève ;
Les pires des humains sont comme les meilleurs ;
Nous nous réveillons tous au même endroit du rêve.
Tout commence en ce monde et tout finit ailleurs* »

Les experts s'affrontent à coup de sombres prévisions. Le gouvernement ne sait plus où donner de la tête et brûle soudain tout ce qu'il prétendait adorer hier. De leur côté, les dévots de L'Etat Providence, requinqués par l'odeur de ce désastre fuligineux qui n'en finit pas de disperser ses scories, croient y voir la confirmation en forme d'apothéose, de leur lubie anti-libérale. Pardi l'Etat fédéral américain est contraint de renflouer Freddie Mac et Fanny Mae, si ce n'est pas une humiliation !

Je n'insisterai pas sur le caractère monstrueux de ces deux géants du Mortgage, sur leur situation quasi monopolistique, et leurs rapports plutôt ambigus avec l'Etat lui-même. Je préfère observer que le gouvernement n'est en mesure de secourir le « Marché » que si ce dernier ne lui est pas trop assujetti, s'il n'en a pas déjà circonscrit les règles à son seul profit, et surtout s'il n'est pas lui-même ruiné...
Il suffit d'évoquer les entreprises nationalisées qui ne vont pas bien. Hélas, ça arrive aussi et pas qu’un peu notamment, en France (le Crédit Lyonnais par exemple, la Sécu… voire l’Etat tout entier en quasi faillite permanente…). Eh bien c’est l’Etat qui est contraint d'accourir à sa propre rescousse, à la manière du serpent qui se mord la queue (ou du fameux Baron Münchausen qui se tire par les cheveux…). Pas trop difficile pour lui en réalité, il n’a qu’à pomper un peu plus les ressources des entreprises et des contribuables, tant qu'il y en a ! Tout est donc dans tout et réciproquement...

Plus que jamais, je reste donc amoureux de la Liberté et pense que le monde ne souffre pas d'un excès mais d'un manque de libéralisme bien compris, c'est à dire averti des dangers de l'excès de centralisation et de monopole, et convaincu que l’Etat doit être réduit à sa plus simple expression. C’est la sagesse. Ce n’est pas grandiose mais au moins les dégâts sont limités et ça stimule la responsabilité citoyenne…
Car c'est un fait, le libéralisme est fait pour des gens responsables. C’est évidemment sa faiblesse. Quand il est livré à des joueurs qui investissent en bourse comme ils jouent au casino, qui ne veulent plus rien payer à sa juste valeur, pas étonnant qu’il y ait de la casse. Heureusement il est solide, et je ne doute pas qu’il s’en sorte mieux que tout autre système en crise. Mais revenons aux sources, de grâce. Jefferson, Jefferson…

* Tristesse d'Olympio. Victor Hugo

17 septembre 2008

A sad gig in the sky

Avec cette variation sur le titre d'une des somptueuses compositions de Richard Wright (1943-2008), pianiste et organiste émérite du groupe Pink Floyd, s'évanouit en souvenirs émus un peu de cette musique qui traversa en l'illuminant, la fin du XXè siècle. En d'autres termes, avec la disparition de cet artiste discret, charmant et talentueux, c'est encore un pan des sixties qui s'écroule. Avec le temps tout s'en va... Bien qu'il ait souvent joué ces dernières années avec son cher ami David Gilmour, et même une fois ou deux avec tous ses camarades de la grande époque, les derniers grands concerts et le dernier album du groupe datent de 1994. Dans cette fameuse ambiance d'extase flottante, bleue, rouge et multicolore, traversée de lasers tranchants comme des rayons émanant de diamants utopiques, l'esprit s'égare et s'imagine en bateau ivre, échappé du temps, mais sillonnant sereinement une mer de raison. Et après les réminiscences de Rimbaud, on songe en définitive aux mots de Baudelaire : « là tout n'est qu'ordre et beauté, luxe calme et volupté »...

16 septembre 2008

Jeff et Benoît sont en bateau...


Qu'on me pardonne l'insoutenable légèreté de ce titre. Jeff ici c'est Koons, l'artiste au homard pendu à Versailles, et Benoît n'est évidemment personne d'autre que le seizième du nom dans la papauté catholique !
Pourquoi les mettre ainsi face à face dans une improbable embarcation ?

Sans doute un peu parce que leurs noms à tous deux font couler pas mal de salive et d'encre ces derniers temps. « Tout le monde en parle » comme disait l'autre...
Surtout parce qu'ils incarnent à l'instant présent deux des plus indicibles passions qui animent l'être humain : L'Art et Dieu. Et parce que ces deux passions semblent parfois en passe de s'abîmer dans le néant.

En effet, malgré la fameuse assertion de Malraux sur le caractère "spirituel" du XXIè siècle, c'est pour l'heure ce qui paraît lui manquer le plus. Dieu et l'au-delà ne suscitent que fanatisme ou indifférence, et quant à l'art, il erre entre banalisation et délires commerciaux. D'une manière générale, une bonne part de ce qui faisait "l'esprit", se trouve réduit à l'état de vestiges.
Pas si grave diront certains.
Il est vrai que Malherbe constatait autrefois qu'un poète « n'était pas plus utile à l'Etat qu'un bon joueur de quilles ». Et Marx évoquait à propos de la religion, « l'opium du peuple »...
Pourtant l'analyse du passé, même récent, enseigne qu'en règle, les sociétés sans Dieu furent les pires de toutes. Et c'est le plus évident bon sens qui veut qu'on mesure le degré de civilisation à l'aune de la production artistique. Les deux allant souvent de pair, faut-il le préciser.

Il n'est pas étonnant que l'Art, dont la vertu première est de parler à l'âme, subisse de plein fouet les effets néfastes du matérialisme qui ronge notre monde. Privé de but, dénué de substance intrinsèque et "d'élévation" comme dirait Baudelaire, il est livré aux marchands et aux "exhibitionnistes".
Ce dernier terme convient particulièrement bien aux productions de Jeff Koons, comme il pourrait aussi bien qualifier Damien Hirst, autre figure emblématique de la culture instantanée. L'un reproduit en grand, grâce à des procédés industriels, des objets d'essence totalement insipide. L'autre amuse la galerie des gogos fortunés en découpant en tranches, de malheureuses vaches formolées, qu'il présente dans de grands écrins vitrés, ou bien colle avec un ineffable mauvais goût des multitudes de diamants sur un crâne humain.
Le spectacle des matières clinquantes mais vaines de Jeff Koons au sein des dorures compassées de Versailles inspire à peu près les mêmes émotions que les rayons savamment présentés d'un grand magasin parisien au moment de Noël, ou les images sur papier glacé d'un magazine de mode... Celles de Hirst relèvent de la curiosité morbide. Pacotille et vanité.


Et tout à coup, face à ce tumulte dérisoire, face aux croyances archaïques et aux a priori sectaires qui se multiplient, cherchant à tourner tout ce qui est inspiré en ridicule, tout ce qui est beau en grotesque, le pape se pose de manière inattendue, en interprète olympien du mystère universel.
Comme libéré de tous les excès et paroxysmes qui émaillèrent depuis la nuit des temps, la relation complexe de l'homme avec l'au delà, il semble avoir pleinement fait siens les conseils du vénérable Kant : "La religion, sans la conscience morale n'est qu'un culte superstitieux. On croit servir Dieu lorsque, par exemple, on le loue ou célèbre sa puissance, sa sagesse, sans penser à la manière d'obéir aux lois divines, sans même connaître et étudier cette sagesse et cette puissance. Pour certaines gens, les cantiques sont un opium pour la conscience et un oreiller sur lequel on peut tranquillement dormir."

Benoît XVI parle de « Dieu le grand inconnu » avec des mots pris au dictionnaire de la raison et tente avec bonhomie et humilité, pour redonner un peu d'âme au monde, de réconcilier religion et culture : « ce qui a fondé la culture de l'Europe, la recherche de Dieu et la disponibilité à L'écouter, demeure aujourd'hui encore le fondement de toute culture véritable ».
Même en étant agnostique, comment ne pas prêter une oreille attentive à ce discours, qui associe sans crainte l'idée de Dieu à l'humanisme, à l'art, à la musique, à la culture ?

Une fois n'est pas coutume, en tombant par hasard sur des réflexions émanant de Philippe Sollers à propos du pape, datant de mai 2007, je suis touché. Rappelant le rôle éminent de Jean-Paul II dans l'histoire de la fin du XXè siècle, et décrivant la succession des Benoît qui précédèrent le pontife actuel, leurs liens spirituels avec Dante ou Voltaire, il évoque la « continuité invisible entre les papes », « autrement décisive que cette fixation des médias sur les questions sexuelles » qui confine à l'obsession et à la caricature (oserais-je dire la mauvaise foi ?).
Plus encore, il parle de l'inclination de Benoît XVI pour la musique et trouve une jolie formule. Plutôt que de me rabattre à propos du bateau, sur l'Arche de Noé ou quelque chose du genre, je trouve plaisant de terminer ce billet en lui laissant la parole : « Un pape qui joue une sonate de Mozart, voilà qui atteste, de mon point de vue, que Dieu existe... »

12 septembre 2008

Raisonnement par l'absurde


Le 10 septembre, les agences de presse Interfax et Itar-Tass, se faisaient l'écho des propos quelque peu menaçants du chef des forces stratégiques russes : « Les sites qui accueilleront des éléments du bouclier antimissile américain en Pologne, République tchèque ou ailleurs pourront devenir la cible de missiles intercontinentaux russes ».
On se pince. Ne croirait-on pas ce genre de sombre logique, prise au robinet de la plus pure dialectique soviétique ?
N'est-ce pas précisément parce qu'ils craignent d'être la cible de missiles, que ces pays, douloureusement échaudés par le passé, et constatant ce qui se passe en Georgie, ressentent le besoin d'être protégés par un bouclier ?

Avec le même imparable raisonnement, il faudrait évidemment voir dans les trois navires américains dépêchés en Mer Noire, au secours des populations civiles bombardées par la Russie, des forces agressives, destinées à "réarmer la Georgie"... Et en revanche dans les bombardiers Tupolev-160 arrivés récemment au Vénézuela en renfort de la flotte de guerre croisant depuis quelques temps dans les Caraïbes, de paisibles engins effectuant des "missions d'entrainement de routine"...
Dommage que ce balourd de Chavez n'ait pu s'empêcher de vendre la mèche : "C'est un avertissement a-t-il lancé avec arrogance. Nous sommes des alliés stratégiques. c'est un message à l'empire américain" ! (Figaro 11/09/08).

S'agissant enfin du récent accord de paix signé par l'Europe et la Russie au sujet de la Georgie, des signes patents témoignent déjà du manquement à la parole donnée par Moscou.
Contrairement à l'engagement de revenir à l'état des forces d'avant le conflit, la Russie va maintenir au moins 3.800 soldats dans chacun des deux territoires, comme l'a annoncé le ministre russe de la Défense, Anatoli Serdioukov (on en comptait respectivement 1000 en Ossétie et 3000 en Abkhazie, avant les hostilités de cet été).
D'autre part, contrairement à ce que Nicolas Sarkozy affirmait, le ministre russe des affaires étrangères Serguei Lavrov a déclaré que les observateurs de l'Union Européenne ne seraient pas autorisés à entrer en Abkhazie et en Ossétie. Ils devront rester à l'extérieur de ces territoires pour exercer leur mission...

11 septembre 2008

Les imbéciles volent bas


Il y a de quoi être parfois effrayé, pour ne pas dire atterré, par la déroute dramatique du sens critique dans notre pays.
Et dire que les Français étaient réputés pour avoir de l'esprit... On a beau se dire que ce n'est pas forcément beaucoup mieux ailleurs, il est difficile d'y trouver une consolation, étant donnée notre ambition de servir de modèle.
Non seulement la correction politique a quasi vitrifié l'expression, mais force est de constater les ravages d'une sorte de consensus atone, sans inspiration autre que la naïveté, l'ignorance ou tout simplement la bêtise.

Le dérapage récent de jean-Marie Bigard en est une nouvelle illustration. Rappelons brièvement que l'humoriste a prétendu sur l'antenne d'Europe 1 au cours d'une émission animée par Laurent Ruquier, que les attentats du 11 septembre 2001 résultaient d'une conspiration de l'Etat américain, affirmant notamment, à l'instar de Thierry Meyssan et d'autres défenseurs de la théorie du complot, qu'aucun avion ne s'était écrasé ni sur le Pentagone, ni en Pennsylvanie, mais « qu'ils volaient encore » !
Pour lui, sans rire, « ni Ben Laden ni aucun Al Quaeda n'ont été responsables des attentats », et c'est un missile de l'US Army qui a percuté le Pentagone tuant sciemment des Américains. Quant à l'effondrement des tours du WTC, même si le monde entier a pu voir les avions s'y écraser dans d'effroyables explosions, il ne s'agit rien moins que d'une « démolition contrôlée », « confirmée par tous les spécialistes de la Terre »...
Marion Cotillard est donc largement distancée par ce nouveau Clérambard à la noix dont la Presse de gauche a beau jeu de rappeler qu'il est «le copain de Sarkozy ».

Bien qu'il me soit arrivé de rire aux sketches dudit Bigard, je n'ai jamais eu d'illusion sur la finesse intellectuelle de l'olibrius. Pourtant je pensais plus ou moins confusément qu'il prendrait le microcosme médiatique à rebours en révélant qu'il s'était livré à un canular – de mauvais goût, mais c'est son fonds de commerce – à seule fin de faire un peu mousser l'opinion.

Hélas, en la circonstance, le plus consternant s'il est possible, est la réaction dudit comique quelques jours après « l'incident ». Il « demande pardon à tout le monde» et se livre à une affligeante autocritique : "Je ne parlerai plus jamais des événements du 11 septembre. Je n'émettrai plus jamais de doutes. J'ai été traité de révisionniste, ce que je ne suis évidemment pas".
De deux choses l'une. Ou bien il est convaincu du bien fondé de la thèse qu'il a soutenue sans ambiguïté devant « la bande à Ruquier », et il n'y a aucune raison de ne pas la maintenir, vue la gravité des faits. On est en démocratie, de quoi a-t-il peur ? Ou bien il n'en pense pas un mot et avoue donc dire n'importe quoi, ce qui n'est pas moins grave étant donnée l'énormité des dires...

Pendant ce temps le Figaro (08/09) nous apprend le plus sérieusement du monde que selon une "enquête" menée par TNS-SOFRES et Logica, 80% les Français voteraient Obama, ne laissant que 8% pour McCain...(Figaro 8/09). Faut-il rire ou pleurer d'une telle constance dans l'unanimisme béat...

09 septembre 2008

Maïeutique


Internet est un vaste champ de débats. De la blogosphère aux forums, quantité de gens un peu partout communiquent, débattent, s'invectivent ou se congratulent. La Presse écrite qui sous sa forme papier ne réserve que la portion congrue aux réactions des lecteurs, ouvre sur le Web largement ses portes aux commentaires de toutes sortes. Au point qu'on finit par ne plus vraiment lire les articles... De leur côté, les sites de commerce en ligne publient les critiques louangeuses ou sévères des consommateurs à propos des articles en vente sur leur site. Souvent bien plus instructives que celles plus ou moins complaisantes ou de circonstance, des experts en la matière... Désormais il est même possible de réagir aux critiques par des commentaires...

C'est dans ce contexte que je me suis trouvé engagé récemment sur Amazon.fr, dans une confrontation au sujet de la société américaine et du libéralisme, à propos du film de Michael Moore : « Bowling for Columbine ».Avec l'accord de mon interlocuteur, je me permets ici de transcrire ce débat tonique mais courtois. Comme le veut la tradition, les échanges se font sous couvert de pseudonymes. Ce sera donc RD (pour Red Dog) contre LL (pour Libertylover). Je n'espère pas trop convaincre quiconque du bien fondé d'une des deux options défendues. Je les présente plus comme une illustration de la maïeutique chère à Socrate et Platon Ou l'art d'accoucher les idées par le dialogue... Advienne que pourra :

RD : Edifiant documentaire du trublion Michaël Moore qui n'apprendra toutefois rien de plus que ce que l'on savait déjà, à savoir le caractère foncièrement violent de la société américaine : inégalités sociales monstrueuses, ségrégation raciale, paranoïa sécuritaire (savamment entretenue par le gouvernement et les médias à sa solde), religion et nationalisme omniprésents, misères intellectuelles et culturelles (programmes TV abrutissants) que ne parvient pas à masquer l'opulence matérielle....Que 53% des Français aient donné les clés de la "maison France" à un admirateur avoué de ce "modèle" fait froid dans le dos, même si (enfin, je l'espère) la France ne sera jamais l'Amérique. Charlton Heston fût peut-être un grand acteur, mais c'était également un sacré réactionnaire. Bien sûr, comme à son habitude, Moore s'égare dans quelques raccourcis tombant comme un cheveu sur la soupe, comme quand il vante les mérites du système de santé Canadien (qui a le mérite d'exister mais qui doit nécessairement subir les pressions des politiques néolibérales en vogue là-bas comme ailleurs), mais globalement ce documentaire mérite tous les prix qu'il a obtenu. Et qu'on ne vienne pas me parler "d'anti-américanisme primaire", on ne cherche pas des noises aux détracteurs de la Russie ou de la Chine (systèmes politiques et économiques que je combat également) et puis s'il y avait plus de Michaël Moore aux USA, je les apprécierai certainement davantage.

LL : Si votre idée de la société américaine est fondée sur les témoignages caricaturaux et systématiquement à charge de ce gros plein de soupe prétentieux, menteur et démagogue qu'est Michael Moore, je comprends qu'elle ne soit pas très favorable. Regardez bien ce peuple et son histoire et vous comprendrez que malgré tous les défauts, il s'agit d'une merveilleuse aventure (la plus belle à mon sens depuis le siècle d'or de Périclès). Sans l'Amérique, le monde libre n'existerait pas, c'est pourtant évident...

RD : Déjà, pour moi "monde libre" ne signifie rien, tout comme "axe du mal". Tout ceci n'est destiné qu'à faire peur aux gens, pour mieux les contrôler. Au final, la "liberté" n'est que de façade....et proportionnelle au compte en banque....
Donc vous considérez un pays où 40 millions d'individus n'ont pas de couverture sociale, où n'importe qui peut s'armer, où de nombreuses personnes sont des "gros pleins de soupe" (pas une caractéristique de Moore seulement, hein), où la peine de mort existe encore (!!), où un président peut être tué sans qu'on connaisse la vérité 45 ans plus tard et où un candidat risque de l'être sous prétexte qu'il est noir (enfin, gris lol), où la religion et le nationalisme sont si exacerbés, comme un exemple pour l'humanité toute entière ? Mais au fait, pourquoi n'y vivez-vous pas, si c'est si bien ?

LL : Je vis en France, je sais à qui je dois ma liberté et ne l'oublierai jamais. Dans les cimetières américains de Normandie, des milliers de petits gars de 18 ans reposent, après s'être battus pour donner à notre pays (et à tant d'autres...) ce qu'il y a de plus cher au monde. Si ça ne signifie rien pour vous alors, il n'y a plus qu'à tirer l'échelle...

RD : Bizarre que les réfractaires à la "repentance permanente" (passé colonial de la France) soient les mêmes qui nous rabâchent sans cesse que la France devrait toujours être d'accord sur tout avec les Américains au prétexte qu'ils nous ont sauvé lors de la seconde guerre mondiale. Je vous signale que les Russes aussi ont participé à la victoire sur les Nazis. Par calculs sans doute, mais on pourrait dire la même chose des Américains, non ? Par ailleurs je vois que vous ne répondez pas sur le fond.

LL : Evidemment, avec votre conception très particulière de la liberté, pensez-vous également que les Soviétiques libérèrent toute la partie est de l'Europe... Dommage donc selon vous, qu'ils n'aient pas pu faire profiter pleinement la France du paradis socialiste !

RD : Si vous aviez bien lu, j'ai écrit "par calculs sans doute". Qu'en est-il des Américains ? Ne nous ont-ils pas libéré par intérêts ? Je vois que vous ne répondez jamais sur le fond, ce qui est typique des libéraux, quand on touche un point sensible, ils bottent en touche, sûrs de leurs positions, quoiqu'il advienne....

LL : Quel est donc le fond auquel vous faites allusion avec tant d'insistance ? Pour moi il est de savoir qui peut incarner le mieux la Liberté. C'est la valeur que je chéris le plus, car elle conditionne à mon sens toutes les autres. C'est lorsque on en est privé qu'on comprend vraiment le bonheur qu'elle donne. Peut-être ai-je tort, mais j'ai tout de même le droit d'avoir cette conviction. On peut la critiquer mais pas la démolir sans nuance.
Je vous reproche, si je puis me permettre, de tout confondre dans un micmac généralisé. Vous dites que "le monde libre ne signifie rien" pour vous. Libre à vous bien sûr, mais ça ne vous avance pas à grand chose.
Vous ramenez l'action américaine à des "calculs". Je veux bien, mais faudrait-il donc qu'ils soient de purs anges pour qu'on leur accorde quelque attention bienveillante ? Est-il si anormal qu'ils prennent aussi leur intérêt en compte avant d'agir ? Ce qui importe c'est qu'ils agissent aussi par altruisme, et plus encore le résultat de leur action. Que je sache, aucun Européen libéré par les Américains n'aurait changé son sort pour celui de ceux qui le « furent » par les Soviétiques. Aucun Coréen du Sud ne troquerait sa situation pour celle d'un habitant du Nord. Aujourd'hui, je suis prêt à faire le pari que très peu d'Irakiens souhaiteraient revenir au temps de Saddam et d'Afghans au temps des Talibans...
L'Amérique est un pays libre. Cette liberté a un prix. Elle suppose notamment d'être responsable de ses actes. Ça peut être douloureux c'est vrai, et parfois difficile même à supporter ou à comprendre. Quand vous dites rageusement que 40 millions d'Américains n'ont pas d'assurance maladie par exemple, avez-vous seulement songé que cette dernière n'est pas obligatoire comme en France ? Savez-vous que le système medicare prend tout de même en charge les soins des plus démunis, et ce depuis bien plus longtemps que la CMU chez nous ?
La problématique des armes à feu est du même ordre. L'Etat ne règlemente pas tout et restreint le moins possible la liberté, partant du fait que les individus en feront bon usage. Ça peut paraître choquant dès qu'un drame dû à la folie se produit. Mais les Américains restent dans leur ensemble attachés à ce principe qui leur vaut le régime le plus démocratique et le plus stable au monde (et encore loin d'être parfait je vous l'accorde...).
Cela dit, vous avez parfaitement le droit d'être opposé à cette conception des choses, et détester les Américains. Pour pouvez penser qu'une autre voie serait meilleure, mais vous aurez du mal à me convaincre qu'elle pourrait incarner mieux la liberté.

RD : Et ces 40 millions de personnes sans Sécu le seraient donc par choix ? Pourquoi dès lors s'élever en France contre l'instauration de la CMU (la droite "républicaine", votre parti) ? Oui, le plus stable évidemment, "tout est sous contrôle". Comment ? En s'inventant des ennemis (ou en les faisant plus gros et dangereux qu'ils ne sont), en installant la peur grâce aux médias aux ordres (faits divers et guerres en première ligne aux infos) et en menant une politique sécuritaire. Un peuple qui a peur, c'est un peuple qui obéit. Et puis je ne vois rien de très démocratique à choisir entre deux partis (financés par des lobbys) aux visions quasi-identiques sur presque tous les sujets (Républicains et Démocrates). Chez nous, il y a parfois trop de candidats mais là-bas, le choix est vite fait. Ah, et vous oubliez la peine de mort, qui là-bas existe encore. Encore une "valeur" que je vous laisse. A bon entendeur.

LL : Bien sûr qu'un bon nombre de ces gens font plus ou moins consciemment un choix. Quand on est jeune, en bonne santé, et qu'on ne roule pas sur l'or, on ne voit pas forcément comme urgente la nécessité de s'assurer. Il n'y a que les Français pour croire que la santé est gratuite et que la Sécu a réponse à tout. Pour le reste j'arrête car c'est trop. Continuez de croire que tous les ennemis qu'a combattus l'Amérique sont inventés si ça vous chante, que les Américains ont peur alors qu'ils sont quasi les seuls du monde occidental (avec les Anglais) à avoir encore le courage de s'engager pour défendre leur modèle de société. Et pour la démocratie, restez dans vos certitudes ou bien lisez Tocqueville, vous y trouverez bien des clés si vous voulez les voir. Enfin, je n'ai pas oublié la peine de mort qui fait partie des clichés inlassablement ressassés par les anti-américains. Mais à quoi bon tenter de vous expliquer que c'est plus complexe que ça en a l'air et peut-être moins hypocrite que la bonne conscience abolitionniste, bien intentionnée mais incapable de proposer une solution alternative ? De toutes manière vos certitudes sont inébranlables...

PS : je n'ai pas de parti figurez vous. Malgré l'invraisemblable profusion de candidats (qui permet parfois à un président d'être élu avec plus de 82% des voix), le libéralisme n'existe pas en France...

RD : Effectivement, il vaut mieux clore ici cette discussion inutile, vos certitudes étant également inébranlables (et oui, le libéralisme aussi est une idéologie, avec ses dogmes : privatisation de tout l'espace public notamment). Pour ma part la notion de "Monde Libre" a des relents de "guerre des civilisations" que je réprouve. L'alternative à la peine de mort a été donné par le modèle européen : l'abolition, tout simplement (heureusement, de ce côté-là, tout retour en arrière est compromis, ne vous en déplaise). Quand au soit-disant "choix" de certains américains de ne pas s'assurer, c'est tout bonnement risible, et ce choix est guidé par le système à deux vitesses américain : si tu es riche tu peux te soigner, t'instruire, te cultiver, si tu es pauvre, non (ou alors beaucoup moins bien). Qui peut connaitre à l'avance l'état de sa santé ? On tombe malade par choix ??? Si je suis votre raisonnement, vous ne devez pas assurer votre habitation et votre véhicule non plus alors, car c'est le même principe. A moins que ce soit la notion de "service public" qui vous gêne ? Cordialement

LL : Encore un mot car même si je suis persuadé de votre bonne foi, vous ne semblez pas comprendre ce que je veux dire. Naturellement je ne me réjouis pas du fait que des gens n'aient pas d'Assurance Maladie (ou habitation comme à Haumont lors de la tornade). Simplement je pense qu'il vaut mieux chercher à les convaincre d'en contracter une ou les aider à le faire, plutôt que les y obliger. Et je ne pense pas que l'Etat soit le meilleur garant d'efficacité en matière de gestion de ces assurances (la Sécu, qui pompe beaucoup de ressources, qui est chroniquement déficitaire, et qui est contrainte d'ouvrir de plus en plus le champ aux mutuelles privées, est un modèle discutable)
Je ne me réjouis pas davantage du maintien de la peine de mort. Mais ce n'est pas parce qu'on a décrété son abolition qu'on a résolu le problème, même en gravant le principe dans le marbre. Autant déclarer le chômage illégal comme Besancenot et abolir le mauvais temps comme dans Globalia de Rufin... Savez vous que des prisonniers en France réclament régulièrement le rétablissement de la peine capitale tant ils considèrent leur sort comme insupportable ? Souvenez vous également de l'affaire Gary Gilmore aux USA.
Enfin, dans la nature rien ne relève a priori d'un quelconque Service Public ou d'une réglementation étatique immanente. Tout est public c'est à dire en fait privé. Il ne s'agit donc pas de "tout privatiser", mais plutôt de ne pas nationaliser à outrance... Le libéralisme, ça consiste à établir le contrat social qui rognera le moins sur la liberté naturelle de chacun, mais permettra tout de même à tous de vivre en bonne intelligence. Le seul dogme en la matière, c'est que l'Etat soit le moins contraignant possible. Pour tout dire, plus les hommes se comporteront en individus responsables, moins ils auront besoin d'être gouvernés autoritairement, c'est le pari optimiste que font les libéraux. On est certes loin de la concrétisation du "self-government", mais c'est tout de même un bel idéal...
Bien à vous

RD : Oui, effectivement, si tous les êtres étaient parfaits, nous n'aurions même plus besoin de police (ce serait vraiment une bonne chose !) ! :) Un mot aussi toutefois puisque vous lancez une piste : la Sécu n'était plus en déficit sous le gouvernement Jospin. Quand aux causes de ce déficit, je vous aiguillerais davantage vers les exonérations de charges patronales non compensées par l'Etat plutôt que vers les fraudes, certes il y en a mais de là à dire que c'est généralisé ! Une autre chose me vient à l'esprit : il est souvent dit (à juste titre) du communisme qu'il voulait "faire le bonheur des gens malgré eux". Et bien je trouve que le libéralisme (les Américains) agit de la même façon : imposer la démocratie (ou leur vision de la démocratie) y compris par la force ; faire revoter aux référendums européens jusqu'à ce que la réponse obtenue soit celle voulue. Encore autre chose : les Américains souhaitent que les autres pays ouvrent leurs frontières aux produits étrangers (principe du libre-échange) mais se comportent eux en parfaits protectionnistes ("faites ce je dis, pas ce que je fais"). Bref, je note une multitude de contradictions chez ceux qui se réclament du libéralisme. Bon, je vous laisse le dernier mot cette fois, si vous en voulez.

LL : Je vous le laisse bien volontiers. Je constate que nous restons sur des positions diamétralement opposées. Mais nous sommes parvenus à nous parler cordialement, c'est bien là l'essentiel après tout...

04 septembre 2008

Des souris et des hommes, et de l'Irak...


Les grands écrivains savent avec peu de mots dépeindre dans toute leur plénitude et leur complexité les passions humaines, et leur propos s'élève parfois jusqu'aux cimes de la plus haute philosophie. John Steinbeck (1902-1968) fait partie de ces élus qui possèdent ce talent. Avec un langage rustique et des histoires sans détour, il donne une dimension tragique inégalée à ses romans.
Des souris et des hommes
est un récit simple. Trop simple peut-être pour les amateurs d'intrigues alambiquées ou de métaphysique en forme de jus de cervelle. Pourtant, l'histoire de George et de Lennie est de celles qui s'impriment en profondeur dans la conscience du lecteur et qui ne le quittent plus de sa vie.
L'itinéraire rustique, plein de sueur et de poussière de ces deux cul-terreux est exemplaire. Il est fait de presque rien en apparence, tout au plus une amitié dérisoire dans l'Amérique profonde des immensités agricoles au début de l'ère industrielle, entre un géant débile et un raté astucieux que tout oppose a priori et qu'un fil mystérieux relie pourtant à la vie à la mort.. Il n'est pas difficile de voir en filigrane à travers leur destinée, quelques unes des plus poignantes problématiques humaines.
Il y a tout d'abord l'espoir. Pas celui de grandes perspectives ou d'ascension sociale grandiose. Non tout juste celui de posséder un jour un petit lopin de terre, une petite maison bien à soi et quelques animaux domestiques...C'est cette espérance qu'on voit luire merveilleusement dans les yeux naïfs de Lennie quand il s'imagine donner à manger à ses lapins. Pauvre Lennie ! Si gentil et en même temps si gauche, si maladroit, si inconscient de sa force, qu'il casse tout ce que la vie lui donne. C'est toute la symbolique du désir qui s'exprime dans ses mésaventures. Combien de fois dans la vie, la réalisation même du désir se solde par une profonde déception...
Evidemment, là réside la cause du drame, qui s'avère aussi inéluctable que celui qui sous-tend une tragédie antique. Malgré toute la tendresse que George porte à son compagnon d'infortune, malgré tous les efforts qu'il fait pour le maintenir à peu près droit dans le chemin de la vie, le malheur viendra briser leur rêve trop inaccessible.
A travers cette histoire édifiante, on perçoit ce qu'est le sens du devoir et comment il surpasse même les sentiments d'amitié et de pitié. Car en dépit de ses échecs, George est un gars bien. Confronté au terribles bévues de Lennie, il ira jusqu'au bout de ses engagements et de ce qu'il considère comme étant son devoir. Sa détermination et son courage son impressionnants. Il n'agit pas tant par amitié que parce qu'il est convaincu qu'il s'agit de la seule alternative humainement possible. C'est la mission la plus difficile de sa vie, mais il ne peut la confier à personne d'autre. Il a bien vu comme le vieux Candy a regretté de n'avoir eu le cran de faire lui-même ce que les circonstances lui imposaient.
Au surplus, si justice doit être rendue, George veut qu'elle soit absolument dénuée de tout sentiment de vengeance, de toute passion, de toute méchanceté. Et lui seul peut en être garant. Ce drame est aussi celui de la solitude. Solitude terrible du héros de western...
J'ai trouvé pour ma part dans ce récit, un formidable gisement de réflexions, applicables à quantité de situations. Au fil de l'eau, j'ai pensé à des sujets très actuels, sur lesquels le raisonnement est parfois lacunaire ou caricatural : vieillesse, solidarité, discrimination, self-government, euthanasie, peine de mort...


C'est tout le mérite de Gary Sinise d'avoir réussi en 1992, à transcrire de manière crédible à l'écran cette oeuvre si dense. Le ton est remarquablement juste, sans fioriture, mais d'une belle authenticité. John Malkovich est d'une vérité saisissante dans le rôle de Lennie. Sinise un peu lisse, est tout de même très convaincant dans celui de George. Les personnages secondaires, en particulier celui de Candy sont épatants. Et l'ensemble est filmé sobrement, mais magnifiquement.
Gary Sinise est un personnage plutôt discret. Des souris et des hommes est sa seule réalisation significative. Il s'est illustré comme acteur dans nombre de films et dans la fameuse série « les Experts ». Dans les coulisses de sa carrière d'acteur, il s'implique avec modestie et humilité dans des actions caritatives. Lui qui paraît-il était opposé à l'intervention américaine en Irak, s'est investi avec Laura Hillenbrand, pour créer une association destinée à porter secours aux enfants irakiens et aux soldats qui les assistent sur le terrain (Operation Iraqi Children). Cette action a été saluée et soutenue par le président Bush, auquel l'acteur a finalement rendu hommage après avoir été reçu à la Maison Blanche : "The president was very, very grateful to everyone here. It boosts the morale for everyone here. Some have lost sons and husbands, and just knowing that he's aware of the program and wants to do everything he can to support the program and get the word out -- that's the important thing."

31 août 2008

Non, non, rien à Changé


C'est d'une voix enrouée, mal assurée, énervée, que Nicolas Sarkozy a tenté de justifier le financement du futur Revenu de Solidarité Active. A l'évidence, sa prestation du 28 août, révélait un manque inhabituel de conviction et d'enthousiasme.
Il faut dire que ce n'est pas facile d'avoir à se déjuger en affirmant exactement le contraire de ce qu'on clamait haut et fort peu de temps auparavant.
Comme par une ironie du sort il choisit la petite ville de Changé en Mayenne, pour faire ces navrantes révélations. Est-ce à dire qu'il voulait signifier un revirement fataliste de stratégie, ou bien est-ce au contraire à l'enterrement du « Changement » qu'il conviait la France ? Dans les deux cas l'évènement incite à la tristesse et au découragement.
Sur la réforme elle-même, pas trop de difficulté à craindre pour le président, tant il joue sur le velours moelleux du consensus. Le principe même de ce RSA est en effet à peu près unanimement approuvé : « Une mesure formidable » a même déclaré l'orfèvre en langue de bois droitière qu'est Jean-François Copé (France Info 29/08). Le même Copé se réjouit sans rire, du fait que désormais les bénéficiaires du RMI « ne perdront pas d'argent lorsqu'ils retrouveront un travail payé à hauteur du SMIC horaire » !
A croire l'ancien ministre du Budget, pour pallier les effets néfastes d'un système bancal et incroyablement pervers qui impose une norme salariale inférieure aux largesses accordées aux personnes sans travail, on ne fait donc rien d'autre que lui coller une rustine légale supplémentaire compliquant encore un peu les choses et grevant le budget de l'Etat. Magnifique logique que n'aurait pas désavouée le Savant Cosinus.
Rien ne permet d'affirmer à ce jour que cette nouvelle allocation sociale soit plus efficace que les innombrables dispositifs ingénieux et bien intentionnés issus de l'imagination fertile des bureaucrates de l'Etat-Providence. Un fait est sûr : elle coûtera cher, et comme d'habitude, probablement plus que prévu.
Car le plus grave dans cette affaire est en effet le revers de la médaille. Même si la mesure se nourrit de bons sentiments et – soyons optimiste – procure quelque amélioration à ses destinataires potentiels, quel en sera le bénéfice global si pour la financer on crée un inconvénient au moins égal en valeur absolue ? Peut-on commettre une bonne action avec le fruit d'une mauvaise, fût-ce en lui donnant le joli nom de "solidarité active" ?
Une fois encore, les leçons de
Frédéric Bastiat sur « ce qu'on voit et ce qu'on ne voit pas » devraient s'imposer à nos dirigeants. On se souvient de la fameuse parabole du carreau cassé qui décrit si bien cette problématique universelle. Je préfère toutefois citer ici les propos sombres mais prémonitoires que le grand économiste libéral tenait à son ami Courdroy le 2 février 1848, trois semaines avant la révolution qui vit la monarchie de Juillet partir en capilotade : « Depuis dix ans, de fausses doctrines, fort en vogue, nourrissent les classes laborieuses d’absurdes illusions. Elles sont maintenant convaincues que l’Etat est obligé de donner du pain, du travail, de l’instruction à tout le monde. Le gouvernement provisoire en a fait la promesse solennelle ; il sera donc contraint de renforcer tous les impôts pour essayer de tenir cette promesse, et, malgré cela, il ne la tiendra pas. Je n’ai pas besoin de te dire l’avenir que cela nous prépare…».
Hélas force est de constater que Nicolas Sarkozy, peut-être affolé par les mauvais chiffres actuels, peut-être sous la pression d'un entourage très cul-béni mais peu inspiré, est en train de tourner complètement casaque. Après l'invraisemblable taxation des chaines de télévision privées pour financer leurs homologues du « Service Public », après le racket sur les Assurances Mutuelles de Santé pour tenter de combler le déficit abyssal de la Sécurité Sociale, voici la petite épargne asséchée pour abonder « la rosée fécondante de l'impôt de solidarité ».
L'embellie n'aura donc guère duré plus d'un an. Encore faut-il insister sur le fait que le torrent de réformes audacieuses se résume surtout à des mots et à un immense chantier à peine entrepris. En la circonstance, Sarkozy se vante d'avoir redonné de l'argent « en haut » en créant le bouclier fiscal et en allégeant l'ISF. Mais dans le premier cas il n'a fait qu'imposer à l'Etat une barrière ubuesque contre ses propres attaques et dans le second, qu'édulcorer un impôt que tous les gens sensés savent stupide et que tous les pays voisins, même socialistes, ont aboli. Il n'y a vraiment pas de quoi se féliciter et sûrement aucune légitimité à en tirer pour ressortir de plus belle la massue fiscale sur le plus grand nombre.
Au moment où la France s'enfonce dans le marasme économique, Sarkozy qui se targuait pour l'en sauver, de franchir le Rubicon des idées reçues, s'arrête avant même le milieu du gué, ne sachant plus vers quelle rive aller. Calamiteuse hésitation surtout s'il s'inspire du funeste Guizot qui face au libéralisme se comporta comme l'âne de Buridan, s'il écoute une épouse richissime qui a le coeur sur la main mais ignore totalement le monde réel à la manière de Marie-Antoinette, ou bien des conseillers experts en oeuvres de bienfaisance et pétris de bonnes intentions, mais persuadés qu'il n'est de richesses que d'Etat ! Le pire est que les sondages, de nouveau en ascension, l'encouragent à abandonner la proie pour l'ombre...
PS : Pendant ce temps les Etats-Unis, dont tous les experts réunis annonçaient une fois encore le déclin et la récession économique, enregistrent un rebond imprévu de croissance . Dixit Le Monde du Jeudi 28 août : "Le département américain du commerce a révisé en forte hausse la croissance de l'économie des Etats-Unis au deuxième trimestre. Le produit intérieur brut (PIB) de la première économie mondiale a finalement progressé de 3,3 %, en rythme annuel, d'avril à juin, bien au-dessus de l'estimation initiale de 1,9 %". Il faut préciser que dans ce pays, le président qu'il est de bon ton de qualifier "de plus mauvais et de plus impopulaire de tous les temps", n'a pour sa part, jamais fléchi dans sa détermination et ses convictions...

28 août 2008

Comediante ! tragediante !


Je ne sais plus quel commentateur a récemment ironisé sur le président de la république, en évoquant notamment le contraste entre ses discours toniques et ses actions plutôt timorées, et en le comparant à un « Chirac avec des piles neuves ». Je commence pour ma part à craindre que cela soit vrai.
Au fil des mois la fameuse rupture avec le passé semble s'estomper pour laisser place à un théâtralisme dont le classicisme est hélas trop connu. Les vieux démons qu'on pouvait croire en passe d'être enterrés reviennent de plus belle.
Qu'on en juge sur trois exemples tirés de l'actualité :
On se souvient que Nicolas Sarkozy, durant la campagne présidentielle avait clamé sa "détestation de la repentance", que son prédécesseur avait fini par ériger en véritable culte. Et bien voilà qu'il se croit obligé à son tour, de se répandre en larmes tardives et inefficaces, à l'occasion d'une visite lundi dernier à Maillé, village martyr de la dernière guerre mondiale, où périrent en un jour sous les balles nazies, 124 des quelques 500 habitants. Certes il est difficile de reprocher la commémoration d'un drame du passé, mais on peut s'interroger sur la nécessité de se culpabiliser à nouveau, plus de soixante ans après : « En ignorant si longtemps le drame de Maillé, en restant indifférente à la douleur des survivants, en laissant s'effacer de sa mémoire le souvenir des victimes, la France a commis une faute morale".
En politique étrangère, dans un contexte de plus en plus tendu, ce n'est guère mieux. Après avoir tenté au nom de l'Europe, de négocier un accord entre les belligérants, le voici qui se livre à une dangereuse et probablement inconséquente escalade verbale au sujet de l'attitude des Russes en Georgie. Devant les ambassadeurs réunis expressément pour la circonstance à l'Elysée, il s'insurge : « C'est tout simplement inacceptable ». Il se fait même comminatoire : «Les forces militaires (russes) qui ne se sont pas encore retirées sur les lignes antérieures au déclenchement des hostilités doivent faire mouvement sans délai». Mais que pourra-t-il donc proposer si ces dernières n'obtempèrent pas, ce qui pour l'heure semble être le cas ? Espère-t-il vraiment impressionner les dirigeants moscovites au moment même où les maigres forces françaises essuient un tragique revers en Afghanistan?
En matière économique enfin, c'est le pompon. Sauf retournement de dernière minute, il s'apprête en effet à annoncer la mise en oeuvre prochaine de l'emblématique « Revenu de Solidarité Active », en le finançant au moyen d'une nouvelle taxe sur les revenus de l'épargne , jusques et y compris ceux de l'Assurance Vie ! Cette dernière, sur laquelle beaucoup comptent pour améliorer leur retraite, et qui est déjà grevée à hauteur de 11% par les multiples "prélèvements sociaux", rapportera donc probablement moins qu'un livret A et peut-être même moins que le coût de l'inflation ! Comme le fait remarquer narquoisement l'ancien ministre délégué au budget, Alain Lambert : "Augmenter les impôts sur le capital alors qu'on a baissé il y a un an les droits de succession, j'ai besoin de quelques minutes pour comprendre..." A voir la mine réjouie des Hollande, Ayrault et compagnie qui se félicitent par avance, on mesure avec dépit l'absurdité de la situation.
Décidément, il y a du mouron à se faire, face à ces gesticulations pour le moins désordonnées. Un an après l'arrivée au pouvoir de Sarkozy, le magazine The Economist trouvait ce mandat globalement décevant et qualifiait le président de "showman who talks the talk but seldom walks the walk". Aurait-il raison ?

17 août 2008

Ombres chinoises, poupées russes

A Pékin, les jeux sont quasi faits. Le ballet des protestataires s'est dispersé, pas un athlète ne manque à l'appel et après une cérémonie d'ouverture époustouflante, la quête de médailles occupe désormais entièrement les esprits.
Elles paraissent bien lointaines les vitupérations des anciens maoïstes, comparant les Jeux Olympiques de 2008 à ceux de 1936 en Allemagne.
J'entends encore Daniel Cohn Bendit sur France Inter, la veille de la cérémonie d'ouverture, s'étrangler de rage à propos de ce qu'il considérait comme un scandale inacceptable.
Même s'il refuse à titre personnel, l'étiquette d'ancien « mao », il ne paraissait pas trop gêné de défiler avec eux en 68, le poing tendu, sous le portrait du Grand Timonier... A l'instar de nombre de benêts qui se targuent d'être des consciences éclairées, mais qui encensaient de sinistres dictateurs à une époque où il n'était pas permis d'ignorer leurs méfaits, ils trouvent aujourd'hui que la Chine ne se débarrasse pas assez vite de leurs méthodes infâmes... Autre temps, autres moeurs !
Ces gens, qui n'ont pas tiré grand enseignement de leurs erreurs passées, continuent donc de pérorer leurs leçons, à cheval sur les grands principes.
Reprenant la bonne vieille rhétorique de la reductio ad hitlerum, ils comparent le communisme de 2008, en pleine déconfiture
au national-socialisme de 1936, en pleine ascension. A Berlin, c'était Hitler qui paradait. Aujourd'hui, à Pékin, les dirigeants chinois font plutôt profil bas. Ils n'ont plus d'idéologie à faire valoir et le communisme est à l'état vestigial. La Chine qui a certes encore de grands progrès à faire pour ressembler à une démocratie moderne, n'a fort heureusement plus grand chose à voir avec le pays de Mao. L'immense paquebot que constitue cette nation a changé de cap, mais le mouvement se fait avec lenteur et inertie.
Les sages du Comité Olympique ont pris une lourde responsabilité en accordant à Pékin les Jeux. Mais ils l'ont fait en connaissance de cause et une fois la décision prise, il n'y a plus vraiment lieu de continuer les jérémiades. A bien y regarder, ce n'est d'ailleurs pas Berlin en 1936 qui fut la cause de tant de malheur mais plutôt Munich en 1938.
Mieux vaut agir lorsque cela est raisonnablement envisageable, plutôt que de se répandre en récriminations vertueuses mais inefficaces. S'agissant du Tibet, à l'instar du Dalaï Lama lui-même, il y a lieu de saisir toutes les occasions pour tenter d'infléchir la position des dirigeants chinois, mais il convient d'éviter la politique du chiffon rouge, génératrice de crispation.
A peine, l'affaire des Jeux s'estompe-t-elle qu'une nouvelle arrive, mettant en scène un autre ancien bastion du communisme. La Russie, au mépris de toutes les règles internationales envahit brutalement la Georgie, pays démocratique, sous prétexte que cette dernière réprimait trop durement les velléités d'indépendance d'une de ses composantes sécessionnistes : l'Ossétie du sud.
L'Ossétie et ses quelques 70.000 habitants ne pèse pas lourd sur l'échiquier international et son désir d'indépendance en dit long sur le degré de fragmentation de l'ex-empire soviétique. La Georgie qui compte elle-même moins de 5 millions d'âmes n'est qu'un petit pays. Avant d'accéder à l'indépendance, elle faisait partie intégrante de la Russie dès le début du XIXè siècle. Elle fut la terre natale de Staline... De nos jours encore, malgré la tenue d'élections libres, des allégations font état de comportements douteux de la part des dirigeants : violence, coups bas, corruption... Il faut d'ailleurs convenir que les répressions auxquels ils se sont livrés
en Ossétie, relèvent d'une stratégie plutôt expéditive...
Mais voilà, la Georgie, comme l'Ukraine, et beaucoup d'autres républiques autrefois asservies à l'URSS, aspire désormais à rejoindre le club des démocraties occidentales. Elle n'a d'yeux que pour l'Europe et a demandé en 2007 son intégration à l'OTAN. Depuis des années, elle défie ouvertement sa grande et menaçante voisine.
Derrière ces conflits locaux se profile donc une confrontation bien plus gigantesque, opposant en réalité la Russie à l'Amérique, avec au milieu l'Union Européenne. En d'autres termes, d'un côté l'Est pantelant, humilié, dont les rouages s'éparpillent, mais dont le coeur est encore battant à Moscou, de l'autre l'Ouest triomphant et parfois arrogant ou inconséquent.
En matant la Georgie, la Russie trouve une belle occasion d'affirmer sa volonté de puissance et d'hégémonie sur ses anciens vassaux. Elle veut manifestement continuer de rayonner sur la région et faire contrepoids à l'Alliance Atlantique. Elle ne craint guère en la circonstance l'Europe dont elle connaît derrière les discours, la langueur, et les faiblesses pacifistes. Certes Nicolas Sarkozy en tant que président de l'Union n'a pas ménagé sa peine pour parvenir à une solution négociée, mais dans l'ensemble peu de voix se sont élevées pour réprouver l'intervention russe. Quant aux Etats-Unis, à la veille de l'élection présidentielle, il y a peu de chances qu'ils puissent rétorquer de manière très forte. Au surplus, la Russie a beau jeu de rappeler les interventions en Serbie, en Afghanistan, en Irak. En accourant au secours de l'Ossétie, elle estime répondre en quelque sorte au zèle mis par toutes les nations occidentales à reconnaître l'indépendance du Kosovo, il y a quelques mois.
Le risque est qu'elle s'enhardisse à la suite de cette opération qui s'annonce comme un succès, et qu'elle cherche alors peu à peu à reprendre son emprise sur ses voisins. Sans être aussi pessimiste qu'Yvan Rioufol sur les intentions réelles des dirigeants russes et sur les capacités de réaction des démocraties occidentales, la question angoissante face à l'agression d'un pays dit ami, est tout de même de déterminer où se situe la limite extrême au delà de laquelle il deviendrait incontournable d'envisager une riposte armée, sous peine de voir se reproduire une situation rappelant fâcheusement 1938...