08 novembre 2008

Au dessous du Volcan


Il y a quelques semaines sortait enfin en DVD un titre très attendu. Rarement en effet, on ne vit oeuvre littéraire portée à l'écran avec autant de bonheur et de pertinence, que ce parcours halluciné tiré du roman de Malcolm Lowry (1909-1957).
John Huston
(1906-1987) parvint à le sublimer sans en dénaturer l'esprit, grâce à une mise en scène parfaitement maîtrisée, à la fois rigoureuse et profondément poétique.
Il faut préciser qu'il fut aidé par des acteurs littéralement habités par leurs personnages, en particulier Albert Finney et Jacqueline Bisset.
A la veille de la seconde guerre mondiale, au Mexique, à Cuernavaca, non loin du monumental Popocatepetl, on suit le combat aristocratique mais désespéré, livré par un consul britannique désabusé, à la fin d'une carrière chaotique, contre tous les démons existentiels « qui chargent de leur poids l'existence brumeuse ». Autant dire qu'incommunicabilité et impossibilité d'être constituent les ressorts principaux de ce sombre récit...
En resserrant l'intrigue sur trois personnages principaux et en lui conférant une implacable chronologie, le cinéaste magnifie tout en la disciplinant, la forêt de symboles que forme le livre de l'écrivain anglais.
Cette luxuriante descente aux enfers prend en effet une signification aigüe, tout en conservant l'exubérance et la magie originelles. Le Mexique est omniprésent dans ses excès, ses arcanes, et sa magnificence, à la fois mystique (la fête des morts), brutal (les sinarquistes), indicible (une veille femme jouant aux dominos avec un coq), et vulgaire (le nain cupide et libidineux).

Dans ce monde qui s'écroule et qui chatoie, imitant les frondaisons illuminées d'une jungle baignée de soleil, Geoffrey Firmin porte sa solitude et ses remords comme une tunique de Nessus, tissée des aléas de la vie. Le poison est dans toutes ses fibres, au sens propre comme au figuré : l'alcool ronge son corps, l'incurable spleen dévore son intellect et jusqu'à son énergie amoureuse.
Toutes les tentatives que fera Yvonne, son admirable épouse, pour le comprendre et le reconquérir, se briseront sur cet irrémédiable fatum. Yvonne est résignée. Elle se sait entrainée sans retour mais elle essaie de trouver la force de remonter le courant. Jusqu'au bout elle veut croire que quelque chose peut encore contrarier le destin et lui redonner l'espoir de jours apaisés. Quand elle comprend qu'il n'y a rien à faire c'est déjà trop tard... La vie est tragique, l'amour est désespéré, c'est bien là le fin mot de cette histoire à l'envoûtant parfum de déchéance mortifère.

Autour de ce sombre karma, Hugh le troisième larron, le frère et peut-être un peu l'amant, vibrionne comme les désirs, illusions, et petits soucis qui peuplent la vanité de l'existence. Il résonne de l'actualité du monde, il est en mouvement, passe le plus clair de son temps en voyages et croit se passionner pour les grands problèmes de son temps. Il est pétri de bonnes intentions mais son âme est pâle et inconsistante. Même s'il semble percevoir par instant le drame qui se noue, il lui reste extérieur.
Revisité par Huston, au crépuscule de sa vie, ce récit est d'une limpidité biblique et d'une force tragique digne du théâtre antique. Il illustre parfaitement l'adage qui veut que les chants les plus désespérés soient aussi les plus beaux.
A ceux qui auraient été rebutés ou désarmés par la touffeur du livre, il est recommandé d'aborder un tel chef d'oeuvre par le biais de ce film exceptionnel. Ils en sortiront profondément et durablement bouleversés.

06 novembre 2008

L'instant magique


Ainsi l'Amérique en élisant Barack Obama a choisi la solution la plus audacieuse. Elle démontre à nouveau au monde son inépuisable capacité à évoluer et à surmonter les préjugés.
Surprenant encore une fois tous ceux qui s'acharnent à prévoir son déclin et qui ne voient en elle qu'un bloc monolithique, elle prend tout à coup la figure de cet homme étonnant, au large sourire, débordant d'un charisme à facettes, nourri par des origines qui le placent au confluent des races, des religions et des continents.
Elle lui donne de surcroît les pleins pouvoirs avec un Congrès à sa couleur, bleu horizon.
Nul doute qu'elle saura aussi lui demander bien vite des comptes sur sa manière d'accomplir le job. La mission qui lui est confiée est écrasante, alourdie encore par les espoirs gigantesques d'une opinion publique internationale euphorique mais aussi exigeante que versatile.
Mais les Américains savent par nature qu'avec de la foi, du courage et du sens pratique, on peut déplacer les montagnes et donner un vrai sens à la Liberté. Il faut espérer que le nouveau président réussisse à redorer l'aura qui fait de son pays une nation à part, et que le reste du monde se refuse à voir aujourd'hui.
En attendant, savourons cet instant magique. Au moins pendant quelques semaines, la fanfare anti-américaine cessera son vacarme assourdissant. On va enfin respirer un peu...

04 novembre 2008

Il est jeune, il est beau, il est noir...


Voici en 3 petits mots la substance de ce qui cause l'engouement actuel en France pour la personne de Barack Obama (on sait qu'il serait élu chez nous avec plus de 80% des suffrages...).
Autant dire que l'esprit critique n'a plus de raison d'être dans cette logique.I l est toutefois impressionnant de constater à quel point les critères de choix restent envers et contre tout superficiels, basés sur l'apparence et la démagogie.
Obama a une silhouette super cool, c'est certain. Pour jouer les « gravures de mode », ça serait un atout indéniable, mais pour être président ? Quant au discours, qui le connaît vraiment en France ? A travers l'interprétation des médias, on n'en perçoit que les notions idylliques de « rêve », et de « changement ». Est-ce vraiment un programme ?
Evidemment tout ça rappelle furieusement le délire pro-Kerry en 2004 (quatre ans après, qui se souvient encore aujourd'hui de cet homme présenté comme providentiel à l'époque ?)
Les artistes, ce doit être dans leur nature, embouchent mécaniquement la trompette du candidat le plus séduisant, le plus « à gauche », et glorifient sans réserve les plus lénifiants programmes. Ce n'est pas très grave, on ne demande pas aux stars d'avoir du jugement, et on n'a jamais vu leur talent grandir en fonction de leurs idées politiques. On ne sort de l'ambiguïté qu'à son détriment...
Mais la Presse ? On reste songeur au sujet de son objectivité, eu égard au déferlement quasi unanime en faveur du candidat démocrate, depuis des mois. Sur France Inter ce matin on nous affirmait tranquillement que plus de 80% des journalistes qui ont couvert la campagne américaine « votent » Obama, et que d'une manière générale, 70% de la presse américaine avait clairement pris position pour ce dernier.
Le pompon c'est évidemment notre cher BHL national, qui s'émerveille depuis des lustres et inonde ceux qui le lisent, des plus beaux et clinquants clichés. C'est bien simple, pour lui « Obama c'est Kennedy »...
Certes il persiste dans ce tumulte quelques exceptions remarquables, comme Alexandre Adler, qui ne se fait guère d'illusion et fait une analyse pondérée et réaliste de la situation, mais qui l'entend ?
Un seul exemple, l'Irak. C'est curieux, plus personne n'en parle et si l'on en croit France-Inter, seuls 7% des Américains en font un enjeu essentiel au moment de la campagne électorale. Est-ce parce que le pays est en voie de pacification comme on peut le penser (en allant chercher l'information), ou bien est-ce parce qu'entre les 2 candidats, la différence est désormais plus fine que l'épaisseur d'un papier à cigarettes ?
Et qui peut penser que face à l'actuelle crise économique les stratégies des 2 candidats pourraient être radicalement différentes l'une de l'autre ?
Au point où nous sommes rendus, de toute manière, le programme d'Obama, manifestement tout le monde s'en moque. Il suffit de savoir qu'il porte un "espoir historique", qu'il sera la « solution à tout » et qu'il mettra fin à « huit ans de cauchemar » !
Le fait qu'il disposera probablement des pleins pouvoirs, avec une confortable majorité à la Chambre des représentants aussi bien qu'au Sénat, cela n'émeut personne et surtout pas ceux qui vociféraient au nom du nécessaire partage des pouvoirs, quand Bush était dans une situation analogue... A entendre les dithyrambes de certains, on peut même penser qu'ils donneraient volontiers au sénateur de l'Illinois, les clés du Monde si c'était possible...


Pour ma part, peu importe en réalité. L'essentiel sera de voir l'élu à l'oeuvre. De toute manière la suite sera sans nul doute jubilatoire. J'imagine la stupeur et le désespoir qui s'emparerait des foules si John McCain devenait malgré tout président ! Mais je me délecte à l'avance de la désillusion inévitable de ces mêmes foules lorsqu'elles s'éveilleront de leur transe imbécile, alimentée par un manichéisme désarmant.
On dit souvent que les Républicains sont bellicistes mais ce furent 2 présidents démocrates qui engagèrent les Etats-Unis dans les deux conflits mondiaux du XXè siècle, ce futTruman qui fulgura sous le feu atomique Hiroshima et Nagasaki, ce fut Kennedy qui lança son pays dans le vrai bourbier vietnamien (avec des arguments plus fallacieux encore que ceux de Bush en Irak..), ce fut Clinton qui ensevelit la Serbie sous un tapis de bombes...
Quant à être "social", paradoxalement Bush le fut infiniment plus que Clinton. Hors coûts militaires, les dépenses de l'Etat furent beaucoup moins importantes avec le second qu'avec le premier. Clinton ne fit à peu près rien de son programme annoncé, notamment en matière de "Couverture Médicale universelle", et il limita drastiquement les aides aux personnes sans emploi. Bush, de son côté, réputé "ultra-libéral", dépensa beaucoup avec ses programmes de lutte contre le SIDA, d'amélioration de l'éducation des enfants défavorisés, d'élargissement de la couverture médicale medicare...
Bref, pas mal de raisons en somme de penser comme Adler : "McCain ou Obama ? Bonnet blanc et blanc bonnet..."

24 octobre 2008

Montaigne libéral


Grâce à Pierre Assouline qui signale l'initiative, et à Guy Jacquesson qui en est l'auteur, il est facile désormais à tout un chacun d'aborder l'oeuvre dense de Michel de Montaigne (1533-1592), en lisant la belle transcription en Français moderne.
Certes l'idée n'est pas complètement nouvelle, puisque Claude Pinganaud l'avait déjà eue pour le compte des éditions Arlea, il y a quelques années. L'originalité ici est d'offrir en plus de l'édition « papier » classique, un accès libre au texte électronique.
Et à ce jour, la plus grande partie des Essais est dores et déjà disponible sur internet.

En me plongeant dans l'oeuvre, je redécouvre avec délectation dans le chapitre 13 du Livre III les réflexions que faisait le grand humaniste, à propos des lois, et notamment de la nécessité de ne pas les faire en trop grand nombre. Je ne résiste pas au plaisir de les reproduire ici, tant elles paraissent actuelles.
Je suis souvent étonné d'entendre tant de gens se référer à Montaigne sans manifestement bien mesurer la portée de sa parole. Débarrassée des délicieuses vieilleries qui lui conféraient un caractère sibyllin, elle semble plus que jamais limpide...
« Je n'ai guère de sympathie pour l'opinion de celui qui pensait, par la multiplicité des lois, parvenir a brider l'autorité des juges en leur taillant la-dedans les morceaux qu'il leur faudrait [pour chaque cas].
Il ne se rendait pas compte du fait qu'il y a autant de liberté et de latitude dans l'interprétation des lois que dans leur rédaction.
Et ils ne sont pas sérieux, ceux qui s'imaginent affaiblir nos débats et y mettre un terme en nous ramenant à la lettre de la Bible : le champ qui s'offre a notre esprit pour examiner la pensée d'autrui n'est pas moins vaste que celui dans lequel il expose la sienne ; et pourquoi y aurait-il moins d'animosité et de méchanceté à commenter qu'à inventer?
Nous voyons donc a quel point ce législateur se trompait : nous avons en France plus de lois que n'en a le reste du monde tout entier, et plus qu'il n'en faudrait pour réglementer tous les mondes d'Epicure « si autrefois on souffrait, des scandales, maintenant c'est des lois que nous souffrons », et nous avons pourtant si bien laissé nos juges discuter et décider qu'il n'y eut jamais autant de liberté ni de licence. Qu'ont donc gagné nos législateurs a distinguer cent mille espèces de faits particuliers et à y associer cent mille lois? Ce nombre est sans commune mesure avec l'infinie diversité des actions humaines. La multiplication de nos inventions ne parviendra pas à égaler la variété des exemples.
Ajoutez-y encore cent fois autant : vous ne pourrez pas faire que dans les évènements a venir, il s'en trouve un seul qui, dans ces milliers d'évènements repérés et répertoriés, en rencontre un autre auquel il puisse se joindre et s'apparier si exactement qu'il ne reste plus entre eux la moindre particularité et différence, et qui ne requiert de ce fait un jugement particulier. Il y a peu de rapport entre nos actions, qui sont en perpétuelle évolution, et des lois fixes et immobiles.
Les plus souhaitables sont les plus rares, les plus simples, et les plus générales : et je crois même qu'il vaudrait mieux ne pas en avoir du tout, plutôt que d'en avoir autant que nous en avons. »
Et un peu plus loin dans le même chapitre :
« Il n'est rien qui soit si souvent, si lourdement et largement faillible que les lois. Celui qui leur obéit parce qu'elles sont justes ne leur obéit pas vraiment par ou il le devrait. Nos lois françaises prêtent en quelque sorte la main, par leurs imperfections et leur incohérence, au désordre et a la corruption que l'on peut observer dans leur application et leur exécution. Leurs injonctions sont si troubles et si peu fermes qu'elles excusent en quelque sorte la désobéissance et la mauvaise interprétation dans leur administration et leur observance. »

16 octobre 2008

Vive l'Etat !


Le 12/10 au micro de France Inter, François Hollande évoquant la crise financière, brocardait les libéraux qui crient « Vive l'Etat ».
En disant ça, non seulement il prend ses désirs pour des réalités, mais il utilise pour appuyer son raisonnement, un sophisme douteux. Décrétant ex cathedra que la crise actuelle est celle du libéralisme, donc de la dérégulation, il embouche la trompette de l'Etatisation généralisée et affirme que tout le monde désormais se rallie à cette caricature de politique.


A la vérité, les Libéraux ne souhaitent pas plus aujourd'hui un renforcement de l'Etat, qu'ils ne voulaient hier sa disparition. De même, à la différence des Anarchistes, ils n'ont jamais exigé la suppression des règles organisant la société. Au contraire, ils en font un pré requis indispensable au « contrat social » cher à John Locke. Leur seul objectif, à l'instar de Montaigne ou de Montesquieu, est que l'Etat n'abuse pas de ses prérogatives et que les lois soient aussi simples et utiles que possible.
Or que voit-on depuis des années dans presque toutes les nations même réputées libérales, si ce n'est un accroissement vertigineux de la place de l'Etat et l'inflation sans fin des réglementations ?

En France, même s'il a cédé un peu de terrain après la funeste époque des nationalisations d'entreprises, l'Etat reste en effet omniprésent dans tous les rouages de la société. Si on évalue son poids en terme d'impôts, charges et taxes, cela représente plus de 44% du PIB. Et le résultat de sa gestion n'est guère brillant : Dette colossale, quasi impossible à chiffrer, entre 1200 et 3000 milliards d'euros, équivalent à une vraie faillite aux dires même du premier ministre(1.) De cause structurelle, elle n'a cessé de progresser depuis le début des années 80. Elle s'accompagne d'un grave déficit de la balance commerciale et d'une diminution inexorable de la compétitivité industrielle. Enfin la croissance reste vissée au plancher.
En dépit de plusieurs décennies de socialisme, ce naufrage économique n'est gagé quoiqu'on en dise, par aucun vrai progrès social. On a les 35 heures et le RMI mais des salaires de misère et du chômage autant qu’avant; on a la Sécu et la CMU mais la qualité du système de santé se détériore tandis que son déficit ne cesse de croître; on a un système soi-disant "solidaire" de financement des retraites par répartition, mais il rétrécit comme peu de chagrin faute d'avoir tenu compte de l’évolution démographique; on a l’abolition de la peine de mort, mais un taux record de suicides dans les prisons... Le malaise est dans quasi tous les domaines où s'exerce la responsabilité du gouvernement : Education, Recherche, Justice, Prisons et même Culture !

Parallèlement, le nombre des lois et des réglementations n'a cessé de croître, asphyxiant littéralement l'initiative privée. Le Conseil d'Etat(2) constatait lui-même en 2006 sans pouvoir hélas rien y faire " qu'il y a trop de lois, des lois trop complexes, des lois qui changent tout le temps !"
De fait, l'inflation législative n'a cessé de s'accélérer. En 1973, le Parlement produisait 430 pages de lois. Dix ans après, plus de 1000. Aujourd'hui, presque 4000. Les textes sont plus nombreux, mais surtout, ils sont plus longs et plus compliqués. Selon le journal Le Monde(3), le Bulletin des lois est passé de 912 grammes en 1970 à 3,266 kilogrammes en 2004. Il comportait 380 pages en 1964, 620 en 1970, 1055 en 1990 et 2566 en 2004. La loi sur les communications électroniques du 9 juillet 2004 comprend 101 pages, celle du 13 août de la même année sur les responsabilités locales en faisait 231, et celle sur la santé publique du 9 août, 218. Cela ne semble jamais suffire. A peine l'ubuesque loi sur la « Nouvelle Gouvernance Hospitalière » s'applique-t-elle, qu'elle est détrônée par une autre, encore plus délirante (Loi « Patients, Santé et Territoires »), en passe d'être votée ! En matière fiscale, le gouvernement en est désormais réduit à proposer un « bouclier fiscal » pour protéger les contribuables de ses propres attaques. On croit rêver...

Les Etats-Unis, pays réputé libéral, ne sont pas épargnés par cette frénésie d'Etat. Même en retranchant la part consacrée à l'armée, les dépenses fédérales ont progressé durant le mandat de George W. Bush de plus de 11% conduisant à un déficit de 5 000 milliards de dollars sur la décennie 2000(4). Pendant ce temps le dollar se dévaluait de 40% par rapport à l'euro. Même si l'Amérique conserve un taux de croissance honorable, le chômage s'accroit rapidement, dépassant ces derniers mois les 6%. Pourtant, selon le magazine the Economist(5), jamais les dépenses sociales n'ont été aussi importantes depuis la Grande Société du président Johnson (SIDA, programme No Child Left Behind, modernisation du réseau autoroutier, amélioration de la prise en charge des prescriptions pharmaceutiques...)
S'agissant de la production de réglementations et de textes administratifs en provenance des agences fédérales, on peut l'évaluer par la quantité de pages ajoutées chaque année au Federal Register(6) : d'un volume de 15.000 en 1960, on est passé à 50.000 en 1975, et 80.000 en 2007...

Au total, il est vraiment surprenant qu'on invoque le manque d'Etat et de régulation dans la survenue de la crise économique actuelle. Ce serait plutôt l'inverse. D'ailleurs des économistes(7) relèvent la responsabilité gouvernementale dans la faillite du système des subprime, à cause d'incitations certes bien intentionnées, mais se révélant à l'usage perverses (taux d'intérêt bas, garanties illusoires des organismes para-gouvernementaux Fannie Mae et Freddy Mac, règles comptables trop complexes...). De l'autre côté ils évoquent l'enchevêtrement inextricable des réglementations à l'origine des diaboliques inventions censées les contourner (titrisation des créances, ventes à découvert...)
En définitive, c'est l'ensemble de la société qui a dérapé sur la pente glissante des bonnes intentions et les responsabilités sont largement partagées, de l'Etat aux citoyens, en passant par les banques et les entreprises. A l'évidence, il ne s'agit pas dans un tel contexte de renforcer encore l'arsenal législatif mais de l'assainir et de s'assurer sans tabou idéologique de l'utilité réelle de toutes les lois, car comme l'affirmait Montesquieu : « Les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires »
Quant à renforcer le rôle de l'Etat à la manière souhaitée par François Hollande et ses amis, ce serait le pompon : à savoir se retrouver avec des entreprises nationalisées du type d'Elf ou du Crédit lyonnais, dont l'incurie fut manifeste et qui ont coûté si cher aux citoyens !

Soyons toutefois optimiste : si l'Etat parvient à redonner confiance à un système déboussolé en garantissant les fameuses liquidités évaporées, il aura fait oeuvre utile, ce qui est bien le moins qu'on puisse attendre de lui...

1 François Fillon Septembre 2007
2 Bulletin annuel 2006 du Conseil d'Etat
3 Le Monde 3/12/05
4 André Cotta, Le Figaro, 23/02/04
5 The Economist : 29/05/08.
6 Federal register
7 The Wall Street journal 19/09/2008, Johan Norberg.net 22/09/08, Guy Milliere 1/10/08

12 octobre 2008

Le Clézio, un Nobel insulaire


La France est à l'honneur, avec 2 prix Nobel cette année. On s'étonne évidemment du quart de siècle nécessaire à l'Académie Suédoise pour se décider à attribuer celui de Médecine à Luc Montagnier et Françoise Barré-Sinoussi, qui découvrirent le virus du SIDA... au début des années 80 ! On peut également s'étonner de l'hommage inattendu rendu à J.M.G. Le Clezio, si discret, si classique, surtout qu'il est qualifié à cette occasion par le jury « d'écrivain de la rupture ». Ce qui a plu c'est peut-être cette aura étrange qui nimbe le personnage et en fait « un cas », en quelque sorte...
Je ne connais Le Clézio que par un petit ouvrage paru à la fin des années 80, Voyage à Rodrigues. Il y raconte à peu près la même histoire que dans son roman Le Chercheur d'Or, à savoir celle de son grand-père, juge à Port-Louis de l'Ile Maurice, ruiné, exproprié de sa maison de famille et parti, seul, dans l'espoir de « se refaire », vers Rodrigues, à la recherche du mythique trésor du pirate Olivier Levasseur dit « la Buse ».
Le Clézio raconte en réalité sa propre équipée vers ce petit bout de terre perdu dans l'Océan Indien, quelques soixante ans après son grand-père.
Qu'est-il allé y faire, il ne le sait lui-même : « Ai-je vraiment cherché quelque chose ? ».
Il faut bien dire qu'on s'en doute dès le début : pas plus que son aïeul qui s'y est éreinté durant une bonne vingtaine d'années, il ne trouvera le fameux butin.
Par moment surgit une sorte d'éclair : « Je vois ce que je suis venu chercher réellement à Rodrigues : les traces visibles de cet homme, restées apparentes par le miracle de la solitude... ». Mais le lecteur reste sur sa faim car en définitive il ne s'agit que de « coups sur les parois, vers le fond du ravin, qui ont ouvert des blessures dans le schiste, détachant les blocs de lave ».
Peut-être alors l'illusion étrange, à travers cette aventure vaine, « de ne faire qu'un » avec son grand-père, « comme deux hommes qui auraient la même ombre ». Mais, de son propre aveu, il s'agit d'un rêve et, « Comme tous les rêves, il s'achève sur rien... »
Au bout du compte, on est donc un tantinet frustré par ce récit erratique, écrit dans un style limpide mais un peu répétitif. La personnalité sûrement originale du grand-père ne ressort pas vraiment : il est comme une silhouette ahanant silencieusement sur fond de cailloux et de basalte. Quant au paysage, il inspire manifestement des sentiments contradictoires. Tantôt il est « d'une pureté extraordinaire, minéral, métallique, avec les arbres rares d'un vert profond, debout au-dessus de leurs flaques d'ombre, et les arbustes aux feuilles piquantes, palmiers nains, aloés, cactus, d'un vert plus aigu, pleins de force et de lumière », tantôt c'est un « paysage de pierre noire, où blesse la lumière et brûle le vent. Paysage d'éternel refus... », une « Terre brûlée, noire, dure qui refuse l'homme. Terre indifférente à la vie, rocs, montagnes, sable, poussières de lave ».

Le Clézio est un personnage atypique. Sûrement s'agit-il d'un authentique écrivain, mais la substance de son oeuvre paraît quelque peu évanescente, nébuleuse. Et son style est si fluide et lointain, qu'on se demande si le nom même de cet auteur évoque quelque chose de précis à quelqu'un. Une sorte d'île mystérieuse, peu accessible, sans doute...

05 octobre 2008

Je sème à tout vent


La crise financière qui secoue le monde donne lieu à beaucoup d'interprétations. Il est curieux d'entendre colportées, rabâchées, ânonnées, beaucoup d'affirmations à l'emporte-pièce et d'excès en tous genres, ne reposant bien souvent sur aucun substratum rationnel.
Passons, sur quelques superlatifs auxquels nous sommes habitués à force de les entendre répétés à tout bout de champ : « c'est la plus grande crise depuis... ». Que ce soit la météo, l'économie, l'insécurité, le moral des ménages ou je ne sais quel paramètre, il est toujours au plus haut ou au plus bas depuis... la dernière fois !

« Le capitalisme ne sera plus jamais comme avant ». Évidemment, personne n'en sait rien mais la plus grande probabilité est que tôt ou tard, « le naturel revienne au galop ». Les temps à venir seront peut-être durs mais, pas plus qu'après 1929 la société ne changera fondamentalement, à moins d'une révolution violente, qui n'arrangerait rien...

« Les dogmes de l'idéologie libérale sont remis en cause ». Les personnes qui me font l'honneur de leur visite sur ce blog, savent que la conception du libéralisme que je défends est tout simplement l'amour « raisonné » de la liberté, hérité en droite ligne du précepte tocquevillien. Par conséquent, hormis cet attachement fondamental, il ne peut y avoir ni dogme, ni idéologie. A contrario, l'Histoire des Peuples montre et démontre que plus le gouvernement des hommes est régi par des dogmes ou des idéologies, moins il y a de liberté. CQFD.

« Le libéralisme a besoin d'être régulé ». Monsieur de La Palisse n'aurait pas dit mieux. Autant affirmer que pour faire des phrases, il faille des mots ! Encore faut-il qu'ils soient cohérents, en bon ordre, et qu'on soit corrigé si l'on commet des fautes. En l'occurrence, le rôle de l'Etat est ici évident, par l'intermédiaire de ses bras législatif, exécutif et judiciaire. A condition que les règles qu'il édicte soient nécessaires, utiles, applicables... et appliquées !
Trop souvent les lois sont promulguées sans qu'on ait soupesé leur utilité réelle, sans qu'on se préoccupe de leur application sur le terrain, et sans qu'on évalue objectivement leur impact. Les limitations de vitesse sur les routes, n'ont montré vraiment leur pertinence, qu'à dater du moment où elles ont été respectées. Pour cela, il a fallu la mise en place de radars pour repérer et sanctionner les excès.. et l'analyse des statistiques pour prouver a posteriori que la loi était utile Cette démarche devrait être requise systématiquement.

« L'Amérique redécouvre les nationalisations ». Le plan Paulson qui devrait disperser 700 milliards de dollars, vise à reconstituer les « liquidités » évanouies, afin de rétablir la confiance et enrayer le jeu fatal de dominos inter-bancaire. Cette opération est ponctuelle, et hormis la mise provisoire sous tutelle des AIG, Freddie Mac et Fanny Mae, il n'a jamais été question de nationaliser les banques. Les chances de succès du nouveau plan sont assez aléatoires, mais ne rien faire serait sans doute pire. Ce plan a rencontré des réticences, car il y a beaucoup de gens aux USA pour vouloir limiter l'intervention étatique qui va endetter le pays tout entier, et surtout exiger des garanties quant au retour de la manne exceptionnelle.
Quant à nationaliser "par principe", rappelons qu'en France, la dernière expérience remonte à celle du Crédit Lyonnais en 1982 et qu'elle a conduit à « l'une des plus grosses faillites qu'ait connu le pays », quelques années ans plus tard
(130 milliards de francs évaporés)...

« On privatise les profits et on socialise les pertes ». Rien de plus faux. Affirmer cela c'est ignorer que l'Etat vit par nature au dépends des contributions des entreprises et des particuliers. Plus ceux-ci sont riches et plus celui-là engrange de recettes.
Pour autant l'impôt n'est pas un fin en soi, pas plus que l'enrichissement de l'Etat. Car si ce dernier peut faire oeuvre utile en rendant ou en prêtant un peu de ce qu'il a ponctionné, sa fonction redistributrice, chère aux socialistes est un leurre, car elle consiste, après avoir englouti une bonne part de l'oseille en frais de fonctionnement, à arroser en pure perte du sable ou à remplir le tonneau des Danaïdes. Le risque est toujours le même : celui de favoriser l'irresponsabilité par un interventionnisme, assimilé à une rassurante providence, et in fine, ruiner l'Etat...

Tout ça pour dire que ces leitmotiv qui plaident triomphalement pour le retour de l'Etat, confondent joyeusement les rôles dans lesquels ce dernier est susceptible d'intervenir. L'Etat régulateur est à l'évidence une nécessité, à condition d'éprouver l'efficacité des règles. Quant à l'Etat redistributeur, ou l'Etat nationalisateur, ça reste envers et contre tout, une hérésie contre le simple bon sens.

02 octobre 2008

When you got a good friend


Ce joli titre d'une chanson de Robert Johnson (1911-1938), donne à merveille à mon sens, la mesure de ce que représente dans le coeur de beaucoup d'amoureux du Blues, un musicien hors norme, d'une sensibilité exceptionnelle : Peter Green.

Natif de Londres, en 1946 pour être précis, il pinça ses premières cordes auprès de John Mayall, notamment au sein de son mythique groupe The Bluesbreakers. Sorti brillamment de cette excellente école, il fut le guitariste fondateur et compositeur de Fleetwood Mac à la fin des années soixante. On lui doit notamment les superbes Albatross et Black Magic Woman.
Mais, anti-star caractérisée, il ne supporta pas le succès fulgurant du groupe et sombra dans une sorte de terrible dépression arrosée de quantité de substances toxiques. Cette affreuse descente aux enfers le maintint hors des sunlights pendant de longues années. Alors qu'il errait dans un état second, Il fut en quelque sorte repêché par une bande de copains, musiciens chevronnés et amateurs invétérés de Blues. Bien décidés à le remettre en selle, ils formèrent autour de lui en 1996 le Splinter Group. Le résultat fut d'emblée éblouissant, donnant naissance à de merveilleux enregistrements, une ribambelle de nouvelles compositions, et une nouvelle vie sur la route des salles de concerts à travers le monde.


Peter Green est un remarquable représentant du blues anglais, courant très original, illustré par une pléiade de grands noms (qui outre Mayall, compte Mick Taylor, Eric Clapton, Alvin Lee, Jeff Beck et dans une certaine mesure Rory Gallagher, Gary Moore, Jimmy Page...) Comme beaucoup de ses compatriotes, il fut toutefois saisi par le charme ensorcelé des chansons de Robert Johnson.
Grâce à son jeu fluide, un peu décalé, superbement mélodique, et à la douceur nostalgique de sa voix écorchée, il parvient à donner une intonation sublime à cette musique au charme rustique mais à l'inspiration céleste.

L'histoire de cet artiste à nul autre pareil, est donc celle d'une chaude amitié. Celle avant tout qui le lie à travers l'éternité au grand pionnier du Delta, et lui fit consacrer un vibrant hommage en 1998 sous forme d'un CD avec le Splinter Group : The Robert Johnson Songbook, et un autre deux ans plus tard : Hot Foot Powder.
Bien sûr Peter Green revient de loin. Il est marqué, et sa voix est parfois un brin chevrotante. Mais ça fait vraiment chaud au coeur de voir sa bonne bouille ronde s'illuminer de joie lorsqu'il joue avec ses amis (dans un superbe DVD tiré de sa tournée 2003). En acoustique aussi bien qu'en électrique, on est littéralement sous le charme. Ses interventions à la guitare gardent un feeling incomparable et lorsqu'il chante on est envahi par l'émotion, malgré ou peut-être à cause du timbre usé de sa voix et de sa diction hésitante. De toute manière, Nigel Watson, qui lui prodigue manifestement une affection gigantesque, se révèle à ses côtés, un guitariste hors pair doublé d'un chanteur exceptionnel. Enfin Roger Cotton au piano et la section rythmique parfaitement réglée (Neil Murray, basse, Larry Tolfree batterie), complètent admirablement cet ensemble très homogène.

De vrais petits bijoux, à posséder si l'on est amateur de travail bien fait et d'émotion. Et qui donnent un deuxième sens à l'amitié : celui du lien mystérieux entre cet archange du blues et tous ceux qui éprouvent parfois la dureté de la vie et qui trouvent auprès de lui une intense et chaude consolation...

When you got a good friend, that will stay right by your side
When you got a good friend, that will stay right by your side

Give her all of your spare time, love and treat her right


I mistreated my baby, but I can’t see no reason why
I mistreated my baby, but I can’t see no reason why
Anytime I think about it, I just wring my hands and cry

Wonder, could I bear apologize, or would she sympathize with me
Mmm, or would she sympathize with me
She's a brownskin woman, just as sweet as a girlfriend can be

Mmm, baby I may be right or wrong
Tell me your feeling, I may be right or wrong
Watch your close friend, baby, then you enemies can't do you no harm

When you got a good friend that will stay right by your side
When you got a good friend that will stay right by your side
Give her all of your spare time, love and treat her right.....

25 septembre 2008

Faux démons et vraies évidences


Il n'y a pas de mérite à vivre dans un monde libre.
Dans ces conditions en effet, la Liberté paraît aussi naturelle que l'air qu'on respire. Rien ne permet d'en mesurer la valeur, le risque étant de la sous-estimer, ou bien de ne pas l'utiliser à bon escient, voire même de s'en départir plus ou moins consciemment, en échange d'une poignée de cacahuètes.
Pure folie lorsqu'on sait les sacrifices à consentir pour la retrouver.
Pour autant, la Liberté, si difficile à conquérir et si facile à perdre, ne signifie pas l'anarchie, c'est à dire une jungle sans foi ni loi, où tout est permis et où rien n'a véritablement de sens.
C'est précisément ce qui distingue le libéralisme de l'utopie libertaire.
Dans les temps de crise hélas, la confusion s'empare vite des esprits. Certains exploitent la situation et tentent plus ou moins sciemment de faire prendre des vessies pour des lanternes. D'autres, naïfs cèdent à la panique, abandonnent toute raison, et se fient imprudemment à ces faux docteurs.

Aujourd'hui on voit des ténors de la Gauche s'appuyer sur les circonstances pour ressortir de plus belle leurs insanités intellectuelles. Martine Aubry par exemple, qui annonce bravache, que « le libéralisme s'effondre autour de nous », et qui en tire des conséquences plus qu'expéditives : « On assiste à la fin d'un modèle, d'un système, alors il faut faire appel à tous les socialistes pour amener un nouveau modèle ».
On connaît hélas trop bien celui qu'elle voudrait fourguer, après en avoir retapé en toute hâte les gentilles dorures de « justice sociale » qui en fardent l'inanité. De toute manière, bien malin celui qui pourrait discerner une proposition audacieuse et novatrice dans le tumulte dérisoire qui entoure la guerre des chefs sévissant chez les socialistes. Cette semaine, le nouvel Obs titrait en grand : « le PS est-il nul ? ». On se demande comment on peut encore poser la question...

De son côté Nicolas Sarkozy, profite de la tribune de l'ONU pour faire de grands moulinets moralisateurs sur les fautes du capitalisme et sur l'impéritie des « patrons voyous ». Comme s'il découvrait tout à coup les évidences, le voilà qui réclame « plus de régulation » exigeant notamment des sanctions à l'encontre de « ceux qui mettent en danger l'argent des épargnants ». Au moment même où Bernard Tapie se voit indemnisé par l'Etat dirigé par le même Sarkozy, de près de 300 millions d'euros, on croît rêver... (en dépit de nombreuses dettes à soustraire, il devrait tout de même d'après ce qu'on en dit, s'enrichir de la coquette somme de 40 millions d'euros). On ne connaîtra sans doute jamais le fin mot de l'histoire, tant elle est emberlificotée, et tant les juridictions amenées à statuer à son sujet se révèlent opaques ou aléatoires (la dernière « procédure arbitrale » est un petit bijou en la matière). Chacun jugera donc si l'homme d'affaires emblématique du socialisme mitterrandien, est un chef d'entreprise avisé, moral et constructif ou bien un brillant funambule de la finance...

En réalité, ce n'est pas parce que le monde « libre » est en crise qu'il faut remettre en cause le fondement même de son existence. Pour les libéraux sensés, il n'a jamais été question de supprimer ni les règles, ni l'Etat qui régissent toute société humaine. Il n'y a donc aucune raison aujourd'hui de se mettre « par principe », à sécréter plus de lois et plus de gouvernement...
Plus que jamais en revanche il apparaît nécessaire de veiller à ce que ces derniers protègent contre les pestes qui menacent en permanence le beau mais fragile jardin de la liberté : bureaucratie, centralisme, monopole, corruption, spéculation, irresponsabilité....
Il faut donc, comme le recommandait déjà Montaigne, des règles simples et les moins nombreuses possibles, et un Etat modeste mais efficace, garant de leur mise en oeuvre.

Or depuis des années, les gouvernements en France, qu'ils soient de gauche ou de droite n'ont cessé de prôner le renforcement de l'Etat et de compliquer l'arsenal législatif, au point d'imposer des dispositions de plus en plus inapplicables voire contradictoires entre elles. Et tous ont applaudi ou encouragé les folles fusions d'entreprises et d'organismes bancaires. Il y a quelques jours encore, on voyait EDF investir plus de 15 milliards d'euros pour « s'offrir British Energy », avec la bénédiction des gouvernements britannique et français...
Résultat, nous n'échappons pas à la crise des banques et des entreprises, mais avons en prime celle, chronique, de l'Etat !

Dans son discours à la Nation Américaine, George W. Bush de son côté s'est exprimé sans détour mais finalement avec plus de conviction et d'esprit pratique que bien des discoureurs de la méthode. Il n'a pas caché la gravité de la situation, tout en restant optimiste sur l'avenir.
Il a réaffirmé qu'il était «
un fervent partisan de la libre entreprise », et que son « instinct naturel » était de « s'opposer à une intervention du gouvernement ».
En plaidant pour cette dernière, il a insisté sur son caractère exceptionnel et sur le fait qu'elle ne visait pas à secourir des intérêts privés en péril, mais à « préserver l'économie américaine en général ». Afin qu'il n'y ait aucune ambiguïté, il a d'ailleurs enfoncé le clou : « Je crois qu'on devrait laisser les entreprises qui prennent de mauvaises décisions s'éteindre »

Quant à la fameuse régulation, il a rappelé qu'elle existait mais qu'elle devrait être adaptée aux défis du 21è siècle, et s'attaquer tout particulièrement aux méfaits du gigantisme : « récemment, nous avons vu qu'une seule compagnie pouvait devenir si grosse que ses difficultés mettaient en péril la totalité du système financier ». CQFD...

19 septembre 2008

Liberté, j'écris ton nom


Accoudé au balcon surplombant les flancs de la défunte forteresse de Taillebourg (Charente Maritime), je songe à la vanité du monde.
Dans la douce tiédeur baignant la fin d'un été sans chaleur ni parfum, je vois de cet auguste tumulus, les toits des maisons alanguies s'épauler les uns les autres en descendant en douces inclinaisons vers le fleuve.
Comme ces cascades de tuiles, comme ce château évanoui, tout semble s'écrouler dans ce monde épuisé par tant de vaines exigences et de productions futiles. C'est la crise, c'est peut-être la récession ! Mais pourquoi au fond s'en faire ?

« Car personne ici-bas ne termine et n'achève ;
Les pires des humains sont comme les meilleurs ;
Nous nous réveillons tous au même endroit du rêve.
Tout commence en ce monde et tout finit ailleurs* »

Les experts s'affrontent à coup de sombres prévisions. Le gouvernement ne sait plus où donner de la tête et brûle soudain tout ce qu'il prétendait adorer hier. De leur côté, les dévots de L'Etat Providence, requinqués par l'odeur de ce désastre fuligineux qui n'en finit pas de disperser ses scories, croient y voir la confirmation en forme d'apothéose, de leur lubie anti-libérale. Pardi l'Etat fédéral américain est contraint de renflouer Freddie Mac et Fanny Mae, si ce n'est pas une humiliation !

Je n'insisterai pas sur le caractère monstrueux de ces deux géants du Mortgage, sur leur situation quasi monopolistique, et leurs rapports plutôt ambigus avec l'Etat lui-même. Je préfère observer que le gouvernement n'est en mesure de secourir le « Marché » que si ce dernier ne lui est pas trop assujetti, s'il n'en a pas déjà circonscrit les règles à son seul profit, et surtout s'il n'est pas lui-même ruiné...
Il suffit d'évoquer les entreprises nationalisées qui ne vont pas bien. Hélas, ça arrive aussi et pas qu’un peu notamment, en France (le Crédit Lyonnais par exemple, la Sécu… voire l’Etat tout entier en quasi faillite permanente…). Eh bien c’est l’Etat qui est contraint d'accourir à sa propre rescousse, à la manière du serpent qui se mord la queue (ou du fameux Baron Münchausen qui se tire par les cheveux…). Pas trop difficile pour lui en réalité, il n’a qu’à pomper un peu plus les ressources des entreprises et des contribuables, tant qu'il y en a ! Tout est donc dans tout et réciproquement...

Plus que jamais, je reste donc amoureux de la Liberté et pense que le monde ne souffre pas d'un excès mais d'un manque de libéralisme bien compris, c'est à dire averti des dangers de l'excès de centralisation et de monopole, et convaincu que l’Etat doit être réduit à sa plus simple expression. C’est la sagesse. Ce n’est pas grandiose mais au moins les dégâts sont limités et ça stimule la responsabilité citoyenne…
Car c'est un fait, le libéralisme est fait pour des gens responsables. C’est évidemment sa faiblesse. Quand il est livré à des joueurs qui investissent en bourse comme ils jouent au casino, qui ne veulent plus rien payer à sa juste valeur, pas étonnant qu’il y ait de la casse. Heureusement il est solide, et je ne doute pas qu’il s’en sorte mieux que tout autre système en crise. Mais revenons aux sources, de grâce. Jefferson, Jefferson…

* Tristesse d'Olympio. Victor Hugo

17 septembre 2008

A sad gig in the sky

Avec cette variation sur le titre d'une des somptueuses compositions de Richard Wright (1943-2008), pianiste et organiste émérite du groupe Pink Floyd, s'évanouit en souvenirs émus un peu de cette musique qui traversa en l'illuminant, la fin du XXè siècle. En d'autres termes, avec la disparition de cet artiste discret, charmant et talentueux, c'est encore un pan des sixties qui s'écroule. Avec le temps tout s'en va... Bien qu'il ait souvent joué ces dernières années avec son cher ami David Gilmour, et même une fois ou deux avec tous ses camarades de la grande époque, les derniers grands concerts et le dernier album du groupe datent de 1994. Dans cette fameuse ambiance d'extase flottante, bleue, rouge et multicolore, traversée de lasers tranchants comme des rayons émanant de diamants utopiques, l'esprit s'égare et s'imagine en bateau ivre, échappé du temps, mais sillonnant sereinement une mer de raison. Et après les réminiscences de Rimbaud, on songe en définitive aux mots de Baudelaire : « là tout n'est qu'ordre et beauté, luxe calme et volupté »...

16 septembre 2008

Jeff et Benoît sont en bateau...


Qu'on me pardonne l'insoutenable légèreté de ce titre. Jeff ici c'est Koons, l'artiste au homard pendu à Versailles, et Benoît n'est évidemment personne d'autre que le seizième du nom dans la papauté catholique !
Pourquoi les mettre ainsi face à face dans une improbable embarcation ?

Sans doute un peu parce que leurs noms à tous deux font couler pas mal de salive et d'encre ces derniers temps. « Tout le monde en parle » comme disait l'autre...
Surtout parce qu'ils incarnent à l'instant présent deux des plus indicibles passions qui animent l'être humain : L'Art et Dieu. Et parce que ces deux passions semblent parfois en passe de s'abîmer dans le néant.

En effet, malgré la fameuse assertion de Malraux sur le caractère "spirituel" du XXIè siècle, c'est pour l'heure ce qui paraît lui manquer le plus. Dieu et l'au-delà ne suscitent que fanatisme ou indifférence, et quant à l'art, il erre entre banalisation et délires commerciaux. D'une manière générale, une bonne part de ce qui faisait "l'esprit", se trouve réduit à l'état de vestiges.
Pas si grave diront certains.
Il est vrai que Malherbe constatait autrefois qu'un poète « n'était pas plus utile à l'Etat qu'un bon joueur de quilles ». Et Marx évoquait à propos de la religion, « l'opium du peuple »...
Pourtant l'analyse du passé, même récent, enseigne qu'en règle, les sociétés sans Dieu furent les pires de toutes. Et c'est le plus évident bon sens qui veut qu'on mesure le degré de civilisation à l'aune de la production artistique. Les deux allant souvent de pair, faut-il le préciser.

Il n'est pas étonnant que l'Art, dont la vertu première est de parler à l'âme, subisse de plein fouet les effets néfastes du matérialisme qui ronge notre monde. Privé de but, dénué de substance intrinsèque et "d'élévation" comme dirait Baudelaire, il est livré aux marchands et aux "exhibitionnistes".
Ce dernier terme convient particulièrement bien aux productions de Jeff Koons, comme il pourrait aussi bien qualifier Damien Hirst, autre figure emblématique de la culture instantanée. L'un reproduit en grand, grâce à des procédés industriels, des objets d'essence totalement insipide. L'autre amuse la galerie des gogos fortunés en découpant en tranches, de malheureuses vaches formolées, qu'il présente dans de grands écrins vitrés, ou bien colle avec un ineffable mauvais goût des multitudes de diamants sur un crâne humain.
Le spectacle des matières clinquantes mais vaines de Jeff Koons au sein des dorures compassées de Versailles inspire à peu près les mêmes émotions que les rayons savamment présentés d'un grand magasin parisien au moment de Noël, ou les images sur papier glacé d'un magazine de mode... Celles de Hirst relèvent de la curiosité morbide. Pacotille et vanité.


Et tout à coup, face à ce tumulte dérisoire, face aux croyances archaïques et aux a priori sectaires qui se multiplient, cherchant à tourner tout ce qui est inspiré en ridicule, tout ce qui est beau en grotesque, le pape se pose de manière inattendue, en interprète olympien du mystère universel.
Comme libéré de tous les excès et paroxysmes qui émaillèrent depuis la nuit des temps, la relation complexe de l'homme avec l'au delà, il semble avoir pleinement fait siens les conseils du vénérable Kant : "La religion, sans la conscience morale n'est qu'un culte superstitieux. On croit servir Dieu lorsque, par exemple, on le loue ou célèbre sa puissance, sa sagesse, sans penser à la manière d'obéir aux lois divines, sans même connaître et étudier cette sagesse et cette puissance. Pour certaines gens, les cantiques sont un opium pour la conscience et un oreiller sur lequel on peut tranquillement dormir."

Benoît XVI parle de « Dieu le grand inconnu » avec des mots pris au dictionnaire de la raison et tente avec bonhomie et humilité, pour redonner un peu d'âme au monde, de réconcilier religion et culture : « ce qui a fondé la culture de l'Europe, la recherche de Dieu et la disponibilité à L'écouter, demeure aujourd'hui encore le fondement de toute culture véritable ».
Même en étant agnostique, comment ne pas prêter une oreille attentive à ce discours, qui associe sans crainte l'idée de Dieu à l'humanisme, à l'art, à la musique, à la culture ?

Une fois n'est pas coutume, en tombant par hasard sur des réflexions émanant de Philippe Sollers à propos du pape, datant de mai 2007, je suis touché. Rappelant le rôle éminent de Jean-Paul II dans l'histoire de la fin du XXè siècle, et décrivant la succession des Benoît qui précédèrent le pontife actuel, leurs liens spirituels avec Dante ou Voltaire, il évoque la « continuité invisible entre les papes », « autrement décisive que cette fixation des médias sur les questions sexuelles » qui confine à l'obsession et à la caricature (oserais-je dire la mauvaise foi ?).
Plus encore, il parle de l'inclination de Benoît XVI pour la musique et trouve une jolie formule. Plutôt que de me rabattre à propos du bateau, sur l'Arche de Noé ou quelque chose du genre, je trouve plaisant de terminer ce billet en lui laissant la parole : « Un pape qui joue une sonate de Mozart, voilà qui atteste, de mon point de vue, que Dieu existe... »

12 septembre 2008

Raisonnement par l'absurde


Le 10 septembre, les agences de presse Interfax et Itar-Tass, se faisaient l'écho des propos quelque peu menaçants du chef des forces stratégiques russes : « Les sites qui accueilleront des éléments du bouclier antimissile américain en Pologne, République tchèque ou ailleurs pourront devenir la cible de missiles intercontinentaux russes ».
On se pince. Ne croirait-on pas ce genre de sombre logique, prise au robinet de la plus pure dialectique soviétique ?
N'est-ce pas précisément parce qu'ils craignent d'être la cible de missiles, que ces pays, douloureusement échaudés par le passé, et constatant ce qui se passe en Georgie, ressentent le besoin d'être protégés par un bouclier ?

Avec le même imparable raisonnement, il faudrait évidemment voir dans les trois navires américains dépêchés en Mer Noire, au secours des populations civiles bombardées par la Russie, des forces agressives, destinées à "réarmer la Georgie"... Et en revanche dans les bombardiers Tupolev-160 arrivés récemment au Vénézuela en renfort de la flotte de guerre croisant depuis quelques temps dans les Caraïbes, de paisibles engins effectuant des "missions d'entrainement de routine"...
Dommage que ce balourd de Chavez n'ait pu s'empêcher de vendre la mèche : "C'est un avertissement a-t-il lancé avec arrogance. Nous sommes des alliés stratégiques. c'est un message à l'empire américain" ! (Figaro 11/09/08).

S'agissant enfin du récent accord de paix signé par l'Europe et la Russie au sujet de la Georgie, des signes patents témoignent déjà du manquement à la parole donnée par Moscou.
Contrairement à l'engagement de revenir à l'état des forces d'avant le conflit, la Russie va maintenir au moins 3.800 soldats dans chacun des deux territoires, comme l'a annoncé le ministre russe de la Défense, Anatoli Serdioukov (on en comptait respectivement 1000 en Ossétie et 3000 en Abkhazie, avant les hostilités de cet été).
D'autre part, contrairement à ce que Nicolas Sarkozy affirmait, le ministre russe des affaires étrangères Serguei Lavrov a déclaré que les observateurs de l'Union Européenne ne seraient pas autorisés à entrer en Abkhazie et en Ossétie. Ils devront rester à l'extérieur de ces territoires pour exercer leur mission...

11 septembre 2008

Les imbéciles volent bas


Il y a de quoi être parfois effrayé, pour ne pas dire atterré, par la déroute dramatique du sens critique dans notre pays.
Et dire que les Français étaient réputés pour avoir de l'esprit... On a beau se dire que ce n'est pas forcément beaucoup mieux ailleurs, il est difficile d'y trouver une consolation, étant donnée notre ambition de servir de modèle.
Non seulement la correction politique a quasi vitrifié l'expression, mais force est de constater les ravages d'une sorte de consensus atone, sans inspiration autre que la naïveté, l'ignorance ou tout simplement la bêtise.

Le dérapage récent de jean-Marie Bigard en est une nouvelle illustration. Rappelons brièvement que l'humoriste a prétendu sur l'antenne d'Europe 1 au cours d'une émission animée par Laurent Ruquier, que les attentats du 11 septembre 2001 résultaient d'une conspiration de l'Etat américain, affirmant notamment, à l'instar de Thierry Meyssan et d'autres défenseurs de la théorie du complot, qu'aucun avion ne s'était écrasé ni sur le Pentagone, ni en Pennsylvanie, mais « qu'ils volaient encore » !
Pour lui, sans rire, « ni Ben Laden ni aucun Al Quaeda n'ont été responsables des attentats », et c'est un missile de l'US Army qui a percuté le Pentagone tuant sciemment des Américains. Quant à l'effondrement des tours du WTC, même si le monde entier a pu voir les avions s'y écraser dans d'effroyables explosions, il ne s'agit rien moins que d'une « démolition contrôlée », « confirmée par tous les spécialistes de la Terre »...
Marion Cotillard est donc largement distancée par ce nouveau Clérambard à la noix dont la Presse de gauche a beau jeu de rappeler qu'il est «le copain de Sarkozy ».

Bien qu'il me soit arrivé de rire aux sketches dudit Bigard, je n'ai jamais eu d'illusion sur la finesse intellectuelle de l'olibrius. Pourtant je pensais plus ou moins confusément qu'il prendrait le microcosme médiatique à rebours en révélant qu'il s'était livré à un canular – de mauvais goût, mais c'est son fonds de commerce – à seule fin de faire un peu mousser l'opinion.

Hélas, en la circonstance, le plus consternant s'il est possible, est la réaction dudit comique quelques jours après « l'incident ». Il « demande pardon à tout le monde» et se livre à une affligeante autocritique : "Je ne parlerai plus jamais des événements du 11 septembre. Je n'émettrai plus jamais de doutes. J'ai été traité de révisionniste, ce que je ne suis évidemment pas".
De deux choses l'une. Ou bien il est convaincu du bien fondé de la thèse qu'il a soutenue sans ambiguïté devant « la bande à Ruquier », et il n'y a aucune raison de ne pas la maintenir, vue la gravité des faits. On est en démocratie, de quoi a-t-il peur ? Ou bien il n'en pense pas un mot et avoue donc dire n'importe quoi, ce qui n'est pas moins grave étant donnée l'énormité des dires...

Pendant ce temps le Figaro (08/09) nous apprend le plus sérieusement du monde que selon une "enquête" menée par TNS-SOFRES et Logica, 80% les Français voteraient Obama, ne laissant que 8% pour McCain...(Figaro 8/09). Faut-il rire ou pleurer d'une telle constance dans l'unanimisme béat...

09 septembre 2008

Maïeutique


Internet est un vaste champ de débats. De la blogosphère aux forums, quantité de gens un peu partout communiquent, débattent, s'invectivent ou se congratulent. La Presse écrite qui sous sa forme papier ne réserve que la portion congrue aux réactions des lecteurs, ouvre sur le Web largement ses portes aux commentaires de toutes sortes. Au point qu'on finit par ne plus vraiment lire les articles... De leur côté, les sites de commerce en ligne publient les critiques louangeuses ou sévères des consommateurs à propos des articles en vente sur leur site. Souvent bien plus instructives que celles plus ou moins complaisantes ou de circonstance, des experts en la matière... Désormais il est même possible de réagir aux critiques par des commentaires...

C'est dans ce contexte que je me suis trouvé engagé récemment sur Amazon.fr, dans une confrontation au sujet de la société américaine et du libéralisme, à propos du film de Michael Moore : « Bowling for Columbine ».Avec l'accord de mon interlocuteur, je me permets ici de transcrire ce débat tonique mais courtois. Comme le veut la tradition, les échanges se font sous couvert de pseudonymes. Ce sera donc RD (pour Red Dog) contre LL (pour Libertylover). Je n'espère pas trop convaincre quiconque du bien fondé d'une des deux options défendues. Je les présente plus comme une illustration de la maïeutique chère à Socrate et Platon Ou l'art d'accoucher les idées par le dialogue... Advienne que pourra :

RD : Edifiant documentaire du trublion Michaël Moore qui n'apprendra toutefois rien de plus que ce que l'on savait déjà, à savoir le caractère foncièrement violent de la société américaine : inégalités sociales monstrueuses, ségrégation raciale, paranoïa sécuritaire (savamment entretenue par le gouvernement et les médias à sa solde), religion et nationalisme omniprésents, misères intellectuelles et culturelles (programmes TV abrutissants) que ne parvient pas à masquer l'opulence matérielle....Que 53% des Français aient donné les clés de la "maison France" à un admirateur avoué de ce "modèle" fait froid dans le dos, même si (enfin, je l'espère) la France ne sera jamais l'Amérique. Charlton Heston fût peut-être un grand acteur, mais c'était également un sacré réactionnaire. Bien sûr, comme à son habitude, Moore s'égare dans quelques raccourcis tombant comme un cheveu sur la soupe, comme quand il vante les mérites du système de santé Canadien (qui a le mérite d'exister mais qui doit nécessairement subir les pressions des politiques néolibérales en vogue là-bas comme ailleurs), mais globalement ce documentaire mérite tous les prix qu'il a obtenu. Et qu'on ne vienne pas me parler "d'anti-américanisme primaire", on ne cherche pas des noises aux détracteurs de la Russie ou de la Chine (systèmes politiques et économiques que je combat également) et puis s'il y avait plus de Michaël Moore aux USA, je les apprécierai certainement davantage.

LL : Si votre idée de la société américaine est fondée sur les témoignages caricaturaux et systématiquement à charge de ce gros plein de soupe prétentieux, menteur et démagogue qu'est Michael Moore, je comprends qu'elle ne soit pas très favorable. Regardez bien ce peuple et son histoire et vous comprendrez que malgré tous les défauts, il s'agit d'une merveilleuse aventure (la plus belle à mon sens depuis le siècle d'or de Périclès). Sans l'Amérique, le monde libre n'existerait pas, c'est pourtant évident...

RD : Déjà, pour moi "monde libre" ne signifie rien, tout comme "axe du mal". Tout ceci n'est destiné qu'à faire peur aux gens, pour mieux les contrôler. Au final, la "liberté" n'est que de façade....et proportionnelle au compte en banque....
Donc vous considérez un pays où 40 millions d'individus n'ont pas de couverture sociale, où n'importe qui peut s'armer, où de nombreuses personnes sont des "gros pleins de soupe" (pas une caractéristique de Moore seulement, hein), où la peine de mort existe encore (!!), où un président peut être tué sans qu'on connaisse la vérité 45 ans plus tard et où un candidat risque de l'être sous prétexte qu'il est noir (enfin, gris lol), où la religion et le nationalisme sont si exacerbés, comme un exemple pour l'humanité toute entière ? Mais au fait, pourquoi n'y vivez-vous pas, si c'est si bien ?

LL : Je vis en France, je sais à qui je dois ma liberté et ne l'oublierai jamais. Dans les cimetières américains de Normandie, des milliers de petits gars de 18 ans reposent, après s'être battus pour donner à notre pays (et à tant d'autres...) ce qu'il y a de plus cher au monde. Si ça ne signifie rien pour vous alors, il n'y a plus qu'à tirer l'échelle...

RD : Bizarre que les réfractaires à la "repentance permanente" (passé colonial de la France) soient les mêmes qui nous rabâchent sans cesse que la France devrait toujours être d'accord sur tout avec les Américains au prétexte qu'ils nous ont sauvé lors de la seconde guerre mondiale. Je vous signale que les Russes aussi ont participé à la victoire sur les Nazis. Par calculs sans doute, mais on pourrait dire la même chose des Américains, non ? Par ailleurs je vois que vous ne répondez pas sur le fond.

LL : Evidemment, avec votre conception très particulière de la liberté, pensez-vous également que les Soviétiques libérèrent toute la partie est de l'Europe... Dommage donc selon vous, qu'ils n'aient pas pu faire profiter pleinement la France du paradis socialiste !

RD : Si vous aviez bien lu, j'ai écrit "par calculs sans doute". Qu'en est-il des Américains ? Ne nous ont-ils pas libéré par intérêts ? Je vois que vous ne répondez jamais sur le fond, ce qui est typique des libéraux, quand on touche un point sensible, ils bottent en touche, sûrs de leurs positions, quoiqu'il advienne....

LL : Quel est donc le fond auquel vous faites allusion avec tant d'insistance ? Pour moi il est de savoir qui peut incarner le mieux la Liberté. C'est la valeur que je chéris le plus, car elle conditionne à mon sens toutes les autres. C'est lorsque on en est privé qu'on comprend vraiment le bonheur qu'elle donne. Peut-être ai-je tort, mais j'ai tout de même le droit d'avoir cette conviction. On peut la critiquer mais pas la démolir sans nuance.
Je vous reproche, si je puis me permettre, de tout confondre dans un micmac généralisé. Vous dites que "le monde libre ne signifie rien" pour vous. Libre à vous bien sûr, mais ça ne vous avance pas à grand chose.
Vous ramenez l'action américaine à des "calculs". Je veux bien, mais faudrait-il donc qu'ils soient de purs anges pour qu'on leur accorde quelque attention bienveillante ? Est-il si anormal qu'ils prennent aussi leur intérêt en compte avant d'agir ? Ce qui importe c'est qu'ils agissent aussi par altruisme, et plus encore le résultat de leur action. Que je sache, aucun Européen libéré par les Américains n'aurait changé son sort pour celui de ceux qui le « furent » par les Soviétiques. Aucun Coréen du Sud ne troquerait sa situation pour celle d'un habitant du Nord. Aujourd'hui, je suis prêt à faire le pari que très peu d'Irakiens souhaiteraient revenir au temps de Saddam et d'Afghans au temps des Talibans...
L'Amérique est un pays libre. Cette liberté a un prix. Elle suppose notamment d'être responsable de ses actes. Ça peut être douloureux c'est vrai, et parfois difficile même à supporter ou à comprendre. Quand vous dites rageusement que 40 millions d'Américains n'ont pas d'assurance maladie par exemple, avez-vous seulement songé que cette dernière n'est pas obligatoire comme en France ? Savez-vous que le système medicare prend tout de même en charge les soins des plus démunis, et ce depuis bien plus longtemps que la CMU chez nous ?
La problématique des armes à feu est du même ordre. L'Etat ne règlemente pas tout et restreint le moins possible la liberté, partant du fait que les individus en feront bon usage. Ça peut paraître choquant dès qu'un drame dû à la folie se produit. Mais les Américains restent dans leur ensemble attachés à ce principe qui leur vaut le régime le plus démocratique et le plus stable au monde (et encore loin d'être parfait je vous l'accorde...).
Cela dit, vous avez parfaitement le droit d'être opposé à cette conception des choses, et détester les Américains. Pour pouvez penser qu'une autre voie serait meilleure, mais vous aurez du mal à me convaincre qu'elle pourrait incarner mieux la liberté.

RD : Et ces 40 millions de personnes sans Sécu le seraient donc par choix ? Pourquoi dès lors s'élever en France contre l'instauration de la CMU (la droite "républicaine", votre parti) ? Oui, le plus stable évidemment, "tout est sous contrôle". Comment ? En s'inventant des ennemis (ou en les faisant plus gros et dangereux qu'ils ne sont), en installant la peur grâce aux médias aux ordres (faits divers et guerres en première ligne aux infos) et en menant une politique sécuritaire. Un peuple qui a peur, c'est un peuple qui obéit. Et puis je ne vois rien de très démocratique à choisir entre deux partis (financés par des lobbys) aux visions quasi-identiques sur presque tous les sujets (Républicains et Démocrates). Chez nous, il y a parfois trop de candidats mais là-bas, le choix est vite fait. Ah, et vous oubliez la peine de mort, qui là-bas existe encore. Encore une "valeur" que je vous laisse. A bon entendeur.

LL : Bien sûr qu'un bon nombre de ces gens font plus ou moins consciemment un choix. Quand on est jeune, en bonne santé, et qu'on ne roule pas sur l'or, on ne voit pas forcément comme urgente la nécessité de s'assurer. Il n'y a que les Français pour croire que la santé est gratuite et que la Sécu a réponse à tout. Pour le reste j'arrête car c'est trop. Continuez de croire que tous les ennemis qu'a combattus l'Amérique sont inventés si ça vous chante, que les Américains ont peur alors qu'ils sont quasi les seuls du monde occidental (avec les Anglais) à avoir encore le courage de s'engager pour défendre leur modèle de société. Et pour la démocratie, restez dans vos certitudes ou bien lisez Tocqueville, vous y trouverez bien des clés si vous voulez les voir. Enfin, je n'ai pas oublié la peine de mort qui fait partie des clichés inlassablement ressassés par les anti-américains. Mais à quoi bon tenter de vous expliquer que c'est plus complexe que ça en a l'air et peut-être moins hypocrite que la bonne conscience abolitionniste, bien intentionnée mais incapable de proposer une solution alternative ? De toutes manière vos certitudes sont inébranlables...

PS : je n'ai pas de parti figurez vous. Malgré l'invraisemblable profusion de candidats (qui permet parfois à un président d'être élu avec plus de 82% des voix), le libéralisme n'existe pas en France...

RD : Effectivement, il vaut mieux clore ici cette discussion inutile, vos certitudes étant également inébranlables (et oui, le libéralisme aussi est une idéologie, avec ses dogmes : privatisation de tout l'espace public notamment). Pour ma part la notion de "Monde Libre" a des relents de "guerre des civilisations" que je réprouve. L'alternative à la peine de mort a été donné par le modèle européen : l'abolition, tout simplement (heureusement, de ce côté-là, tout retour en arrière est compromis, ne vous en déplaise). Quand au soit-disant "choix" de certains américains de ne pas s'assurer, c'est tout bonnement risible, et ce choix est guidé par le système à deux vitesses américain : si tu es riche tu peux te soigner, t'instruire, te cultiver, si tu es pauvre, non (ou alors beaucoup moins bien). Qui peut connaitre à l'avance l'état de sa santé ? On tombe malade par choix ??? Si je suis votre raisonnement, vous ne devez pas assurer votre habitation et votre véhicule non plus alors, car c'est le même principe. A moins que ce soit la notion de "service public" qui vous gêne ? Cordialement

LL : Encore un mot car même si je suis persuadé de votre bonne foi, vous ne semblez pas comprendre ce que je veux dire. Naturellement je ne me réjouis pas du fait que des gens n'aient pas d'Assurance Maladie (ou habitation comme à Haumont lors de la tornade). Simplement je pense qu'il vaut mieux chercher à les convaincre d'en contracter une ou les aider à le faire, plutôt que les y obliger. Et je ne pense pas que l'Etat soit le meilleur garant d'efficacité en matière de gestion de ces assurances (la Sécu, qui pompe beaucoup de ressources, qui est chroniquement déficitaire, et qui est contrainte d'ouvrir de plus en plus le champ aux mutuelles privées, est un modèle discutable)
Je ne me réjouis pas davantage du maintien de la peine de mort. Mais ce n'est pas parce qu'on a décrété son abolition qu'on a résolu le problème, même en gravant le principe dans le marbre. Autant déclarer le chômage illégal comme Besancenot et abolir le mauvais temps comme dans Globalia de Rufin... Savez vous que des prisonniers en France réclament régulièrement le rétablissement de la peine capitale tant ils considèrent leur sort comme insupportable ? Souvenez vous également de l'affaire Gary Gilmore aux USA.
Enfin, dans la nature rien ne relève a priori d'un quelconque Service Public ou d'une réglementation étatique immanente. Tout est public c'est à dire en fait privé. Il ne s'agit donc pas de "tout privatiser", mais plutôt de ne pas nationaliser à outrance... Le libéralisme, ça consiste à établir le contrat social qui rognera le moins sur la liberté naturelle de chacun, mais permettra tout de même à tous de vivre en bonne intelligence. Le seul dogme en la matière, c'est que l'Etat soit le moins contraignant possible. Pour tout dire, plus les hommes se comporteront en individus responsables, moins ils auront besoin d'être gouvernés autoritairement, c'est le pari optimiste que font les libéraux. On est certes loin de la concrétisation du "self-government", mais c'est tout de même un bel idéal...
Bien à vous

RD : Oui, effectivement, si tous les êtres étaient parfaits, nous n'aurions même plus besoin de police (ce serait vraiment une bonne chose !) ! :) Un mot aussi toutefois puisque vous lancez une piste : la Sécu n'était plus en déficit sous le gouvernement Jospin. Quand aux causes de ce déficit, je vous aiguillerais davantage vers les exonérations de charges patronales non compensées par l'Etat plutôt que vers les fraudes, certes il y en a mais de là à dire que c'est généralisé ! Une autre chose me vient à l'esprit : il est souvent dit (à juste titre) du communisme qu'il voulait "faire le bonheur des gens malgré eux". Et bien je trouve que le libéralisme (les Américains) agit de la même façon : imposer la démocratie (ou leur vision de la démocratie) y compris par la force ; faire revoter aux référendums européens jusqu'à ce que la réponse obtenue soit celle voulue. Encore autre chose : les Américains souhaitent que les autres pays ouvrent leurs frontières aux produits étrangers (principe du libre-échange) mais se comportent eux en parfaits protectionnistes ("faites ce je dis, pas ce que je fais"). Bref, je note une multitude de contradictions chez ceux qui se réclament du libéralisme. Bon, je vous laisse le dernier mot cette fois, si vous en voulez.

LL : Je vous le laisse bien volontiers. Je constate que nous restons sur des positions diamétralement opposées. Mais nous sommes parvenus à nous parler cordialement, c'est bien là l'essentiel après tout...