Il
y a dans notre vieux pays des gens qui gardent à la bouche l’écume
des révolutions, et aux mains, le parfum coagulé du sang dont on
usa sous la Terreur pour ratifier ce que le poète André Chénier
appela des barbouillages de lois.
La nostalgie de ces temps troublés inspire nombre de discours vindicatifs desquels sourd une étrange fascination pour l’insurrection, les soulèvements, la rébellion, la désobéissance civile, et l’indignation, devenue très tendance dans le microcosme médiatique.
La nostalgie de ces temps troublés inspire nombre de discours vindicatifs desquels sourd une étrange fascination pour l’insurrection, les soulèvements, la rébellion, la désobéissance civile, et l’indignation, devenue très tendance dans le microcosme médiatique.
De
là ces appels incessants à la rue, qui n’ont pourtant sous nos
latitudes démocratiques, plus aucun sens. De là cet engouement
anachronique pour les émeutes et la résistance, qui n’ont rien à
faire dans une société ouverte et réputée éclairée.
C’est
que la nostalgie du Grand Soir continue d’étreindre ces gens, qui
n’ont qu’une piètre idée de la démocratie et de la Liberté.
Dans
ces tumultes irraisonnés et informes, ils voient l’espoir
d’établir par la force brutale et la violence, ce qu’ils ne
parviennent à obtenir par les urnes et l’argumentation. Leur idéal
reste envers et contre tout, inspiré d’une vieille rancune cuite
et recuite. Sans doute voudraient-ils brûler une fois pour toutes la
cervelle à ces aristocrates qu’ils appellent désormais les
Riches, les Nantis, les Financiers, les Banquiers, l’Oligarchie, et in fine à tous ceux qui pourraient passer pour contre-révolutionnaires, ou simplement "réactionnaires"…"Qu'ils s'en aillent tous" titrait M. Mélenchon en tête d'un récent livre !
Peu
importe ce qui pourrait arriver après, la destruction est la seule
ligne d’horizon.
Derrière
ce discours de haine, on retrouve toujours la Gauche dans sa version
jurassique et revancharde. Elle est plus dispersée, plus
hétéroclite, plus archaïque que jamais, mais elle parcourt toujours les
tribunes avec autant de virulence, d’intolérance.
Dernier
exemple en date, le livre d’Alain Bertho, qui fut longtemps compagnon de route
du Parti Communiste, emphatiquement intitulé
« le temps des émeutes ».
Cet
homme manifeste une étrange obsession pour les désordres sociaux. Il s'est même donné la mission de
recenser quotidiennement dans le monde toutes les émeutes depuis2007 !
Avec
le dessein de magnifier ces frissons disparates, annonciateurs selon
lui, de la révolution générale qu'il juge quasi inévitable, et on
le comprend à l'entendre, souhaitable. Car ces convulsions seraient révélatrices
de la volonté populaire et de la jeunesse : à
travers ces explosions de révolte, c’est toute la question d’une
jeunesse sacrifiée dans la mondialisation qui se pose.../... C’est
maintenant un phénomène mondial et contemporain, qui prend forme
face à l’épuisement, à l’inefficacité des autres modes
d’actions.
Il
y a au moins deux malhonnêtetés dans ce discours à forts relents
idéologiques. La première consiste à pratiquer la bonne vieille
technique de l'amalgame, qui met dans le même panier des choses sans
rapport entre elles. Assimiler par exemple les révoltes qui secouent
le monde arabe aux mouvements antimondialisation que connaît l'Occident, est la preuve d'une mauvaise foi évidente. La
quasi totalité des régimes remis en cause au Proche-Orient sont où
étaient d'essence socialiste, totalitaire. L'aspiration des peuples est d'avoir davantage de liberté. Rien à voir
avec les revendications gauchisantes confuses auxquelles on assiste dans les pays démocratiques, en
pleine crise économique.
La
seconde perversion de raisonnement réside dans le tour de
passe-passe dont usent les chantres de l'émeute pour présenter les gesticulations de minorités agissantes comme
l'expression d'un courant d'opinion puissant, doté d'une légitimité
supérieure à celle des urnes. Le slogan "les
99 % qui ne tolèrent plus la cupidité des 1 % les plus favorisés »
constitue l'illustration édifiante du subterfuge.
*****
La
Grèce est le sujet de beaucoup de supputations. Les émeutes qui la
secouent en ce moment sont interprétées de manière contradictoire
selon le point de vue politique qu'on adopte. On entend toutefois
davantage ceux qui à l'instar de M. Bertho, prétendent que le
malaise est causé par la "Finance Internationale", que les plans de
sauvetage qui tentent d'empêcher la faillite du pays ne font
qu'aggraver sa situation, en imposant une austérité que rien ne
justifie. C'est ainsi que le professeur, invité récemment de France Culture (Les Matins 14/02/2012),
légitima la révolte populaire, au motif que, responsable du
délabrement actuel, l'Etat « a fait ça sans demander au
peuple ».
C'est
oublier que dans une démocratie, si les gouvernants doivent
effectivement assumer leur responsabilité, les citoyens ne peuvent
pas pour autant se prétendre innocents de ce qui leur arrive.
Lors de la même émission, le
chroniqueur Brice Couturier rappela fort justement « qu'on
ne peut exonérer les peuples de la responsabilité d'avoir voté
pour des dirigeants véreux. »
Dans
les déboires de la Grèce, il y a une sorte de dévoiement
démocratique dont les causes sont loin d'être univoques. C'est en
toute connaissance de cause que l'Etat-Providence s'est endetté à
hauteur de 160% du PIB. C'est avec l'assentiment général que la
fonction publique a grossi jusqu'à représenter le quart des emplois
(rémunérés en moyenne 60% de plus que dans le secteur privé). Ce
n'est pas en un jour et de manière abrupte que s'est effondrée la
balance commerciale...
Et
ce n'est pas pour "humilier" le pays comme le soutient de son côté le
cinéaste Costa-Gavras, que la Communauté européenne lui demande de respecter enfin des règles de bonnes gestion, en
contrepartie de plans de sauvetage qui ont conduit récemment à
effacer 100 milliards d'euros de dettes et à voter un nouveau renflouement
de 130 milliards d'euros...
Enfin,
il est excessif de conclure à un embrasement populaire, lorsqu'on
voit 200.000 personnes descendre dans la rue, et se livrer à des
pillages et des dégradations, tandis que l'immense majorité des 11 millions
d'habitants de la péninsule restent chez eux !
En
somme, comme le précisa M. Couturier : « Il y a une
lecture lyrique et gauchisante des émeutes qui tend à faire des
émeutiers les représentants du vrai peuple tandis que les élus du
suffrage universel, eux, seraient par nature disqualifiés. Mais
c'est une tendance inquiétante de la science politique car c'est le
risque de faire des minorités agissantes les vrais représentants de
la démocratie au détriment du suffrage majoritaire exprimé au
cours d'élections libres. L'essence de la démocratie est de pouvoir
se libérer de ses dirigeants. Il ne faudrait pas que cela soit
remplacé par la tyrannie de minorités agissantes... »
Alain
Bertho : le temps des émeutes Bayard
Professeur
à l'Université Paris VIII, il est directeur de l'Ecole Doctorale de
Sciences Sociales.