Après avoir tourné pendant des années, qui me semblèrent des siècles, autour de cet astre tout à la fois ténébreux et flamboyant, je me suis enfin risqué à l'approcher…
J’ai donc plongé dans l’ouvrage de Friedrich Nietzsche (1844-1900) que j’avais à portée de main, afin d’explorer le monde étrange et redouté qui se situe Par delà le Bien et Le Mal.
Et j’ai découvert un étonnant patchwork anti-philosophique, fait de maximes, d’aphorismes et de sentences disparates. Une sorte de kaléidoscope multicolore dans lequel on peut trouver de vraies pépites mais aussi un foutoir confus, sans structure autre qu’une foule d’affirmations péremptoires, jetées tous azimuts, sans transition mais non sans périphrases et contradictions.
Pourquoi cette impression ?
Nietzsche commence par envoyer en enfer la philosophie et avec elle tous les philosophes qui ont eu le malheur de le devancer. De Platon à Schopenhauer, tout le monde y passe. Le premier parce qu’il a commis l’erreur d’inventer le socratisme qui introduisit l’utilitarisme dans la morale, autrement dit le ver dans le fruit....
Le ton est donné, mais ce n’est que le début du festival dévastateur.
Plus proche de nous, le vénérable Kant est méchamment tourné en dérision. Son “impératif catégorique”, et sa découverte de “la faculté morale de l’homme”, sont qualifiés “d’amphigouri germanique”, “prolixe, solennel”, “un étalage de profondeur”...
Dans la foulée, le lecteur est invité à se méfier “des jongleries mathématiques dont Spinoza a masqué sa philosophie” et des pensées de Pascal, trop marquées par la foi, laquelle s’apparente “à un continuel suicide de la raison”...
L’école anglo-saxonne n'est pas davantage épargnée. Elle est même traitée avec le plus profond mépris. Hobbes, Locke et Hume sont condamnés sans appel pour avoir été la cause, plus d’un siècle durant, “d’un ravalement et d’un amoindrissement de l’idée même de la philosophie…” Il faudrait donc, entre autres jugements expéditifs, réfuter absolument “l’esprit superficiel de Locke en ce qui concerne l’origine des idées…” mais aussi rejeter l’enseignement de Bacon, qui constitue “une attaque contre tout esprit philosophique”. Enfin, si Darwin, John Stuart Mill, Herbert Spencer sont qualifiés “d’Anglais estimables”, leur apport se cantonne à “des vérités qui ne pénètrent nulle part mieux que dans les têtes médiocres, parce qu’elles sont faites à leur mesure”...
En somme, pour Nietzsche, le péché fondamental des philosophes est de “créer toujours le monde à leur image”. Ils ne peuvent pas faire autrement car “la philosophie est cet instinct tyrannique, cette volonté de puissance la plus intellectuelle de toutes, la volonté de créer le monde, la volonté de la cause première…”
Mais comment suivre les errements d’un tel guide, fussent-ils parfois éclairés par des trouvailles géniales, fussent-elles incandescentes comme des scories sous le marteau brûlant du forgeron ? Comment trouver une cohérence à un discours aussi destructeur, aussi bourré de contradictions ? Et qu’est-il donc, s’il n’est pas philosophique ?
Son architecture a beau paraître claire, décomposée en chapitres sobrement intitulés, et subdivisée en réflexions numérotées avec un zèle d’entomologiste, il s’avère difficile d’y trouver un chemin logique. Tout au plus peut-on rassembler sous des chapeaux idéologiques les quelques constantes d’une pensée très éparpillée.
Prenons l’exemple de la Morale qui est un des sujets récurrents de l’ouvrage, dont le titre est au demeurant explicite de ce point de vue.
On comprend vite que celui qui se targuait de pouvoir faire parler Zarathoustra se positionne ailleurs qu’à l’endroit où végète selon lui le commun des mortels, en tout cas pas dans un monde régi par des canons éthiques classiques.
On a déjà vu comme il bouscule les concepts kantiens en la matière, on verra comme il piétine avec jubilation les fondamentaux religieux.
Pour Nietzsche, c’est simple, la morale, dans le sens de la “morale d’intention”, n’est rien d’autre “qu’un préjugé , une chose hâtive et provisoire peut-être, de la nature de l'astrologie et de l’alchimie…” C’est tout dire !
On a beaucoup glosé sur la distinction qu’il fait entre “morale des esclaves” et “morale des maîtres”, mais elle est tout sauf morale, et paraît tellement ambiguë dans son esprit qu’il en vient à admettre que “parfois les deux sont accommodées au sein de la même civilisation”, voire “au sein d’une même personne à l’intérieur d’une seule âme”... Comprenne qui pourra !
On ne peut toutefois pas lui retirer une certaine prescience lorsqu’il déclare consterné, que “partout où la morale des esclaves arrive à dominer, le langage montre une tendance à rapprocher les mots “bon” et “bête”...” N’est-ce pas la préfiguration de la correction politique, de la cancel culture, et du fatras de bien-pensance, de bienveillance, de remords et de mauvaise conscience qui rongent à présent nos sociétés ? (à suivre...)
J’ai donc plongé dans l’ouvrage de Friedrich Nietzsche (1844-1900) que j’avais à portée de main, afin d’explorer le monde étrange et redouté qui se situe Par delà le Bien et Le Mal.
Et j’ai découvert un étonnant patchwork anti-philosophique, fait de maximes, d’aphorismes et de sentences disparates. Une sorte de kaléidoscope multicolore dans lequel on peut trouver de vraies pépites mais aussi un foutoir confus, sans structure autre qu’une foule d’affirmations péremptoires, jetées tous azimuts, sans transition mais non sans périphrases et contradictions.
Pourquoi cette impression ?
Nietzsche commence par envoyer en enfer la philosophie et avec elle tous les philosophes qui ont eu le malheur de le devancer. De Platon à Schopenhauer, tout le monde y passe. Le premier parce qu’il a commis l’erreur d’inventer le socratisme qui introduisit l’utilitarisme dans la morale, autrement dit le ver dans le fruit....
Le ton est donné, mais ce n’est que le début du festival dévastateur.
Plus proche de nous, le vénérable Kant est méchamment tourné en dérision. Son “impératif catégorique”, et sa découverte de “la faculté morale de l’homme”, sont qualifiés “d’amphigouri germanique”, “prolixe, solennel”, “un étalage de profondeur”...
Dans la foulée, le lecteur est invité à se méfier “des jongleries mathématiques dont Spinoza a masqué sa philosophie” et des pensées de Pascal, trop marquées par la foi, laquelle s’apparente “à un continuel suicide de la raison”...
L’école anglo-saxonne n'est pas davantage épargnée. Elle est même traitée avec le plus profond mépris. Hobbes, Locke et Hume sont condamnés sans appel pour avoir été la cause, plus d’un siècle durant, “d’un ravalement et d’un amoindrissement de l’idée même de la philosophie…” Il faudrait donc, entre autres jugements expéditifs, réfuter absolument “l’esprit superficiel de Locke en ce qui concerne l’origine des idées…” mais aussi rejeter l’enseignement de Bacon, qui constitue “une attaque contre tout esprit philosophique”. Enfin, si Darwin, John Stuart Mill, Herbert Spencer sont qualifiés “d’Anglais estimables”, leur apport se cantonne à “des vérités qui ne pénètrent nulle part mieux que dans les têtes médiocres, parce qu’elles sont faites à leur mesure”...
En somme, pour Nietzsche, le péché fondamental des philosophes est de “créer toujours le monde à leur image”. Ils ne peuvent pas faire autrement car “la philosophie est cet instinct tyrannique, cette volonté de puissance la plus intellectuelle de toutes, la volonté de créer le monde, la volonté de la cause première…”
Mais comment suivre les errements d’un tel guide, fussent-ils parfois éclairés par des trouvailles géniales, fussent-elles incandescentes comme des scories sous le marteau brûlant du forgeron ? Comment trouver une cohérence à un discours aussi destructeur, aussi bourré de contradictions ? Et qu’est-il donc, s’il n’est pas philosophique ?
Son architecture a beau paraître claire, décomposée en chapitres sobrement intitulés, et subdivisée en réflexions numérotées avec un zèle d’entomologiste, il s’avère difficile d’y trouver un chemin logique. Tout au plus peut-on rassembler sous des chapeaux idéologiques les quelques constantes d’une pensée très éparpillée.
Prenons l’exemple de la Morale qui est un des sujets récurrents de l’ouvrage, dont le titre est au demeurant explicite de ce point de vue.
On comprend vite que celui qui se targuait de pouvoir faire parler Zarathoustra se positionne ailleurs qu’à l’endroit où végète selon lui le commun des mortels, en tout cas pas dans un monde régi par des canons éthiques classiques.
On a déjà vu comme il bouscule les concepts kantiens en la matière, on verra comme il piétine avec jubilation les fondamentaux religieux.
Pour Nietzsche, c’est simple, la morale, dans le sens de la “morale d’intention”, n’est rien d’autre “qu’un préjugé , une chose hâtive et provisoire peut-être, de la nature de l'astrologie et de l’alchimie…” C’est tout dire !
On a beaucoup glosé sur la distinction qu’il fait entre “morale des esclaves” et “morale des maîtres”, mais elle est tout sauf morale, et paraît tellement ambiguë dans son esprit qu’il en vient à admettre que “parfois les deux sont accommodées au sein de la même civilisation”, voire “au sein d’une même personne à l’intérieur d’une seule âme”... Comprenne qui pourra !
On ne peut toutefois pas lui retirer une certaine prescience lorsqu’il déclare consterné, que “partout où la morale des esclaves arrive à dominer, le langage montre une tendance à rapprocher les mots “bon” et “bête”...” N’est-ce pas la préfiguration de la correction politique, de la cancel culture, et du fatras de bien-pensance, de bienveillance, de remords et de mauvaise conscience qui rongent à présent nos sociétés ? (à suivre...)