Évidemment c'est incongru, grotesque, intellectuellement véreux, et ça révèle une méconnaissance profonde, sous tendue sans doute par une aversion instinctive, pour tout ce qui touche au libéralisme. Mais c'est facile, pas besoin de trop argumenter, et ça permet de jeter le beau bébé de la liberté avec l'eau saumâtre du bain communiste. On pourrait ajouter que ça permet à certains de faire oublier leurs connivences longtemps entretenues avec le système soviétique...
Au premier abord, une telle référence appelle plutôt la sympathie de tout Libéral épris du message des Pères Fondateurs de l'Amérique. L'esprit de Philadelphie c'est bien sûr avant tout celui des auteurs de la déclaration d'indépendance de 1776, ou encore des Conventionnels qui élaborèrent la Constitution Américaine en 1789 : il n'y a pas de système au monde mieux organisé, plus stable, plus équilibré, et qui préserve autant les libertés individuelles.
L'ennui est que l'ouvrage se réfère en fait à une déclaration d'intention, moins connue, émanant de l'OIT (Organisation Internationale du Travail) datant de 1944 …
-La liberté d'expression et d'association est une condition indispensable d'un progrès continu,
-La pauvreté, où qu'elle existe, constitue un danger pour la prospérité de tous,
-Tous les êtres humains, quels que soient leur race, leur croyance ou leur sexe, ont le droit de poursuivre leur progrès matériel et leur développement spirituel dans la liberté et la dignité, dans la sécurité économique et avec des chances égales.
L'essentiel est que ce texte réaffirme l'importance de la liberté sous toutes ses formes. Force est de constater d'ailleurs, que si ces recommandations ne sont pas appliquées partout loin s'en faut, ce ne sont pas les pays démocratiques qui s'avèrent les plus répréhensibles en la matière.
Vu à travers le prisme déformant de la crise économique actuelle (la plus grave depuis 1930 nous répète-t-on à longueur de journée...) ce type d'argumentation peut avoir un semblant de vraisemblance.
Mais objectivement la thèse occulte bon nombre de réalités et rejoint peu ou prou les revendications confuses, agressives et destructrices de l'alter-mondialisme.
On peut reprocher à ce modèle bien des choses sans nul doute, mais il y a un grand danger à vouloir, par pure idéologie, lui briser les ailes ou simplement chercher à l'encager.
Le plus simple (mais pas simpliste pour autant...) est tout de même de considérer qu'il est fondé avant tout sur l'esprit de liberté.
Cela ne signifie aucunement qu'il faille se passer d'Etat et de Lois. Au contraire. De Montaigne à Popper, en passant par Montesquieu, Locke, Tocqueville etc..., tous les penseurs du libéralisme ont insisté sur l'importance de ces derniers pour garantir une vraie liberté, et prémunir de l'anarchie. On ne peut résumer mieux ce sentiment qu'en citant Karl Popper : « Nous avons besoin de liberté pour empêcher l’Etat d’abuser de son pouvoir, et nous avons besoin de l’Etat pour empêcher l’abus de liberté ». Le tout est de trouver le juste milieu.
Le vrai problème est donc bien davantage lié à la pléthore de la bureaucratie qu'à son insuffisance. Par voie de conséquence, ce n'est pas d'un excès de liberté dont le monde souffre, mais d'un manque. Et en terme de régulations, il conviendrait de procéder avant tout à un élagage, tout en cherchant à en améliorer la qualité, plutôt que de songer à en renforcer encore le nombre déjà extravagant.
Faudrait-il donc se lamenter que ces pays, grâce aux progrès de la liberté, puissent enfin accéder eux aussi à une certaine prospérité, même si nous devons un peu en souffrir, transitoirement ?
Par un paradoxe désolant, comme le déplore Nicolas Baverez, « Le libéralisme se trouve ainsi dans une position paradoxale de moteur des transformations de la démocratie et du capitalisme, mais aussi de bouc émissaire auquel sont imputées les injustices du monde. »
Il faut également se garder d'imaginer qu'en tuant l'aspiration libérale, pour faire renaître sur ses cendres de nouvelles idéologies, les choses seront plus roses (sans jeu de mot...). « Les libéraux ne proposent ni explication unilatérale, ni recette miraculeuse, mais opposent le travail de la raison au déchainement des passions extrémistes et du fanatisme, l'éloge de la modération à la tentation de la démesure et à la fascination pour la violence, la pédagogie patiente de la liberté au renoncement et au fatalisme. »
-Le Libéralisme n'oblige aucunement les employeurs à maltraiter leurs salariés bien au contraire, puisqu'il fait de la défense de l'individu un objectif cardinal. A l'heure actuelle, certains pays émergents n'ont pas encore de droit du travail digne de ce nom, tandis que d'autres nations dites développées ont mis en place des systèmes de protection sociale quasi asphyxiants. Il en résulte un déséquilibre fâcheux contre lequel il faut lutter, grâce notamment aux institutions internationales. La solution sera probablement un compromis, exigeant de chaque partie des concessions et des révisions douloureuses. La France est hélas un des derniers pays occidentaux à refuser de se réformer. Elle pourrait le payer cher.
-Le libéralisme ne propose pas une jungle commerciale mais des relations ouvertes, qui offrent les meilleures chances à une prospérité durable. Le commerce n'est pas un vilain mot. Il n'est pour s'en convaincre, que de relire ce qu'en disait Montesquieu : «L'effet naturel du commerce est de porter à la paix. Deux nations qui négocient ensemble se rendent réciproquement dépendantes : si l'une à intérêt à acheter, l'autre a intérêt à vendre, et toutes les unions sont fondées sur des besoins naturels...» (L'Esprit des Lois).
De ce point de vue, le protectionnisme, qui repose sur une conception égocentrique et chauvine des échanges, est néfaste, même si ses défenseurs font miroiter quelques avantages à court terme. Les gens qui comme M. Supiot fustigent un monde où circuleraient librement les marchandises, tandis qu'on freinerait la circulation des hommes, ont une vue embuée. En matière de brassage de populations, une fois encore les Etats-Unis ont montré et montrent l'exemple de manière stupéfiante. Il serait vain toutefois de prétendre qu'aucune régulation ne soit nécessaire. Encourager l'immigration de populations auxquelles on n'aurait rien d'intéressant à proposer, n'est guère plus sensé que de s'acharner à vendre des tenues de plage à des Esquimaux ou des couvertures polaires sous les Tropiques...
-Le Libéralisme bien compris n'encourage aucunement les fusions d'entreprises, la concentration, ou les monopoles. A l'inverse, il pose que la concurrence (libre et non faussée), ou mieux encore, l'émulation est la meilleure garantie de la qualité et du contrôle des prix. Il y a lieu de s'alarmer de la concentration hallucinante d'entreprises et de banques à laquelle on assiste depuis quelque temps. L'amélioration apparente et transitoire de la productivité que ces mouvements centripètes procurent, ont pour contrepartie une déshumanisation et une vulnérabilité de l'ensemble de la société. Les grandes faillites observées depuis quelque temps en sont l'illustration.
-Enfin, le Libéralisme n'exclut pas la solidarité. Simplement, il postule que l'Etat n'est pas le mieux placé pour la mettre en oeuvre. Sauf cas de force majeure, la solidarité ne relève en effet pas de l'obligation institutionnelle mais de l'initiative de chacun, particuliers et entreprises. Le rôle de l'Etat est dans un tel contexte, celui de catalyseur, et non celui de machine à redistribuer.
D'une manière générale, il n'est pas de liberté qui vaille sans qu'elle soit assortie de responsabilité. En démocratie, les citoyens doivent prendre conscience qu'ils sont des acteurs à part entière. Ils ont les gouvernants qu'ils méritent et ne peuvent tout attendre des Pouvoirs Publics. Ils doivent apprendre à se gouverner par eux-mêmes. «Le plus grand soin d'un bon gouvernement devrait être d'habituer peu à peu les peuples à se passer de lui» affirmait avec sagesse Tocqueville. On ne saurait mieux résumer l'état d'esprit libéral.