Il a suffi d'un scoop paru dans le Journal du Dimanche le 18 juin, suivi d'une campagne médiatique savamment orchestrée pour que le scandale éclate : les hôpitaux et les cliniques seraient des voleurs ! Au moins un sur cinq se seraient coupables de délits graves : « sur-facturation », "argent détourné", "tours de passe passe", "hospitalisations imaginaires", et même "escroquerie".
Qu'en est-il réellement, sachant que les accusations portent principalement sur certaines prises en charges ambulatoires, telles qu'on les pratique dans ce qu'il est convenu d'appeler les hôpitaux de jour ?
Il n'est pas inutile tout d'abord de rappeler que ces derniers ont été créés à l'initiative des Pouvoirs Publics, il y a plusieurs années pour permettre de regrouper certains examens, soins, ou même interventions chirurgicales sur une seule journée. Les avantages paraissent évidents : pour les médecins qui ont ainsi la possibilité de réaliser de manière synthétique et coordonnée le tour d'un problème de santé, pour les patients à qui l'on évite d'avoir à se déplacer plusieurs fois sans pour autant passer la moindre nuit à l'hôpital, pour les établissements qui n'ont pas besoin de maintenir d'équipes de nuit dans de telles unités, pour le système de santé enfin puisqu'on sait que le coût d'un séjour hospitalier est directement proportionnel à sa durée.
Il persiste toutefois un petit problème lié à la facturation de ces séjours un peu particuliers.
Et c'est bien là que le bât blesse.
La France, imitant les Etats-Unis, a mis en place dans les années 90 un dispositif au nom assez barbare, le PMSI (Programme de Médicalisation des Systèmes d'Information). Celui-ci est supposé simplifier la gestion économique des établissements de santé en fixant les tarifs des hospitalisations de manière forfaitaire. Dans ce système, ce ne sont plus les prestations ou les journées qui sont tarifées mais les séjours eux-mêmes. A partir du codage des affections et des soins prodigués un programme informatique savant est chargé de les grouper en fonction de similitudes médico-économiques.
On obtient ainsi des Groupes Homogènes de Séjours (GHS) dont il suffit ensuite de déterminer la référence tarifaire à partir des coûts moyens observés dans quelques établissements de référence. A ce jour, environ 700 GHS sont ainsi supposés décrire au plan économique, l'ensemble des hospitalisations réalisées dans les hôpitaux et cliniques français.
Ce dispositif convient assez bien à la description des séjours d'hospitalisation complète pour lesquels il serait bien compliqué de colliger un à un, tous les actes, honoraires et autres sources de dépenses. Surtout, la rémunération forfaitaire, basée sur une moyenne idéale, est censée participer à la maîtrise des coûts puisqu'elle ignore purement et simplement les prestations superflues et les durées de séjour excessives, par rapport au Gold Standard.
Elle s'avère en revanche mal adaptée pour décrire l'activité ambulatoire (les Américains, plus pragmatiques que nous, se sont d'ailleurs bien gardés de l'appliquer à ce secteur d'activité). Les prises en charges sont en effet beaucoup trop variables et aléatoires pour être décrites par quelques dizaines de références tarifaires. Le système peut même devenir carrément pervers si le prix réel des prestations est inférieur à celui du GHS de référence, car il n'existe en la matière aucune règle claire et incontestable précisant ce qui doit être facturé à la prestation et ce qui peut faire l'objet d'un forfait.
C'est en quelque sorte cette perversion que la CNAMTS tente aujourd'hui de faire payer aux établissements de soins. Elle fait mine de découvrir les insuffisances d'un système qu'elle a contribué avec le Ministère à promouvoir et s'émeut aujourd'hui de pratiques avalisées par l'usage, qui ne posaient aucun problème au bon vieux temps de la gestion au « Budget Global ». Les exemples sont nombreux de prises en charges ainsi effectuées depuis des lustres en hôpital de jour : suivis itératifs d'affections chroniques, saignées, transfusions, chimiothérapies, surveillances obstétricales... Il faut souligner que la plupart requièrent pour être effectuées dans de bonnes conditions, des unités spécialement équipées, dotées d'un environnement médicalisé (médecins, infirmières), et obéissant à des normes et des protocoles toujours plus nombreux, toujours plus rigoureux « d'assurance qualité ».
Pourtant aujourd'hui, la CNAMTS, de manière unilatérale, décrète qu'il s'agit d'abus au motif que les tarifs des GHS s'avèrent dans certains cas, supérieurs à la somme de ceux des prestations isolées !
La pilule est un peu grosse à avaler. Passe encore qu'on propose l'évolution d'un système, qu'on discute de tel ou tel cas de figure, mais accuser du jour au lendemain les gens de pratiques délictueuses, voilà qui est un peu fort. Surtout dans un jeu aux règles aussi floues, tarabiscotées et changeantes que la Tarification à l'Activité (T2A).
Les organismes responsables de la gestion de la santé en France sont en la matière loin d'être au dessus de tout reproche.
Il y a moins d'un an, ils furent sévèrement tancés par l'Inspection Générale des Affaires Sociales (IGAS), et par celle des finances (IGF) pour leur « gestion hasardeuse » de la Tarification à l'Activité (T2A) et l'élaboration « opaque » des tarifs. Un moratoire fut même proposé. Dernièrement la Cour des comptes confirma en les amplifiant ces critiques. Peut-on encore, lorsqu'on est ainsi montré du doigt, donner des leçons de vertu aux autres ?
Rappelons également qu'il y a 2 ans les Pouvoirs Publics changeaient tout bonnement et sans prévenir, selon leur bonne vieille habitude, la définition de l'activité ambulatoire, en y incluant les séjours avec une nuit passée à l'hôpital ! Il faut savoir que ce torve tripatouillage, outre qu'il galvaude une notion fondamentale en santé publique, équivaut tout simplement à ne pas payer les personnels travaillant la nuit ! Est-ce bien honnête ?
Aujourd'hui, l'Administration Centrale est à ce point dépassée par l'engin infernal qu'elle a elle-même mis en place, qu'elle en vient pour tenter d'en contenir la folle inflation, à imposer aux établissements de santé la mise en oeuvre d'ahurissants « Objectifs Quantifiés » quinquennaux d'activité ! Mais comment faire encore confiance à des Tutelles qui proposent désormais d'appliquer au domaine de la santé, des recettes calquées sur celles qui ruinèrent toute l'agriculture en Union Soviétique ?
Espérons que nos brillants organismes de contrôle sauront faire entendre raison à un système qui semble perdre complètement les pédales. Espérons encore que le bon sens prévaudra un jour dans notre pays qui aime tant les beaux jardins bien ordonnés.
Pour terminer, je ne peux m'empêcher de citer tant elle est touchante de naïveté et de douce illusion, la réaction offusquée de la Fédération Hospitalière de France (FHF) face à ce tohu-bohu: « Le service public hospitalier est à but non lucratif, donc incompatible avec cette accusation de détournement ». Elémentaire mon cher Watson !
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