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30 juillet 2023

Visions de Joshua

C’est en flânant sur le quai du musée maritime de La Rochelle que j’ai éprouvé le choc. Derrière nombre de ketchs, de cotres, superbes régatiers d’aujourd’hui et d’autrefois, jouxtant le flanc énorme, d’un blanc éblouissant, de l’ancien navire météorologique NMS France 1, j’aperçois un petit bout de coque rouge, trois hublots rectangulaires, caractéristiques d’une cabine en forme de casemate, et surtout la banderole latérale indiquant en grand : JOSHUA !
J’en crois à peine mes yeux. C’est évidemment le bateau de Bernard Moitessier (1925-1994), celui qui fit avec lui la fameuse Longue Route, ce périple de légende, presque deux fois le tour du monde en solitaire et sans escale en 1968 !
Cette aventure m’a toujours fait rêver. Bien que je sois descendant d’une longue lignée de marins bretons, je n’ai jamais vraiment navigué qu’en songe.
Tel le poète Jean de la Ville de Mirmont, j’ai une fascination pour les navigateurs et je pourrais faire miens ses vers écrits à leur intention :
"Le souffle qui vous grise emplit mon cœur d’effroi,
Mais votre appel, au fond des soirs, me désespère,
Car j’ai de grands départs inassouvis en moi...”


Parfois j’ai l’impression, dans une bien modeste mesure, de voyager moi aussi, seul, sur l’immense océan virtuel du Web. Je mène en toute liberté ma petite barque en forme de blog, sans autre but que le plaisir d’écrire et d'écrire ce qui me plait. Parfois un commentaire me signale une présence proche. Pas nécessairement en phase avec mes digressions solitaires mais qu'importe. Cette rencontre me délivre de l'esseulement. J'aime dialoguer avec les internautes qui croisent mon chemin, même si nous suivons des routes différentes, j'y vois le signe que tout n'est pas qu'indifférence...

A la fin des années soixante, bien au-dessus de nos têtes, les astronautes exploraient l’univers proche et partaient à la conquête de la Lune, emportés par des fusées bourrées de carburant, de progrès techniques et de savants calculs. Ici bas, des héros solitaires flirtaient avec l’immensité des océans sur de dérisoires embarcations, avec pour seul moteur, le vent.
Ils étaient souvent animés par l’esprit de compétition et d’innovation, comme Eric Tabarly et bien d’autres à sa suite. Moitessier était d’une autre espèce. Point de course ni de record pour lui, mais l’attrait irrésistible du grand large et de la liberté qu’on y savoure au bord des horizons bleus, et qu'on respire à pleins poumons. Sans doute tenait-il un peu de son illustre prédécesseur Alain Gerbault (1893-1941), être asocial s’il en fut mais sublime coureur d’océans.
Écrivains tous deux, ils relatèrent leurs périples dans des livres magiques, intemporels, indémodables, emplis d’une poésie sauvage.

C’est peu dire que je me suis régalé de ces récits dont je ne trouvais d'autres équivalents sur terre qu’à travers le cheminement éperdu de Jack Kerouac et des beatniks errant dans l’immensité sauvage du continent américain.

Dès les premières lignes de La Grande Route, j’étais emporté par le lyrisme limpide mais puissant qui en émanait : “Le sillage s'étire, blanc et dense de vie le jour, lumineux la nuit comme une longue chevelure de rêve et d'étoiles. L'eau court sur la carène et gronde ou chante ou bruisse, selon le vent, selon le ciel, selon que le couchant était rouge ou gris. Il est rouge depuis plusieurs jours et le vent chantonne dans le gréement, fait battre une drisse parfois contre le mât, passe comme une caresse sur les voiles et poursuit sa course vers l'ouest, vers Madère, tandis que Joshua descend vers le sud à 7 nœuds dans l'Alizé…”

Bien qu’étant peu enclin aux régates et aux concours, Bernard Moitessier accepta la proposition du Sunday Times de s’engager dans un tour du monde en solitaire sans escale, première odyssée du genre à l’époque. Il déclina toutefois l’offre des organisateurs de doter son bateau d’un émetteur radio qui lui aurait permis de donner régulièrement des nouvelles. Il préférait le système simple et archaïque du lance-pierres avec lequel il balançait ses messages sur les bateaux de rencontre !

Bien que plusieurs concurrents fussent inscrits à l’épreuve, dotée de prix pour le plus rapide, Moitessier n’en avait cure. Il n’avait qu’un besoin, celui de “retrouver le souffle de la haute mer”.
Comme il l’écrivit sans détour, “il n’y avait que Joshua et moi au monde, le reste n’existait pas, n’avait jamais existé. On ne demande pas à une mouette apprivoisée pourquoi elle éprouve le besoin de disparaître de temps en temps vers la pleine mer. Elle y va, c’est tout, et c’est aussi simple qu’un rayon de soleil, aussi normal que le bleu du ciel.”

Au terme du périple, après avoir dépassé le Cap Horn, alors qu’il était en passe de remporter haut la main le challenge, il fut pris d’une crise de conscience. Revenir sur la terre ferme lui semblait décidément impossible. Il envoya un message au dernier navire qu’il croisa : “Je continue sans escale vers les îles du Pacifique, parce que je suis heureux en mer, et peut-être aussi pour sauver mon âme .”

Tout était dit. Moitessier le coureur d’horizons avait rompu avec le style de vie du commun des mortels. Il n’y avait plus que “Vent, Mer, Bateau et Voiles, un tout compact et diffus, sans commencement ni fin, partie de tout de l'univers, mon univers à moi, bien à moi…”
Désormais son existence sera lointaine, des plus simples, des plus maritimes, suivant en cela à la lettre le précepte de Baudelaire: “Homme libre, toujours tu chériras la mer !”
Le temps qui s’écoule n’aura plus vraiment d’importance. Il pourra chanter in petto, sans se lasser : “J'écoute la mer, j'écoute le vent, j'écoute les voiles qui parlent avec la pluie et les étoiles dans les bruits de la mer et je n'ai pas sommeil.”, car, en somme, “Le bateau c'est la liberté, pas seulement le moyen d'atteindre un but…”

 

18 octobre 2021

Plaisirs d'Automne

Je hais cette saison qui annonce des mois de froidure et de frimas et je me prends à envier les animaux qui peuvent se mettre en sommeil prolongé pour ne se réveiller qu’au printemps. J’admire tout autant les oiseaux migrateurs qui entreprennent un long et fatigant voyage pour suivre le soleil et se mettre au chaud pendant ces mois mortels.
Mais il faut bien faire contre mauvaise fortune bon cœur comme on dit…
L’automne réserve quelques douceurs dont il est plaisant de profiter.
Cette année, l’arrière saison est très ensoleillée, notamment dans le Sud Ouest du pays et les promenades dans les bois et les forêts sont particulièrement agréables. Il y règne une ambiance paisible incitant à la rêverie. C'est l'instant idéal pour le promeneur solitaire, tenté de s'abandonner à l'utopie rousseauiste…
Le soleil encore chaud à travers les feuillages qui commencent à roussir, élève l’âme vers le Grand Tout et la console de tous les tracas du quotidien et des misères de l’actualité.
En s’abaissant à chercher parmi la végétation qui croît au pied des arbres, on a parfois la joie de trouver une perle issue de cet univers au parfum d’humus, à savoir un cèpe.
A cette époque de l'année, ce sont parmi les champignons, ceux qui sont les plus appréciés. Quelle joie de découvrir un de ces spécimens, caché derrière une fougère ou au sein d’un buisson épineux. Son dôme velouté aux couleurs de cuir plus ou moins bruni recouvre un stipe ferme et ventru qu’il est excitant de caresser tout en l’extrayant délicatement de la terre. Humer les effluves qu’il dégage fait naître un flot d’émotions et de promesses de festins à venir.

Revenant d’une telle balade forestière, le panier bien rempli, on se sent apaisé, heureux d’avoir profité d’une journée hors du temps.
Il arrive hélas qu'on ramène aussi quelques souvenirs moins agréables. Une tique par exemple, parfois porteuse de la fameuse maladie de Lyme, ou encore une de ces mouches étranges qui tournent autour de vous et vous suivent opiniâtrement. On les appelle tantôt mouches plates, tantôt mouches crabes, ou bien encore hippobosques. Habituels parasites des chevaux, dont elles sucent avidement le sang, elles se rabattent parfois sur les humains. Les piquent elles je l'ignore, toujours est il qu'il est difficile de se débarrasser de ces insectes. Leur vol est lourd et malhabile mais elles résistent si fort à l’écrasement qu’il faut réussir à les coincer sous un objet dur pour en venir à bout en faisant craquer leur thorax caparaçonné.
Après le rêve, les triviales réalités de la vie reviennent vous assaillir...

08 septembre 2020

Cités assoupies

Quand on pénètre en Médoc, c'est un peu comme si on entrait dans un monde parallèle. Cette péninsule en fer de lance s’étend nonchalamment du sud au nord entre l’océan et l’estuaire de la Gironde. D’un côté, des plages et des forêts de pins à perte de vue, juste interrompues par l’immensité paisible du lac d'Hourtin-Carcans. De l’autre des berges limoneuses, sur lesquelles on trouve quelques uns des plus beaux vignobles français. En traversant ces villages aux noms enchanteurs on ressent déjà comme le parfum enivrant du vin. Margaux, Saint-Julien Beychevelle, Pauillac, Saint-Estèphe, ils sont quatre comme les mousquetaires à défendre la reine des Grands Crus Classés, si tant est qu’il y en eut... Sont-ils d’ailleurs tous encore à la hauteur du classement de 1855, c’est là la question… Si Napoléon III ou quelque distingué sommelier de sa cour revenait, il aurait peut-être à redire.
Peu importe en somme, le poids des ans et des traditions semble avoir figé pour l’éternité les vertus des nectars.
Mais derrière les éblouissantes façades des propriétés qu’il est convenu d’appeler châteaux, sises au milieu de l’océan tranquille et immuable des vignes, les villages ont des allures de fantômes. La charmante cité de Pauillac semble endormie. Dans le port, pas un bateau ne bouge sous le soleil et dans les rues, il n’y a plus des magasins d’autrefois que les portes closes et les vitrines occultées. Quelques jeunes désœuvrés ici ou là, deux ou trois chalands attablés à un bistrot, rien de plus.
Décidément ce monde est hors du temps.

Pourtant, à côté du culte ancestral du raisin, on trouve d’étonnantes traces d’un passé, sans doute trop oublié. A Pauillac, la capitainerie arbore fièrement une statue dans le genre naïf du marquis Gilbert du Motier de de La Fayette. Elle rappelle aux visiteurs que ce dernier, âgé de 19 ans, embarqua précisément de cet endroit sur la Victoire en avril 1777 pour son premier voyage vers l’Amérique, dans le but de prêter main forte aux troupes de Washington.

Lorsqu’on remonte au bout du Médoc, à Soulac, c’est à une réplique de la statue de “la Liberté éclairant le monde” à laquelle on est confronté. Erigée en 1980 pour commémorer dans le même esprit l'alliance franco-américaine, elle fait face fièrement à l’océan, flanquée de la bannière étoilée qui claque ce jour dans ciel d’un bleu immaculé. Il n’en faut pas plus pour réjouir le cœur d’un amoureux de la Liberté….




29 août 2020

Bords d'Eaux

Un terne pavillon s'effiloche au dessus de la Garonne. La chaleur du mois d'août distille une moiteur émolliente qui semble accabler un peu plus qu'à l'habitude les flots paresseux. L'ocre des eaux tire sur un gris de plomb qui contraste avec la blancheur des nobles façades de pierre bordant l'autre rive. A certains moments le fleuve devient onctueux, prenant une teinte de café au lait. On croirait évoluer tranquillement dans un rêve étrange et pénétrant...

N'étaient les visages masqués un peu partout rappelant le retour en force des miasmes virales, n'étaient le laisser aller général et la langueur indifférente qui transpirent de la ville, on pourrait croire que tout va bien en cet instant de quiétude estivale. Ce serait ignorer la détresse profonde dans laquelle s'enlise peu à peu le pays.

Je contemple le fameux miroir d'eau devant la place de la Bourse, mais ce n'est qu'un reflet. On y voit des enfants patauger gaiement dans le ciel, des familles entières y flâner au milieu de rires, des danseurs esquisser des pas légers, des drogués à l’oeil vague, empreint d’une extase molle, des rêveurs les yeux rivés aux nuages, des êtres esseulés tentant de tromper leur ennui, des chiens interrogatifs…
Tout un peuple en quête indécise d'instants dérobés au temps et pour certains peut-être d'une éphémère évasion d'un trop médiocre destin.

Un peu plus loin, au pied de l'altière colonne consacrée aux Girondins, il y a deux magnifiques fontaines. On y voit deux quadriges surgissant impétueusement de l'eau. Les chevaux roulent des yeux effrayants et des jets de vapeur s'exhalent de leurs naseaux. Les uns tirent le char de la République. Les autres celui de la Concorde. Tout en haut de la colonne, la Liberté ailée triomphante, vient de briser ses chaînes.
Tout ceci a-t-il encore un sens dans ce monde qui tangue ? République, Concorde, Liberté, vestiges d’un passé révolu ?
 

 

19 novembre 2019

Lisbonne, ville ouverte

Au dessus de l’embouchure du Tage, Lisbonne s’ouvre en majesté sur l’océan. Elle surplombe fièrement le fleuve du haut de ses miradouros et s’impose au Sud comme le fer de lance occidental du continent européen.
Je n’y suis allé que deux fois mais à chaque fois j’ai ressenti d’étranges sentiments, mélange d’étonnement et d’émerveillement.
Étonnement tout d'abord pour la langue portugaise, un tantinet rebutante pour le béotien. Elle n’a pas l’accent chantant des régions méridionales et l’idiome est austère et complexe, formant un vrai barrage pour l’étranger.
La ville elle-même est déroutante. Sans doute un peu à cause de ses sept collines qui font du dédale de ses rues un imbroglio de montagnes russes pavées et chaotiques, mettant à rude épreuve le cœur et les articulations. Mais aussi par le caractère hétéroclite de son architecture dû aux drames qui ont jalonné son histoire. Le terrible séisme de 1755 détruisit une bonne partie de la cité, et lorsqu’il s’est agi de la reconstruire, sous l’impulsion du Marquis de Pombal (1699-1782), on entreprit de tailler à travers les décombres, de larges perspectives rectilignes. C’est ainsi qu’à côté des quartiers historiques pittoresques mais encaissés et bondés, comme le fourmillant Alfama, on trouve de longues et amples avenues (Avenida da Liberdade), de vastes places (Praça do Comércio) et de grands jardins (Parque Eduardo VII) à l’aspect moderne et classieux mais un peu froid et altier.

Lisbonne n’en est pas moins accueillante et enchanteresse.
Lorsqu’on arrive de l’aéroport, il est aisé de rejoindre directement le centre ville grâce à l’excellent réseau de métro, en l’occurrence la ligne vermelha qui amène le voyageur à San Sebastião, à deux pas de la fondation Calouste Gulbenkian. Celle-ci porte le nom d’un homme d’affaires d’origine turque et amateur d’art, qui souhaita rassembler ses collections dans ce musée, sis au sein d’un élégant parc. On y trouve naturellement de nombreux azulejos, des pièces d’origine arabe ou ottomane, des objets antiques, des porcelaines d’extrême-orient et beaucoup de chefs-d’œuvre du classicisme européen, notamment un splendide portrait de vieillard par Rembrandt, plusieurs très beaux tableaux de Guardi et de Corot. Les salles consacrées à l’art moderne sont d’un intérêt plus discutable, hormis la superbe collection de verreries, et de bijoux signés Lalique.

De cet endroit, on peut rejoindre à pied le cœur de ville (a baixa) en passant par le majestueux Parque Eduardo VII, puis par le rond-point géant dédié au marquis de Pombal, statufié en compagnie d’un lion, et enfin par l’avenue de la liberté. Plus large et presque aussi longue que les Champs-Elysées de Paris, elle n’en a pas le faste mais dégage un charme beaucoup plus tranquille, grâce à son terre-plein central ombragé par d'épaisses rangées arbres. Les grandes enseignes du luxe y sont présentes quoique discrètes.
Avant d’arriver à la Praça dos Restauradores on repère le funiculaire de la Gloria qui monte vers le Miradouro de São Pedro de Alcântara. Antique machine toujours en service, mais affreusement peinturlurée de tags criards. Hélas, Lisbonne est également la ville du street art et nombre de belles façades, et de murs aux couleurs vives ont été défigurés par cette forme d’expression aussi laide qu’arrogante.

On aborde dès lors la vieille ville : le quartier du Chiado, le fameux Rossio, avec ses deux fontaines jumelles de bronze verdi et de pierre marmoréenne encadrant la colonne où trône Dom Pedro IV, 28è roi du Portugal et premier empereur du Brésil. A ses pieds le sol est pavé d’ondulations gracieuses, quasi psychédéliques. C’est en tanguant qu’on se dirige alors vers les quais en empruntant un des nombreux axes parallèles qui y mènent, par exemple la Rua Augusta et son arc de triomphe débouchant emphatiquement sur la gigantesque place carrée du Commerce. Au centre, la statue équestre du roi Joseph 1er, contemporain de Pombal. Au delà c’est la mer, qui vient lécher le Terreiro do Paço, et se lover en ce jour estival autour des colonnes de la Cais das Colunas, suggérant des rêves de départs et d’horizons lointains. Au loin, le Ponte 25 de Abril a un petit air de Golden Gate…

Il y a mille détours à faire dans Lisbonne, chacun réservant un point de vue original sur ce “paradis clair et triste” évoqué par Saint-Exupéry. Le plus époustouflant est sans doute celui qui s’offre au sommet de la tour du centre commercial Armoreiras. Pour cinq euros, on monte au ciel et on peut embrasser du regard toute la cité et plus encore. La butte la plus haute, sur laquelle est posé le Castelo de São Jorge, paraît presque dérisoire dans le panorama. Au loin, au pied des montagnes, on distingue l’aéroport, et de l’autre côté l’embouchure du Tage, magnifique et léthargique delta, traversé par le pont suspendu vers Almada, sur l’autre rive.
Retour sur terre, vers la vieille ville. A chaque carrefour on découvre ces beaux immeubles carrelés qui ravissent le regard et charment l’esprit.

Les trams circulent infatigablement, brinquebalant dans leurs wagons burlesques les foules de touristes paresseux. Certains préfèrent prendre l’elevador San Justa qui dresse vers les cieux son obscure et frêle silhouette de ferraille. Les autres se résignent à crapahuter au sein de ce désordre plein de noblesse, à la fois gai et nostalgique, évoquant si bien la saudade, terme difficile à traduire en français. Le fado incarne également à merveille cet état d’âme indicible, à mi chemin entre le blues et l'euphorie. Il arrive parfois qu’en entrant pour dîner dans un restaurant de Lisbonne, on assiste à un concert impromptu donné en toute simplicité par des amateurs. Alors, on se prend à aimer passionnément ce Portugal qui s’ouvre tout à coup, libérant ses ensorcelants sortilèges et sa généreuse hospitalité. Et l’on fait une place de choix dans sa mémoire à cette ville qui s’éveille et se couche plus tard que les autres. Et à l’instar de Fernando Pessoa, on imprime profondément en soi ce “Tage onctueux ancestral et muet, Humble vérité où le ciel se reflète !”
J’aurai l’occasion de revenir sur cet écrivain hors norme qui incarna si bien la nature taciturne et grandiose de sa patrie. Personnage excentrique, humble mais “intranquille”, il déclina son identité sous de multiples hétéronymes, à l’image de la ville aux nombreuses facettes.
Laissons lui pour clore ce billet, par nature inachevé, le dernier mot:
“Je passe parfois des heures sur le Terreiro do Paço, au bord du fleuve à méditer en vain.../...
Je sentirai toujours comme les grands maudits, qu’il vaut mieux penser que vivre…”

24 septembre 2019

Patrimoine et Passion de la Liberté

Les journées du patrimoine permettent de s'offrir à peu de frais de sympathiques surprises. Un récent passage à Bordeaux fut ainsi l’occasion d'une visite au musée des Beaux-Arts.
En dépit de la noblesse des deux ailes cernant un joli jardin, il n’est certes pas immense. On peut également regretter le manque d’éclairage sur certains tableaux, notamment une intéressante collection de Hollandais du XVIIè siècle. Quelques beaux paysages signés Ruysdael pâtissent ainsi de la quasi pénombre dans laquelle ils sont plongés.
J’ai apprécié en revanche particulièrement le mur consacré à Odilon Redon, natif de la cité girondine. Une vue du Pont de Pierre et une autre d’une rue de Saint-Georges de Didonne traitées avec la grâce aérienne qui caractérise le peintre ont retenu mon attention. Une apparition céleste du char d'Apollon, mélange de pastel et d’huile, témoigne du symbolisme ardent qui fit son originalité et sa renommée.
Albert Marquet dont j’aime la technique épurée et la sûreté du trait et des couleurs est également à l’honneur, avec une bonne demi-douzaine de paysages.

On peut remarquer egalement la présence de quelques vues maritimes intéressantes d'Eugène Boudin.
Enfin j’ai découvert Alfred Smith (1854-1936), artiste bordelais au style impressionniste très maîtrisé, proche de Monet. Une splendide perspective des quais sous la pluie, attire l’attention, avec l’antique tram et les majestueuses colonnes rostrales de la place des Quinconces, tout en dégradés et ombres chinoises.
A quelques enjambées du musée proprement dit, se trouve la Galerie des Beaux Arts où se déroule jusqu’au 13 octobre une exposition intitulée La Passion de la Liberté: des Lumières au romantisme.
Impossible bien évidemment de louper ça.
Organisée en lien avec le Louvre, elle propose une intéressante rétrospective, peuplée de tableaux, de sculptures, de porcelaines, de tapisseries et d’objets divers. La Grèce sur les ruines de Missolonghi par Delacroix rappelle la lutte désespérée pour recouvrer en 1826 l’indépendance de la nation hellène soumise à l’empire ottoman. C’est aussi l’occasion de se souvenir de l’engagement de Lord Byron à cette cause, qu’il paya de sa vie après avoir contracté une mauvaise fièvre dans la ville martyre.
L’expo rappelle le rôle majeur des Intellectuels français dans l’essor des idées de liberté, c'est à dire du libéralisme. On trouve ainsi un volume de la fameuse encyclopédie de Diderot et l’édition originale de l’Esprit des Lois par Montesquieu. Un portrait de Germaine de Staël souligne l’importance de cette dernière dans le combat pour la liberté et notamment pour l’émancipation des femmes.
On perçoit un peu moins ce que signifie ici la composition sinistre de David, représentant Marat, gisant assassiné dans sa baignoire, avec la légende troublante: “N’ayant pu me corrompre, ils m’ont assassiné”. On veut comprendre que le destin funeste de ce tyran en puissance ouvrait l’espoir de recouvrer la Liberté, après les excès la Terreur dont il fut un des plus zélés artisans, dût-ce être payé du sacrifice de Charlotte Corday.

L’exposition invite par ailleurs le spectateur à la réflexion sur plusieurs thématiques. La liberté est déclinée sous tous ses aspects: aussi léger que le libertinage, qualifié de liberté des sens, aussi illusoire que l’utopie, en tant que liberté d’imaginer, ou plus sérieux lorsqu’il s’agit de voir dans la liberté, l’irremplaçable moteur de la création en matière de commerce, d’art, de science, et plus généralement la source de la raison, du progrès et de la responsabilité...

Pour accompagner le cheminement de l’esprit, quelques pièces symboliques à valeur artistique sont proposées, parmi lesquelles on remarque une collection d’amusantes assiettes révolutionnaires, la reproduction du Génie de la Liberté qui orne la colonne de Juillet, place de la Bastille, et qu'on doit au sculpteur Auguste Dumont, et quelques belles tapisseries des Gobelins ou de Beauvais.
Une heureuse initiative en somme à une époque où le terme même de liberté apparaît de plus en plus galvaudé, et où nombre de nos contemporains peinent à mesurer sa valeur. L’occasion également de rappeler qu’elle figure en tête des valeurs cardinales de la République et qu’il y aurait grand péril à cesser de la chérir comme telle...

12 septembre 2017

Le Parc aux Angéliques

En flânant à Bordeaux sur la rive droits de la Garonne, on fait des découvertes. D’abord celle toujours renouvelée du panorama magnifique qui s’étale sur l’autre berge et qu’on peut admirer après avoir traversé le fleuve via le majestueux Pont de Pierre.
Interdit aux voitures en raison de la réfection des fondations, il est toutefois praticable pour les trams, les bus, les vélos et les piétons. Mais les travaux sont sans doute un alibi, et il est hautement probable qu’il reste désormais ouvert à la circulation de tout, sauf les autos ! Il n’y a pas qu’à Paris que ces dernières sont en voie de bannissement…
Toujours est-il que devant la splendide esplanade qui se fraie un passage entre la place de la Bourse et le fameux miroir d’eau, les belles demeures des Chartrons déploient leurs nobles façades à perte de vue. Perspective époustouflante.

En suivant le fleuve, on se retrouve assez vite à la campagne. C’est en effet dans un parc qu’on arrive, dont la Municipalité termine l’aménagement, en peuplant la rive de plus de 45.000 espèces de végétaux. On cherche en vain l’angélique des estuaires (angelica heterocarpa), très rare à ce qu'il paraît, mais endémique ici, et qui donne son nom à cette étendue protégée. Mais la saison doit être passée…

Au hasard de cette flânerie, je découvre au sein d’une étendue herbeuse un improbable buste de Toussaint-Louverture ! Cet intrépide esclave affranchi naquit en Haïti en 1743, lorsque l'île était une colonie française (sous le nom de Saint-Domingue). Devenu général à la faveur de la Révolution, il crut pouvoir donner l’indépendance à sa terre natale, mais fut empêché sans ménagement par Bonaparte qui le fit ramener prisonnier en France, où il mourut peu après, en 1803. Ce buste fut offert par la République d’Haïti à la ville de Bordeaux en 2005.

Un peu plus loin, au bord du fleuve, une plaque attire mon attention. Elle porte une citation en forme de poésie :
Vaisseaux, nous vous aurons aimés en pure perte ;
Le dernier de vous tous est parti sur la mer.
Le couchant emporta tant de voiles ouvertes
Que ce port et mon cœur sont à jamais déserts.

La mer vous a rendus à votre destinée,
Au-delà du rivage où s’arrêtent nos pas.
Nous ne pouvions garder vos âmes enchaînées ;
Il vous faut des lointains que je ne connais pas.

Je suis de ceux dont les désirs sont sur la terre.
Le souffle qui vous grise emplit mon cœur d’effroi,
Mais votre appel, au fond des soirs, me désespère,
Car j’ai de grands départs inassouvis en moi.

Je comprends qu’il s’agit d’un écrit  de quelqu’un qui “fut contraint de renoncer à devenir officier de marine”, mais qui “ne renia jamais ses rêves.”
Le mystère s’épaissit lorsque quelques centaines de mètres plus loin, une autre plaque évoque un écrivain de “la génération perdue”, foudroyée par la première guerre mondiale. Je songe à l’auteur du Grand Meaulnes, Alain-Fournier, mais je ne le savais pas poète.
En définitive, j’avais fait le parcours inverse de ce qui était prévu, et c’est une troisième et dernière stèle qui m’apprend qu’il s’agit de Jean de la Ville de Mirmont, qui fut en fait l’exact contemporain d’Alain-Fournier (1886-1914) lui aussi fauché en plein devenir.
Natif de Bordeaux, Mirmont ne laissa, lorsqu’il mourut à l’âge de 27 ans, qu’un petit roman : “Les Dimanches de Jean Dézert”, quelques contes, et un vaste poème incantatoire : “l’Horizon Chimérique”. Ce dernier fut sauvé de l’oubli par Gabriel Fauré qui, touché par la beauté des vers, le mit en musique...

Hélas, si la chanson est poignante, elle est aussi l’expression tragique d’une destinée fracassée :
Je suis né dans un port et depuis mon enfance
J’ai vu passer par là des pays bien divers.
Attentif à la brise et toujours en partance,
Mon cœur n’a jamais pris le chemin de la mer…

24 juin 2017

Halte vénitienne

De retour de Venise, avant toute chose, c’est le bruit de la circulation automobile qui vous ramène aux dures réalités… Le rêve est bien fini.

Le long des canaux charriant les eaux lourdes d’une Italie hors d’âge, on oublie vite les horribles nuisances de notre univers contemporain. Les turbulents remous des vaporetti qui sillonnent sans cesse à toute allure ces boulevards liquides, la rumeur sourde de la foule qui se presse un peu partout ne parviennent à troubler le charme vénérable et fantasque de cette ville qui ne ressemble à aucune autre.

On dit qu’elle s’enfonce inéluctablement dans la lagune, cette laque tragique qui semble déjà se nourrir des reflets des voûtes marmoréennes des palais antiques, de leurs façades aux couleurs de fruits rouges, de terre et de sang.
Qui sait si les travaux gigantesques entrepris ou prévus pourront préserver ce trésor suspendu entre ciel et mer des lents ravages du temps. Venise est de toute manière une sorte de mirage; l’expression même de la vanité humaine. Paul Morand écrivait, en se comparant en toute modestie à la Sérénissime, qu’elle “résume dans son espace contraint, ma durée sur terre, située elle aussi au milieu du vide, entre les eaux foetales et celles du Styx”...
Plus loin, évoquant le fait qu'elle fut édifiée en dépit du bon sens : “elle a pris le parti des poètes, elle a bâti sur l’eau” (Venises, Gallimard 1971).
Par un paradoxe étonnant, elle a duré plus que maintes citadelles; elle a même très peu changé au fil des siècles. Devenue un musée à ciel ouvert, la cité lacustre a sans doute perdu de son faste et de son lustre. N’empêche, la fascination qu’elle exerce reste forte tant ses pierres savent faire naître l’émotion d’un passé majestueux.

Il y a bien sûr l’incroyable profusion architecturale que ses hauts lieux vous jette aux yeux, où qu'ils regardent. Il y a cette basilique San Marco, ouvragée jusqu’à la folie, avec sa fabuleuse dentelle d’inspiration byzantine qui rappelle la puissance évanouie d’une religion, devenue l’ombre d’elle-même après avoir incarné le génie triomphant du christianisme. 
On compte paraît-il plus de 120 églises dans Venise, et leur style éclatant donne une idée de la puissance passée de la foi. Sur la façade de la basilique on trouve en hommage à l’apôtre évangéliste, les chevaux du fameux quadrige, que les Croisés ramenèrent de Constantinople. Volés par Bonaparte qui les plaça sur l’arc de triomphe du Carrousel, ils retrouvèrent en définitive la cité des doges lors de la déconfiture de l’Empire en 1815. Il y a également ce lion ailé, qui fut la représentation souveraine de l’apôtre avant de devenir celle de la ville.

Derrière toute la magnificence de ce spectacle éblouissant, aux pieds duquel grouillent les touristes, Venise recèle nombre d’endroits charmants qui en font un hâvre de paix et de méditation.
Il y a ces innombrables fondamenta courant le long des canaux qu’une multitude de ponts enjambent gracieusement.

Dès qu’on s’éloigne des endroits les plus fréquentés, on y trouve aisément le calme, juste troublé par le bourdonnement grave de quelque vaporetto et les apostrophes des gondoliers qui se croisent.
Ici ou là des lauriers roses font jaillir gaiement leurs efflorescences, des brassées de pétunias dégoulinent des balcons et des fenêtres, et des jasmins parfumés montent à l’assaut des murs ou bien forment des haies enivrantes comme celle qui borde le parc où siège la Biennale di Venezia...

Il y a cette belle allée maritime qui court vers la pointe de la Douane et fait face à l'île de Giudecca. On y voit l’élégante église du Redentore, qui fut construite à la fin du XVIè siècle pour célébrer la fin de l’épidémie de peste qui avait décimé près d’un tiers de la population. Sur la petite île éponyme, la basilique San Georgio Maggiore dessinée comme la précédente par le crayon céleste de Palladio, ferme la perspective avec la grâce du style Renaissance imprégné de classicisme antique qui constitue la marque de fabrique de cet architecte.

Ainsi, au fil des heures qui passent, le jour doucement décline et Venise s’assoupit dans une indicible et coruscante nostalgie. Il faut hélas s’arracher à cette cité unique en son genre, dont les richesses paraissent si fragiles, quand on pense aux millions de piliers de bois millénaires sur laquelle elle repose, enfoncés dans la lagune au prix de la sueur et des larmes. Est-elle le symbole d’une énergie indomptable, toujours en quête de nouveaux défis, ou bien celui d’un monde qui s’éteint dans les délices d’un matérialisme nihiliste ?
Profitons encore un peu de l’instant magique, immortalisé par Musset :

Dans Venise la rouge,
Pas un bateau qui bouge,
Pas un pêcheur dans l'eau,
Pas un falot.

Seul, assis à la Grève,
Le grand lion soulève,
Sur l'horizon serein,
Son pied d'airain.

Autour de lui, par groupes,
Navires et chaloupes,
Pareils à des hérons,
Couchés en rond,

Dorment sur l'eau qui fume,
Et croisent dans la brume,
En légers tourbillons,
Leurs pavillons...

15 août 2016

Escapade exotique à Bordeaux


Pour quelques bonnes raisons, dont une affinité particulière avec cette ville, je reviens souvent à Bordeaux.
Au bout des élégantes arches de briques du Pont de Pierre qui enjambent la Garonne, la cité s'offre tout d'un coup, en dévoilant son long alignement des quais, dit des Chartrons. C'est incontestablement sous cet angle que le spectacle a le plus de majesté.

Bordeaux est taillée dans de vastes proportions qui lui confèrent une classe particulière, rehaussée de manière éblouissante, par la belle pierre blanche dont sont faits les immeubles bordant les larges avenues.
Nichée dans une des plus fertiles terres à vignes qui soit, Bordeaux, comme son nom l'indique, n'en est pas moins attachée à l'élément liquide. Située à la confluence de deux fleuves majeurs, elle fait face à l'Océan Atlantique sur lequel s'ouvre le large estuaire de la Gironde. Ici la liberté, portée par les grands vents d'Ouest, est en quelque sorte domptée par les eaux limoneuses, et devient en mourant, un délicieux art de vivre.

Ancrée dans le terroir, Bordeaux est aussi une ville ouverte, qu'on pourrait même qualifier de cosmopolite.
Sitôt franchi le fleuve, on se trouve immergé dans une ambiance moyen-orientale. Le quartier centré par la place Bir Hakeim a un air de Bosphore. Anciennement investi par une communauté majoritairement Turque, il a conservé nombre d'échoppes d'allure levantine : boucheries hallal, marchands d’encens, d’étoffes et de plats à tajine, épiceries 7/7, troquets exclusivement fréquentés par les hommes…
Autour de la basilique Saint-Michel flanquée de sa flèche, se tient souvent un marché très méridional, peuplé d'étals de fruits et légumes, dans un festival de couleurs et d’exubérance.

Ce quartier est dit-on en voie de boboïsation.. On y ressent le choc des cultures. Les voiles, les barbes de prophètes côtoient les hipsters à vélo, d'inspiration baba cool… 
Nombre d'appartements sont en voie de rénovation, attestant qu'une bonne partie du patrimoine immobilier est en train de changer de mains.
Au fond de la place, nous aimons passer un bon moment à savourer les petits plats et tapas que la Meson la Venta cuisine, à la mode espagnole. Un vrai régal !
L'après-midi, on se livre à une flânerie dans le jardin botanique. Pour cela, il faut retraverser le fleuve. Cette immensité herbeuse n’offre hélas pas la grande variété de plantes, de fleurs et d’essences qu’on aurait pu attendre. De plus, elles sont assez pauvrement indiquées pour le néophyte. Il y a bien une belle serre aux cactées et aux arbres tropicaux, et une exposition sur le plancton, mais on reste un peu sur sa faim.
Tout de même, en sortant du parc, on s’arrête devant un plan d’eau tapissé de plantes aquatiques. Parmi elles, une fleur de lotus se dresse d’un rose délicat, qui se détache sur le vert intense des larges feuilles. A elle seule, elle ne fait pas regretter cette promenade, offrant sa beauté limpide et simple comme un poème taoïste…
Le soir, on revient sur la rive gauche, de l'autre côté du cours Victor Hugo, au détour d'une de ces petites places typiques du vieux Bordeaux. On se retrouve attablés pour manger à la grecque au restaurant Aphrodite.
Ambiance bleu et blanc, le cadre est simple mais très suggestif. En goûtant les olives charnues, le caviar d'aubergines onctueux, la salade de poulpe mariné, et la pita aux saveurs d'ail et d'huile d'olives, on a vraiment l'impression de voyager. Quitter Montaigne pour Homère, le Médoc pour le mont Olympe ou pour un rendez-vous à Patmos...
Même le vin, capiteux, parfumé, gorgé de soleil, pourrait faire oublier le vignoble bordelais...


04 avril 2015

Un parfum de printemps

Dernier dimanche de Mars à Montpellier. Au jardin des plantes, l'air printanier verse d'agréables tiédeurs ensoleillées à travers les feuillages tendres. D'un arbuste tout juste sorti de la torpeur hivernale, à peine encore verdi, les délicates orbes fleuries émettent une adorable senteur, fraîche comme l'aurore aux doigts de rose, telle que la chantait le vieil Homère.
Quel est donc cet arbrisseau plein de charme et de candeur ? M'est avis, sans pouvoir l'affirmer qu'il s'agit d'une variété de viburnum, ou plus vulgairement viorne. De Corée peut-être (viburnum carlesii)... Malheureusement c'est une supposition car aucun panneau ne signale l'essence en question contrairement à d'autres.
Dommage, car les parcs botaniques, bien entretenus, sont une mine d'enseignement et une source inépuisable de ravissement pour l'amateur des merveilles subtiles dont nous gratifie généreusement la nature. Au sein des villes souvent turbulentes, ce sont des havres de quiétude propices aux songes et à la méditation. Celui-ci est à ce qu'il paraît, le plus ancien de France, fondé en 1593 par Richer de Belleval sur instruction du bon roi Henri IV. Grâce lui soit rendue, même si en cette sortie d'hiver, rares sont les floraisons, et si un petit défrichage s'impose dans les allées un peu en désordre.

J'aime les fleurs qui embaument. La fragrance est un peu la musique de la végétation. C'est son côté abstrait, qui porte à toutes les supputations, qui vous élève et vous suggère tant de choses, fait resurgir tant de souvenirs... 

Les parfums des roses sont sans doute parmi les plus envoûtants, bien que les variétés odoriférantes soient de plus en plus difficiles hélas à trouver chez les fleuristes.
Mon préféré toutefois est sans doute le jasmin. Je ne peux résister à cette belle efflorescence blanche, à la fois explosive et contenue, qui fait vibrer l'air alentour comme dans un rêve exotique. J'aime aussi les lys aux traînées capiteuses, les œillets et les giroflées porteurs de délicates épices, ou bien encore les daphnés, émouvants comme l'est pour un amoureux transi l'haleine de sa bien-aimée, les chalefs (elaeagnus ebbingei) étonnants arbustes évoquant les lauriers, mais qui donnent une saveur un peu méridionale aux rivages océaniques d'Oléron, les clérodendrons de Chine à senteur jasminoïde, dont les grappes graciles prolongent suavement l'été dans l'automne et qui finissent en beauté sous la forme de perles bleues enchâssées dans des calices de pétales pourpres...

Ce dimanche était aussi jour d'élection. Qu'importe, je n'avais pas trop la tête à ça. Et puis que dire ? Que la Gauche se prend comme prévu une sévère raclée amplement méritée, ce qui ne l'empêchera sûrement pas de continuer à donner des leçons. Que la Droite tire les marrons du feu sous la houlette avisée de Nicolas Sarkozy. Décidément, si cet homme ne brille pas par la constance de ses convictions, il faut bien reconnaître qu'il possède les qualités et l'énergie d'un chef ! Que le Front National enfin recueille un quart des suffrages exprimés, mais en définitive à peine une poignées d'élus et aucun département, confirmant, quoiqu'on pense de ce parti, que la démocratie française est bien malade...

26 août 2013

Blue Mood


Lorsque le spleen s'appesantit sur l'âme en proie à cette langueur étrange dont parlait Verlaine, lorsque les dernières gouttes tièdes de soleil signent la fin prochaine d'un bel été, lorsque l'esprit cherche en vain le moyen d'échapper à un destin trop navrant, lorsque le temps présent se fait l'écho, tout à la fois de joies finies et de tortures en devenir, quoi de plus réconfortant que quelques notes de jazz virevoltant dans l'air ?

C'est exactement ce qui m'arriva aux oreilles, ce soir d'août, tandis que je flânais, cahin-caha dans Royan, au bras rassurant de ma chère et tendre, que les vacanciers rassasiés de sel, de sable et de chaleur, remontaient nonchalamment de la plage, et que d'autres commençaient leur soirée en s'adonnant en rangs serrés au lèche-vitrine.

Nous tombâmes en arrêt, sur une place tranquille, d'où venait le flot plein de gaieté d'un trio musical boppant avec maestria sous un petit chapiteau tendu de blanc. Trois jeunes gens sapés comme des étudiants de quelque grande école, se déchaînaient sur le fameux standard de Stevie Wonder : You are the sunshine of my life !
On apprit par la voix du pianiste qu'ils avaient pour nom Thomas Mayeras (au piano justement), Julien Daude (à la contrebasse) et Germain Cornet (à la batterie).

Si le Blues est dit-on, la musique du diable, ce petit quart d'heure avait quant à lui quelque chose d'angélique. Elégance, classe et swing était les maîtres-mots de ce moment enchanteur. Quel miracle qu'on puisse encore dans notre époque épuisée, déployer tant de grâce et tant d'optimisme ! Et avec ça une jeunesse éclatante !

Je ne me souviens plus hélas du titre suivant, mais j'ai retenu qu'il s'agissait d'un hommage au superbe pianiste McCoy Tyner, hélas aujourd'hui un peu rangé des voitures, mais qui magnifia des années durant, le hard bop aux côtés de John Coltrane. Ni une ni deux, j'ai saisi mon appareil photo que j'ai toujours sous la main et je me suis mis à filmer goulûment (cf ce clip posté sur Youtube) ...

Il y avait également ce soir là dans ces mélodies savoureuses, un peu de Wynton Kelly, de Hampton Hawes, de Red Garland, de Phineas Newborn...
Au clavier Thomas Mayeras semblait narguer malicieusement, mais non sans un vrai et original talent de mélodiste, ses aînés. La basse était quant à elle épatante, simple et bien carrée, et la batterie particulièrement fringante, libre et débordante de breaks délicieux et de brosses veloutées. 
Décidément, ceux qui ont la faculté de pouvoir tromper de cette manière, "les ennuis et les vastes chagrins qui chargent de leur poids l'existence brumeuse"  sont bénis des dieux !

Encore bravo et merci !

28 février 2012

Pour saluer Larry 2


Lorsque la guerre éclate et que la Grèce tombe aux mains des Allemands en 1940, Lawrence Durrell doit quitter son doux asile ionien, pour rejoindre l'Egypte via la Crète. Avec Nancy, il venait d'avoir une fille, Penelope.
Ce nouvel exil, qu'il découvre tout d'abord par Le Caire, avant de s'établir à Alexandrie, va susciter en lui des sentiments complexes et contradictoires. Source d'inspiration de son chef-d'oeuvre (cf un précédent billet), ils expriment au départ une sorte de dégoût pour cet univers à la fois envoûtant et maléfique.
L'Alexandrie qu'il découvre, comme «ressortissant réfugié», est plutôt repoussante : « suffocante cuvette de sable avec ses tombeaux et ses minarets ridiculement hideux. Quel pays ! Infirmes, difformités, ophtalmies, goitres, amputations, poux, mouches ! Dans les rues vous voyez des chevaux coupés en deux par des conducteurs insoucieux ou d'obscènes cadavres noirs sur les plaies desquels les mouches forment un rideau, entourés par une foule qu'attire une curiosité morbide. La poussière qui flotte dans l'air contient tous les miasmes, fièvres, virus, toxines. Au bord de ce Nil lent et pollué, on ne peut rien écrire, sinon par a-coups fébriles ; et l'on se sent lentement écrasé par le pas des éléphants... »

Pourtant, si l'ambiance de la ville est délétère, elle garde la luxuriance indicible d'un passé glorieux. Elle charrie les pestilences, mais aussi le scintillement des cultures qui s'interpellent comme des miroirs sous le soleil. « A Alexandrie, j'étais à la source d'où avait jailli toute notre civilisation, les racines de toutes les théologies, celles des mathématiques et de la physique avaient poussé ici. »

Au fil des années, Alexandrie s'impose donc dans l'esprit de l'auteur comme le lieu où devait se dérouler la fresque splendide qu'il portait en lui. Ce monde cosmopolite, plongé par la guerre dans les conspirations et les intrigues, avait quelque chose d'inquiétant et de fascinant, propice au roman. Dans cette société interlope aux parfums lascifs, les sortilèges et les mystères pouvaient s'exprimer de manière profuse, comme les reflets moirés d'une étoffe chatoyante.
Alexandrie, « grand pressoir de l'amour », « capitale de la mémoire », allait devenir sous la plume de l'écrivain la pierre de touche idéale des sentiments humains, le point focal de toutes les passions et la ligne de mire de leur étrange relativité. De là l'idée novatrice de faire raconter quatre fois la même intrigue, par des narrateurs différents. Quatre angles de vue magnifiant le spectacle !

La genèse du Quatuor prendra plusieurs années et c'est bien après avoir quitté l'Egypte, que dans les années cinquante, Durrell s'attellera vraiment à l'écriture de cette somme (le premier volet, Justine, sera publié en 1957). Il s'appela un temps le livre des morts...

Après la guerre en 1945 il retourne en Grèce, et séjourne deux ans à Rhodes (alors italienne), dont il tirera un ouvrage très émouvant, au commentaire duquel j'ai consacré un ancien billet (Venus et la Mer). De son propre aveu, il y passa les deux meilleures années de sa vie...
En 1947 il part pour l'Argentine après s'être marié avec Eve Cohen, rencontrée en Egypte, qui lui inspira le personnage de Justine. Une fille Sappho Jane, naîtra de cette union, en 1951.
L'Amérique du Sud ne sera pas sa tasse de thé si l'on peut dire, même si en débarquant à Rio, il ressent un vrai choc : « Rio est d'une blancheur aveuglante. Elle dresse comme dans un rêve une forêt de gratte-ciel sur l'arrière-plan d'une chaine de montagne prodigieuse surmontée par une immense croix barbare qui soutient un Christ à demi caché dans les nuages. Le tableau d'ensemble évoque un orgue gigantesque : les collines étant les tuyaux flûtés, et la ville, le clavier blanc."
Mais "l'Argentine est un vaste pays plat et mélancolique, d'aspect assez frappant, où l'air est vicié, les sierras imprécises, et où les hommes d'affaires boivent du Coca-Cola. On y mange du bœuf sans arrêt, et l'on s'y ennuie à hurler. C'est le climat le plus propice à la paresse que j'ai jamais connu.../... Ici on se noie dans un morne laisser-aller et un terrible ennui.../...C'est un pays absolument inouï, mais c'est aussi le cas du continent tout entier. Ce qui m'intéresse, c'est l'étrange légèreté de l'atmosphère spirituelle : on se sent léger, irresponsable, comme un ballon gonflé à l'hydrogène. On se rend compte aussi que le type européen d'homme « personnel », vivant, n'a pas sa place ici..."

L'Europe centrale vers laquelle il part en 1948 ne le séduit pas davantage. De la Yougoslavie dont il connut surtout Belgrade, sous la férule de Tito, il retient l'impression d'un monde figé, à moitié mort. D'où une aversion définitive pour le communisme, décrit en quelques mots : « une courte visite ici suffit a vous convaincre que le capitalisme vaut qu'on lutte pour lui. Si noir qu'il soit, avec tous ses stigmates sanglants,il est moins sinistre, aride et désespéré que cet Etat policier inerte et terrifiant.../... Le communisme est encore plus horrible que vous ne pourriez le soupçonner : corruption morale et spirituelle systématique et par tous les moyens. Perversion de la vérité au nom de l'efficacité et de la commodité. Mais vu de près le communisme vous ferait dresser les cheveux sur la tête. Et la coopération docile des intellectuels n'est pas moins horrible ! On les a payés pour se taire et ils se taisent !
Le moyen de lutter ? En tout cas, les Etats-Unis et l'Angleterre sont des havres de paix à côté de ce pays – ce sont les seuls espoirs pour l'avenir, s'il reste des espoirs... »

En 1952, nouveau retour vers la méditerranée. C'est à Chypre qu'il échoit. Il y débarque seul avec sa fille Sappho Jane. Eve, très dépressive, est restée en Angleterre.
Il exerce tout d'abord la profession d'enseignant, tout en commençant d'écrire son ouvrage sur Alexandrie. La vie lui paraît dure. S'occuper d'un bébé dans ces conditions n'est pas facile...
Peu à peu, il s'acclimate à ses nouvelles pénates, se fait des amis, lit beaucoup, et écrit même l'essentiel du premier volet du Quatuor, Justine. Au début Chypre était à ses yeux un microcosme « étrange et maléfique », qui « ne ressemble pas du tout aux ïles grecques... ». En définitive, elle restera pourtant dans ses souvenirs comme « la plus grecque des iles grecques, dont la langue contient les formes doriques les plus anciennes, et où, à Paphos, naquit Aphrodite... ». Il tirera de cette aventure mouvementée un livre, Citrons Acides.

Son séjour fut toutefois perturbé par la grande agitation politique qui régnait à l'époque. Après avoir été ottomane jusqu'en 1864, l'île était devenue une colonie anglaise qui se montrait de plus en plus rétive à cette vassalisation, hésitant entre l'indépendance et le rattachement à la Grèce. Autour de l'écrivain, les désordres tournent parfois à l'émeute et aux actes terroristes, même dans les écoles où il est professeur.
Durrell, quitte l'enseignement pour se faire engager au Foreign office. Mais ses opinions ne sont pas toujours à l'unisson de son pays, et il se voit contraint de demander la cessation de son contrat et de rentrer en Angleterre. A la même époque, sa relation tumultueuse avec Eve prend fin et il divorce en 1955.

C'est en 1957 qu'il découvre vraiment la France.
Des Français, il n'avait pas une haute idée lors de la montée des périls précédant la seconde guerre mondiale, notamment au moment de l'abandon de la Pologne : « ils sont au dessous de tout mépris, tant comme voisins que comme alliés : mesquins, cupides, serviles... »
Toute autre est l'impression quand il découvre la Provence et qu'il s'installe dans le Languedoc, mettant ainsi fin à sa vie de nomade, pour se consacrer à l'écriture : « en France, l'atmosphère morale est juste ce qu'il faut, même ici dans ces provinces reculées. Et les Français sont sages et spirituels et ne viennent pas nous ennuyer comme les Italiens, et les Grecs qui sont des sentimentaux comme des épagneuls... »
Il ne ménage pas ses efforts pour décrire à son vieil ami Henry Miller les charmes de son nouvel exil : « Une bouteille de Chateauneuf du Pape de 1952. Comme si on buvait de l'or en fusion, et juste après, la peau d'une femme, et ensuite un long moment aux chandelles. Aujourd'hui, le mistral hurle, les premières pluies d'hiver arrivent, avec d'énormes nuages noirs comme des raisins. Mais nous avons une bonne flambée dans le poêle, une brandade à l'ail sur le feu et une bouteille de Tavel... Ne tardez pas. C'est ici que la vie est bonne... »
Une fois établi à Sommières, dans une grande maison dont émane "une élégante laideur", il n'en bouge quasi plus, savourant durant près de trente-cinq ans la vie en Provence, dont il raconte l'histoire et l'atmosphère dans son dernier et magnifique ouvrage L'ombre Infinie de César : "Je suis si heureux dans cette délicieuse ville aux murailles romaines, avec sa rivière calme et ses vignes, et tous les personnages de Clochemerle pour interlocuteurs que je voudrais quitter la France pour rien au monde. Je vais d'ailleurs payer cette année mes impôts en France et prendre la qualité de « résident » - savez-vous que les impôts ici sont trois fois moins élevés qu'aux USA ou en Angleterre ?"

Durant ces années, il vit une nouvelle grande histoire d'amour avec Claude-Marie Vincendon, épousée en 1961. Le bonheur sera de courte durée. Il est terriblement atteint lorsque celle-ci meurt en 1967 d'un cancer. Autre terrible drame, le suicide de sa fille qu'il appelait affectueusement Sapphy, en 1985.
A plusieurs reprises il retourne à Corfou, l'île de sa jeunesse. Il trouve le réconfort auprès de Gyslaine de Boysson épousée en 1973 mais dont il se sépare en 1979 .
Françoise Kestsman est la compagne de ses dernières années et la traductrice de son dernier ouvrage.


Ainsi Lawrence Durrell a beaucoup voyagé et surtout enchanté par sa prose lumineuse, les nombreux pays qu'il visita.
Si le monde méditerranéen est évidemment la clé de voûte de toute sa littérature, la Grèce restera à tout jamais comme la source magique de son inspiration.
Cette Grèce paraît à des années lumières de celle qu'on connaît aujourd'hui et qui fait trop souvent les gros titres d'une triste actualité. Pourtant ce n'est pas un pays riche ou prospère qu'il dépeignit et qu'il portait au coeur. Au contraire, c'est la vie simple des insulaires qui le séduisit : « C'est en partie la pauvreté qui fait le bonheur des Grecs, leur sobriété et leur harmonie avec le monde... » écrivait-il dans son ouvrage consacré aux Iles Grecques, l'austérité même ne le rebutait pas : « Une vie de Grec c'est une vie de loup décharné, n'offrant aucune sécurité, aucun avantage matériel » (Citrons acides).
Il faut dire que Durrell avait un certain mépris pour « une époque qui apprécie la richesse matérielle plus que la beauté ». Il y avait quelque chose de dépouillé chez cet homme qui toujours, a fui les honneurs. Il y avait quelque chose d'indicible dans ce personnage souriant mais quelque peu énigmatique.
Dans un de ses derniers ouvrages, il évoqua malicieusement la philosophie bouddhiste, pour laquelle il avait des affinités : "Le mot Tao évoque pour moi différentes attitudes (toute vérité étant relative), un état de disponibilité totale et de total abandon, une conscience totale, exhaustive et sans réserve de cet instant ou la certitude pointe le nez, tel un poisson au bout de l'hameçon. C'est alors que l'esprit est en parfait accord avec la grande métaphore du monde - celle du TAO." (Le sourire du Tao)

En définitive ce qui pourrait vraiment caractériser cet écrivain unique, c'est ce fameux « esprit des lieux » qu'il sut si bien exprimer et faire chanter.
Notamment lorsqu'il évoquait bien sûr le monde chimérique d'Alexandrie, ou bien les trois paradis sur terre qui lui furent si chers: Corfou, Rhodes et la Crète.
Mais également en décrivant d'un mot, quelques petites pépites étincelantes: Poros, dans les îles saroniques : « c'est l'endroit le plus heureux que j'aie jamais connu », Ios, dans les Cyclades : « l'île la plus belle et la plus poétique de sa taille dans cette partie de la mer Egée », ou encore Santorin: « la réalité de l'île est tellement inouïe que la prose ou la poésie qui tentent de s'y mesurer, si brillantes soient-elles, resteront toujours en deçà... »

Pour finir, un dernier salut, avec un poème terminant son ultime livre, alliant une brûlante nostalgie à un délicieux hermétisme :

Explosion du soleil couchant
Dans la vieille forteresse de Bénarès,
Le sanglot solitaire d'un clairon sonne le rappel
Le naphte embrase les embarcations sur le fleuve
Corps dérivant vers le ciel
Le pouce objet de culte des gnomes inanimés
Avec leurs fracas immenses
D'eau d'herbe et de lumière
Avec la nuit durant les morts sur le qui-vive
L'absolue vérité ensevelie par le dépit amoureux
Les poussettes de la conscience vissées à fond.

Pour quelle raison la fille aux neuf matrices
Blâme-t-elle votre solitude passée ?
Aujourd'hui ils viennent me jauger pour un cercueil,
Ainsi la mort venant et la jeunesse retrouvée devient-on somnambule.

Finalement seul, le temps se dépouille :
La lune des vendanges préside bienveillante,
Opportune, et semble saisir nos cœurs en gage,
De nos incertitudes perdure la genèse
D'anciennes caresses tourmentent une carotide
Les caresses du silence.
Alors que jeune et riche de mes poèmes
Enlacé par une muse solaire
Aux capricieuses inclinations, je rusais avec l'amour,
Ou me baladais tel le dieu des grenouilles géantes
Troublantes exhortations de mon ego.

Petites amies satisfaites d'un soupir,
Ou par le Kodak croustillant né du cerveau du bourreau
Sans considération de plaisir ou de peine, 
Un dernier au revoir sans espoir,
Goodbye....
(L'ombre infinie de César.)

A noter la possibilité d'entendre ou de voir Lawrence Durrell, via les Archives de l'INA :
En 1982, dans l'émission radioscopie de Jacques Chancel
En 1985 chez Bernard Pivot (Apostrophes)