03 août 2008

Les petits rapporteurs de la Santé


Même si l'on est de ses adversaires, on ne peut guère reprocher à Nicolas Sarkozy de manquer d'ambition, d'idées et de projets pour la France. Certes, ça n'empêche pas certains de le trouver trop réformateur, et d'autres pas assez, mais il fait bouger les lignes comme on dit.
Pourtant il est un domaine où son action paraît pour le moins erratique : celui de la santé. Ce n'est pas qu'il paraisse le négliger, puisqu'il l'évoque assez régulièrement, tout en visitant les hôpitaux, mais on sent comme un flottement dans sa détermination.
Est-il bien conseillé ? On peut avoir des doutes.
Madame Bachelot, ne cultive fort heureusement pas le culte de la réformette clinquante mais vaine du calamiteux Douste-Blazy, mais pour l'heure , son attitude relève d'une sorte de pharisaïsme prudent. Elle fait mine de vouloir sauvegarder les fameux acquis sociaux intangibles du système français de sécurité sociale, et continue d'en rogner gentiment les bords à la manière de tous ceux qui l'ont précédée dans la fonction. Après avoir instauré le système des franchises, le « déremboursement » de spécialités médicamenteuses déclarées peu efficaces, elle vient d'annoncer, pour combler un tant soi peu le gouffre de la Sécu « sans augmenter les cotisations », qu'elle allait taxer les « bénéfices » engrangés par les Mutuelles d'assurances complémentaires. Avec un délicieux sens du jésuitisme, elle considère en effet que cette décision se justifie par« leur bonne santé qui contraste avec les difficultés de l'Assurance maladie... » Plutôt que d'assainir la situation du système dont elle la charge, elle préfère donc se payer sur les efforts des autres !
Le plus beau est toutefois sa réponse totalement décomplexée, aux journalistes qui l'interrogent sur la probabilité pour les assurés de subir in fine une augmentation détournée des cotisations :
Si votre Mutuelle augmente ses cotisations, changez donc de mutuelle ! Un peu fort de café madame la ministre. Et comment fait-on pour échapper à la pression univoque, croissante et sans partage de la Sécu ?
A côté de la ministre, vibrionnent une nuée de conseillers. N'étant jamais payeurs ni redevables de rien, ils sont généralement prodigues en idées. Il faut dire que du fond de leurs bureaux feutrés la tâche est immense, puisqu'il ne s'agit rien moins que de réaliser la quadrature du cercle... idéologique.
De rapports en commissions, d'Etats-Généraux en Schémas d'organisations, ce n'est assurément pas le manque de suggestions dont souffre le système. Et l'avènement de Nicolas Sarkozy n'y a rien changé. Il y a quelques mois je m'étais attardé sur le rapport Larcher, du nom du sénateur, ancien
« ministre délégué à l’Emploi, au Travail et à l’Insertion professionnelle des jeunes », ancien président de la Fédération Hospitalière de France.
Début Juillet, c'était le professeur Guy Vallancien qui en remettait une couche à la demande de madame Bachelot.
Ce professeur d'Urologie, exerçant à l'Institut Mutualiste Montsouris à Paris, n'est pas à son coup d'essai. Il s'était déjà illustré par un rapport meurtrier sur la chirurgie hospitalière, réclamant en 2006 la fermeture de près d'un quart des Blocs opératoires du Service Public !
Aujourd'hui, il récidive en s'attaquant à l'ensemble du dispositif hospitalier qu'il juge en fort mauvais état, (« administré mais toujours pas gouverné »), et auquel il voudrait appliquer les règles de fonctionnement des entreprises commerciales.
On peut toutefois avoir quelques doutes sur la « culture managériale » vantée à longueur de pages par Mr Vallancien, qu'il semble avoir découverte à la lecture d'un bréviaire pour débutants. A lire ce nième rapport, elle s'inscrit en effet dans le pire des scénarios bureaucratiques.
Mr Vallancien se paie de mots mais son projet est grandiloquent et l'arsenal administratif reste plus fort que jamais. Les Agences Régionales de l'Hospitalisation, créées à l'occasion du funeste plan Juppé de 1996, et mises en cause par Nicolas Sarkozy pour leur inefficacité, cèdent la place à des structures encore plus délirantes : les ARS ou Agences Régionales de Santé (encore reste-t-il à voir qu'elles ne s'ajoutent pas à l'existant...). Et naturellement, sous sa tutelle "bienveillante", tous les artifices de la bonne vieille planification quinquennale restent en place et sont mêmes renforcés : Etats-Généraux, SROS, COTER, COMEX...
S'agissant de l'organisation hospitalière, elle se complique toujours davantage. La centralisation étant semble-t-il devenue le dernier cri en matière de gestion, il s'agit désormais de gérer les hôpitaux en les regroupant en Communautés d'Etablissements ! Pour un « Bassin de population » de 200 à 400.000 habitants, il estime que 4 à 10 établissements pourraient être ainsi regroupés, « représentant entre 7000 et 20.000 employés ». Il plaide dans le même temps pour une hiérarchisation et une « ultra-spécialisation » rigide des tâches dévolues à ces établissements en fonction de leur taille, du CHU à l'hôpital local...
Pour tendre vers cet objectif mirobolant, comme à l'accoutumée, on change les noms. Par exemple, le Conseil d'Administration devient Conseil de Surveillance, une vraie révolution, et on lui confère, à lui qui n'arrive en règle déjà pas à administrer un seul établissement, un périmètre d'action faramineux (la nouvelle et emblématique Communauté Hospitalière de Territoire) ! La bonne vieille Commision Médicale d'Etablissement (CME) s'éparpille en un réseau vague et noueux de Comités consultatifs Médicaux, Conseils Scientifiques et Médicaux...
Le Directoire, dernière trouvaille aux accents vaguement bonapartistes, vient quant à lui rajouter une strate au mille-feuilles, marchant sur les plates-bandes des Conseils Exécutifs datant de l'avant-dernière réforme, qui eux-mêmes s'emmêlaient déjà les pinceaux avec les Pôles, les Commission Médicale d'Etablissement, Commission technique d'Etablissement et autres pseudopodes administratifs aux rôles plus ou moins consultatifs, plus ou moins décisionnels... Enfin, cerise sur le gâteau, la mise sur pieds d'un Comité d'Entreprise est encouragée sans qu'on sache ce qu'une telle instance apporterait à cet ensemble plutôt baroque et confus.


Au bout du compte, à voir cet infernal méli-mélo de dispositions et de propositions, on peut être saisi d'une immense déception. Comment donc y voir autre chose que quelques rustines comptables d'une part, et qu'un nouveau salmigondis technocratique basé, en dépit de ses bonnes intentions, sur le planisme si cher aux soviétiques. On aura une fois encore, probablement raté la réforme qui aurait ouvert la voie à l'initiative, à l'émulation et à la responsabilité. La Tarification à l'Activité (T2A !) et l'Accréditation, institués à grands frais ces dernières années, avaient pourtant laissé entrevoir l'avènement de conditions propices à l'émergence de ces vertus. Hélas, ces dispositifs sont restés si compliqués, si théoriques, et si étroitement encadrés par l'Etat, qu'ils ont aujourd'hui complètement manqué leur but. Ça ne finira donc jamais !

28 juillet 2008

Du libéralisme et des blogs...

En parcourant les blogs, deux parmi ceux que je fréquente régulièrement, attirent mon attention. L'un porté sur l'intelligence artificielle et l'astrophysique qui s'attaque tout à coup véhémentement au libéralisme, l'autre dont le sujet principal était justement l'économie, et qui annonce avec dépit sa fermeture définitive. Cela me suggère quelques commentaires :

Au sujet du libéralisme. Dès qu'un ralentissement ou une panne économique survient, bon nombre d'observateurs jugent opportun de relancer l'idéologie du « Gros Gouvernement » (Big Government) bienfaiteur et de son pendant protectionniste. C'est classique. L'ennui c'est qu'ils ont rarement les mêmes interrogations et états d'âme face aux gâchis et échecs permanents de la quasi totalité des gouvernements qui sévissent dans ce monde sublunaire...
Surtout, s'agissant du libéralisme et du libre échange, on ne voit pas vraiment les raisons nouvelles qu'il y aurait d'en faire le procès. En dépit de crises, il faut être aveugle pour ne pas voir, depuis la fin du dernier conflit mondial, la transfiguration du niveau de vie de tous les pays qui furent un tant soit peu touchés par le libéralisme. Et a contrario, la déconfiture générale de ceux qui sont restés à l'écart ou bien qui délibérément ont pris une autre voie...
En réalité, il n'y a rien de bien nouveau sous le soleil depuis Jean-Baptiste Say, ou Frédéric Bastiat.
Je prends à dessein ces exemples bien de chez nous, car ils n'ont pas la tare rédhibitoire d'être « anglo-saxons » et ont pourtant analysé de manière tellement claire et pénétrante les ressorts de base de l'économie, que leurs leçons libérales pourraient s'imposer avec autant de prégnance que celle de Newton en physique...
Pour Bastiat, l'Etat n'était qu'une « grande fiction sociale à travers laquelle chacun essaie de vivre au dépens de tous les autres ». Après plusieurs décennies d'étatisme et de soi-disant justice sociale, rien n'a vraiment changé dans notre pays plus que jamais sur-administré, réglementé et pourtant endetté jusqu'au cou et socialement fragilisé (car il semble difficile de prétendre que la France, au moins depuis 1981 et jusqu'en 2007, soit un pays appliquant à la lettre le libéralisme). Ce n'est donc pas un « monstrueux bloc ce certitudes » imposé par les pays anglo-saxons au monde occidental, mais la simple évidence...

C'est une lapalissade également que d'affirmer que plus une nation (et a fortiori une planète) est développée et responsable, moins elle a besoin de gouvernement, de règlementations et de contraintes. Quant au libre échange qui s'impose par voie de conséquence, ses avantages paraissent non moins évidents, en dépit du fait qu'il fourmille d'inconvénients. Il n'est pas besoin de sortir de Polytechnique pour percevoir qu'il en a infiniment moins que les doctrines protectionnistes. Il suffit d'imaginer autour de soi ce qui disparaîtrait de la vie quotidienne si tous les pays avec lesquels nous entretenons des relations commerciales cessaient de le faire en rétorsion de la protection de nos petites frontières...
S'agissant enfin des États-Unis, qu'on critique habituellement dès qu'on aborde le sujet du libéralisme, ils pourraient comme l'avait déjà constaté Tocqueville, quasi se gouverner seuls. C'est une force extraordinaire, et ça leur donne une capacité réactive formidable (attention, ça ne veut pas dire qu'il s'agisse d'un monde merveilleux qui ne fasse jamais d'erreur).
En matière d'économie comme en matière scientifique, et probablement comme en toute matière, il est vain de raisonner à la seule lumière de principes immanents ou de dogmes. La force du libéralisme c'est précisément de ne pas trop en avoir et d'être capable de s'adapter avec souplesse et pragmatisme aux circonstances, sans idéologie et sans s'interdire a priori aucune solution. Si l’État peut être utile, il est souhaitable qu'il agisse en ce sens, dans la mesure de ses moyens.
Mais quand on a plusieurs milliers de milliards d'euros de dettes, un taux de chômage des plus élevés, et un tissu social paraît-il au bord de la « fracture », on est quand même assez mal placé pour servir de modèle ou de recours... Et s'agissant enfin du gaspillage des ressources naturelles, dont seraient systématiquement responsables ceux que certains n'hésitent pas à qualifier sans nuance « d'entrepreneurs capitalistes à la recherche du profit immédiat », je ne sache pas qu'il y ait la moindre preuve permettant d'affirmer qu'un « gouvernement fort » et omnipotent, soit une garantie d'efficacité...

Au sujet des blogs qui cessent leur activité. Mr Caccomo annonce la fin de ses "Chroniques en Liberté". J'ai trouvé un peu égoïste sa décision, car manifestement il avait des lecteurs (plus de 70 commentaires pour son dernier billet). Je comprends sa lassitude, sa déception et son amertume puisque je tiens moi-même depuis plus de 2 ans un blog et connais les affres de l'écriture, le « vide vertigineux » de l'internet, et le "secret espoir d'être repéré par un éditeur"...
Mais voilà, la vie est dure comme disait Nicolas de Staël, et réserve beaucoup de désillusions. Beaucoup de blogs s'usent prématurément faute d'y avoir placé de trop hautes espérances, où d'y avoir trop donné d'emblée, ou bien encore faute d'opiniâtreté tout simplement. Car en réalité c'est un marathon. Et qui veut aller loin...
Lorsque j'ai le blues (et les lecteurs qui passent par ici savent que ça m'arrive assez souvent), je pense très humblement à Spinoza qui écrivit son œuvre monumentale dans la solitude, en gagnant sa vie modestement en polissant des lentilles optiques. Je pense à Kant qui fut largement incompris de son vivant, mais qui continua d'écrire en dépit de l'insuccès, tout en prodiguant ses cours à l'université. Je pense à Van Gogh qui n'a vendu qu'un seul tableau dans sa vie et mit fin à cette dernière juste quand la célébrité peut-être allait venir (comme Nicolas de Staël au demeurant)... Autant d'exemples qui montrent qu'il ne faut pas désespérer et s'efforcer de suivre son petit chemin vaille que vaille...

26 juillet 2008

Rêveries estivales


Le bleu du ciel est zébré de grandes trainées blanches laissées par le sillage des avions. Signe des temps. La civilisation technique a même envahi l'univers immaculé des airs. Pourtant sa marque est des plus délébiles...
Au dessous, le paysage par contraste, semble inchangé depuis des siècles. La nature est paisiblement assoupie dans la chaleur de l'été. Les vaches paissent comme si elles faisaient partie d'un tableau de Constable. Le Monde s'agite certes, mais très loin, si loin qu'on peut en douter.
Dans ces moments de détente j'ai parfois l'esprit qui se met à flotter. Il vibre doucement dans la moiteur de l'air, au gré du vol aléatoire des papillons et du crissement chaud des grillons.
En fin de journée, avant que l'horizon figurant la proue d'un immense navire, vienne en montant, cueillir doucement le soleil, je me laisse gagner par un délicieux songe hypnotique. Ce jour mourant, irradiant toute chose de ses rayons couchés, suggère mille réflexions insaisissables sur le sens de la vie.
Je me demande en premier lieu pourquoi l'Homme serait le seul assujetti à la Logique dans un monde qui en serait totalement dénué ? Comment aurait-il seul le privilège d'avoir un sens si tout autour de lui rien n'en a ?
Car l'Humanité a un sens c'est certain, tous ses représentants, même les simples d'esprit et les fous en sont persuadés. Seuls les anarchistes les plus fanatiques et les athées les plus résolus prétendent le contraire. Encore faut-il souligner qu'ils mettent en général un grand empressement à s'inscrire tout entier dans un fatum froidement déterminé, dont le sens irrémédiable et tragique paraît pourtant totalement leur échapper !
Et la preuve que l'Homme est doué de sens, c'est qu'il le sait et le conçoit. Cogito ergo sum. Non seulement cette conscience le touche, mais elle transfigure le Monde autour de lui. En son absence en effet, comment déterminer par exemple, si l'organisation d'une société de fourmis a un sens, puisque personne et pas même elles ne serait à même de le percevoir ?
L'Homme a donc un sens et le confère au Monde.
Et pour preuve que ce qu'on nomme sens, a du sens, c'est qu'il n'y a qu'en s'appuyant dessus que nous faisons de belles et grandes choses. Celles qui nous procurent les plus intenses et durables satisfactions. La plus indicible, la plus empreinte de certitude, est la création d'oeuvres d'art. Car elle ne répond à aucun objectif pragmatique, n'a aucune utilité évidente, mais possède un sens immanent. Je suis même enclin à penser que celui-ci est d'autant plus prégnant qu'il émane de sociétés qui en sont elles-mêmes largement pourvues... Autrement dit, une société incapable de production artistique digne de ce nom, a-t-elle encore un sens ?

A propos de sens de l'Art, une des meilleures illustrations en est la musique de Jean-Sébastien Bach. Après avoir savouré l'excellent DVD que l'Ostrogoth du violon Nigel Kennedy lui a consacré, j'en suis plus que jamais convaincu. Bach est universel, et quelque soit l'angle sous lequel on le considère il est empli de signification. Dans ce disque Nigel Kennedy confirme que sous ses aspects savamment débraillé et fantasque, il est un violoniste hors pair, tout en nuances et en finesse. Au delà des merveilleux concertos, j'ai été submergé par l'infinie tendresse des inventions à deux voix, qu'il a transcrites avec la violoncelliste Juliet Welchman et dont il interprète quelques extraits.
Nigel Kennedy fait beaucoup pour pérenniser dans notre civilisation technique la musique de Bach. Qu'il en soit remercié car rien ne serait plus inquiétant pour une société humaine, qu'un lent désintérêt pour ce qui a tant de sens...

08 juillet 2008

A la recherche du Paradis Perdu


Il est paradoxal qu'il faille parfois aller sur la chaine de télévision la plus commerciale qui soit dans notre pays, la plus vilipendée par les gardiens du temple du « Service Public » et de l'Exception Culturelle, pour y trouver les sujets de réflexion les plus excitants. Et les mieux mis en images.
Chaque numéro de l'émission USHUAIA Nature diffusé par TF1 est de ce point de vue un petit chef d'oeuvre. Prises de vues stupéfiantes, paysages extatiques, lumières paradisiaques, un vrai régal pour les yeux et l'esprit. Certes on sent que tout est travaillé et retravaillé, les couleurs et les contrastes savamment magnifiés. N'empêche le résultat est à la hauteur des moyens et procure un superbe spectacle.
Malheureusement les commentaires du présentateur ne s'avèrent pas toujours à la hauteur, Nicolas Hulot se laissant bien souvent aller à une sorte de philosophie angélique et un tantinet nigaude sur la Nature. Par exemple, le dernier épisode (3/07/08) qui raconte l'Amazonie et focalise l'attention sur une tribu d'indiens perdus dans la forêt, est le prétexte à ressortir le vieux mythe opposant le bon sauvage à la société moderne, prétendument corrompue.
Les Zo'és, dont la population excède à peine 250 âmes, et qui coulent une existence paisible dans un microcosme préservé, deviennent sous l'oeil émerveillé du présentateur écologiste, les survivants du Paradis perdu : « Les Zo'és, comme les derniers témoins de l'origine de l'homme, sont aussi les témoins de notre perte d'humanité, de notre avidité et de notre frénésie constructrice particulièrement… destructrice ». Et en voyant ces gentils hommes nus gambader joyeusement dans la jungle, consacrant « la plus grande partie de leur journée au sommeil, aux jeux, à la baignade ou à de précieux moments de discussion, d'échange et de partage » on ne peut selon lui que se lamenter sur notre triste sort et réaliser « combien de liens nous avons sacrifiés à la notion de possession ». On mesure « l'outrance de notre société standardisée, basée sur le pouvoir, la compétition, le rendement ».

Qu'il est doux de se bercer d'illusions séraphiques, donnant l'impression de redécouvrir le sens des vérités premières...
Seul problème : comment diable, décalquer sur le monde, avec sa complexité et sa diversité, une expérience aussi ponctuelle, aussi exceptionnelle ? Même si elle invite à réfléchir sur le mystère de la nature humaine, est-ce à croire qu'il suffise d'avoir été oublié par la civilisation pour être pur et n'avoir d'autre besoin que d'amour et d'eau fraîche ?
Ces gens quoique fort sympathiques, n'ont pas évolué d'un iota au cours des millénaires. Pour un peu, ils feraient mentir Darwin ! Ils n'ont en apparence aucun désir, aucune passion et ignorent la notion même de progrès. Il n'ont jamais cherché à dépasser les limites de la Forêt. A quoi bon ? La Nature généreuse leur procure à portée de main tout ce qu'il faut pour vivre et un climat assez clément pour se passer de tout habillement.
Sont-ils pour autant les derniers hommes libres comme le prétend Nicolas Hulot ? Difficile à dire. Ils se satisfont d'un monde irrémédiablement fermé sur lui-même, semblent n'avoir aucune angoisse existentielle et leur vie est entièrement conditionnée par l'instant. Le ciel et ses mystères paraît les indifférer et leur culture est des plus rudimentaires, se limitant à un artisanat basique et quelques rites animistes. L'écriture leur est inconnue, comme toute forme d'expression élaborée.
A bien y réfléchir, ils constituent sans doute une des innombrables facettes du génie humain. Leur destin est en soi une énigme tout comme celui de chacun d'entre nous et comme toute société, petite ou grande peuplant l'univers ici bas.

Qu'on les protège comme une espèce en voie de disparition est touchant et somme toute louable. Mais c'est aussi les maintenir dans l'ignorance de l'univers qui les entoure et dans une semi-captivité. Par le biais de caméras bien intentionnées, nous les observons avec nostalgie et tendresse, mais combien de temps joueront-ils avec autant de naturel sous nos yeux le rôle de bons sauvages, avant de chercher à passer de l'autre côté de l'écran ? Car en dépit d'espoirs chimériques, ils est peu probable que beaucoup d'entre nous soient un jour tentés de faire le chemin inverse...

06 juillet 2008

Un mystère colombien

L'intense battage qui accompagne la libération d'Ingrid Bétancourt fait naître une certaine perplexité. Après la révolte, la compassion, l'émotion, puis enfin le soulagement, un étrange sentiment se fait jour. Ou plutôt une interrogation. Pourquoi un tel débordement médiatique ? Qui l'orchestre vraiment ? La Presse ? Les Politiques ? A quelle fin ?
Comme lors des tragiques attentats du 11 septembre 2001, les images diffusées en boucle finissent par être assommantes, donnant l'impression d'une distorsion soudaine et artificielle de l'actualité. Une nouvelle fois, les journalistes en font trop, braquant de manière inconsidérée leurs micros et projecteurs sur tout ce qui brille, sans une once de réflexion et pas le moindre recul. Résultat ils disent n'importe quoi. Un flot de rumeurs non fondées, de suppositions hasardeuses, et de gloriole clinquante submerge l'évènement.
Est-il normal qu'une personne, aussi sympathique soit-elle, devienne en quelques jours
par le truchement des médias, le centre du monde ? D'où tient elle la grâce qui fait qu'elle soit soudain parée de toutes les vertus ?
Certains la voient déjà Présidente de la République Colombienne par le seul mérite d'avoir été otage durant six longues années. Nicolas Sarkozy l'inscrit d'autorité sur la liste des prochains promus à la Légion d'Honneur. Etrange consécration. On finit par avoir des doutes.
Est-elle héroïne malgré elle ou bien s'agit-il d'une mise en scène habile ?
On est interloqué par sa bonne forme apparente, lorsqu'on la compare à l'image de pauvresse résignée, ressassée il y a quelques mois. On la disait mourante de maladies et de mauvais traitements, la voici pimpante et volubile comme si elle sortait d'une cure de thalassothérapie.
On la présente comme la figure emblématique de la politique colombienne, mais son premier geste est de s'envoler pour la France. A-t-elle seulement rencontré le président Uribe, artisan de sa libération, a-t-elle rencontré le Peuple Colombien qu'elle affirme vouloir servir ? On n'en a rien vu. Etrange, si l'on se rappelle que les sondages ne la créditaient pas de plus de 2% d'intentions de vote lorsqu'elle envisageait de se présenter il y a quelques années à la Présidence de la République,...
Vraiment cela fait beaucoup de mystères autour de cette histoire. Ajoutés au discrédit dans lequel on tient, on ne sait trop pourquoi, en France le président Uribe (parce qu'il n'est pas de gauche ?), aux conditions bizarres de la capture d'Ingrid Bétancourt par les FARC, et à la complaisance avec laquelle on les a trop longtemps considérés, nimbés qu'ils sont par l'aura guevaresque de justiciers du peuple, au rôle guignolesque joué par Chavez, ça fait tout de même un peu beaucoup de ficelles qui s'agitent sans qu'on voie clairement qui les tient...
Ne pas oublier que derrière ces torrents de liesses, il reste encore au bas mot 800 otages en captivité...

29 juin 2008

La douche irlandaise


Le Non irlandais au traité de Lisbonne, fait apparaître au grand jour une fois encore, le fossé gigantesque qui sépare l'Europe des Peuples de celle que les dirigeants cherchent à leur imposer avec opiniâtreté. En la circonstance, le référendum populaire paraît une gageure insensée, cristallisant par nature des mécontentements de toute nature et souvent hors sujet. Mais il a un mérite : montrer qu'on ne peut espérer convaincre sans un minimum de clarté et d'enthousiasme.
Or l'idée européenne à ce jour en est tristement dépourvue. Pour tout dire, elle est à l'image de la substance bureaucratique dans laquelle elle plonge ses fondements juridiques : une sorte de gros machin mou, sans forme, sans direction, englué dans un limon glissant de standards et de normes.
Comment les citoyens pourraient-ils donner à ce monstre froid et indifférent, la légitimité de gouverner leur existence ?


Le projet de Constitution proposé dans un premier temps, et rejeté en 2005 par la France et les Pays-Bas, était avec ses 448 articles et ses quelques 250 pages, un véritable assommoir à électeurs. Au moins portait-il, au sein d'un prolixe et incompréhensible jargon, quelques ferments d'union. L'Europe avait un Hymne, un Drapeau, une Devise et même un Ministre des Affaires Etrangères.
Plus rien de cela hélas ne subsiste dans le traité de Lisbonne, abusivement qualifié de « mini-traité ». Tous les emblèmes fédérateurs ont été supprimés et il ne reste qu'un texte lourd de plus de plus de 150 pages, censé modifier et non remplacer les traités de Rome et de Maastricht. Certes on n'y compte plus que 7 articles mais ils se répartissent en plus de 350 dispositions de droit primaire, auxquelles s’ajoutent 13 protocoles et 59 déclarations !

Inutile de chercher dans cette rhétorique procédurière le moindre élan, ni même un quelconque dessein commun. On ne tente ici de fédérer de manière contractuelle, qu'une nuée d'égoïsmes nationaux, crispés sur l'obsession de profiter au maximum du système tout en lui abandonnant le moins possible de « souveraineté »... La France donne le ton, en ramenant à tout propos son prétendu merveilleux « modèle social », ses ambitions universelles en matière de « Droits de l'homme », et sa volonté farouche de préserver coûte que coûte une Défense Nationale indépendante.

Résultat, à l'exception notable de la monnaie unique, nous n'avons de l'Europe que le pire : des normes et des règlements tatillons, comme s'il en pleuvait, qui vitrifient dans l'uniformité notre manière de vivre, qui interdisent à la diversité de se manifester dans ce qu'elle a de meilleur, qui semblent se moquer des initiatives locales, et qui s'avèrent incapables dans le même temps, de cimenter un édifice cohérent.
Qu'est-ce donc qu'une Europe qui ne peut adopter une politique de défense commune ? Qui ne sache tenir une position fermement définie au sein du concert des nations ? Qu'est-ce qu'une Europe qui s'exprime de manière cacophonique, et qui par exemple, s'accroche à ses deux postes au Conseil de Sécurité de l'ONU, par lesquels elle affirme trop souvent la position sectaire voire parfois contradictoire de deux pays ? Qu'est-ce qu'une Europe qui ne cesse d'élargir ses assises géographiques alors qu'elle ne maitrise toujours pas ses fondements institutionnels, et ne sait pas véritablement où elle veut aller ?

On serait bien tenté de voir dans le logo adopté à l'occasion de la présidence française, le symbole piteux de cette déconfiture : des étendards qui pendent comme de vieux torchons au milieu de symboles nébuleux...

En définitive la douche irlandaise pourrait être bénéfique si tant est qu'on veuille enfin donner à ce genre d'avertissement la portée qu'il mérite.
Mais saura-t-on le faire ?

17 juin 2008

De l'enfer au paradis avec le Blues

Dans deux mois cela fera vingt ans que Roy Buchanan aura quitté ce monde. Aujourd'hui un DVD ressuscite quelques instants de sa vie, filmés le 15 novembre 1976 au cours d'un concert à Austin, Texas. Occasion quasi unique de s'imprégner de la musique de cet extra-terrestre de la guitare de blues.

Avec son air d'aimable plouc rêveur, il n'avait pas son pareil pour se délester sans en avoir l'air, d'incroyables lignes mélodiques, mélange de bends montant jusqu'au ciel comme des gémissements idéals, et d'harmoniques stridulantes déchirant avec délectation les tripes, le tout dans un style aérien, foisonnant de frénétiques "chicken pickin" .
Dans sa fabuleuse reprise de Hey Joe, même après avoir entendu Jimi Hendrix, on ne peut qu'être subjugué par les sublimes envolées suraiguës, ponctuées de brutales descentes en vibrato, au sein desquelles il place quelques mots à peine chuchotés, sortis en ruminant de sa barbe nonchalante.

Hélas, il ne resta pas longtemps au meilleur de sa forme. L'alcool, les frustrations, la pression médiatique et commerciale instillèrent progressivement en lui un poison mortel, qui l'usa prématurément.
Il galvauda souvent son talent, erra dans d'obscures et sordides impasses, ternissant parfois même sa nature de gentil garçon.
Au cours d'une soirée trop arrosée, un peu trop d'excitation, et il finit au poste de police, en cellule de dégrisement. C'est là que le 14 août 1988, à l'issue d'un raptus inopiné, profitant d'un moment d'inattention de ses geôliers, il se pendit avec sa chemise... Il avait à peine 49 ans.

A porter à son crédit, il reste quelques bribes du Paradis qu'il crut peut-être entrevoir par instants.
Avec ces images ressurgies du passé, on pourrait presque les palper au bout de ses doigts, le long des cordes torturées de sa guitare : Roy's Bluz, Sweet Dreams, The Messiah...

15 juin 2008

Obamania


Les Français sont vraiment incorrigibles. Ils seraient 84% à souhaiter la victoire de Barack Obama à l'élection présidentielle outre atlantique. Un consensus aussi peu nuancé laisse imaginer qu'ils n'ont décidément pas compris grand chose à la démocratie, en particulier américaine.
Il faut dire qu'au niveau d'information où ils se trouvent, un grand nombre d'entre eux doivent être surpris qu'Obama ne soit pas déjà installé à la Maison Blanche, tant la lutte l'opposant au sein du Parti Démocrate à Hillary Clinton, était manifestement assimilée dans leur esprit au match final pour le poste de président.

La Presse, de plus en plus mauvaise, caricaturale et pour tout dire idiote, porte sans aucun doute une part de responsabilité dans cette évidente méconnaissance des faits tant elle a induit le doute, en focalisant pendant des semaines ses projecteurs sur ce combat fratricide, le montant en épingle, et lui donnant l'apparence d'une campagne électorale, alors qu'il ne s'agissait que d'une primaire. Et pour finir, la désignation d'Obama, comme candidat démocrate, bien qu'elle s'apparentât à une sorte de victoire à la Pyrrhus, a été saluée comme un événement historique, ouvrant une nouvelle ère pour le Monde, à peu près unanimement par tous les médias réunis...
Derrière les chiffres, on peut s'interroger sur les raisons d'un tel engouement. Première tentation, celle d'y voir en creux les effets de la détestation anti-Bush qui sévit en France. Obama n'est pas issu du parti de George Bush, donc il jouit d'un préjugé favorable. Au surplus, il prône le retour des troupes stationnées en Irak, ce qui est assimilé de manière réflexe, à une preuve d'intelligence.
Au surplus, il est noir, il est jeune et incarnerait paraît-il le « changement ». Le mot est un des plus galvaudés en matière politique mais il fait toujours son effet aux oreilles de foules un peu niaises. Quand on creuse, il s'avère difficile de mettre derrière le terme, quelque projet concret. Alors inévitablement ressurgissent les vieux, très vieux démons de la pensée prétendue « progressiste » : on évoque la redistribution des richesses par l'impôt, une plus grande justice sociale, le mythe de l'assurance maladie universelle...
Pour ma part, je n'ai pas d'a priori contre Obama, plutôt de la sympathie, mais j'ai quelques doutes :
Sa couleur de peau n'est à mes yeux pas un argument. A ce jour aux USA, la plus haute fonction après celle du président est tenue par une femme noire, Condolezza Rice. Elle n'a jamais revendiqué ces particularités comme étant des qualités en soi, et George Bush qui l'a nommée pas davantage. Elle fait son job sans palabre ni forfanterie et personne ne remet en cause le sérieux de son travail et ses compétences, c'est le plus important. En tout état de cause, par rapport à cette petite révolution au sommet de l'Etat, le caractère "historique" de la désignation d'Obama doit être relativisé.
S'agissant du programme du candidat, le moins qu'on puisse en dire c'est qu'il est plutôt flou, très fluctuant, et un brin démagogique. Retirer les troupes d'Irak rentre dans la dernière catégorie. Cinq ans après le début de l'intervention, au moment ou ce pays semble rentrer enfin dans une phase de progrès et de stabilité, après que 4000 soldats soient morts pour ça, ce serait de la bêtise à l'état pur que de tout abandonner. Comme Obama est tout sauf idiot, il y a fort à parier qu'il ne ferait pas ce qu'il annonce, donc qu'il ment.
Quant à l'Iran, qui constitue un des problèmes les plus aigus du jour en matière de politique internationale, la position d'Obama est étrange. Un jour il veut « ouvrir la porte » au dialogue (ce qui a déjà été fait par l'Administration Bush), mais l'instant d'après affiche un résolution sans faille pour mettre en oeuvre, « tout ce qui sera en son pouvoir », pour empêcher le pays des Ayatollahs de posséder l'arme nucléaire. Tout, c'est à dire la guerre ?
S'agissant du programme pour l'Amérique, bien que ses contours soient encore bien incertains, il est probable qu'il sera basé sur un plus grand interventionnisme étatique. Alourdissement de la fiscalité, subventions et aides sociales, mesures protectionnistes, et peut-être une nouvelle tentative pour instaurer un régime d'assurance maladie obligatoire, promesse non tenue autrefois par Clinton. Sur tous ces sujets, peu de nouveauté en réalité et la crainte de voir se recroqueviller les Etats-Unis sur eux-mêmes, ce qui ne serait bon ni pour eux, ni pour nous...
Pour toute ces raisons, la candidature de John Mc Cain, qui conjugue expérience, courage, sagesse et bon sens, apparaît à l'heure actuelle une meilleure manière de sortir de l'ère Bush. Mais encore faudrait-il, pour pouvoir en discuter sereinement en France, qu'on accepte de laisser tomber le panurgisme, les certitudes et l'esprit partisan...

06 juin 2008

Beaucoup de bruit pour pas grand chose


Le nombre important de réformes entreprises par le gouvernement rend parfois difficile la compréhension de la logique qui les sous-tend. C'est peut-être pourquoi, tantôt on accuse le Président de la République de mettre en oeuvre une politique ultra-libérale, tantôt au contraire de s'en tenir à un conservatisme pusillanime.
Tout de même, certaines prises de position officielles ne laissent pas de surprendre. Deux exemples tirés de l'actualité sont particulièrement révélateurs de ce malaise.

La proposition de suppression de la publicité sur les chaines de télévision publique est de ce point de vue édifiante. Réclamée à grand cris depuis longtemps par des gens qui estiment qu'elle met sous la pression de l'audimat les programmes, et contribue à en détériorer la qualité, elle est aujourd'hui qualifiée par les mêmes de cadeau fait aux chaines privées et de coup de poignard assassin pour les chaines d'Etat.
En dehors de tout parti pris idéologique, le fait est qu'on se demande l'intérêt d'une telle mesure. D'ailleurs la raison pratique n'a toujours pas été donnée. En tout cas, le prétendu cadeau paraît bien galvaudé tant la publicité est déjà devenue envahissante dans les médias. L'overdose est proche et chacun s'est habitué grâce à la télécommande, à zapper les « réclames ». On voit mal comment on pourrait encore en augmenter la quantité. Trop de publicité tue la publicité. Reste la possibilité de faire payer plus cher les prestations du fait que les annonceurs auront désormais des débouchés plus réduits. C'est pour le moins hypothétique. Surtout si les Pouvoirs Publics décident de surtaxer ces profits...
En l'occurrence, sauf à vouloir délibérément les asphyxier, le problème le plus grave est de trouver des financements de substitution pour les chaines publiques. Rien ne paraît satisfaisant. L'augmentation de la redevance paraît vraiment anachronique avec notre époque et serait vécue comme un nouvel alourdissement des charges fiscales pesant sur les malheureux contribuables. Faire jouer le principe des vases communicants grâce à des taxes ponctionnées à d'autres sources (fournisseurs de téléphonie, d'internet, ou TV privées) serait complètement absurde. D'un côté on aurait des prestataires privés obligés de faire feu de tout bois pour assurer l'audience, de l'autre une télévision publique vivant en parasite, et définitivement à l'abri de toute émulation. Au total, on assisterait sans doute à une détérioration générale de la qualité : racolage et médiocrité d'un côté, nombrilisme et confidentialité de l'autre.
Non vraiment il s'avère impossible de suivre le fil du raisonnement du Chef de l'Etat en la circonstance. Et on ne peut que se lamenter du temps perdu par les commissions spécialement nommées pour réfléchir à la mise en oeuvre de telles mesures, qui tournent en rond tant l'argumentation s'apparente à une casuistique stérile.
Et si le problème de fond n'était pas la pléthore de chaines publiques ? Est-il vraiment nécessaire de maintenir plus de 5 chaines généralistes, sans compter leurs nombreux pseudopodes régionaux ou internationaux ?

Second sujet de perplexité, l'affaire retentissante du mariage annulé pour non virginité de l'épouse. La première réaction est la stupéfaction. A notre époque, un tribunal de la République peut donc déclarer nulle une union sur de tels critères ! C'est bien la meilleure !
A l'écoute de madame Dati, bien que surprenantes, de telles décisions de justice répondent en fait à un souci de pragmatisme, permettant de protéger certaines personnes embarquées contre leur gré dans des mariages arrangés. De fait en l'occurrence les deux époux souhaitent l'annulation de leur mariage. Soit, mais alors, pourquoi saisit-elle le Parquet dès le lendemain, pour casser la décision du Tribunal ?
Et surtout, comment se fait-il que deux conjoints, d'accord sur la nécessité de se séparer, ne recourent pas tout simplement au divorce à l'amiable ?

De toute manière, dans les deux cas, il n'y avait manifestement pas là de raison pour déclencher un tel tohu-bohu, dans lequel s'emmêlent, selon une fâcheuse habitude, toutes sortes de considérations religieuses, idéologiques, partisanes, et pour tout dire bien futiles...

05 juin 2008

Le Soleil se lève aussi sur Mars


Pendant que de misérables combats font rage sur notre planète, que d'infimes problématiques remuent en tous sens le microcosme médiatique, et que, faute de bonne volonté, tant de misères bassement terre à terre restent sans réponse, la NASA continue quant à elle son petit bonhomme de chemin dans l'espace.
Le 25 Mai 2008, la petite sonde Phoenix se posait en douceur quelque part dans la région arctique de la planète Mars.
Ça n'intéresse plus grand monde tant il faut désormais du sordide, du conflictuel, pour capter l'attention de foules gavées. Mais pour celui qui s'arrête un moment, c'est quand même bien fascinant. A l'image d'une fleur, qui inscrit sa beauté infinitésimale dans une sublime et mystérieuse harmonie, l'univers avec ses magnifiques guirlandes de lumière, illumine la nuit des temps, à la manière d'un gigantesque point d'interrogation. Cette petite sonde qui a parcouru plus de 270 millions de kilomètres à travers le cosmos, pour tenter de trouver quelques réponses, c'est magique...
Sur Mars, le soleil apparaît bien petit lorsqu'il se lève ou qu'il se couche. A peine s'il crée une lueur perçant l'obscurité brune. Photographiés lors de l'expédition Pathfinder, deux monticules sur l'horizon noir, les Twin Peaks, créent l'illusion d'un monde presque humain. Comme une vague alanguie, presque immobile dans le petit jour, ou bien les contours d'un paysage fait de collines et de vallées accueillantes.

Mais ce monde est sans vie. Lorsque le jour se lève, le doute n'est plus permis. C'est un désert rocailleux qui surgit sous l’œil extraordinairement précis de la caméra. Tout au plus un peu de glace sous la poussière qui recouvre le sol, et de profondes entailles dans la roche, confluant vers des vallées désertiques, qui témoignent qu'il y a très longtemps, de l'eau a probablement coulé en torrent sur la planète rouge.
Difficile de ne pas rêver tout de même. Tant de mystères, tant de richesses enfouies, tant d'énergie dans ces mondes lointains.
Saurons nous domestiquer ces ressources un jour ? Pourrons nous maitriser un peu de ce formidable univers qui nous entoure ?

28 mai 2008

Smooth Operator

De ses doigts en vibrant s'échappe la guitare... Et dans le silence de la nuit profonde, les notes s'égrènent en chantant avec une douceur veloutée.
Comme une neige imperceptiblement parfumée, tombant moelleusement sur les grands arbres de Central Park, comme le bruit chuinté de patineurs qui s'élancent sur la glace en cabrioles joyeuses...
Mais dans la nuit, le jazz qui enrobe en réchauffant les âmes esseulées, s'évapore trop vite, avec les volutes suaves des fumées de cigarettes.
Maudite fumée qui sans doute causa la mort du musicien, foudroyé par une crise cardiaque à 45 ans.
Sa vie s'apparente à une trajectoire éphémère mais étincelante, qui cache dans sa clarté un nombre infini d'heures de travail, une énergie incroyable, pour donner le meilleur de lui-même, pour parvenir à capter et domestiquer cette grâce fragile et, last but not least, pour donner à sa famille un statut enviable...
Wes Montgomery (1923-1968) fut un autodidacte de génie, enragé de musique, qui transforma la médiocre banalité du destin auquel il paraissait condamné, en un parcours illuminé. Pendant des années, pour devenir un nouveau Charlie Christian, et surtout pour faire vivre sa femme et ses huit enfants, il cumula travail à l'usine 8 heures par jour, entrainement infatigable sur les cordes, et en plus, les prestations musicales, excitantes mais harassantes, en clubs et cabarets, de la soirée jusqu'à l'aube.

Il occupe toutefois une place de choix dans la nébuleuse noire et bleue du swing.
Inventeur paraît-il du Smooth Jazz, on retient avant tout son jeu inimitable au pouce, faisant voltiger avec une ineffable légèreté, les octaves et les accords feutrés, qui forment comme le contrepied sublime des épreuves de la vie, endurées avec une admirable et secrète détermination. Et toujours
, comme le fait remarquer Pat Metheny, admirateur inconditionnel, avec un sourire empli de gentillesse et de mansuétude...
Captées au cours de l'année 1965, dans l'intimité de répétitions en Hollande, et au cours de deux concerts magiques en Belgique et en Angleterre, ces images sont un vrai régal. S'il ne faut pas attendre ici, une qualité optimale d'enregistrement, l'ensemble est néanmoins très correct, bien restitué à partir de films d'époque.
On bénit les gens qui eurent l'idée géniale d'immortaliser ces instants précieux. Le guitariste, qui reste pour nombre d'amateurs comme l'un des plus fins et distingués de l'histoire du jazz, est au mieux de sa forme, très détendu. Avec des musiciens de rencontre qui l'accompagnent parfaitement, il se déleste de quelques bijoux magnifiques, indémodables, extraits d'un filon idéal : a love affair, twisted blues, full house, west coast blues. A ne manquer sous aucun prétexte.

Attention, d'autres productions semble-t-il de la même veine sont déjà disponibles dans cette collection bien nommée, Jazz Icons (chez Naxos ): Chet Baker, Louis Armstrong, John Coltrane, Count Basie, Duke Ellington, Dave Brubeck... Une avalanche black and white qui risque de faire beaucoup de bien !

24 mai 2008

La soupe libérale


A l'image de la photo de couverture, fortement retouchée pour rajeunir et dynamiser le personnage, cet ouvrage prend place sur la haute, très haute pile de livres, dont le seul but est de (re)dorer le blason d'un homme politique tenté par un « grand destin ».
D'un ouvrage de circonstance, il n'y a donc guère à attendre, et les prétendues révélations fracassantes sont en général des pétards mouillés. En l'occurrence, l'actuel maire de Paris démontre quant à lui une dialectique bien huilée de tartufe de la politique.
Bertrand Delanoë revendique tout à trac l'appellation de libéral, la belle affaire !
D'abord ce n'est pas très original puisque Ségolène Royal a déjà fait le coup il y a quelque temps (Dominique Strauss-Kahn l'avait précédée sur le chemin et maintenant d'autres proclament carrément la mort du vieux socialisme: Bockel, Valls...).
Ensuite, il a beau tenter de convaincre le lecteur que ses convictions à lui seraient très anciennes ("Je n'ai jamais été marxiste"), ce n'est pas très crédible. Car il noie sous des tonnes de pondérations oratoires, sa prétendue conviction, et la place bizarrement sous le parrainage quelque peu suranné du trio Jospin, Vaillant, Estier. Dans le genre libéral on a vu mieux.
De fait, la démonstration s'avère des plus confuses et ambigües.
Essayant de faire oublier la filiation longtemps revendiquée par ses amis, de Trotsky, Marx ou Che Guevara, le maire de Paris clame qu'à gauche, ils sont désormais « les défenseurs de la liberté, y compris dans le domaine économique », et qu'à titre personnel, il souhaite que le PS devienne un « parti de managers », s'appropriant au passage non sans un certain culot, les dividendes de la gestion de Tony Blair en Angleterre.
Mais dans le même temps, il récuse le « libéralisme sauvage », synonyme de « désengagement de l'Etat » et de « laisser-faire », et juge «inacceptable pour un progressiste, de hisser le libéralisme au rang de fondement économique et même sociétal ». Comprenne qui pourra...
Au bout du compte, il tue les dernières illusions en assénant lourdement que la Gauche doit « rester le parti de l'impôt ». Excitant programme, et réellement novateur...
Pour le reste, il se borne avec une solide mauvais foi, à discréditer méthodiquement les adversaires qui pourraient lui faire de l'ombre. Nicolas Sarkozy tout d'abord, traité de Bonaparte anti-libéral (!!), « pondéré par la désinvolture », Ségolène à laquelle il donne le coup de pied de l'âne en massacrant gentiment tout le dispositif de Démocratie Participative qu'il feignait d'approuver pourtant lors de la campagne électorale.
Sans oublier de se tresser une couronne de lauriers pour sa bonne gestion de la ville de Paris, et plus généralement de louanger sans réserve le travail du Parti : « C'est le respect de la vérité qui m'oblige à rappeler que les plus grandes réformes de ces trente dernières années, celles qui ont modifié en profondeur la société française, celles qui ont fait avancer notre pays, ont été inspirées par la gauche. » Au total une soupe vraiment fadasse, avec beaucoup de vilains grumeaux...
On se consolera en pensant que lui et ses coreligionnaires sont enfin engagés sur la bonne voie, qui les mènera peut-être, un jour lointain, à appréhender le vrai libéralisme. En tout cas c'est mieux que le temps où ils se gargarisaient des vieilles lunes collectivistes, de la révolution prolétarienne et où ils nous bassinaient avec l'ultralibéralisme...
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Addendum :
Un des poncifs les plus répandus au sujet du Libéralisme consiste à distinguer deux concepts, généralement pour mieux les opposer : le libéralisme philosophique et le libéralisme économique. Cette distinction désormais classique est artificielle. Le libéralisme bien compris n'est rien d'autre que l'amour de la liberté. Cette dernière est indivisible et toute conception qui établit des clivages est forcément néfaste. Le vrai problème est de ne pas confondre liberté et permissivité, démocratie et démagogie.
Nous savons bien hélas qu'à l'intérieur d'une société humaine, la liberté totale est impossible tant que les hommes ne parviennent à se gouverner eux-mêmes, comme le souhaitent tous les grands penseurs libéraux (Kant, Locke, Hume, Tocqueville, Mill, et j'en passe...). Et encore y parviendraient-ils qu'ils devraient s'imposer quelques contraintes individuelles, ne serait-ce que pour respecter les autres (le fameux Contrat Social...).
Pour un Libéral, chaque fois qu'il s'agit de rogner sur une liberté, il est fondamental de se poser la question de l'utilité de la contrainte. Si elle n'apparaît pas clairement, il faudrait y renoncer. Par exemple : est-il utile comme le prétend Delanoë, libéral opportuniste, de vénérer l'impôt par principe ? Y a-t-il une loi, à l'image des vases communicants, qui dise qu'en appauvrissant les riches on enrichit systématiquement les pauvres ? Y a-t-il une loi qui dise que l'Etat soit le meilleur garant de la redistribution et de l'utilisation efficaces des sommes prélevées sous contrainte ?
Autre exemple, s'agissant de l'interruption de grossesse pour convenances personnelles (IVG), y a-t-il une loi incontestable qui permette de savoir si et quand le foetus devient un être humain ? Y a-t-il un impératif évident en terme d'utilité publique à interdire cette pratique ? Y a-t-il une utilité à en faire prendre en charge le coût par la collectivité, via le remboursement « Sécurité Sociale » ?
Voilà le genre de questions que toute personne sensée devrait se poser en évitant surtout de recourir aux a priori idéologiques ou aux grands principes immanents...

22 mai 2008

Méditation transcendantaliste


Il y a des mots étranges, nimbés naturellement d'une sorte d'aura philosophique, qui les rend si ce n'est inintelligibles, pour le moins bardés de mystère. Transcendantal est de ceux-là. S'il donne à celui qui l'emploie une posture supérieure quasi séraphique, il intimide le béotien qui l'entend, et le plonge dans le désarroi. Car il comprend vaguement qu'il s'agit d'un concept extra-sensoriel, susceptible de traverser la réalité matérielle comme une sorte de diamant céleste, à la recherche de l'immanence absolue du Monde. Il comprend aussi que pour entrouvrir les portes énigmatiques de la Métaphysique il impose préalablement, de se soumettre à d'austères méditations et de s'imprégner de lectures hermétiques.
Au surplus, la définition qu'en donne Emmanuel Kant, maître en la matière, n'est pas faite pour apaiser les esprits inquiets : « J’appelle (transcendantale), toute connaissance qui s’occupe en général non pas tant des objets, que de notre mode de connaissance des objets en tant que celui-ci doit être possible a priori»
Pourtant, par un surprenant paradoxe, le transcendantalisme d'apparence inaccessible au commun des mortels, caractérise aussi la philosophie de l'Amérique naissante, rustique, triviale, celle des fermiers et des cowboys. Il est même devenu le point commun de toute une école d'écrivains tels que Ralph Waldo Emerson (1803-1882), Henry David Thoreau (1817-1862) ou Walt Whitman (1819-1892).
Mais, en quoi l'Amérique, pays réel s'il en est, peut-elle être transcendantale ?
Celui qui cherche la clé de cette énigme, constatera rapidement que ces gens, avec une âme de pionniers, s'étaient donnés pour mission première de transcender au sens propre, la notion de littérature, allant jusqu'à revendiquer tout simplement la re-création du genre.
De ce point de vue, il n'est pas indifférent de noter que le Centre de Gravité de cette nébuleuse intellectuelle qui vit le jour un peu avant le milieu du XIXè siècle, se situe à Concord, petite ville campagnarde du Massachusetts, proche de Boston.
Cette cité est emblématique aux yeux des Américains. C'est ici que débuta la Guerre d'Indépendance en 1775. C'est ici, selon le vers fameux d'Emerson, que retentit « Le coup de canon que le Monde entier entendit ».
Episode annonciateur de la libération américaine de ses attaches européennes, le début des hostilités contre l'Angleterre reste le vibrant symbole de l'émancipation du Nouveau Monde. Les transcendantalistes étaient imprégnés de cette aspiration gigantesque. Après celle du pays en 1776 dont Jefferson fut un des principaux artisans, Emerson se fit un devoir de rédiger « la déclaration d'indépendance des lettres américaines».
Non pas qu'ils fussent ignorants ou ennemis de l'Europe, mais les pères fondateurs de la Pensée Américaine entendaient inscrire leur oeuvre dans une vraie logique de rupture. Première explication à la transcendance : c'est le dépassement de l'ordre ancien des choses.



Si l'on voulait résumer cette nouvelle foi de bâtisseurs, à quatre notions cardinales, on pourrait y voir Dieu, l'Individu, la Nature, et enfin l'Optimisme.
S'agissant de Dieu
tout d'abord, il est difficile d'en avoir une conception plus libre que celle des transcendantalistes.
Emerson descendait d'une longue lignée de pasteurs unitariens, au service d'une secte chrétienne qui réfute le dogme de la trinité et considère le Christ avant tout comme un homme. Emerson rompit pourtant avec cette tradition familiale assez émancipée et déclencha pour sa part un beau scandale à Harvard en s'exclamant : «être un bon pasteur, c’est quitter l’église !»
Rejetant en somme ce qui fait l'essence même du christianisme, il s'affranchit de tout dogme, tout rite, et même de la notion de péché originel « Je ne souhaite pas expier, mais vivre» révèle-t-il dans « La Confiance en Soi ».
La conception de Dieu s'apparente chez lui à une sorte de panthéisme. Ce qu'ils appelle Dieu est l'unique réalité qui forme avec la nature un tout indivisible. Et l'homme se conçoit comme étant une parcelle de ce tout universel. Une de ses remarquables contributions à la philosophie repose sur la conviction que le fondement de l'Univers est la conscience, et non la matière.
En cela il est vraiment transcendantaliste, tout en se distinguant nettement de certains penseurs allemands desquels on le rapproche parfois, notamment les idéalistes Fichte, Schelling, Hegel, et, bien qu'il sublime dans son discours la force de l'Homme (« C’est seulement lorsqu’un homme rejette toute aide extérieure et qu’il lutte seul que je le vois fort et vigoureux »), il est à mille lieues de l'athéisme de Nietzsche.
Pas de surhomme ici. Le culte de l'homme fort, chez les transcendantalistes s'inscrit dans une démarche résolument individualiste, terriblement américaine. On a pu dire non sans raison qu'elle est à la racine du mythe qui anime le Western. Car c'est en lui-même et nulle part ailleurs que l'homme peut espérer trouver le plein épanouissement : « Celui qui sait que l’âme est le siège de la puissance, qu’il n’est faible que parce qu’il a cherché le bien en dehors de lui-même, et qui, s’apercevant de son erreur, se rejette sans hésiter sur sa pensée, reprend à l’instant son équilibre, se redresse, comme ses membres, et fait des miracles. »( Nature).
Quelle plus belle expression de cet individualisme universaliste, que celle de Walt Whitman, dans son « chant de moi-même » :
« Je me célèbre moi,
Et mes vérités seront tes vérités,
Car tout atome qui m’appartient t’appartient aussi à toi. »
Toutefois si Emerson s'en remet à l'Homme, il le fait avec on ne peut plus de modestie et de simplicité. Il ne réclame surtout pas trop de hauteur : « I ask not for the great, the remote, the romantic ». Au contraire, il veut « s’asseoir aux pieds du bas ».
Comme le fait remarquer très justement Sandra Laugier : « Emerson prend position du côté de ce que des philosophes comme Berkeley et Hume ont appelé le vulgaire, the vulgar, et contre toute une lignée de penseurs qui va de Platon à Heidegger en passant par Nietzsche, pour qui la véritable pensée requiert une sorte d’aristocratie spirituelle.

Cela dit, si l'individu ne doit compter que sur lui-même (« En chaque homme, un État »), il n'est pas dit pour autant qu'il ne puisse parfois s'appuyer sur les autres. Ou plutôt qu'il ne puisse aider les autres. puisqu'il est indissociablement lié à eux, faisant partie d'un seul grand ensemble, la Nature.
Il faut comprendre que c'est de cette manière et d'aucune autre, que peuvent pleinement s'exprimer les notions d'amour et de respect. On est assurément ici, très proche de l'Impératif Catégorique de Kant.

Par leur amour de la nature, Emerson et Thoreau furent des écologistes avant l'heure, c'est certain. On se souvient naturellement du « voyage » de 2 ans entrepris par Thoreau dans une cabane perdue dans la propriété d'Emerson, sur le site sauvage et isolé de Walden Pond. Mais leur perspective dépasse de loin le culte niais et rétrograde de l'environnement que l'écologie semble être devenue de nos jours. Emerson n'a jamais rejeté les bénéfices des découvertes scientifiques. Il manifestait la volonté d'une application raisonnée, responsable.
Car la Nature, bien que précieuse et belle, n'est pas une entité extérieure, qu'on doit vénérer sans y toucher. Elle interagit avec les êtres humains et donc évolue avec eux. Charge à ces derniers de pousser dans le bon sens...
En somme, on peut être tenté de réduire le transcendantalisme à une sorte de pragmatisme moral et poétique. Il est de toute manière selon Gérard Deledalle, « mal nommé, car ce que propose Emerson est une forme particulière d’empirisme, qu’on appellerait volontiers empirisme radical si la dénomination n’avait été proposée par William James. Mes perceptions sont plus fiables que mes pensées, car fatales, indépendantes de ma volonté d’agripper le monde. »
L'optimisme de cette théorie et sa foi en un monde en amélioration constante, recèle évidemment quelques lacunes. On peut reprocher notamment une tendance à l'égarement rousseauiste et surtout une grande naïveté. Selon Nietzsche, « Emerson a cette gaieté bienveillante et pleine d'esprit qui désarme le sérieux »...
Dans la bouche de l'auteur du "Gai Savoir" c'était un compliment; mais pour Nathaniel Hawthorne, disciple des premiers temps, l'expérience d'utopie rurale vécue à la Brook Farm, sorte de communauté hippie avant l'heure où chacun cultivait son potager en philosophant, fut un échec : « De tous les lieux haïssables, celui-ci est le pire. Je pense que l’âme d’un homme peut être enfouie et périr sous un tas de crotte ou dans un sillon, exactement comme sous une pile d’argent. »
En définitive la voie transcendantale, tracée par Emerson et ses disciples est parfois difficile à suivre tant elle est préoccupée avant tout par son « aversion de la conformité ». Pour tenter de conclure en quelques mots, je dirais que de manière éclectique elle prend sa source dans la morale Kantienne, est vivifiée par l'empirisime pragmatique de Hume, extrait le meilleur de Rousseau, se gorge d'idéalisme poétique, le tout pour donner naissance à l'homme simple et responsable, conscient de l'importance de son destin, à qui incombe la tâche immense de construire et de pérenniser le Nouveau Monde !


Pour ceux qui voudraient aller plus loin sur cette voie :
Revue Française d'Etudes Américaines
avec les contributions de Gérard Deledalle et de Sandra Laugier
Un peu de tourisme à Concord
Enfin les oeuvres en ligne d'Emerson.

18 mai 2008

Un peu de lumère à travers les nuages


Les chiffres et les faits tombent à la manière d'une averse de lumière à travers le gris de la morosité, prenant au dépourvu la multitude de prophètes au nez en forme de trompette (les « sachant ») qui arpentaient sans relâche depuis l'élection de Nicolas Sarkozy l'espace public, en claironnant la fin du monde. Pan ! 2,2 points de croissance l'an dernier au lieu des 1,9 annoncés par les experts en sinistrose. Déjà 0,64 pour le premier trimestre 2008. Paf ! Contre toute attente, le Pouvoir d'Achat des Français a augmenté de 3,3% en l'espace d'un an. Plouf ! Le chômage est au plus bas depuis 25 ans, et la hausse des prix, en dépit d'une conjoncture internationale difficile, reste contenue autour de 3,5% l'an...
L'ondée statistique arrose les têtes gluantes des colporteurs professionnels de mauvaises nouvelles. Ils sont contraints de s'éparpiller en bourdonnant méchamment leur déconvenue comme de grosses mouches pendant l'orage.
Alors quoi, tout ce qu'ils nous disaient était donc faux. Si certains prix augmentent, c'est donc que d'autres baissent forcément. Si les salaires stagnent, les revenus croissent tout de même. Et si la Pression Fiscale écrase les plus modestes, le Paquet Fiscal « pour les plus riches » redonne malgré tout un peu d'oseille au gens. Peut-être même en somme l'action volontariste du président commence-t-elle à produire avant l'été ses premiers fruits...
Il ne s'agit peut-être que d'une embellie passagère, et ne soyons pas naïfs, le rôle de l'actuel gouvernement ne doit pas être exagéré dans la circonstance. La tendance demande à être confirmée et le rythme, l'audace et la lisibilité des réformes doivent sans aucun doute s'en trouver stimulés. Mais on a tellement glosé, dès le lendemain de son élection, sur les méfaits que ne manquerait pas de provoquer la politique réputée "inique" de Nicolas Sarkozy, qu'il pourrait sembler naturel de lui accorder à la faveur de ces bons chiffres, désormais un minimum d'attention bienveillante...

17 mai 2008

Un oiseau de mauvais augure


Parmi les nombreux donneurs de leçons et autres chantres du Déclin qui pullulent impunément dans l'espace médiatique et fatiguent les oreilles à force de péroraisons ronflantes et de pseudo-prédictions sentencieuses, il en est un qui mérite assurément une palme : Emmanuel Todd. « Si les andouilles volaient, il serait chef d'escadrille », comme disait finement mon grand-père...

Fort de sa prétendue « prophétie » annonçant à grand bruit la « chute finale » de l'URSS, il y a une trentaine d'années (tant d'autres l'avaient faite avant lui...), ce Diafoirus de l'analyse politique, se plait avec la complicité niaise des médias, à jouer doctement les oracles devant des auditoires peu exigeants. Il est en quelque sorte à la politologie ce que madame Soleil fut à l'étude des Astres : un habile charlatan. Et par un étrange paradoxe il est convenu de qualifier ses prises de positions « d'iconoclastes », alors qu'elles s'inscrivent médiocrement dans le marais tiède des idées reçues.

C'est bien simple, il fait siens tous les poncifs de la pensée franchouillarde, chauvine et recroquevillée frileusement sur elle-même, niant pour ainsi dire le reste du Monde.
Par exemple, depuis un an, il joint sa voix au concert assourdissant des anti-Sarkozy, maniant à grands moulinets désordonnés, un argumentaire à peu près aussi raffiné et nuancé que celui des Communistes les plus rétrogrades et bornés. Rien ne trouve grâce à ses yeux dans l'action du chef de l'état : représentant le microcosme « hyper-riche de Neuilly », il est « anti-jeune », se situant "dans l'agression permanente", jusqu'à foutre sciemment « le feu aux banlieues »; il instrumentalise l'immigration de telle manière qu'on pourrait croire que « le Front National est au pouvoir »; enfin, il ne séduit les gens qu'en « faisant appel à ce qu'il y a de plus mauvais en eux », et s'échine par une politique ultra-libérale, à provoquer "la baisse des salaires" et celle du niveau de vie (9/5/08 France-Info). Le vibrionnant analyste emporté par son élan va même jusqu'à comparer l'actuel président de la république à un « Chirac lent » ou « au ralenti », au motif saugrenu, « qu'il renonce à son image d'homme du mouvement plus lentement que son prédecesseur ». Comprenne qui pourra...
En matière de prescience, il n'est pas inutile de rappeler qu'en avril 2007, Todd annonçait que Nicolas Sarkozy ferait lors de l'élection présidentielle un mauvais score...

S'agissant de la politique internationale, Todd manifeste un anti-américanisme d'une banalité et d'une vulgarité affligeantes : « Si la France devient le caniche des USA, elle cesse d'exister » (marianne2.fr 3/4/08). Naturellement il trouve stupide l'intervention militaire en Irak et qualifie celle en Afghanistan de « guerre perdue ». Obsédé par la grandeur et l'indépendance de la France, il se lamente de la voir cultiver des convergences avec les pays anglo-saxons, et suggère plutôt de le faire avec l'Inde, la Russie ou l'Iran (en feignant de croire que l'un exclut l'autre et en oubliant au passage que les USA eux-mêmes sont bien plus avancés dans ces relations que la France...).
Au plan économique, il se rabat sur des arguties confuses et contradictoires, empruntées à la bimbeloterie des alter-mondialistes, et propose en guise d'audacieuse stratégie, de revenir aux vieilles lunes protectionnistes qui condamneraient à coup sûr l'Europe à l'asphyxie, et porteraient immédiatement un coup fatal au fameux pouvoir d'Achat des Français les plus modestes.

Et lorsqu'il essaie d'être original c'est vraiment n'importe quoi : la montée de l'islam radical serait selon lui, "un signe de la modernisation du monde musulman" (Marianne2.fr 17/09/07). Quant aux émeutes dans les banlieues, elles sont le signe patent de la réussite de la politique d'assimilation française : « quoi de plus français pour un jeune que de balancer des pavés sur la police? » (Fête du Livre de Limoges en mars 2008)
Bref, A côté des plates réflexions d'Emmanuel Todd, celles de monsieur Jourdain pourraient sans peine passer pour de la haute métaphysique...


15 mai 2008

La France s'amuse


Mai le joli mois de mai. Retour des grèves dans la Fonction Publique. On ne sait plus trop bien pourquoi. Qu'importe, puisque c'est l'usage.
Et puis les vitrines des librairies se couvrent d'ouvrages commémorant avec émotion les grandes et riches heures de la petite révolution bourgeoise nombriliste de 1968. C'est follement tendance et si touchant cette nostalgie du doux bordel festif qui masque depuis des décennies la vacuité de la pensée et sert avec ses leitmotivs lénifiants d'ersatz philosophique à notre pauvre pays : « sous les pavés la plage », « il est interdit d'interdire ». Vaste programme comme dirait le grand Charles...
On continue envers et contre toute évidence, de croire que le Monde pourrait être meilleur grâce aux idéologies et aux bons sentiments.
Si la Gauche se raccroche avec une incurable idiotie aux vestiges fumants de ses illusions perdues, le gouvernement et sa majorité quant à eux cafouillent quelque peu. Il faut dire que la ligne stratégique est plutôt nébuleuse, erratique, mêlant les contraires et passant sans cesse du coq à l'âne.
La pantalonnade récente à l'Assemblée Nationale au sujet des OGM donne la mesure de ces atermoiements. Faute de détermination et d'assiduité des Parlementaires de la Majorité, un texte déjà très édulcoré et timoré (un simple projet de transposition d'une directive européenne datant de 2001...) se trouve rejeté pour un mot mal placé. Le lendemain, repêchage en catastrophe par une obscure « commission mixte paritaire », avant de repasser pour un vote devant le Sénat et la Chambre des Députés. Que de temps perdu pour des broutilles !
Vingt-quatre heures après, rebelote mercredi 14 mai avec le projet de loi sur la Réforme des Institutions, retoqué par des députés UMP en commission des Affaires Etrangères...
Pendant ce temps, le Chef de l'Etat semble lui-même bien perdu. Après l'enthousiasme guerrier des premiers mois et les frasques sans complexe façon « jet-set », le voilà qui fait profil bas. Il paraît selon les observateurs avertis, que cette nouvelle manière colle davantage au « style » qui sied à un président de la république. De fait, lors de sa dernière rencontre officielle avec les journalistes le 25 avril, tout ce qui fait le décorum propre à la fonction était là : salon élyséen, dorures rutilantes et lourdes tentures, plateau somptueux doté d'une table gigantesque, pompe et circonstance, questions empesées, et réponses déclinées en majesté, avec un brin de théâtralisme.
Hélas, pour ma part je préférais sa désinvolte décontraction, ses manières directes mais un peu triviales, et même ses fautes de goût, qui ne me choquaient guère. Il est vrai que je préfère de loin un dirigeant sans allure mais conduisant un vrai projet pragmatique, qu'un dignitaire plein de prestance, mais vide d'esprit pratique et de volonté.
Pour l'heure, bien malin celui qui pourrait décrypter le fin mot de la politique gouvernementale. Certes il y a bien quelques avancées (L'Europe, les relations internationales notamment avec l'Angleterre et les Etats-Unis ), beaucoup de réformes ébauchées (retraites, heures supplémentaires, service minimum, autonomie des universités, carte scolaire) mais peu d'aboutissement (rien de probant dans le domaine de la Santé par exemple, une bureaucratie toujours galopante, le grand principe stérile de l'Etat omnipotent toujours prééminent...), quelques reculades et des coups d'épée dans l'eau (le rapport Attali, l'affaire Bétancourt, les enfants martyrs de la Shoah), et surtout pas de cap lisible...
Il souffle certes un vent de réformes, mais obéissent-elles à une stratégie cohérente et déterminée propre à rénover et dynamiser le pays ?

30 avril 2008

C'est Kant qu'Onfray assassine


Michel Onfray a encore frappé. Après avoir tenté d'innocenter Nietzsche, son philosophe fétiche, de toute collusion spirituelle avec le nazisme qui s'en recommandait pourtant, il essaie aujourd'hui dans un essai théâtral, de style pompier néo-sartrien (Le Songe d'Eichmann), de faire porter le chapeau à Emmanuel Kant ! Au motif qu'Eichmann durant son procès, révéla (selon le témoignage d'Hannah Arendt) qu'il fut un lecteur attentif de l'auteur de la "Critique de la Raison Pratique" !
A la base, le fait est que Mr Onfray tolère à l'évidence difficilement qu'on puisse mettre en cause son maître en « athéologie » et en « gai savoir ». Il commence donc par flétrir sans nuance ceux qui colportent cette idée : « Du grand public dit cultivé aux philosophes postmodernes pourfendeurs de Mai 68, compagnons de route du libéralisme et des valeurs du catholicisme, en passant par quelques faux avertis mais vrais fourvoyés, l'auteur de Par-delà le bien et le mal fournirait la svastika, l'incendie du Reichstag, la nuit des longs couteaux, la moustache du Führer, les camps de la mort, les chambres à gaz et l'incendie de toute l'Europe. »
Certes, il paraît très excessif de faire de Nietzsche le responsable désigné de l'infamie qui se réclama de lui, et l'honnêteté exige qu'on ne confonde pas sa vision philosophique avec les monstrueux avatars qui en découlèrent et qui dénaturèrent notamment la notion emblématique de « surhomme ». Il y a infiniment plus de distance entre Nietzsche et Hitler qu'entre Marx et Lénine et Staline.
Mais à lire l'interprétation qu'en donne Onfray lui-même, il est impossible de ne pas s'interroger sur la responsabilité du Philosophe, et sur le pouvoir des mots et des idées. Dans un précédent ouvrage (« La sagesse tragique »), il dépeignait en effet le fameux surhomme de manière plutôt inquiétante, le faisant
évoluer dans un monde « dans lequel les oppositions entre bien-mal, vérité-erreur, responsable-irresponsable n'ont plus de sens », n'éprouvant « ni amour, ni amitié, ni tendresse, ni compassion », et n'étant en définitive, qu'une « bête de proie qui masque sous de multiples figures l'impérialisme de l'énergie brutale et aveugle qui le conduit ».
Passe encore l'indulgence et les faiblesses qu'Onfray manifeste pour son Grand Homme. Ce qui s'avère en revanche intolérable, ce sont les manoeuvres perverses qu'il emploie pour tenter de décrédibiliser et vouer aux gémonies un autre, totalement étranger à l'affaire.
En l'occurrence, vouloir “nazifier” le Kantisme, relève d’un indicible contre-sens (le seul fait de parler de “kantisme” doit d’ailleurs faire se retourner le cher homme dans sa tombe). Quoi de plus éloigné du nazisme que cette magnifique exclamation du sage de Königsberg: « Deux choses emplissent mon esprit d’un émerveillement sans cesse croissant à chaque fois que je les considère : la voûte étoilée au dessus de moi et la loi morale au dedans de moi »
Assimiler Kant, qui fut par toutes ses fibres l’être le plus moral qu’on puisse imaginer, à cette sorte d’amoralité absolue que fut le National-Socialisme, c’est sidérant. Jusqu’où peut se nicher la mauvaise foi…
Il n'est pas besoin d'être grand clerc ni exégète pour affirmer que jamais au grand jamais, Kant ne pensa que quiconque puisse se sentir autorisé à donner à ses actes une portée universelle et à prendre ses désirs pour le souverain bien. Il a recommandé au contraire, qu’avant toute action, on vérifie qu'elle puisse s’inscrire dans le contexte de la loi morale, qu'elle se soumette au célèbre « Impératif Catégorique ». Autrement dit qu’elle soit irréprochable !
Au surplus, Kant fut plus que tout autre, un homme attaché viscéralement à la paix et ses propositions dans le domaine sont à mille lieues de toutes les horreurs dont usèrent les impérialismes païens qui ont ravagé le monde au XXè siècle. S’agissant de son essai sur la Paix Perpétuelle, dont le titre dit assez le dessein, je me permets d’en extraire un passage qui me persuade pour ma part de la nécessité du fédéralisme démocratique (et donc de l’intérêt du modèle américain…) : « Si par bonheur un peuple puissant et éclairé en vient à former une république (qui par nature doit tendre vers la paix perpétuelle), alors celle-ci constituera le centre d’une association fédérale pour d’autres états, les invitant à se rallier à lui afin d’assurer de la sorte l’état de liberté des Etats conforme à l’idée du droit des gens. » Une Europe construite sur ce modèle n’aurait vraiment rien à voir avec le monstrueux empire que l’esprit dérangé d’Hitler voulait forger dans le feu et le sang.
En définitive, Michel Onfray, qui demeure en matière politique, crispé sur des schémas quasi staliniens (il appelle régulièrement à voter pour les candidats de la Ligue Communiste Révolutionnaire), fait une fois encore fausse route en philosophie. Son raisonnement cache derrière un style clinquant, les plus vains sophismes, les plus malhonnêtes assimilations et la plus fallacieuse logique....