Il
semble aisé de concevoir que l'idée même de démocratie est faite
pour s'accorder avec celle de liberté.
Il
semble même logique de penser que les deux concepts se renforcent
mutuellement, tout particulièrement lorsqu'il s'agit de libertés
individuelles.
Il
n'est pas moins indispensable de garder à l'esprit la nécessité
pour un peuple, d'être gouverné, ne serait-ce que pour éviter le
risque d'évoluer vers l'anarchie, ou vers l'odieuse tyrannie de la
majorité.
De
ce point de vue l'adage du philosophe Karl
Popper (1902-1994) tient de l'évidence, tout en interrogeant sur l'équilibre vers
lequel doit tendre une démocratie digne de ce nom : «
Nous avons besoin de liberté pour empêcher l’Etat d’abuser de
son pouvoir et nous avons besoin de l’Etat pour empêcher l’abus
de liberté »
Tout
le problème est de déterminer à quel niveau le point d'équilibre
doit se situer. Et
la réponse ne peut être univoque dans un système ouvert, par
nature enclin au progrès.
Dès
lors la question qui se pose est de savoir si ce dernier passe par le
renforcement de l'influence de l'Etat ou bien au contraire, s'il
pousse à l'émancipation progressive des citoyens.
De
toute évidence, la seconde proposition de l'alternative est la plus
désirable... Plus un peuple est éclairé, plus il gagne en maturité
et en sagesse, et moins il a besoin de la tutelle gouvernementale.
Et
qui peut le mieux aider à cette évolution, si ce n'est le l'Etat
lui même ?
Tocqueville (1805-1859)
ne disait pas autre chose lorsqu'il affirmait que: «Le
plus grand soin d'un bon gouvernement
devrait
être d'habituer peu à peu les peuples à se passer de lui»
(De la Démocratie en Amérique).
Hélas,
c'est une préoccupation qui s'est bien amoindrie avec le temps, et
que le culte de l'Etat Providence a contribué à asphyxier
progressivement, sous une avalanche de bonnes intentions.
Il
est facile en effet de montrer que plus l'Etat se pique de protéger
les citoyens, plus il les contraint, et en définitive, plus il les
déresponsabilise. L'idéal démocratique en souffre nécessairement
et le spectre d'un délitement de la liberté surgit tôt ou tard.
Pour
s'en convaincre, il n'est que de se pencher sur deux avancées
sociales considérées comme majeures, mais dont la nature
progressiste tient surtout du trompe-l'oeil : les congés payés
et la sécurité sociale. Loin de viser à leur émancipation, les deux concepts laissent penser en effet
qu'ils concernent des citoyens incapables de prendre en charge les
aléas de leur propre existence.
S'agissant
des congés payés, obtenus de haute lutte au moment du Front
Populaire, il faudrait imaginer pour conclure à un vrai progrès,
que les employeurs aient hérité d'une corne d'abondance magique qui leur
permettrait de payer leurs salariés, même quand ils ne travaillent
pas.
Évidemment
c'est une chimère. Ils sont tout simplement obligés de prélever de
manière implicite durant onze mois sur l'ensemble de la masse
salariale, les sommes qu'il leur seront nécessaires pour payer sans
mettre en péril l'entreprise, le mois de vacances de chacun des
membres du personnel.
Cela
signifie que les salaires pourraient être plus élevés si cette
tâche de simple prévoyance était dévolue aux intéressés
eux-mêmes.
En
définitive, non seulement le système est injuste et
discriminatoire, puisqu'il laisse de côté les travailleurs
indépendants obligés de se débrouiller seuls, mais il est
déresponsabilisant pour les autres, qu'on n'incite vraiment pas à
prévoir l'avenir, même à court terme, et même s'il ne s'agit que
de loisirs.
La
Sécurité Sociale relève du même genre de perversion. En
instituant un régime monopolistique de cotisations obligatoires,
dont la majeure partie est à la charge des employeurs, avant
versement des émoluments, les Pouvoirs Publics ont mis en place une
diabolique machinerie menant au mythe de "la santé gratuite".
On
voit aujourd'hui plus que jamais la gigantesque catastrophe
financière à laquelle ce système a mené, en dépit de ses beaux
principes égalitaires. On voit aussi les abus innombrables auxquels
il a ouvert en grand la porte, sans pour autant tenir les objectifs
de protection universelle annoncés au départ. On voit enfin comme
il est difficile de le réformer tant les mauvaises habitudes qu'il a
engendrées sont désormais considérées comme des acquis
définitifs...
N'y
avait-il pas moyen dans une société éclairée, de faire
progressivement des citoyens, des acteurs pleinement responsables de
leur santé ? Si le principe de l'assurance est
sans conteste le meilleur pour garantir la solidarité, ni la tutelle de l'Etat ni la coercition ne s'imposent,
sauf à considérer le peuple comme définitivement immature.
Certes
on objectera que cette tutelle généralisée "prévoyante et
douce" évite sans doute la survenue de quelques situations
dramatiques, mais quel gâchis d'ensemble, quel gluant marasme, dont
on peine aujourd'hui à se sortir.
L'Etat
Providence est hélas bien devenu ce que l'économiste Frédéric
Bastiat
(1801-1850) redoutait, à savoir : "Cette
grande fiction à travers laquelle
tout le monde s'efforce
de vivre aux dépens de
tout le monde..."
Illustration : Promethée enchainé par Gustave Moreau