Comme le titre le dit à demi-mots, La Havane est musique, fête et joie, mais elle porte aussi le désespoir et la mort. Ce sera celle de l’auteur - au figuré heureusement - puisque son destin finira par s’inscrire loin de cet éden dont il chanta non sans nostalgie les charmes capiteux. La Havane ici, est celle d’avant le désastre communiste et le récit raconte un rêve évanoui, mais vécu pleinement éveillé, tous sens aux aguets.
Retour donc dans le passé. De la touffeur moite de la ville s'élèvent d’ensorcelants effluves tropicaux et de languides fragrances féminines. Cuba s'exprime par la sensualité qui sourd de chaque maison, et qui diffuse par delà les rues et les carrefours, sillonnés infatigablement par les omnibus qu'on nomme affectueusement ici, wawa.
La rue Zulueta dans laquelle presque tout commence et tout finit est la suave commissure par laquelle les désirs et les fantasmes jaillissent au gré de la pulsation sanguine issue du cœur brûlant de la cité.
Dans cet univers de sensations à fleur de peau, l'éducation sentimentale, pour un jeune homme, passe avant tout par les femmes. Pour l’auteur, ça commence évidemment par sa mère, en tout bien tout honneur, qu’il honore du titre de “vraie beauté communiste”. Elle sera le modèle qu’il n’aura de cesse de poursuivre et d'idéaliser, sauf dans l’idéologie mortifère dont elle s’était faite prosélyte et à laquelle elle avait amené son fils, avant qu’il n’en paie le prix fort, celui de l’exil…
C’est avec trois sœurs, voisines de palier, Esther, Emilia et Fela, qu’il ressent ses premiers émois érotiques. Esther est sans doute la moins jolie. Boiteuse et légèrement prognathe, c’est pourtant sur elle qu’il jette son dévolu. “Elle se laissait embrasser doucement, les yeux clos sous ses longs cils, véritable image de la chasteté”. Malgré sa disgrâce, “elle avait quelque chose d’un ange”, comme dit la chanson...
Avec Fela les jeux sont moins innocents, la mutine jeune fille s'amusant à glisser coquinement sa main dans la poche de l’adolescent, moins pour se réchauffer que pour sentir Tom Pouce grandir sous l’effet de la stimulation.
Pour Emilia, l'aînée des trois, il n’avait guère de sentiments et celle-ci en éprouva quelque frustration. Elle était peu accessible car trop réservée, trop confite en dévotion pour sa mère qui se mourait lentement de tuberculose. Pourtant, comme si elle avait voulu conjurer le manque d’intérêt dont elle était l’objet, elle lui donna quand même “le premier baiser adulte de sa vie”...
Suivirent beaucoup de rencontres, toutes fugitives: Il y eut Dominica, trop âgée, mariée, et de surcroît d’une laideur repoussante, mais qui était dotée de “seins énormes qui ne laissaient pas d’impressionner”. Il y eut Etelvina la putain qui louait une chambre au même étage et dont sa mère était devenue l’amie. A son impudeur totale, le jeune Guillermo dut sa première vision extatique d’un “vagin velu”..
Vint ensuite Zenaida, avec laquelle il n’eut que le temps de partager une danse sensuelle, avant d’apprendre que son époux les regardait dans l’ombre. Delia, qui fit une apparition inattendue au sein d’un cortège de mulâtresses, riche de “sa splendeur asiatique”, Sonia “la polonaise” qui sombra dans la folie, Maria “la Majorquine” vite évaporée, Serafina, au charme sulfureux d’une prostituée de haut vol...
Il serait difficile de tenir un compte exact des conquêtes éphémères, parfois rêvées, du jeune garçon. Elles se révélèrent en règle des fiascos, se bornant à alimenter le plus souvent ses fantasmes et ses désirs.
Ce fut ensuite le tour de Trini et Beba, deux sœurs, encore des connaissances faites au 408 de la rue Zulueta. De la première il n’eut que la joie, à son invitation, de peloter la poitrine, avant de la voir filer au bras d’un certain Pepito. Peu importait au fond, car Beba l’intéressait davantage: “une vraie beauté au teint bistre avec des yeux en amande couleur de châtaigne…" L’aventure n’alla toutefois pas très loin, car après avoir vécu avec elle “un baiser parfait”, elle convola avec un affreux militant communiste... (à suivre)