11 novembre 2017

Quand les mots font mâles

La guerre des sexes, amorcée il y a quelques décennies déjà, se ravive à l’occasion d’un débat, plutôt croquignolesque comme dirait le Président de la République, concernant la langue française.
Non contentes d’avoir obtenu l’horrible féminisation de quantité de mots (auteure, professeure, écrivaine, cheffe, pompière…), les féministes exigent désormais que les appellations génériques qualifiant des groupes de personnes des deux sexes distinguent explicitement cette mixité, grâce à ce qu’ils appellent l’écriture inclusive. Ainsi, plutôt que d’écrire “les Directeurs”, on devrait détailler “les Directeur-trice-s”. Génial tarabiscotage pataphysique que Père Ubu n’aurait pas désavoué. On imagine avec volupté l’alourdissement des textes administratifs déjà quasi incompréhensibles en raison de leur phraséologie alambiquée, et on répugne à l’idée qu’on puisse lire cela à voix haute.
Les Politicien-ne-s nous avaient déjà habitués aux capiteuses redondances plombant leurs discours : “Françaises Français, chacune et chacun, toutes et tous…”. Ils vont pouvoir s’amuser à traduire en suaves vocalises ces ineptes figures de style acrobatique.

De toute manière cette sinistre comédie ne s’arrêtera sans doute pas là. Un “collectif” de quelques 300 enseignants voudrait abolir la règle grammaticale qui veut qu’on accorde sur le genre masculin les adjectifs et les participes passés se rapportant à des groupes nominaux mixtes.
Ils voudraient donc qu’on privilégie la règle de proximité, en vigueur paraît-il avant le XVIIIè siècle, qui ferait par exemple écrire “les garçons et le les filles sont belles…” ou bien “le plafond et la table que j’ai peintes...”
Outre le fait que cette règle soit aussi arbitraire que l’autre et donc contournable, (“les filles et les garçons sont beaux”), elle fait comme si les mots avaient un sexe. C’est d’une stupidité assez monumentale. Qu’est-ce qui fait la masculinité  d’un plafond et la féminité d’une table ? Evidemment rien, ce d’autant que le premier peut aussi bien être une voûte et la seconde un meuble… C’est la fantaisie de la langue française que d’avoir donné un genre à tous ses mots. Ils n’ont pas pour autant de sexe, n’en déplaise aux détraqués qui veulent faire passer leur obsession pour du féminisme.
Avec ce genre de dérive, il faudra bientôt revoir le système de notation musicale que certains pourraient qualifier de raciste puisqu’une blanche y vaut deux noires, ou bien le code de la route, politiquement engagé puisqu’il donne la priorité à la droite…
Raymond Devos qui excellait dans l’art de jouer avec les mots doit se retourner dans sa tombe devant tant de tristes âneries… Tout comme Jean-François Revel qui se délesta de quelques remarques bien frappées sur le sujet, il y a quelques années déjà...

31 octobre 2017

Quelle politique de santé ?



Il y a vraiment quelque chose qui cloche avec Emmanuel Macron. Tantôt le discours est volontariste et audacieux, exprimé dans une forme plutôt abrupte, mais relevant du bon sens et de la raison. Tantôt il use de précautions oratoires étonnantes et fait des concessions étranges à la correction politique, qu’on pourrait qualifier d’inutiles ou pire, qui risquent de rentrer en contradiction avec la politique qu’il sous-tend.

Par voie de conséquence, celle-ci reste difficile à lire, tant elle erre entre étatisme à l’ancienne et libéralisme débridé… Le Chef de l’Etat a certes des circonstances atténuantes. La France, comme il l’a fait remarquer, est rétive aux vraies réformes, probablement parce qu’elle a été bercée d’illusions durant des décennies voire des siècles. Est-ce donc un mal nécessaire que de louvoyer entre les contraires pour établir un cap à long terme ? C’est possible, mais pas certain.

La stratégie suivie en matière de santé publique, portée par madame Buzyn est à l’image de cette trajectoire quelque peu chaotique, parfois pragmatique, et parfois inféodée à de vieilles lunes idéologiques.
Passons sur la décision de rendre obligatoires un certain nombre de vaccinations (pas moins de 11 au lieu de 3…). C’est courageux eu égard à la controverse assez incroyable qui sévit depuis quelques années à ce sujet, fondée sur des croyances, des rumeurs ou plus simplement des a priori d’un autre âge. Tout au plus pourrait-on déplorer qu’au XXIè siècle il faille passer par la contrainte pour faire accepter des traitements dont le bénéfice devrait être aussi évident que le fait que la terre soit ronde .

Passons également sur le report de la généralisation du tiers payant voulu par le gouvernement précédent, qui devait s’appliquer à compter du premier décembre 2017. On peut quand même s’étonner que cette ineptie déresponsabilisante ne soit qu’ajournée et qu’une porte reste ouverte sur une mesure « généralisable » ultérieurement…

Plus discutables sont les mesures annoncées dans un entretien que la ministre de la santé a récemment accordé au Journal Du Dimanche (JDD).
Reprenant l’antienne égrenée depuis plusieurs années par les Pouvoirs Publics, madame Buzyn souhaite promouvoir encore et toujours la chirurgie ambulatoire, fixant l'objectif de 70% pour les opérations devant être pratiquées sans nuit passée à l’hôpital. Dans cette affaire, s’il n’est pas question de contester le bien-fondé de cette pratique, permise par le progrès pour un nombre croissant d’interventions, l’impression qui domine est qu’on confond la fin et les moyens. En la matière, qu’y a-t-il en effet de plus vain qu’un ukase administratif ? A quoi répond un tel dessein théorique ? Est-on certain que les patients s’en porteront systématiquement mieux ? Imagine-t-on que cette recommandation soit susceptible de générer des économies substantielles ?

Rien ne permet d’affirmer tout cela. En revanche, cette incitation à faire tourner plus vite les blocs opératoires risque bel et bien de pousser à faire le plus d’actes possible, ne serait-ce que pour rester rentable. En effet, tandis que les tarifs ne cessent de baisser, les cadences s’accélèrent vertigineusement, créant des tensions de plus en plus palpables sur les équipes soignantes.
Curieusement, dans le même temps, madame Buzyn propose justement de diminuer le nombre d’actes inutiles. D’un côté elle favorise la surenchère, de l’autre elle voudrait calmer le jeu en proposant que soient pris en compte des indicateurs de qualité des soins. De manière plutôt elliptique, elle annonce aux hôpitaux « un intéressement, dès lors qu’ils répondront aux objectifs de qualité, de pertinence et d’efficience des soins ». Joli programme qui n'a qu'un seul inconvénient, celui d'être très théorique et donc de déboucher probablement sur de nouvelles contraintes administratives pour quantifier la fameuse qualité...

Rappelons que depuis 2004, année de sa mise en œuvre dans un souci de "simplification" et "d’équité", la fameuse tarification à l’activité (T2A) n’a cessé de se complexifier. Conçue initialement pour facturer les prestations hospitalières au juste prix, et de manière forfaitaire, à partir d’indicateurs médicalisés, elle est devenue en quelques années un casino invraisemblable ou chacun essaie de manière frénétique de tirer parti des artifices et tarabiscotages d'une législation délirante, dans l'espoir de toucher le jackpot. Dans ce jeu de massacre, malheur à celui qui ne saisit pas en temps utile les opportunités permettant « d'optimiser » le codage. La T2A est inflationniste mais l'enveloppe étant fermée, le pactole des uns fait la ruine des autres.
A ceci s'ajoute le carcan normatif qui oblige tout le monde à se conformer à la même moyenne dorée, de durée des séjours, ou de taux de chirurgie ambulatoire, qui ergote à l'infini en termes de prise en charge, sur une bien mal nommée circulaire « frontière », devenue incompréhensible à force de vouloir tout préciser, ou qui rabote arbitrairement les tarifs et les pondère de quantités de coefficients, de réfactions ou de bonifications en tous genres...

Dans le train de mesures évoquées par la ministre, figure également la mutualisation des achats hospitaliers, notamment de médicaments, gage selon elle d’économies.
Elle semble ignorer que c’est l’une des mesures de la précédente réforme, qui a imposé la mise en place de groupements hospitaliers de territoires (GHT), justement à des fins de mutualisation...
Pour l’heure ce dispositif patine tant il s’avère confus et contradictoire. On demande aux hôpitaux de se regrouper au sein de nébuleux territoires de santé (qui ne recoupent aucune entité géographique connue antérieurement), mais ils conservent leur indépendance au plan juridique et financier.
Résultat, rien n'est clair ni prévisible dans cette usine à gaz hormis l'incoercible spirale concentrationnaire qui n'ose dire son nom, qui ramène tout aux mégalopoles, et qui étrangle peu à peu les petites structures « périphériques » en désertifiant méthodiquement le paysage alentour. C'est justement ce contre quoi le gouvernement annonce régulièrement qu’il veut lutter ! 

A ce jour pas d’économies en vue mais des déficits insurmontables pour quantité d’établissements en voie de déshérence. Comprenne qui pourra…

Bien qu’on l’entende peu, la marmite infernale du système de santé français est en ébullition. A chaque instant l'explosion menace. La soupape pour les Pouvoirs Publics, c'est la stratégie des belles paroles, des vœux pieux, et trop souvent du pourrissement.
Faute de vraie rénovation, on multiplie les réformettes, on entasse les couches sur le mastodonte bureaucratique, et on alterne les injonctions contradictoires. Par exemple, on augmente les prélèvements obligatoires pour réduire le déficit de la Sécurité Sociale et dans le même temps, on propose le remboursement intégral par l’Assurance Maladie des frais de lunetterie et les soins dentaires.
Et la dispendieuse et superfétatoire organisation du système, avec ses peu efficaces Agences Régionales de Santé et autres innombrables officines d’Etat, perdure, envers et contre tout. Tout comme le calamiteux monopole de l’Assurance Maladie obligatoire, fort onéreux, et qui répond de moins en moins à ses nobles objectifs initiaux…

27 octobre 2017

Une brève histoire de l'empirisme

Il est souvent difficile pour les philosophes d’exprimer leurs idées de manière concise et pragmatique. Souvent ils produisent d’épais ouvrages, quasi inintelligibles au commun des mortels, dont les débouchés pratiques s’avèrent très aléatoires.
Avec le siècle des Lumières vinrent de nouveaux penseurs qui se firent un devoir de traiter la philosophie comme une science, et de frotter leurs théories contre la réalité tangible pour en éprouver le bien fondé. John Locke fut un précurseur en la matière et David Hume (1711-1776) lui emboîta le pas un peu plus tard.
Ce dernier malheureusement eut toutes les peines du monde à donner quelque retentissement à ses écrits, pourtant très novateurs, écrits dans un langage précis et clair. Pour les rendre plus accessibles, il n’hésita pas à leur donner la forme la plus synthétique qui soit en résumant à la manière d’un teaser, l’essentiel de son Traité de la nature humaine dans un abrégé d’à peine plus de 40 pages !
La lecture de ce texte s’avère passionnante car elle donne une vision extrêmement percutante de l’empirisme radical dont il témoigne.

Selon Hume, notre rapport au monde est régi exclusivement par les perceptions que nous en avons. Celles-ci sont de deux types : les impressions et les idées. "Les impressions sont nos perceptions les plus vives et fortes, les idées les plus légères et les plus faibles."
Si Hume n’est pas aussi catégorique que Locke, qui prétendait qu’il n’existe pas d’idées innées, il n’en pense pas moins que les idées dérivent nécessairement de nos impressions. En d’autres termes, "toute idée doit être référée à une impression sous peine de n’avoir aucun sens..."

Hume s’attache également à disséquer le rapport de causalité qui unit les événements que nous observons. Pour lui, il est évident que tous les raisonnements sur la cause et l’effet se fondent sur l’expérience. C’est la répétition d’une succession d’évènements qui rapporte l’effet à la cause. Ainsi au billard, le choc d’une boule animée contre une autre immobile, va conférer à cette dernière un mouvement et c’est la répétition de cette observation qui fait naître en nous l’idée qu’il existe une relation de cause à effet.
Celle-ci suppose trois phénomènes : la contiguïté dans le temps et dans le lieu, la priorité dans le temps d’un évènement par rapport à l’autre, et la conjonction constante entre la cause et l’effet. Notre approche n’en est pas moins très superficielle car les pouvoirs par lesquels les corps opèrent nous sont entièrement inconnus. Nous ne percevons que leurs qualités sensibles.

Pour résumer les choses, “presque tout raisonnement est réduit à l’expérience et la croyance accompagnant l’expérience n’est rien d’autre qu’un sentiment particulier, ou une conception vive produite par l’habitude…”
Afin de démontrer le caractère partiel et superficiel de notre connaissance, Hume montre de même que le principe d’égalité ou d’inégalité qui nous paraît relever de l’évidence peut être relativisé. “On déclare en théorie deux lignes égales si le nombre de points qui les composent est égal et lorsqu’à chaque point de l’une correspond un point de l’autre. Mais bien que cette norme soit exacte elle est inutile car nous ne pourrons jamais compter le nombre de points dans aucune ligne…”

Il n’est pas très étonnant qu’avec un tel scepticisme, Hume envoie promener toutes les croyances, les superstitions, la foi et même l’âme, qui pour lui “n’est rien d’autre qu’un système ou une série de différentes perceptions, celle du chaud et du froid, de l’amour et de la colère, des pensées et des sensations réunies sans aucune forme de parfaite identité ou de simplicité.”

Bien que cette approche soit révolutionnaire et infiniment plus pragmatique que les radotages éthérés de nombre de philosophes, elle apparaît toutefois un peu réductrice. Immanuel Kant qui de son propre aveu fut “réveillé de son sommeil dogmatique” par la lecture de Hume, amenda quelque peu la théorie. S’il partagea avec Hume le souci de valoriser l’expérience, il restaura l’inné dont l’impératif catégorique est l’illustration la plus marquante. Pour Kant, il est à l’évidence impossible de raisonner dans l’absolu et il est donc nécessaire de circonscrire notre raisonnement par une attitude critique délimitant le champ du possible de celui de l’ineffable, c’est à dire de la métaphysique. Il ne rejeta pas pour autant cette dernière mais montra qu’il était vain de tenter de l'explorer par la raison raisonnante…
Henri Bergson apporta quant à lui un nouvel éclairage en soulignant le rôle majeur de l’intuition dans le progrès de la connaissance, tout en déplorant la difficulté qu’il y a de définir de manière rationnelle "cette chose simple, infiniment simple, si extraordinairement simple que le philosophe n'a jamais réussi à le dire…”
A l’orée du XXè siècle, William James ira encore plus loin en ouvrant l’attitude empirique sur la spiritualité et ce qu’il appela “la volonté de croire”. De manière très convaincante, il affirma que cette dernière était en effet capable de multiplier les potentialités que le seul usage du raisonnement laisse espérer…

En définitive, de Locke et Hume à James, l’empirisme s’affirme donc comme un concept majeur en philosophie et en sciences. Il reste radical, mais parti du ras des pâquerettes, il s’élève jusqu’au ciel...

18 octobre 2017

La curée

Mâchoire massive noyée dans le gras double d'un menton à l'hirsutisme négligé, regard mi-clos de saurien à l’affût, sourire carnassier et bedaine triomphante, l’allure du producteur hollywoodien Harvey Weinstein n’incline guère à la sympathie naturelle.
On imagine sans mal que les manières soient à l’image du personnage et que vis à vis de la gent féminine il soit capable d’abuser de sa position dominante pour obtenir des faveurs non consenties, pour parler par euphémismes.

Les accusations concordantes qu’on porte aujourd’hui sur lui peuvent difficilement être mises en doute, et le moins que l’on puisse en dire est qu’elles révèlent un comportement répugnant.
Mais dans cette affaire, ce qui frappe au moins autant que la conduite du personnage, c’est l’étrange soudaineté des témoignages à charge, leur nombre, ainsi que le délai qui les sépare des forfaits, datant pour la plupart de plus de vingt ans.
Car derrière le fait divers écœurant, on retrouve ce bon vieil instinct de l’âme humaine à déchaîner ses passions de manière grégaire. Il s’agit en l’occurrence de ce besoin irrépressible, si bien analysé par le philosophe René Girard, de désigner un bouc émissaire à la vindicte populaire, lorsqu’un fléau s’abat sur la société.
De ce point de vue, Harvey Weinstein est la victime expiatoire idéale de cette calamité sociétale très actuelle qu’est le harcèlement sexuel auquel le genre masculin est régulièrement accusé de se livrer vis à vis des femmes.

Dans cette histoire sordide, certains faits sont troublants. Certes il est bien compréhensible que des actrices débutantes puissent se sentir particulièrement vulnérables face au comportement obscène d’un producteur tout puissant.
En revanche, même si dans de tels cas la loi du silence s’impose hélas trop souvent, on pourrait tout de même s’étonner que ces jeunes femmes n’aient pas eu plus de réticence à répondre à ses invitations à le rejoindre dans sa chambre d’hôtel. Aucune réputation ne courait donc sur lui ?
On est encore plus surpris que certaines aient pu trouver la force, après avoir été agressées, de poser tous sourires au côtés de leur bourreau, voire que certaines aient accepté de coquettes sommes d’argent en échange de leur silence.

Un tel déluge d’accusations, alors que la plupart des belles outragées ont fait carrière et que la bête a perdu une bonne part de son pouvoir pose question. L’incroyable surenchère dans les témoignages qui s’accumulent les uns aux autres, évoque une assez vile curée.
Autrefois adulé, le seigneur de la Jet Set tombe en déchéance absolue d’un jour à l’autre. Les nuées de courtisans qui gravitaient autour de lui se transforment en ligues de vertus. Chacun  jette sa pierre sur le monstre, y compris nombre de gens qui n’en ont pas été victimes, et qui se reprochent, mais un peu tard et un peu hypocritement, d’être restés silencieux lorsque cela aurait été si utile qu’ils parlent…
A quoi tout cela peut-il bien servir en dehors d’assouvir un besoin de vengeance, laquelle comme chacun sait est un plat qui se mange froid ?
On voit ainsi dans le cortège des dénonciateurs de la vingt-cinquième heure, Jane Fonda, qui peut difficilement plaider la peur ou la faiblesse. Elle qui n’hésita pas en 1972, en plein conflit vietnamien dans lequel était engagé son pays, à poser fièrement à Hanoï sur un canon anti-aérien vietcong, pour soi-disant dénoncer la guerre... Elle qui fut la passionaria intrépide de tant de mouvements contestataires, et qui s’illustra précisément  dans la défense de la cause des femmes. Qui peut croire qu’elle fut intimidée par Harvey Weinstein ?
Il en est ainsi également du propre frère et associé de l’intéressé qui était mieux placé que quiconque pour apprécier ses écarts de conduite, et qui se livre aujourd’hui à un implacable réquisitoire, détaillant par le menu toutes ses turpitudes, tout en prétendant qu’il ne savait rien des faits de harcèlement sexuel…

Chaque jour amène un peu plus de déraison à cette histoire dont les développements envahissent l’actualité. Dimanche c’était le Président Macron qui  confiait aux journalistes qu’il venait d'engager une procédure de destitution de la Légion d’Honneur dont est détenteur l’infâme personnage. Le lendemain ce fut le ministre de l’Économie Bruno Lemaire qui fit l’objet d’une polémique pour avoir affirmé que jamais et en aucune circonstance, il ne se livrerait à quelque délation que ce soit, avant de se rétracter quelques heures plus tard en disant le contraire à propos de faits de harcèlement sexuel….
Et enfin, via “les réseaux sociaux”, c’est un appel à la dénonciation tous azimuts qui était lancé par deux journalistes sous la bannière peu ragoûtante mais suggestive #balancetonporc. Les auteur(e)s de cette initiative se défendent d’encourager à la délation mais demandent expressément que soient cités des noms avec tous les détails des forfaits…
La guerre des sexes fait rage. “La parole se libère” comme on dit, et des dizaines de milliers de témoignages affluent de toutes parts. Jusqu'où ira-t-on ?
Le harcèlement sexuel fait partie des travers abjects de la nature humaine, mais il n’est hélas pas le seul. Toutes les différences entre les individus, toutes les particularités sont sujettes à des agressions ou des humiliations, commises à l’abri de la loi du plus fort. La justice est là pour y remédier lorsqu’elle en est saisie. Elle est sans doute imparfaite mais il serait vain voire dangereux de la remplacer par les tribunaux expéditifs du nouveau puritanisme populaire.

S’agissant du cas Weinstein, comme de tant d’autres, “tout le monde savait” paraît-il... Comment ne pas faire le parallèle avec celui d’un homme politique français, adulé des médias, chouchou des sondages, et qui était donné comme gagnant à coup sûr de la présidentielle, alors que sa réputation était archi-connue de tous, sauf de ceux qui ne voulaient pas savoir ?
Il fallut de sa part un geste aussi ignoble qu’insensé, et l’intervention musclée des services de police américains, pour révéler au grand jour sa dépravation. En moins de temps qu’il ne faut pour le dire, ce colosse au pied d’argile chuta de son piédestal doré et se retrouva plongé dans la boue.
O tempora o mores...

14 octobre 2017

Dans le ventre de l'hôpital

Décidément le sujet du malaise hospitalier s’impose comme une triste mais très actuelle réalité dans les médias. Après la vision caricaturale donnée par madame Lucet, Arte diffusait ce 3 octobre un édifiant reportage signé Jérôme le Maire, consacré au bloc opératoire de l’hôpital Saint-Louis à Paris.
Ce film témoigne de 2 années passées sous les scialytiques, dans le tumulte organisationnel d’une structure comportant 14 salles d’opérations. Il révèle avec acuité les tensions et surtout la morosité des personnels. Fait troublant, il reflète assez exactement une situation qui peut être généralisée, non seulement à d’autres structures du même genre, mais également à quantité d’établissements.

Partout, on constate les mêmes symptômes, révélant comme le dit un des professionnels interrogés, “un monde désenchanté.”
Si les médecins, chirurgiens et anesthésistes sont les plus nombreux à s’exprimer, on entend également des infirmières, des aides-soignants, des cadres de santé et même des directeurs. Tous les propos concordent et confirment que quelque chose ne tourne plus rond “dans le ventre des hôpitaux”...
Ce n’est pas qu’ils aient manqué de moyens, ce n’est pas non plus que les recrutements aient fait défaut. Alors de quoi s’agit-il ?

Ce reportage a le mérite de ne pas asséner les explications à la manière dogmatique de madame Lucet. A aucun moment il ne cherche à porter la moindre accusation contre qui que ce soit. Tout au plus peut-on dire qu’il tend à objectiver une maladie très actuelle : le burn-out. Et de ce point de vue, l’intérêt de ce type de reportage filmé “caméra au poing”, est évident : il donne la parole aux gens de terrain, la plupart du temps dans le feu de l’action. Certains propos sont bien plus révélateurs que de longs discours ou de savantes démonstrations.

Pas moins d’un an de repérages ont été nécessaires au réalisateur pour prendre la mesure de son sujet.
Il faut dire qu’au sein d’un hôpital, le Bloc Opératoire est une vraie ruche. A Saint-Louis, pas moins de 250 personnes y travaillent pour réaliser une moyenne de 60 à 80 interventions par jour. La caméra qui s’attarde en introduction sur les locaux montre qu’ils sont en apparence quasi neufs, et le moins qu’on puisse dire est que l’équipement ne paraît pas manquer.
Les conditions matérielles de travail semblent donc plutôt bonnes voire excellentes. Sont-elles adaptées à la quantité d’activité, c’est la première question qui vient à l’esprit lorsqu’on entend une surveillante égrener avec dépit : “salle 1, on déborde, salle 2 on déborde, salle 3 ça déborde, salle 4 ça déborde… Salle 7, il faut prendre les urgences qui ont été reportées...” 
Sont-elles bien organisées ? On peut en douter lorsqu’on voit un chirurgien, au sommet de sa carrière, et professeur d’université de surcroît, se colleter avec un ”cadre de santé” qui lui refuse de pratiquer sur “cinq minutes pas plus”, l’excision d’un abcès de fesse, dans la foulée de l’intervention qu’il vient de finir !

C’est peut-être à l’occasion d’un tel incident qu’on met le doigt là où précisément ça fait mal, là où le diable instille ses maléfices...
Car pour faire fonctionner une structure aussi complexe, il faut que chacun trouve sa place. Et le sentiment qui s’impose rapidement à entendre les différents protagonistes de cette aventure, c’est le manque de considération qu’ils ressentent chacun à leur niveau. “Nous ne sommes plus que des pions qui faisons tourner la machine” s’exclame une anesthésiste en évoquant le “torchon” qui lui est remis chaque semaine en guise de planning.
Dans ce contexte, la dépersonnalisation apparaît comme un vrai fléau. “Nous sommes désormais interchangeables” déplore un autre praticien désabusé, “les équipes ne sont plus aussi soudées, il n’y a plus d’interactions intuitives comme auparavant.” Sans doute fait-il allusion à ces plannings mécaniques qui cassent la continuité des prises en charges. Sans doute fait-il allusion également à la confiance qui se délite au fil des procédures, censées tracer le moindre fait ou geste, et qui imposent un cadre contraignant aux soins en bridant les initiatives individuelles.

Mais il y a pire. Il y a la sensation extrêmement pénible de voir disparaître la signification de sa mission. “Mon travail n’a plus de sens” est une sorte de leitmotiv qui sort de la bouche de presque toutes les personnes tout au long du film. “Avant je n’avais pas l’impression de travailler lorsque je faisais mon métier” confie un chirurgien, en ajoutant très las : “Désormais ce dernier me pèse, je travaille pour vivre, et si je le pouvais financièrement, je cesserais mon activité sans regret.”
La mécanisation des soins engendre une pression sourde, invisible, insidieuse, mais elle est partout. On s’agite beaucoup dans ce bloc, mais s'il y a de l’effervescence, on perd le feu sacré. L’objectif est de boucler la journée sans temps mort et sans trop de débordement mais il n’y a plus d’âme, plus de passion, plus d'enthousiasme. La ligne directrice est floue, l’autorité est dispersée, sans visage, et pas seulement à cause des masques que chacun porte ici. On obéit au protocole plus qu’à une hiérarchie désincarnée. “Il n’y a plus aucune discussion avec les gens qui travaillent…”

Une des conséquences palpables de ce système est la montée diffuse de l’irritabilité, générant des tensions et des conflits inter-personnels. On parle "d’incivilités" qui se répètent et la qualité du travail s’en ressent. Souffrant de frustration, certains disjonctent et portent des accusations sur leurs collègues : “durant 25 ans il n’y avait aucun problème, tant que les gens faisaient bien leur boulot. Maintenant, ce n'est plus le cas" s’exclame le professeur Emile Sarfati.

Face à cette crise, la Direction de l’Hôpital propose un expédient devenu classique, voire incontournable : l’audit !
Le principe est de faire intervenir un tiers extérieur, en règle un cabinet conseil, pour établir un “diagnostic objectif et indépendant”, supposé distinguer ce qui fonctionne bien de ce qui pose problème. Mais, destiné au départ à évaluer “la qualité de vie au travail”, il dérape rapidement vers une étude “d’efficience.” En définitive, il se borne à produire nombre de tableaux de bords et quantité d’indicateurs chiffrés, destinés à guider une introuvable réorganisation.
Confrontés à cette approche, les acteurs de cette tragédie sont au mieux dubitatifs. Certains n’hésitent pas à faire part de leur déception. On reconnaît ainsi le professeur Mimoun, spécialiste reconnu de chirurgie plastique et reconstructrice, qui interpelle sans ménagement la Directrice : ”Si on en reste là, nous sommes venus pour rien. Je ne me suis pas levé de bonne heure pour entendre dire qu’il faut s’organiser mieux…”

Force est de constater qu’arrivé au terme de ce parcours, les solutions pragmatiques manquent. Puisque l’accroissement du volume d’activité ne parvient à s’inscrire dans un schéma organisationnel “à visage humain”, il est proposé par certains de ralentir les cadences, car disent-ils : "il y a une injonction contradictoire à demander de faire toujours plus d'activité sans en donner les moyens".
Cette option ne satisfait toutefois pas les dirigeants qui s’inquiètent de voir diminuer en parallèle les ressources financières et par voie de conséquence la possibilité de procéder à des recrutements. Ils craignent une spirale infernale tirant vers le bas l’ensemble de la structure.
En désespoir de cause, une “boîte à suggestions” est mise en place par l’équipe afin de recueillir anonymement tous les états d’âme, toutes les récriminations, et toutes les suggestions. Mais comme le redoutait un des chirurgiens, on a ouvert la boîte de Pandore. C’est un inventaire à la Prévert qui en sort : “il y a des trous dans les pyjamas de bloc”, “l’équipe de matin travaille plus que celle d’après-midi”, “le local poubelle est à déplacer”, “les IBODE ne sont pas que des ouvre-boîtes en attente d’une pause repas”, “il faut embaucher plus de personnel”, “il faut favoriser le travail d’équipe et une plus grande communication entre collègues”, “respecter les horaires”, “les pauses repas s’éternisent”, “problème de brancardage”, “titulariser les CDD...”
Bref, comme le dit avec un brin d’optimisme madame Becq, l’anesthésiste qui joue un rôle pivot dans ce petit monde et qui s’est montrée particulièrement impliquée dans la quête de solutions innovantes : “c’est un début, ça ne fait que commencer…”

10 octobre 2017

Lettre à Elise

Le 7 septembre dernier Elise Lucet a gratifié les téléspectateurs d’une de ces enquêtes qui ont fait sa marque : racoleuse, partisane et agressive. Pour tout dire, de fort mauvaise foi...
Elle s’en prenait aux nouvelles méthodes de gestion des hôpitaux publics en affublant son reportage d’un titre qui révélait sans nuance et sans ambiguïté la teneur de son propos : “Hôpital Public, la loi du marché”.
Il n’est pas trop difficile de résumer la thèse : à partir du constat que rien ne va plus dans les établissements de santé publics, il s’agit de déverser un feu roulant d’accusations, toutes dirigées contre “la  logique économique digne d’une entreprise privée qui s’est peu à peu mise en place dans les établissements.”
Or s'il est vrai qu’un malaise règne dans les hôpitaux, il n’est pas nouveau et ses causes sont bien loin d’être expliquées par le discours sectaire de la journaliste en mal de scandale.

Certes, il suffit de se rendre sur place pour ressentir une certaine morosité du personnel, voire comme le dit la voix off du reportage, de constater que “les infirmières les aides-soignants, les médecins sont souvent débordés, exténués.”
En revanche, s’il y a un problème assurément, c’est abuser que de conclure à propos du cas certes dramatique d’une infirmière, que “leur désespoir peut même les conduire au suicide.”
D’emblée le ton est pourtant donné. Tout ce qui sera montré par la suite relève de la caricature, voire de la désinformation.

Certes le système de gestion financière des établissements de santé a connu quelques mutations. De la facturation aux prix de journées qui était en vigueur jusqu’en 1983, on est passé au Budget Global jusqu’en 2003, puis à la Tarification à l’Activité en 2004 (on dit aussi T2A). Mais établir un lien direct de causalité entre celle-ci et le vécu difficile sur le terrain relève de l’extrapolation hasardeuse, à laquelle madame Lucet et son équipe n’hésite pas à se livrer, révélant ainsi ses arrière-pensées idéologiques bien plus que son prétendu souci de fournir des explications rationnelles.

On ne peut raisonnablement accuser la T2A d’avoir bouleversé si négativement le système, surtout si on la compare aux modalités qui l’ont précédée. On se souvient en effet des effets pervers induits par les antiques prix de journées qui ne distinguaient très grossièrement que deux ou trois types de prestations différentes et poussaient les gestionnaires à garder les lits occupés pour optimiser les recettes.
Le budget global quant à lui introduisit la rigidité et l'arbitraire, enfermant dans un carcan nombre d’établissements dynamiques, et distribuant à d'autres l'argent avec une prodigalité excessive.
On peut certes reprocher à la T2A d'avoir failli à son objectif principal qui était de simplifier les règles de facturation grâce à une évaluation forfaitaire du coût des séjours. On peut déplorer son caractère inflationniste puisqu'elle pousse à multiplier les prestations. On peut enfin juger absurde le fait qu'elle soit malgré tout contrainte par une enveloppe financière nationale inextensible, le fameux Objectif National de Dépenses de l'Assurance Maladie (ONDAM).
Mais en dépit de ses défauts, l’attribution des ressources financières en fonction de l’activité décrite à partir d’indicateurs médicalisés est sans doute la moins mauvaise façon de procéder, et la plus équitable.
Là n’est donc pas le problème. 

S'agissant de l’exigence, en matière de santé comme ailleurs, d’atteindre l’équilibre financier, elle n’est pas non plus quelque chose qu’on pourrait qualifier d’indécent. Il faut être un doux rêveur ou bien totalement irresponsable pour affirmer que la santé n’est pas une marchandise monnayable, et qu’elle ne doit pas être soumise à l’impératif de rentabilité.
Est-il donc si extravagant de se préoccuper de trouver les recettes financières qui permettront de rémunérer les personnels dévoués aux soins, qui ne peuvent se contenter pour vivre, d’un peu d’amour et d’eau fraîche ?
Lorsque, se réclamant du défunt économiste de gauche Bernard Maris, Patrick Pelloux préconise “d’effacer la dette de la Sécu, et tant pis pour les rentiers de la dette”, il ne fait que souligner l’imbécillité profonde de l’utopie bien-pensante qui n’a que faire de la réalité. Il s'inscrit également dans le raisonnement à sens unique dont est friande madame Lucet.
Hormis deux ou trois malheureux directeurs d’établissements, pris au dépourvu par les “enquêteurs” et sommés de s’expliquer sur les dérives du système de gestion de leurs établissements, tous les témoins sont à charge. Il n’y a qu’un son de cloche, et il ne fait que ressasser les vieilles antiennes anti-capitalistes et anti-libérales, cela va de soi.
Dès lors, le pseudo-débat s’enlise dans les poncifs de l’alter-économie à visage humain, généreux, solidaire, et tout le toutim classique des culs-bénis de la justice sociale. Leur rhétorique simpliste se borne à réclamer toujours “plus de moyens” à l’Etat, massacrant sur l’autel du Service Public, toutes les initiatives privées et naturellement les Laboratoires Pharmaceutiques, bêtes noires obligées.

L’argumentation se résume en règle à des slogans dans le plus pur style syndical. Par exemple on entend une personne s'exclamer : "Tandis qu'on humanise de plus en plus les robots, on nous transforme en robots."
Pourtant, par un paradoxe étonnant, c’est précisément la négation du coût des soins qui est sans doute une des causes principales de la déshumanisation des établissements de santé !
A force d’avoir laissé filer les déficits (plus de 100 milliards d’euros cumulés sur une quinzaine d’années pour l’Assurance Maladie), à force d’avoir laissé penser à la population que la santé était gratuite, on a contribué à fragiliser le système. Chacun estime depuis trop longtemps avoir le droit d’en profiter, sans avoir à le payer. 
Les gouvernants ont trop flatté  et depuis trop longtemps ces penchants, en proposant par exemple dernièrement la généralisation du fameux tiers payant, ou le remboursement intégral des lunettes et des soins dentaires.
Aujourd’hui l’endettement de l’Etat est devenu si massif qu’il impose des révisions déchirantes. Et si les plans d’économies semblent tellement douloureux, c’est qu’après tant de démagogie, les Pouvoirs Publics rechignent toujours à dire la vérité, et parce que bon nombre de médias préfèrent aux enquêtes réalistes, celles qui flattent les illusions ou nourrissent des indignations stériles.

Curieusement, c’est à ce moment délicat, où s'esquisse une tentative de redressement financier, que la confiance si indispensable au bon déroulement de soins se met à s’effriter.
Alors que la médicalisation a envahi progressivement la vie quotidienne au point que tout ou presque relève désormais de la médecine, tout dérape. Les exigences de moyens ont été remplacées par celles de résultats. On tolère de plus en plus difficilement  les aléas, ou simplement les limites et les incertitudes de la science. Un climat de défiance s’est installé entre les patients et leurs soignants et une dérive procédurière se répand, favorisé par l’écho médiatique surdimensionné donné à chaque incident, à chaque impondérable.
Encore plus surprenant, les rumeurs les plus infondées, et les charlataneries les plus stupides se répandent comme trainées de poudre. On reproche à la science de ne pas tout résoudre et on s'abandonne aux pires croyances. Quelle époque étrange !

Confronté à tous ces défis qu’il ne sait plus résoudre avec bon sens et pragmatisme, le système sécrète à un rythme effréné, des réformes et des normes tous azimuts.
Les hôpitaux et cliniques sont certes poussés à la productivité et à l'industrialisation des soins, et à l’instar de la grande distribution, ils sont soumis à la compression des coûts et des marges bénéficiaires.
Et tandis qu'on compte les sous, le monopole sans partage de la Sécurité Sociale masque sa faillite et ses insuffisances sous des flopées de règles, aussi complexes et changeantes que la météo, et se livre à des contrôles aussi tatillons qu'inefficaces.
Pour tenter de faire perdurer un modèle à bout de souffle, l’Etat grand maître-d’oeuvre, change sans cesse l’organisation hospitalière.
Après avoir durant des décennies cherché à la décloisonner et à la déconcentrer, il a entamé un vaste mouvement concentrationnaire qui n'ose dire son nom. Les Agences Régionales de Santé, qui constituent les bras armés de l’État, sont chargées de décliner sur le terrain cette politique aussi veule que calamiteuse. Face à ces mastodontes administratifs sans âme ni visage, les Directeurs d’établissements de soins ont perdu à peu près tout pouvoir et toute marge de manœuvre. Ils sont condamnés à mettre en œuvre une stratégie qui étouffe à bas bruit les petites structures noyées dans les normes ubuesques de fonctionnement et condamnées de facto à générer des déficits budgétaires incontrôlables. Pendant qu’elles meurent à petit feu, on pérennise le gigantisme des CHU et des mégalopoles.
A l’heure où l’on pourrait espérer tant de souplesse dans la couverture hospitalière, grâce aux télécommunications, on assiste à une désertification sans précédent. Et plus l’échec de la planification devient patent, plus on la renforce...
La qualité des soins pour laquelle on a créé spécialement l’emblématique “Haute Autorité en Santé”, passe désormais par des procédures arides qui quantifient tout et imposent que tout soit écrit et tracé en bonne et due forme, c'est à dire insipide et pasteurisée. Loin de faciliter la prise en charge des patients cet envahissant arsenal médico-légal s’avère surtout responsable d’une irrépressible inflation  bureaucratique.
Confrontés à cette furieuse soviétisation stakhanoviste, il n’est pas étonnant que les personnels, qualifiés par le volapük technocratique de simples “ressources humaines”, s’épuisent, et se découragent.
En bref, ce qui se passe est à peu près à l’inverse de la thèse soutenue par madame Lucet. Le système se meurt par manque de liberté, par manque de confiance et par l’écrasement systématique des initiatives locales par le marteau pilon de l'Administration Centrale. Tout le contraire en somme du libéralisme bien pensé, qui pourrait s’opposer à cette effrayante usine à gaz ressemblant toujours plus à la “machine à décerveler” de Père Ubu...