31 janvier 2018

Fille de révolutionnaires

Tout le monde n’a pas eu la chance d’avoir des parents communistes, disait le titre d’un film. Est-ce le cas de Laurence Debray, fille de l’ancien révolutionnaire castriste Régis Debray et de l’intellectuelle “de gauche” Elisabeth Burgos ?
Sans doute ne partage-t-elle pas vraiment l’assertion si l’on en croit ce qu’elle dit de ses géniteurs dans le livre témoignage qu’elle vient de publier.
Si elle n’est pas tendre avec eux, au moins peut-on dire qu’elle ne cède pas à la mode assez détestable de dénigrer sa famille, ses proches ou ses amis après leur mort, comme on le voit dans tant d’ouvrages.
Il ne s’agit d’ailleurs pas selon elle de régler ses comptes, mais simplement de décrire l’univers si particulier de cette intelligentsia dans laquelle elle a grandi tout en lui restant étrangère. Ce n’est pas tant leur engagement politique que l’auteur reproche à ses parents que d’y avoir sacrifié en quelque sorte leur fille et notamment tout l’amour et la tendresse qu’elle était en droit d’attendre. C’est édifiant et cela témoigne d’un certain courage et d’une force de caractère très impressionnante.

On connaît de nos jours Régis Debray, comme un notable plein d’onction et de componction, qui se veut le commentateur éclairé de son époque, dans des bouquins pédants et sentencieux, et qui ne déteste pas de parader sur les plateaux télés pour y étaler sa rhétorique ronflante de vieux gauchiste confit dans le mépris de classe.
Mais il y a quelques décennies, dans les années 60, il fut le compagnon très rapproché des guérilleros communistes cubains, dans leur combat pour la propagation de l’idéologie marxiste dans toute l’Amérique du Sud. Il copina ainsi avec Fidel Castro et fut pour ainsi dire le frère d’armes du “Che” Guevara.
On ne sait trop en quoi consistait sa participation à l’entreprise révolutionnaire de ses mentors, mais elle lui valut quelques ennuis et notamment d’être arrêté en Bolivie et condamné à 30 ans de prison ! Il n’en fera que quatre grâce à l’intervention de nombreux intellectuels de gauche dont Jean-Paul Sartre, mais surtout de tractations en sous main menées par le gouvernement français et sans doute les services secrets américains.
Suite à cette piteuse aventure, qui se solda entre autres par l’élimination de Guevara il prit très progressivement conscience de la brutalité de la dictature cubaine, et se résigna à un prosélytisme plus paisible à défaut d’être moins sectaire. Revenu en France, il s'accomoda fort bien de l’ambiance feutrée des salons politiques et littéraires germano-pratins, et tomba sous le charme de François Mitterrand dont il devint le courtisan servile et le laudateur zélé.

Laurence Debray naquit en 1976, quelque temps après la rencontre de Régis et d’Elisabeth Burgos, intellectuelle vénézuélienne “engagée”, lors de leurs pérégrinations révolutionnaires en Amérique du Sud. Hélas pour leur enfant, le couple n’eut jamais grand chose en commun, hormis les idées politiques et ils n’étaient de toute évidence pas vraiment faits pour devenir parents.
Il n’y a rien d’étonnant donc à ce que Laurence se soit sentie étrangère à cette famille inexistante : “Je n’ai jamais rien compris”, écrit-elle “ni à leur engagement politique, ni à leur vie dissolue.../… Nous ne partagions ni opinions, ni loisirs, ni rituels familiaux.”
C’est peu dire que malgré son ascendance, la malheureuse n’avait pas les gènes de la révolution en elle. Elle ne rêvait que “d’une famille stable, une existence sage, rangée et organisée, loin du pouvoir et de l’intelligentsia” car les idéaux “ne la font pas rêver”, elle est “pragmatique, factuelle, et réaliste.”
Dans cet étrange univers, le père farouchement égoïste “ne s’occupe que de son œuvre”. La paternité l’indiffère et “les responsabilités, ce n’est pas son truc”. Quant à la maman, “elle se voulait une femme libre, mais elle était finalement soumise” aux préjugés de son mari.
L’ambiance dans cette étrange cellule familiale était glaciale, marquée par l’intolérance vis à vis de tout ce qui s’écartait du dogme. “Avec mes parents”, écrit l’auteur, “rien n’était léger ou gai. Leur ton était sérieux” .../… ”on ne fréquentait pas les gens qui lisaient Le Figaro, allaient à Deauville, et s’ils vivaient rive droite, ils étaient très suspects.”
Même l’alimentation était réglementée de manière à éviter toute compromission avec le Grand Capital et les Etats-Unis qui représentaient l’horreur absolue. Il était notamment interdit de consommer du Coca-Cola ou des corn flakes.
S’agissant de la télévision, rares étaient les émissions regardables hormis “7 sur 7”, le talk show bien pensant animé par Anne Sinclair, “qui était notre messe hebdomadaire…”
Pas le moindre plaisir pas le moindre loisir qui n’obéisse au rituel intangible, et bien peu de tendresse. De toute manière, avoue Laurence, “Mon père me faisait peu de cadeaux. Il n’a jamais compris ce qu’on gagnait en offrant.” Pire, écrit-elle un peu plus loin, “Je n’ai aucun souvenir de mes parents faisant ensemble quelque chose pour moi ou avec moi.”
Les seules détentes ou voyages devaient s’inscrire dans la ligne du parti. C’est ainsi que Laurence fut contrainte, pour affermir sa pensée politique, d’intégrer à l’âge de 10 ans un camp de pionniers à Cuba, durant lequel entre autres distraction, on lui apprit le maniement des armes… On n’est pas très loin des islamistes qui endoctrinent leur progéniture et vont prêter main forte aux enragés du Jihad dans les pays du Proche-Orient...

Si elle ne trouva pas auprès de ses parents beaucoup d’affection, Laurence Debray trouva toutefois quelque réconfort auprès de ses grands parents. Elle adorait notamment sa grand-mère maternelle Janine Alexandre-Debray, qui fut rien moins que sénatrice, et avec laquelle elle eut beaucoup d’affinités au plan artistique et culturel.
A la disparition de ses parents, la manière avec laquelle Régis dispersa avec mépris leur héritage fut un nouveau sujet de dépit pour Laurence : ”Mon père pouvait prendre les armes dans le maquis pour sauver les déshérités de l’injustice mais ne pouvait pas prendre en main les affaires familiales. Ce fut surprenant… et décevant. L’image du père fut définitivement affaiblie. Mon père devenait rentier, avec tous les maux inhérents à ce confortable statut. Il prenait l’argent, mais ne gardait pas les souvenirs, ni le raffinement. Il enterrait définitivement ses parents et liquidait ses origines. Subrepticement, il s’accommodait d’une nouvelle vie, confortable, conventionnelle et bourgeoise.”

Autour d’elle, Laurence Debray vit nombre d’amis changer d’opinion vis à vis du régime cubain. Il en fut ainsi de Mario Vargas Llosa qui s’éloigna résolument, “préférant la démocratie et la liberté aux illusions”, de Jorge Semprun qui prit lui aussi ses distances, “fort de son expérience politique unique” lors de la guerre civile espagnole. Il en fut de même d’Alberto Moravia, qui confia à Elisabeth après le discours que Fidel Castro tint sur la place de la Révolution le jour de l’an de l’année 1966 : « Cela me rappelle Mussolini… »
Elisabeth et Régis quant à eux, avaient endossé sans réticence le statut “d’otages volontaires de luxe”. “Ils vivaient à la charge du régime, sous la coupe directe de Fidel Castro, comme des enfants subsistent grâce à leurs géniteurs, à la merci des moindres largesses et punitions.”
Avec le temps, l’opinion de Régis devint il est vrai légèrement plus nuancée, notamment après le procès du général Ochoa en 1989. Hélas, constate Laurence, “par ignorance et par fidélité à des idéaux qui n’existent plus, il se rallia néanmoins à quelques causes aussi grotesques que chevaleresques : le sous-commandant Marcos, ou la révolution bolivarienne de Hugo Chávez, ce que je vécus comme une trahison, comme le déni de mes origines vénézuéliennes, comme l’expression de la stupidité d’une gauche aveuglée par de bons sentiments, au détriment de la cruelle réalité.”
On sait comment Laurence Debray, monta courageusement au créneau contre Jean-Luc Mélenchon qui fut l’admirateur béat du régime de Chavez et qui témoigne d’une odieuse complaisance vis à vis de son successeur Nicolas Maduro. A défaut d’être révolutionnaire, Laurence Debray est révoltée : sous le regard torve de cette gauche incurablement partisane, le Venezuela sa seconde patrie, sombre dans la dictature et la paupérisation, alors que ce pays avait tout pour être un havre de paix et de prospérité.

En définitive, ce témoignage a la force du vécu et ses constats paraissent implacables. C’est en quelque sorte l’expression de la colère d’une génération envers celle qui la précéda, qui en dépit de l’abondance matérielle et de la liberté dont elle put jouir, s’érigea en donneuse de leçons de morale, aussi étriquée que dogmatique, et fit preuve d’une irresponsabilité vertigineuse.
Laissons à l’auteur l’épilogue et la morale de l’histoire: “ils ont vendu au monde leur solidarité mais agissent en grands égoïstes. Ils ont bénéficié du plein-emploi, n’ont jamais connu les affres de la précarité et profiteront des dernières retraites honorables. À force d’avoir eu des idéaux, ils laissent à leurs enfants le réchauffement climatique, une dette publique élevée, des retraites qui ne sont pas financées, le chômage de masse, un système éducatif peu performant. Sans remords, ni remise en question…”
Elle est gentille, car en plus de ces tares, elle aurait pu ajouter qu’ils se sont rendus coupables d’avoir aidé en paroles ou en actes, des assassins et des brutes dans leur oeuvre d’asservissement de peuples entiers, au nom d’une sinistre idéologie !
Leur mérite en somme est d’avoir conçu quasi à leur corps défendant, une fille bien sympathique, dotée d’un charme ravageur et dont la force de caractère et la lucidité donnent à penser que même quand on croit tout perdu, il reste malgré tout un espoir...

28 janvier 2018

Au rythme capricieux des affaires

Quel bonheur pour les médias affamés de scoops qu’une bonne affaire, prometteuse de virulentes polémiques et de croustillantes péripéties judiciaires. Peu importe au fond qu’elle aboutisse ou non, qu’elle soit grave ou insignifiante, pourvu qu’elle capte l’attention des gogos, si possible le plus longtemps possible, ouvrant ainsi de lucratives perspectives d’audience.
Et de ce point de vue, le tempo de la justice étant calqué sur celui des plus lents gastropodes, le sujet peut devenir ce qu’on appelle un marronnier, meublant de manière récurrente et sans trop de souci l’actualité…

Parmi les faits divers qui ont défrayé la chronique, et dont les échos reviennent régulièrement sur le devant de la scène, on peut évoquer naturellement le calamiteux projet d’aéroport de Notre Dame des Landes. Il a fallu cinquante ans de réflexions, de délibérations, de controverses, de décisions de justice, et de référendums pour aboutir finalement à l’abandon pur et simple de ce chantier qui restera comme une chimère. Qui saurait dire combien cette fantaisie a coûté à l’Etat ? Qui saurait comptabiliser l’énergie dépensée en pure perte ?
Et qui pourrait recenser le nombre de projets du même genre, avortés, ou qui le seront à l’avenir, eu égard à ce précédent désastreux, révélateur de l’incurie et l’impuissance de l’Etat dit Providence. On ne saurait oublier par exemple l’écotaxe et ses ruineux portiques…

Dans un autre genre, comment ne pas être excédé par les incessants retours sur d’atroces affaires criminelles, dont il paraît évident que l’espoir de dénouement ne fait que s’éloigner à mesure que le temps passe. La plus ancienne, revenue une n-ième fois sous le feu des projecteurs est sans doute celle du petit Gregory, horriblement assassiné en 1984. Tragique histoire dont on aura sans doute jamais le fin mot mais pour laquelle on suppute qu’elle cache de sordides règlements de comptes familiaux.
La disparition de la petite Maëlys et le sort tragique de la famille Dupont de Ligonnès semblent devoir s’inscrire dans pareils interminables et sordides feuilletons. Dans ces circonstances, les révélations et les prétendus rebondissements sont nombreux mais vains pour la plupart, et chacun ne peut s’empêcher de donner son avis ou de juger, sans connaître autre chose que les informations évasives et parfois contradictoires que les médias distillent à plaisir.

Les réflexes sont à peu près les mêmes autour des imbroglios judiciaires impliquant des politiciens. Beaucoup de bruit pour rien serait-on tenté de dire pour qualifier par exemple l’affaire Fillon. En l’occurrence, on peut s’interroger sur l’inhabituelle célérité avec laquelle la justice entama ses procédures et par là même ruina la réputation d’un homme au moment le plus crucial de sa campagne électorale. On peut s’interroger pareillement sur la nature des faits qui lui étaient reprochés et donc sur la disproportion flagrante entre leur bénignité apparente et la brutalité de l’action judiciaire. La perplexité grandit encore lorsqu’on voit que près d’un an après la chute du malheureux candidat ainsi épinglé, plus rien n’avance et qu’on en reste à des broutilles qui seront probablement classées sans suite ou quasi…
En plus de son inefficacité, la justice serait-elle partisane, voire délétère ? On pense aux accusations qui poursuivent sans relâche depuis plusieurs années Nicolas Sarkozy au sujet du financement de sa campagne pour la Présidentielle de 2007 et de l’implication prétendue du colonel Kadhafi. On pourrait rappeler également l’incroyable acharnement frappant Bernard Tapie à propos de son différend avec le Crédit Lyonnais. Après le fiasco des affaires Clearstream, Bygmalion, et Bettencourt, après la révélation du scandaleux "mur des cons", comment ne pas douter de l’objectivité des magistrats et des médias ? Sont-ils là pour donner une information utile et faire régner l’état de droit ou bien pour assouvir quelque obscur désir de nuire ? En tout état de cause leur crédibilité s’effrite au fil de toutes ces histoires lancées avec fracas et qui se terminent si souvent en eau de boudin.

On pense enfin aux scandales mettant en cause des laboratoires pharmaceutiques ou des entreprises alimentaires. Les exemples récents de Servier et de Lactalis sont révélateurs d’une manière de faire des plus discutables. On commence à faire grand tapage autour de potentielles victimes qu’on n’hésite pas à chiffrer en grand nombre, avant de merdoyer dans une enquête de plus en plus imprécise et pauvre en preuves. On a ainsi parlé de plus de 2000 morts causés directement par le Mediator et après plusieurs années d’analyses, d’expertises en tous genres, on ne sait si le décès d’un seul patient est seulement établi...
On se souvient à l’inverse de l’affaire AZF à Toulouse qui fit plus de 30 morts et 2500 blessés en 2001 et pour laquelle il fut impossible de déterminer quoi que ce soit de précis en termes de responsabilité…

Moralité : Sauf à détenir des éléments tangibles et graves, médias et justice pourraient faire preuve de plus de modération, d’humilité et de discrétion.

27 janvier 2018

Double discours

Pour sa première participation au forum économique international de Davos, en tant que président de la république, Emmanuel Macron s’est livré à un véritable show devant un parterre paraît-il par avance conquis, de hauts dignitaires et de chefs d’entreprises de tous pays.
“France is back” a-t-il proclamé de manière quelque peu emphatique, en faisant étalage avec un brin de forfanterie, de sa maîtrise de la langue anglaise. S’ensuivit un discours fleuve dont une partie fut prononcée dans la langue de Shakespeare et l’autre plus prosaïquement dans celle de Molière…
 
Même pour les grincheux qui le trouvent piètre orateur, cette prestation a prouvé que M. Macron manie bien le verbe et fait preuve d’un sens aigu de la communication.
La question qui reste en suspens est de savoir si ses actions sont à la hauteur du discours et si derrière les formules brillantes le propos est toujours cohérent. Et là les doutes surgissent..
Cette intervention polyglotte laisse un goût un peu étrange. Après avoir en anglais tenté de réenchanter le libéralisme économique, force est de considérer qu’il fit à peu près l’inverse en français.

Dans un premier temps, M. Macron a en effet vanté la "baisse du coût du travail et du capital", la "flexibilité" et souhaité une réforme du travail qui réaligne la France sur les standards de l'Allemagne et de l'Europe du Nord: "moins par la loi, plus par le consensus".
On se souvient que quelques jours à peine avant Davos, le Président avait reçu en grande pompe au château de Versailles 140 chefs d’entreprises, parmi les plus influents de la planète en vantant le slogan “ChooseFrance”. Ébouriffante mise en scène à peine ternie par la contribution de M. Ferrand qui pour justifier tout cet apparat, ne trouva rien de mieux à sortir que le bon vieux dicton qui veut “qu’on n’attire pas les mouches avec du vinaigre”. On connut accroche plus flatteuse…

Le plus inquiétant toutefois est que dans la seconde partie de son intervention, de loin la plus longue hélas (plus d’une heure), M. Macron se lança dans un sermon moralisateur allant à l’inverse de tout ce qu’il avait asséné l’instant d’avant.
A l’instar d’un vieux socialo-altermondialiste rassis, il a insisté sur les enjeux "d'une croissance équitable", et "la nécessité de se battre pour l'environnement et contre l'évasion fiscale" (sic dixit Hufftington Post). Selon les propos rapportés dans le Courrier International, il a également réclamé "plus de coopération internationale en Europe et, au-delà de ça, plus de régulation, et de dirigisme à l’échelle mondiale”.
Le rêve d’un Nouveau Monde libéré s’est ainsi transformé en un vrai cauchemar aux accents anti-capitalistes, que n’aurait pas renié M. Mélenchon.
Pire, le chef de l’Etat, s’est tout à coup mué en oiseau de mauvais augure annonçant que “les grands acteurs du numérique vont provoquer des disruptions qui vont détruire des millions d'emplois.”
Et quant aux solutions proposées, elles semblent tout droit sorties de la boîte à outils hollandaise : “Nous gouvernements, allons donc devoir reformer massivement les gens. Si les entreprises ne contribuent pas par leurs impôts à financer cet investissement, que dire aux classes moyennes de nos pays ».
Sur la régulation financière, Emmanuel Macron a aussi demandé “que le FMI et les institutions de surveillance prudentielles élargissent leur surveillance à ces pans entiers qui échappent à tout contrôle, comme le bitcoin dont la volatilité inquiète les régulateurs, ou comme la finance de l'ombre, qui prospère en dehors des réglementations.”
A croire M. Macron, sans cette nouvelle avalanche de régulations et de bureaucratie, “Schumpeter va très rapidement ressembler à Darwin”.
Autrement dit, le monde sombrera dans un capitalisme sauvage, soumis à l'abominable loi de la jungle, “struggle for life” en anglais. Refrain trop classique et par trop désespérant.

Quand faut-il donc croire M. Macron ? Lorsqu’il chante les mérites de la libéralisation ou au contraire lorsqu’il prône le renforcement des réglementations et des contraintes étatiques ?
Face à une conjecture aussi nébuleuse, il n'est pas très étonnant qu’arrivé “en terrain conquis et dans un ciel lumineux” (Figaro), M. Macron s’en retourne rhabillé pour l’hiver par les commentaires plus que dubitatifs de la presse étrangère . Ainsi selon le journal allemand Die Welt, “Macron est venu, il a vu – il a déçu”, car s'il était attendu “comme le Messie, le sauveur de l’Europe, plus encore le sauveur du monde, par son intervention qui n’en finissait pas, il a produit de lui-même le désenchantement”...
Cette histoire me rappelle hélas les revirements de Nicolas Sarkozy, quelque mois après son élection, relatés dans ce billet désabusé de 2008...

14 janvier 2018

Bonne Nouvelle Année de Liberté

Alors que l’État ne cesse d’accroître son emprise sur nos vies, est-il encore temps d’aborder la question de la liberté individuelle ?
Il semble que cela soit un combat d’arrière garde car force est de constater hélas que les lois qui s’ajoutent les unes aux autres, ne cessent d’alourdir la pression et les contraintes sur les citoyens .

En ce début d’année, les annonces du gouvernement, qu’on qualifie généralement de « libéral », ne peuvent que confirmer cette tendance.
Il en est ainsi des limitations de vitesse sur le réseau routier secondaire, qui passent de 90 à 80 Km/h. On peut se demander jusqu’où iront les contraintes pesant sur les automobilistes. On entend parler régulièrement de l’abaissement de la vitesse maximale autorisée sur les autoroutes, de 130 à 120 km/h. Nul doute que cette nouvelle barre sera imposée sous peu. La voiture, qui fut un symbole flamboyant de liberté, est en passe de devenir le corbillard des illusions perdues...

Parallèlement, le poids des taxes ne cesse de s’accroître. Au motif de préserver la planète, notre bien-être, la sécurité ou bien je ne sais quelle belle intention, le gouvernement entend pénaliser toujours plus les possesseurs de véhicules diesel. Après avoir encouragé durant des décennies ce type de motorisation, il nous en dit pis que pendre. Après avoir contraint les fabricants à mettre en place des dispositifs toujours moins polluants, après avoir imposé des seuils d’émissions de particules toxiques, quasi impossibles à respecter, la solution in fine reste toujours le recours à la taxation. Et plutôt que de baisser celle qui plombe, si je puis dire, l’essence, on augmente donc tous azimuts. Mais, admirons la subtilité, la progression sera moins forte pour l'essence que pour le gazole, ce qui permettra à terme d’égaliser l’ensemble sur un nouveau sommet vertigineux. A ce jour, les automobilistes paient en taxes, plus de 4 fois le prix du carburant à la sortie de la raffinerie !
Petite consolation, notre vertueux ministre de l’environnement Nicolas Hulot sera également mis à contribution, lui dont l’écurie motorisée ne compte pas moins de 6 ou 7 véhicules parmi les plus polluants qu’on puisse imaginer. Il est vrai que ce contempteur du profit et de l’économie libérale en général, peut se le permettre grâce à la rente de plusieurs millions d’euros qu’il a su tirer de ses entreprises commerciales !
De qui se moque-t-on, hélas, nous le savons trop bien…
A mesure que l’Etat-Providence étend ses tentacules sur nos têtes, l’objectif mirobolant d’une société libre et responsable s’éloigne toujours un peu plus et le bon Tocqueville doit faire des tours et des retours dans sa tombe.

Autre sujet d’inquiétude pour les Amoureux de la Liberté, celui des fake news, contre lesquelles le Président de la République entend rentrer en guerre, comme Don Quichotte et les moulins à vent. Comment peut-on croire un instant qu’il suffise d’une loi (encore une!) pour que la vérité universelle enfin jaillisse au grand jour ! Imagine-t-on que les citoyens soient assez bêtes pour être définitivement incapables de distinguer dans le flot d’informations qui nous assaille, le bon grain de l’ivraie ?
C’est précisément à force de faire comme si les gens étaient des imbéciles congénitaux qu’on les empêche de se forger un esprit critique et que le vœu de Kant, que chacun puisse accéder aux lumières, tombe en capilotade. L’infantilisation générale du monde est le résultat conjugué de lois insanes et d’une éducation débilitante.
La rhinocérite est hélas une maladie contagieuse, contre laquelle aucun vaccin n’est obligatoire. Il en est pourtant d’efficaces, pas chers et à la portée de tous grâce aux fabuleux moyens de diffusion des connaissances et de l’information que le progrès technique nous a apportés. Malheureusement, pour paraphraser Jean-François Revel, tout cela s’avère inutile si l’ancestrale pulsion grégaire qui anime les hommes, les ravale au rang de moutons de Panurge dénués de jugeote. « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme » disait quant à lui Rabelais...

A tous les lecteurs de ce blog qui cherchent à s’affranchir des idées reçues et chérissent l’esprit de contestation pourvu qu’il soit constructif, je souhaite naturellement une excellente nouvelle année !

30 décembre 2017

Hôpital au bord du gouffre

La nouvelle est tombée comme un couperet juste avant Noël: les hôpitaux publics accusent un déficit financier inédit
Plus de 1,5 milliards d'euros pour l'année qui s'achève, soit 3 fois celui de 2016 ! 
Fait inquiétant, presque toutes les structures sont touchées : des plus petites aux plus grandes, des hôpitaux de proximité aux centres hospitalo-universitaires (CHU).
Derrière ce constat, certains veulent voir les effets néfastes de la fameuse tarification à l'activité (T2A). On trouve parmi ces contempteurs les représentants habituels du courant anti-libéral reprochant aux hôpitaux d'être gérés comme des entreprises ou encore refusant pour le système de santé l'obligation d'être rentable, c’est à dire d’équilibrer ses dépenses avec ses recettes.
Ces doux utopistes imaginent encore et toujours qu'il existe une corne d'abondance permettant de trouver toujours plus de moyens pour combler les déficits, voire qu'il suffit de décréter l'effacement d'une dette pour qu'elle disparaisse comme par magie.
Hélas, la ministre de la santé elle-même semble avoir fait sienne cette théorie fantasmagorique en reprenant à son compte l'antienne fallacieuse qui voudrait "qu'on soit arrivé au bout d'un système". Suffirait-il donc d'en trouver un autre pour que tout aille mieux ?
Force est de constater que perdure la mauvaise habitude hexagonale qui consiste à casser le thermomètre lorsqu'il indique une poussée de fièvre...

Des réformes, l'hôpital n'en a pas manqué assurément. Elles se succèdent à chaque changement de gouvernement ou presque, pourtant, nous sommes toujours en attente de celle qui va tout changer. Cette frénésie légale est un leurre, de toute évidence. Après des décennies de lois, de réglementations, de planification, le problème reste entier. Si l'on acceptait enfin de prendre en considération le principe de réalité ?
Il est bien temps par exemple de s'apercevoir des défauts de la T2A. Voilà bientôt 15 ans qu'elle est entrée en application dans notre pays, avec le souci de corriger les défauts des systèmes qui l’avaient précédée, à savoir, les prix de journées, puis le budget global.

La T2A a été importée des Etats-Unis ainsi que le Programme de Médicalisation des Systèmes d'Information (PMSI) sur lequel elle repose. Elle est en application dans de nombreux pays et s'avère de par sa nature même, le moins mauvais système qui soit.
Elle oblige en effet à décrire l’activité en la codant, ce qui conduit à classer les patients dans des Groupes Homogènes de Séjours (GHS) auxquels des tarifs forfaitaires sont affectés. C'est plus précis et efficace que la simple comptabilisation du nombre de journées ou de venues, et plus équitable et responsabilisant qu'un taux arbitraire de reconduction d’une enveloppe non moins arbitrairement établie.
Certes la T2A est inflationniste, poussant à faire le plus d’activité possible, mais si le payeur fait bien son travail, il veille à débusquer les abus: l’activité sur-codée ou bien réalisée sans vraie justification. C’est donc à l’Assurance Maladie de garantir par ses contrôles la pertinence et la réalité des prestations délivrées aux patients. Ces derniers devraient également avoir un rôle vertueux s’ils étaient vraiment en mesure d’exiger les meilleurs soins au moindre coût, comme il le font pour leurs achats domestiques.
On a beau prétendre que la santé n’est pas une marchandise, elle a tout de même un coût, et il faut bien qu’il soit assumé par quelqu’un…
Ceci étant, si la T2A était sujette à de telles dérives mercantiles, les hôpitaux engrangeraient plutôt des bénéfices que des pertes. Or c’est tout le contraire qui se passe, sans doute parce que le problème est ailleurs…

Conçue pour facturer les actes et prestations au juste prix de manière forfaitaire, la plus simple possible, la T2A est devenue au fil des ans un vrai embrouillamini. Résultat, elle n’est plus en adéquation avec les coûts réels.
A force de pondérations de plus en plus alambiquées, certains soins se trouvent manifestement sur-valorisés, d’autres plus nombreux hélas, sont au contraire sous-estimés. Pire, au terme d’un circuit amphigourique d’allocation de ressources, l’Administration reprend parfois une partie de ce qu’elle octroie, en instituant  des réfactions peu compréhensibles. Entre autres exemples, les tarifs des séjours hospitaliers sont ainsi grevés d'étranges coefficients consistant à les rogner pour constituer des enveloppes supposées être redistribuées ici ou là afin de pallier certaines inégalités ou disparités.
En fin de compte la régulation prix-volumes appliquée par l’Etat consiste à diminuer par tous les moyens la facture liée à l’activité, à mesure qu’elle croît, pour rester dans le cadre annuel fermé du fameux Objectif National des Dépenses de l’Assurance Maladie (ONDAM). Il s’agit in fine, d’endiguer le coût de la médicalisation croissante de la société, favorisée paradoxalement par ce même Etat, qui n’a de cesse de vanter l’accès gratuit aux soins pour tous...
Parallèlement à la baisse des tarifs, de grands plans étatisés contraignent les établissements à réduire de manière drastique la durée des séjours, à transformer quantité de ces derniers en venues sans nuitée (on appelle ça le “virage ambulatoire”), et à faire évoluer l’hospitalisation de jour vers des prises en charge toujours plus légères, s’apparentant à de simples consultations externes.
Si cette logique n’est pas mauvaise en soi, elle devrait découler avant tout des progrès techniques et de l’appréciation médicale du risque plutôt que de diktats décrétés ex cathedra. Elle suppose en effet une adaptation progressive et délicate des structures prodiguant les soins. Au surplus, celle-ci n'est pas sans conséquence financière car la valorisation des prestations est inversement proportionnelle à leur lourdeur.
Ainsi, l’éventail descriptif des prestations, ce qu’on appelle en jargon technique le case-mix, se décale vers les moins rémunératrices. En fin de compte, contrairement à une idée reçue, l’activité des hôpitaux n’est pas en baisse, elle évolue…

Face à cette mutation à marche forcée, aux conséquences mal anticipées, le service public n’a guère de marge de manœuvre pour se restructurer. Il est soumis à un régime ubuesque d’autorisations pour faire évoluer son organisation et il lui est interdit de toucher à la masse salariale qui représente environ 70% des charges. Le challenge est donc inatteignable et les économies se réduisent à des bouts de chandelle. Pour gagner un peu de souplesse en matière de gestion des ressources humaines, les contrats précaires de type CDD se multiplient de manière scandaleuse...
A ce jeu insane, faussé par les grands principes idéologiques dont la France est friande, s’ajoute le fait qu’une partie importante de l’activité échappe toujours à la T2A. Il en est ainsi des secteurs de Soins de Suite et de Réadaptation (SSR), toujours soumis au principe de la Dotation Globale. D’autres missions, dites “d’intérêt général”, sont financées par des enveloppes octroyées au bon vouloir des Agences Régionales de Santé, mais sans corrélation évidente avec les coûts qu'elles sont supposées couvrir. Enfin, il faut savoir que le tarif d’un séjour hospitalier, lorsqu’il n’est pas "remboursé à 100%” par l’Assurance Maladie, relève encore des antiques prix de journées, pour le calcul du "ticket modérateur", à la charge du patient ou de sa mutuelle !
Au total, s’agissant de la gestion des établissements publics de santé, toutes les strates des systèmes successifs continuent donc d’exister dans la plus grande confusion. L’ensemble du système est devenu si complexe qu’il donne l’impression de ne plus être maîtrisé par personne. Il est générateur d’une bureaucratie en inflation permanente. Dans les hôpitaux, les services logistiques ne cessent d’accroître leurs effectifs et le temps passé par les soignants à des tâches administratives augmente sans fin. Il faut savoir que les établissements sont soumis à des normes de sécurité ou de qualité draconiennes, confinant parfois à l'absurde lorsqu'elles interdisent a priori la pratique de certaines activités, au motif que le nombre de patients traités est jugé trop faible ou bien que les ratios légaux de personnel par lit ne peuvent être garantis, faute de moyens.
Face à cette usine à gaz invraisemblable, la ministre de la santé Agnès Buzyn ne semble pas avoir l’intention de simplifier les choses mais au contraire d’ajouter de nouvelles complications et de nouvelles réglementations lorsqu’elle évoque notamment “des financements aux parcours, à la qualité, à la pertinence des soins et des actes…”

Il faut enfin ajouter à cet incessant remue-ménage budgétaire, de nouvelles directives légales qui imposent désormais aux établissements de se regrouper et de mutualiser leurs ressources. Il s’agit de constituer, dans le cadre de nouvelles entités géographiques créées pour la circonstance, ce qu’on appelle les “Groupements Hospitaliers de Territoires” (GHT). La mise en place de cette machinerie demandant à des hôpitaux parfois distants de plusieurs dizaines de kilomètres, de travailler ensemble sans pour autant fusionner, est mal comprise sur le terrain et génère pour l’heure une foultitude de dépenses supplémentaires. Les “économies d’échelles” promises par les Pouvoirs Publics, pour illusoires qu’elles soient probablement, sont sans cesse repoussées, tant la réorganisation s’avère laborieuse. Nombre de patients et de personnels sont désormais quotidiennement sur les routes. Pour les premiers, les soins coûtent de plus en plus cher car le beau  principe théorique de “gradation des soins” impose en pratique bien souvent qu'ils soient prodigués sur plusieurs établissements successifs, avec toutes les redondances que cela suppose. S’agissant des soignants, ils sont également contraints de se partager sur plusieurs sites pour pallier le manque de praticiens dans les petites structures. Ils sont donc contraints à des déplacements incessants, pour les soins mais également pour assister à des réunions à n’en plus finir, car aux instances de chaque établissement s’ajoutent de nouvelles, à l’échelon territorial ! Au temps perdu s’ajoute le sentiment de disperser son énergie à tous vents.
Dans cette centralisation qui ne dit pas son nom, plutôt que de favoriser les télécommunications, on a décrété que les GHT devaient être dotés de systèmes d’informations "convergents", ce qui oblige à passer des marchés colossaux pour remplacer les logiciels existants par d’autres de plus en plus complexes, puisqu’il faut gérer de manière “communautaire” les identités, les mouvements et les dossiers médicaux. Leur fonctionnement, soumis à des cahiers des charges monstrueux, est grevé d’aléas et de bugs auxquels il n’est plus possible de remédier localement car la maintenance, comme nombre de services, est externalisée. Les hôpitaux-clients deviennent captifs de fournisseurs peu réactifs, car de moins en moins soumis à la concurrence, lorsqu’ils ne sont pas tout bonnement dépassés par l’ampleur de la tâche..
Quant à la mutualisation des achats, qui figure parmi les objectifs de cette réforme, elle s’annonce très délicate, bridée par un code des marchés publics des plus rigides, et promet une perte d’autonomie pénalisante pour les plus petits établissements. Rien ne dit que les fameuses économies soient au rendez-vous, sachant par expérience que les coûts de fonctionnement diminuent rarement avec l'accroissement de la taille des structures.

Au total, le système hospitalier français se trouve dans une situation absurde, obligé en quelque sorte d’appuyer en même temps sur le frein et l'accélérateur. D’un côté on le pousse à dépenser toujours plus, et de l’autre on serre chaque année davantage la vis budgétaire. Malgré le déficit actuel, la ministre de la santé a demandé la mise en œuvre d’un nouveau plan d’économies de 1,6 milliards d’euros en 2018. Paradoxe étonnant, la plupart des gens croient toujours de bonne foi que la santé est gratuite dans notre pays !
Il y a décidément quelque chose de pourri dans le modèle social à la française... Et ce n'est sans doute pas la T2A !

29 décembre 2017

Entre Trump phobie et Macron mania

L'année 2017 aura vu l'arrivée du pouvoir de deux personnages hors normes, Donald Trump aux Etats-Unis puis Emmanuel Macron en France.
Election improbable pour ces deux là. Et pourtant…

Tous deux sont parvenus aux sommets de leurs pays respectifs au terme d’une campagne éclair, favorisée par l’effondrement des partis traditionnels et par l’usure de figures trop ancrées dans un morne et inerte paysage politicien.
Bien qu’ils aient chacun revendiqué un positionnement à l’écart de l’Establishment, ils en sont pourtant originaires sans nul doute tous les deux. S’ils sont neufs en politique, ils sont tous deux issus de la haute société et il n’est pas abusif de dire qu’après être nés avec une cuiller en argent dans la bouche, ils bénéficièrent largement du système qu’ils entendent désormais combattre.
Mais de quel système s’agit-il, c’est bien là tout le problème.

La haine anti-Trump qui déferle jour après jour sur ce président pourtant démocratiquement élu, démontre bel et bien qu’il incarne une rupture, au moins face à cette partie de l'opinion qui le rejette violemment. Bien qu’elle fut spectaculairement mise en échec par les urnes, c’est manifestement la plus bruyante. C'est celle qui détient l’essentiel du pouvoir médiatique, qui peut par exemple donner un écho international au moindre rassemblement d’imbéciles vociférant, même s’il ne compte que quelques individus. Ou qui se jette avec une avidité consternante sur le moindre des tweets que le président adore leur jeter en pâture.
Le mainstream aujourd’hui, c’est celui qui s’exprime à longueur de journées urbi et orbi, assénant au marteau pilon, un seul message partisan. Lors de l’élection de Trump, les sondeurs qui ne l’avaient pas vu venir avaient soi-disant tiré la leçon de leur erreur. En réalité, des mois durant, l’écrasante majorité des médias avaient pris position pour Hillary Clinton. On pourrait même affirmer qu’ils avaient massivement tenté de discréditer le candidat républicain, au point d’avoir pris leurs désirs pour des réalités et entériné par avance son échec. On avait déjà vu pareille campagne de presse à l’encontre de George W. Bush en 2004. Avec le même piteux résultat.
S’il est un constat réconfortant à porter au crédit de la démocratie, c’est bien la capacité du peuple à déjouer les menées partisanes de ce Pouvoir médiatique et à voter en toute indépendance.

Depuis l’élection de Trump le déferlement d’insultes et de diatribes est loin d’avoir cessé.
Chaque mot, chaque geste est scruté, disséqué et aussitôt dénigré ou bien ridiculisé. La Presse française n’est hélas pas en reste dans cette entreprise d’accusation systématique. Politique migratoire, intérieure, internationale, tout est sujet à raillerie. Lorsqu’on ne compare pas le président américain à Hitler ou au tyranneau nord-coréen Kim Jung Un, c’est pour en faire un odieux personnage, vulgaire, raciste, misogyne, voire un déséquilibré mental que certains vont jusqu’à souhaiter publiquement voir assassiné...
On attaque par tous les côtés, au moyen d’accusations fantaisistes ou carrément inventées. On a essayé de le déstabiliser en mettant en doute sa probité de chef d’entreprises bien sûr. On l’a accusé d’harcèlement sexuel, crime des plus abjects par les temps qui courent. On a monté une soi-disant affaire russe qui est en train de se dégonfler et de se retourner contre les brillants stratèges qui l’ont conçue. En définitive, rien n’a permis d’étayer sérieusement les insinuations et accusations qui fusent sans discontinuer.
Le gars tient bon et mène sa barque envers et contre tout.
Faute de pouvoir le faire chuter on a essayé de freiner son action. Pour une fois qu'un élu s'attache à mettre en œuvre son programme, on s'ingénie à l'empêcher de le faire. Tous ses décrets visant à lutter contre le terrorisme et l'immigration clandestine, ont été contestés ou bloqués. Sa contre réforme du système de santé a été amendée parfois par des gens de son propre camp.
Aujourd’hui les ligues de vertu s’étranglent de stupeur à la suite de sa décision de conférer une fois pour toute à Jérusalem le statut de capitale de l’Etat Israélien. Le chœur des représentants irresponsables de l’ONU s’en émeut mais il n’en a cure. Ces gens là sont incapables de la moindre décision et font preuve d’une telle lâcheté, qu’il passe outre sans vergogne. Après tout, il n’a pas à rougir de cette décision validée par la même ONU en 1949, jamais appliquée depuis cette date.
Comme il n’a pas rougir de son action au Moyen-Orient qui a contribué à combattre le fanatisme islamique en Syrie et en Irak. Il n’a pas à avoir honte d’être le seul à s’opposer ouvertement à la Corée du Nord. Hélas, c’est sans doute un peu tard, mais à qui la faute si ce n’est celle des pleutres qui depuis un demi siècle ont laissé s’asseoir et perdurer cette immonde dictature. Les mêmes ont abandonné à leur triste sort le Vietnam, le Cambodge, le Rwanda, la Somalie, l’Erythrée, Cuba, le Venezuela, l’Iran et tant d’autres malheureux pays...
Envers et contre tous les donneurs de leçons, Trump agit conformément au programme sur lequel il a été élu. S’il n’a pour l’heure réussi à enrayer qu‘en partie la machine infernale de l’Obamacare, il enregistre des progrès significatifs dans la lutte contre l’immigration clandestine. Et en France on pourrait envier l’audacieuse réforme fiscale qu’il est en train de mettre en place...

Alors que l‘impopularité de Donald Trump atteint en France des sommets vertigineux, c’est un des mérites d’Emmanuel Macron que d’accorder au président américain la considération qu’il mérite. S’en inspire-t-il c’est une autre histoire…
Le contexte français est si différent de celui qui règne outre atlantique.
A l‘inverse de Trump qui est entré de force dans le jeu politique, Macron l’a fait en douceur. Il a su exploiter habilement l’affaiblissement de partis sclérosés, incapables de se réformer. S’il a joué comme Trump de la rupture avec le système, Macron l'a fait en nuances, et sans doute davantage dans les mots que dans l’action.
Il n’eut pas contre lui la majorité des médias, bien au contraire. En dépit de quelques gaffes, il surfa sur la vague populaire qu’engendra sa jeunesse, sa modernité et son apparence décomplexée. Il tira profit de l'ambiguïté, se situant “en même temps” à droite et à gauche. Position délicate qu’il continue d’adopter eu égard à la nature contrastée mais fragile de la nouvelle majorité sur laquelle il assied sa légitimité et son pouvoir.
Il n’est pas certain que cela puisse être tenu très longtemps, car le temps de l’action ne saurait trop être différé. Dans un contexte international très favorable, la France est en fâcheuse situation. Si elle ne profite pas de cette conjoncture pour se réformer en profondeur, sans doute ne pourra-t-elle plus le faire avant longtemps.

En dépit d’un vent d’optimisme qui souffle dans les voiles, le navire paraît bien trop lesté pour avancer vraiment.
Si le président français manie avec dextérité le langage, et s’il ose parfois sortir de l‘ornière de la correction politique, s‘il ose décocher de ci de là quelques vérités bien senties, marquées au coin du bon sens et du pragmatisme, les premières actions concrètes s’apparentent davantage à des demi-mesures. Par exemple, la refonte du code du travail dans lequel on peine à distinguer de vrais changements. Ou bien la fiscalité qui ne cesse de s’alourdir tandis que les annonces restent nébuleuses : la transformation de l’ISF en IFI, l’abolition partielle de la taxe d’habitation sont les deux principales, qui restent bien insuffisantes pour convaincre d’un vrai changement.
En politique étrangère, notamment européenne, le président a un style et une approche qui font de l’effet, mais pour combien de temps si rien ne vient donner corps aux belles paroles ?

2018 sera peut-être l‘année de vérité pour ces deux hommes dont on parle beaucoup, mais qui n‘ont à ce jour pas livré tout ce dont on les espère capables…

10 décembre 2017

C'est Tocqueville qu'Onfray torture

Après avoir injustement maltraité le vénérable Kant, Michel Onfray s’attaque aujourd’hui méchamment à Alexis de Tocqueville (1805-1859).
Avec son récent ouvrage Tocqueville et les Apaches, il entreprend en effet selon son point de vue, de démythifier ce merveilleux penseur de la démocratie et de la liberté.

Disons-le d'emblée, les maux dont il l’accuse sont absolument imaginaires, inventés de toutes pièces, et le portrait qu’il en fait est une infâme caricature dénaturant totalement le message pourtant limpide et lumineux du meilleur analyste politique que la France enfanta.

Il commence sa pesante digression par un troublant aveu : “Longtemps je n’avais lu de Tocqueville, que son Ancien Régime et la Révolution Française. C’était au temps de la pleine mode du philosophe libéral et j’avais opté pour ce texte parce que banalement, la furieuse révolution française m’intéressait plus que la banale démocratie en Amérique.”

Tout est dit ou presque. Onfray, qu’il est convenu de considérer comme un grand intellectuel de ce temps, ignorait tout simplement “De la Démocratie en Amérique”, à l’instar des malheureux écoliers passés par la machine à décerveler de l’Education Nationale !
Plus grave encore, il considérait (mais faut-il mettre cela au passé) la fabuleuse aventure américaine, comme quelque chose de banal, tandis qu’il se passionnait pour les horreurs de notre exécrable révolution…

Devant tant de misère, je me suis demandé s’il était nécessaire d’aller plus loin. J’aime la polémique et les querelles intellectuelles. Et bien qu’étant en constant désaccord avec les théories d’Onfray, je ne peux m’empêcher d’en suivre le parcours brillant, ne serait-ce que pour mieux forger à ce feu dévastateur, le fer de mes arguments. Il n’y a pas tant de penseurs à notre époque, depuis la disparition de Jean-François Revel et de René Girard.

Mais même si Onfray écrit bien, il est impossible de suivre le rythme effréné de ses publications. J’ai depuis de longs mois son interminable Cosmos sur ma table de nuit, second volet d’une fastidieuse trilogie messianique... En définitive je préfère me consacrer à ses opuscules, qu’à ses pavés. Logiquement, j’ai autant de chances d’y cerner son raisonnement et j’économise du temps. “Dieu préserve ceux qu’il chérit des lectures inutiles” disait Lavater….

Hélas, cette fois encore, la déception est grande. Dans ce qu’il faut bien appeler un pamphlet anti-Tocqueville, c’est bien simple, tout est faux ou à contresens.

Onfray commence à faire de notre fameux Normand un homme “de Gauche”, ce qui est une première approximation, pour ne pas dire davantage. Certes il voulut siéger sur les bancs de gauche à l’Assemblée Nationale, mais il fut on ne peut plus clair sur son engagement : “Je n'ai pas de traditions, je n'ai point de parti, je n'ai point de cause, si ce n'est celle de la liberté et de la dignité humaine”
Sa détestation du socialisme naissant ne faisait aucun doute. Onfray l’admet d’ailleurs, mais juste pour en faire un traître à l’Idéologie que lui-même continue de vénérer, envers et contre toutes les calamités dont elle est responsable.
A la vérité, Onfray cherche toujours l’introuvable socialisme au travers de ses lubies hédonistes, aux relents vaguement proudhoniens. Toujours déçu, toujours frustré, il alla jusqu’à frayer avec les communistes révolutionnaires de Besancenot et se déclare avec constance et opiniâtreté anti-libéral ce qui est un non sens pour quelqu’un se vantant par ailleurs d'être libertaire.

J’avais caressé un petit espoir que la lecture de Tocqueville l’amène à changer d’avis voire, ce qui eût été paradoxal pour cet athée notoire, à se convertir... Il n’en fut rien évidemment. 

Bien qu’il rédigea il n’y a pas si longtemps une première analyse plutôt élogieuse, à l’occasion de l’inauguration de la médiathèque de Caen, intitulée “La Passion de la Liberté”, il revient avec ces Apaches à ses vieux démons et brandit de plus belle sa rhétorique lapidaire pour démolir au sabre celui qu’il aurait tout à coup (re)découvert.
Quelques exemples devraient suffire à objectiver le caractère partisan et captieux de cette entreprise.
Passons sur l’amalgame idiot qui consiste à associer Tocqueville au mitterrandisme, au motif que “les années mitterrand sont celles de la seconde naissance de Tocqueville”, permettant lorsqu'on est de gauche, "de penser comme à droite pourvu qu’on soit libéral.”
S’il est vrai que certains mitterrandolâtres se sont réclamés de Tocqueville, c’est par ignorance crasse de sa philosophie et pour donner l’illusion d’une ouverture à leur programme bouffi de contradictions et de partis-pris. Les Socialistes français n’ont évidemment jamais rien eu à voir avec le libéralisme et ils n’ont rien de commun avec le bon Tocqueville. Leur manie insane de découper la liberté en tranches, dont ils font mine de retenir certaines (le libéralisme philosophique) tandis qu’ils rejettent les autres (notamment l’économie) démontrent qu’ils n’ont rien compris à la pensée libérale. Qu’on le veuille ou non, Tocqueville s’inscrit dans une lignée qui comprend des gens comme Turgot, Say, Bastiat et autres économistes distingués.
 
Onfray enferme comme on le sait, sa propre conception dans cette impasse.
Pire, il reprend peu ou prou les antiennes débiles de Sartre, en s’attaquant à
Raymond Aron qu’il accuse d’avoir “poussé Tocqueville comme on pousse un veau aux hormones”. Cuistrerie consternante dont il remet une couche, en affirmant même qu’il “s’en est servi comme d’une machine de guerre pour combattre Marx, le marxisme, le stalinisme, le soviétisme.”
En l’occurrence, ce dont s’est scandalisé Aron, c’est qu’on ait pu ignorer Tocqueville au profit de Marx dans les milieux éducatifs et universitaires français. Force est de constater que la propre école d’Onfray n’a pas fait mieux…

Malheureusement, à ces contre-vérités sur la vraie nature du libéralisme, Michel Onfray ajoute une grosse louche de mauvaise foi en assénant que Tocqueville aurait été “Raciste, ségrégationniste, colonialiste”, qu'il ne concevait le libéralisme qu'à condition d'être "blanc, homme, chrétien, et d'origine européenne" et “qu’il estimait que le massacre des Indiens obéissait à la Providence...”

Mais comment a-t-il donc lu l’oeuvre dont il trahit de manière aussi éhontée l’esprit ? Comment peut-il occulter des pans entiers du discours qui affirme entre mille autres citations : “l’esclavage déshonore le travail, il introduit l’oisiveté dans la société et avec elle l’ignorance et l’orgueil, la pauvreté et le luxe. Il énerve les forces de l’intelligence et endort l’activité humaine”
Comment ose-t-il tronquer une partie du propos pour tenter d’assimiler les constats de Tocqueville sur l'Amérique à des opinions ?
Par exemple, il extrait sournoisement du chapitre traitant des “trois races aux Etats-Unis”, une phrase dont il fait le pilier fondateur d’une pensée perverse : “parmi ces hommes si divers, le premier qui attire le regard, le premier en lumière, en puissance, en bonheur, c’est l’homme blanc, l’Européen, l’homme par excellence; au dessous de lui paraissent le nègre et l’Indien.”
Il se garde bien de citer ce qui suit et qui donne tout son sens à l'ensemble, attestant notamment de l’absence de complaisance de l’auteur pour ce qu’il voit de ses propres yeux : “Ces deux races infortunées n’ont de commun ni la naissance, ni la figure, ni le langage, ni les mœurs. Leurs malheurs seuls se ressemblent. Toutes deux occupent une position également inférieure dans le pays qu’elles habitent; toutes deux éprouvent les effets pervers de la tyrannie; et si leurs misères sont différentes, elles peuvent en accuser les mêmes auteurs…”

Ainsi, Onfray qui faisait le reproche au biographe Jean-Louis Benoit, dont il s’était inspiré pour son premier ouvrage, de s’être “contenté de morceaux choisis à dessein”, pour présenter Tocqueville comme “un auteur fréquentable”, commet une faute bien plus terrible. Il se permet de caviarder le texte qu’il commente pour n’en faire ressortir que des éléments à charge. Ce faisant, il agit comme un censeur des plus vils, voire un inquisiteur cherchant à produire l'aveu de crimes fabriqués.

Malheureusement, tout l’ouvrage est de cette même eau, trouble et polluée.
Comme s’il avait une intention préconçue de déformer le propos à seule fin de le rendre odieux, et de le discréditer définitivement aux yeux des naïfs qui n’auront pas le courage de vérifier les assertions à l’emporte pièce qu’il balance à tour de bras.
A moins qu’il ne soit passé complètement à côté du message, ce qui n’est pas impossible, tant il paraît encore encombré par ses œillères idéologiques.
Dans les deux cas c’est rédhibitoire pour un philosophe prétendu clairvoyant et honnête…

07 décembre 2017

Necrostalgia

Selon Victor Hugo, la meilleure façon d’avoir raison c’est d’être mort.
Le grand homme incarna cet adage, qui souffrit de son vivant de l’exil, et qui eut droit à de somptueuses funérailles nationales.
Cette semaine, les assauts de louanges qui suivent la disparition de Jean d’Ormesson et dès le lendemain, celle de Johnny Hallyday, confirment le constat de l’auteur des Misérables.
Certes ces deux là furent plutôt choyés de leur vivant par l’opinion publique. Mais il n’en fut pas toujours ainsi et bien que leurs destins respectifs soient plutôt éloignés, ils se ressemblent à maints égards.

Ils prêtèrent le flanc à la critique, l’écrivain pour son engagement à droite et son côté vieille France, le chanteur pour ses manières un tantinet rustiques et son style jugé parfois un peu ringard.
Tous deux surent pourtant esquiver ces moqueries en les acceptant de bonne grâce, avec une indifférence classieuse, désarmante. Ce faisant, ils réussirent à se faire respecter de tous y compris de l’intelligentsia…

Si aucun des deux ne révolutionna le genre dans lequel ils firent carrière avec succès, chacun fit ce qu’il put pour servir son art de son mieux. Il y eut certainement la même sincérité dans l’amour de la littérature de l’un et dans la passion du rock ‘n roll de l’autre. Les deux durent leur célébrité à un charisme exceptionnel, l’un dans les salons parisiens, l’autre sur les scènes de ses concerts. Nul doute qu’ils procurèrent du plaisir à leurs publics respectifs et leur respectable longévité n’est pas le moindre de leurs talents.

Mais si pour paraphraser Jean d'Ormesson, on peut dire malgré tout que leur vie fut belle, que restera-t-il dans les mémoires ?
L'auteur de la Gloire de l'Empire écrivit beaucoup mais ses romans laissent le goût de l’eau de rose, déjà quelque peu évaporé, et les idées qu’il développa dans ses nombreux ouvrages philosophiques sont aussi légères que des papillons. Tout ça s’envole avec grâce mais sans lendemain. On dit qu’il excellait dans l’art de la conversation, mais son style était fait de pirouettes et de mots d’esprit. Pour élégants qu’ils fussent, ils n’ont pas de vraie trajectoire et peu de consistance durable hélas.
Johnny Hallyday fut parait-il le Elvis français, c’est tout dire. En dépit d’une voix de stentor qu’il savait faire vibrer avec beaucoup d’expressivité et parfois même de tendresse, il restera sans doute comme un suiveur de modes. Après avoir adapté nombre de standards américains, il sut faire appel à de bons auteurs compositeurs qui lui permirent d’inscrire quelques titres qui résonneront longtemps dans les oreilles françaises:  Que Je T'aime, l'Envie d'Avoir Envie, Retiens La Nuit, Laura, Quelque Chose de Tennesse...
Mais françaises, car si tous deux trouvèrent la gloire chez eux, s’ils résument un peu l’esprit d’un pays, ils ne parvinrent pas à le faire rayonner à travers le monde.

Aujourd’hui, les hommages pleuvent. Il faut dire que notre époque n’a plus guère de héros, pour reprendre le mot du Président de la République, et les médias sont à cours de sujets mobilisateurs. Tout le gratin rapplique pour apporter force témoignages larmoyants. Ainsi va le monde….

Tout bien pesé, si Dieu existe, il les enverra sans doute au Paradis car ils ont fait beaucoup plus de bien que de mal à leurs contemporains...