12 juin 2006

Encore une révolution à la française...

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Le rapport récent du Conseil National de la Chirurgie contient tous les ingrédients du scénario catastrophe à la française : sur fond de révélations explosives, fondées sur des chiffres approximatifs ou sur des assimilations grossières, et au nom de « l'égalité des chances », on brandit l'urgence d'une énième révolution culturelle, faisant table rase de tous les principes qu'on avait jusqu'alors érigés en dogmes.
Même si les têtes ne doivent plus tomber qu'au sens figuré, les dégâts provoqués par les Fouquier-Tinville de la Santé Publique risquent toutefois d'être considérables.
Comment imaginer autrement lorsqu'on lit que « certains hôpitaux de proximité maintiennent des services de chirurgie qui ne répondent pas aux critères de sécurité, de qualité et de continuité des soins », avec « des chirurgiens formés sans que l'on ne sache vraiment comment ni par qui » ?
Comment minimiser la portée d'un rapport qui préconise la fermeture « sans délai » de 113 des 486 Blocs opératoires hospitaliers publics soit plus de 23% ?
Le ministre, pourtant commanditaire du rapport a beau feindre l'étonnement et rassurer en affirmant qu'il n'a « pas de plan pour fermer tel ou tel hôpital ou tel ou tel bloc chirurgical », le mal est là et ses ravages ne font que commencer.
Sur le terrain les menaces vont en effet se préciser, semant panique et incompréhension. Songez donc : dans certains départements, l'application de ces nouvelles oukases pourrait entraîner rapidement la fermeture de tous les blocs publics à l'exception d'un seul, qui deviendrait de fait une sorte de monstrueux kolkhoze sectoriel !

Après avoir été bassinés des années durant avec la décentralisation et depuis quelque temps avec les exploits de la télémédecine, on croit rêver. Car derrière ce tohu-bohu provocateur, abondamment relayé par les médias, maniant une phraséologie ambiguë, à la fois dénonciatrice et condescendante, on retrouve la bonne vieille manie planificatrice et centralisatrice si caractéristique de notre pays.
Ce sont parfois des plateaux technique quasi neufs qu'ont s'apprête à déserter, au mépris de tous les arguments plaidant contre la concentration des structures.
Tous les outils de gestion médico-économique démontrent en effet clairement que les difficultés financières croissent proportionnellement avec la taille des établissements. Ces derniers jours on apprenait par exemple que 18 des 31 Centres Hospitalo-Universitaires (CHU) étaient gravement déficitaires, en dépit des dotations budgétaires colossales qu'ils engloutissent chaque année. On sait d'autre part, qu'ils sont chroniquement saturés par les afflux croissants de patients se pressant à leurs portes. La déliquescence de la médecine de ville, la montée des problèmes sociaux, le rejet de la vieillesse, mais aussi le démantèlement des petits hôpitaux, tout se conjugue pour faire de ces mégalopoles de véritables trous noirs happant la plus grande partie des ressources dévolues à l'hospitalisation.
Leurs frais de fonctionnement sont vertigineux. On y consomme notamment des quantités énormes de « ressources humaines ». Si les chiffres avancés dans le rapport Vallancien sont exacts, ils sont manifestement détournés car tout porte à croire que ce n'est pas dans les petits établissements, mais au sein des CHU et des gros hôpitaux que « Les anesthésistes sont près de deux fois plus nombreux, les auxiliaires anesthésistes dix fois plus, les infirmières spécialisées de bloc opératoire deux fois plus » que dans les cliniques privées !

Le système de santé ne va pas fort en France c'est un fait. Mais à qui la faute ?
Les bons conseilleurs n'hésitent pas aujourd'hui à sacrifier leurs propres collègues au nom d'axiomes douteux. Ils fixent d'arbitraires seuils d'activité assujettissant l'art médical aux règles de la productivité industrielle et mélangent dans le même sac des problématiques qui n'ont quasi rien à voir entre elles. Ils proposent par la voix de leurs sociétés savantes des normes de fonctionnement « optimal » à peu près inapplicables sur le terrain tant elles sont dispendieuses. A l'inverse, il y a quelques années ils exigeaient la réduction du nombre de médecins, par le biais d'un numerus clausus drastique à l'entrée des études médicales, dont on subit aujourd'hui les effets néfastes. Paradoxalement, ils refusaient dans le même temps vigoureusement de déléguer certaines tâches aux professions paramédicales. L'allongement des délais d'attente dans nombre de spécialités en est la triste conséquence.
Tout cela n'est vraiment pas très sérieux. L'Histoire nous a appris maintes fois que les schémas d'organisations fondés sur des principes théoriques étaient désastreux. Lorsque des médecins contribuent à nourrir ce planisme bureaucratique c'est touchant mais c'est grotesque. Que peuvent-ils attendre en effet de ces inepties qu'on croyait à jamais oubliées ? Le système de santé craque de toutes parts, il croule sous le poids de réformes incessantes, empilées à la manière de strates inextricables, toutes plus saugrenues les unes que les autres.
Il y a quelques mois la Tarification à l'Activité était promulguée à grands frais pour remplacer le Budget Global et simplifier paraît-il, les règles de gestion. Aujourd'hui personne ne semble maîtriser ce dispositif mal conçu et les contraintes s'accumulent, visant à limiter l'activité. On en vient à imposer des Objectifs Quantifiés ubuesques plafonnant par avance sur 5 ans le nombre des hospitalisations !
Jamais la gestion des hôpitaux n'a été plus complexe ni plus hasardeuse qu'à l'instant présent. Bon nombre d'entre eux ne parviennent même plus à établir un budget lisible !
Il y a dix ans à peine on faisait mine de découvrir, près d'un siècle après les Américains, la Démarche Qualité. Les Pouvoirs Publics mettaient aussitôt en oeuvre une pompeuse mais technocratique Accréditation des établissements de santé supposée garantir de manière objective la bonne réalisation des soins.
Mais à quoi bon toutes ces gesticulations épuisantes puisqu'au bout du compte, on finit par juger les gens sur un et un seul indicateur, aussi fruste que le volume brut d'activité ?

Publié dans le Quotidien du Médecin 10/5/06

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