16 novembre 2007

In memoriam Norman Mailer


Norman Mailer (1923-2007), représente à lui seul, tout un courant de pensée très répandu, celui de la gauche bourgeoise occidentale, bien pensante mais dévorée par la mauvaise conscience. Il illustre ainsi en quelque sorte paradoxalement l’anti-américanisme autochtone dont les héritiers comptent actuellement des gens comme Noam Chomsky ou Michael Moore. C’est probablement un peu en raison de cette auto-flagellation permanente qu’on l’adore à l’étranger et tout particulièrement en France, dans les milieux « branchés ».
Bien sûr, il n’y a rien d’obligatoirement choquant à émettre une opinion négative sur son propre pays. Mais le caractère systématique, quasi prévisible, des diatribes finit paradoxalement par renforcer indirectement la thèse inverse à celle soutenue au départ. Le vrai risque est peut-être même de déclencher par effet de balancier, un mouvement en sens contraire tout aussi outrancier que le sien.
Mailer, sous des allures « progressistes », condamna en réalité son talent à végéter dans un jus acre, mélange de mauvaise foi et de mauvaise conscience. Il s’exprima avant tout par l’art de donner des leçons malgré (ou pour masquer) l’erreur quasi permanente dans laquelle il s’obligea en quelque sorte à évoluer, vus les préjugés à partir desquels son jugement se construisait.
Reprenant un pont-aux-ânes hélas classique (interview pour la chaîne de TV NBC en 1999), il révéla avoir été profondément influencé par Marx, faisant des théories du barbu doctrinaire le centre de gravité de toute pensée. Cela le conduisit, par une étrange hémianopsie, à occulter définitivement quantité de penseurs plus pertinents, automatiquement qualifiés de déviants.
Sa vision manqua singulièrement de perspective et presque invariablement son opinion resta au ras des choses.
Il haissait les « bons Américains », ceux-la même qui malgré leurs défauts ont fait de l’Amérique ce qu’elle est, mais il fut un peu court dans les propositions alternatives. Pas de projet, guère d’aspiration précise et l’obligation de faire machine arrière, à chaque fois que le cours des évènements lui donna tort. Et les désaveux furent nombreux dans son parcours intellectuel ! Exemple, pour mieux porter son idéal de Gauche, il fut candidat à la mairie de New York, dont il qualifia lui-même les habitants de « gens biens » ; résultat, il fut battu à plate couture, ne réunissant qu’à peine 6% des suffrages.
Il se prétendit avant-gardiste mais il réussit à s’attirer les foudres des mouvements féministes, en raison de propos maladroits voire, de son propre aveu, idiots. Pire, il faillit même assassiner sa propre femme d'un coup de couteau un soir de beuverie (la seule action qu'il avoua regretter)...
Ses prises de position très critiques face au système judiciaire de son pays témoignèrent également du caractère hasardeux de son jugement. Il usa par exemple de toute son influence pour obtenir la libération conditionnelle d'un voyou, un certain Abbott, lequel ne trouva rien de mieux à faire que d’assassiner un homme de sang froid quinze jours après sa sortie de prison !
Pour s’excuser, l’écrivain utilisa alors des arguments qui font insulte à son intelligence tant ils sont éculés. C’est naturellement la société qu’il jugea responsable de ne pas avoir su « accompagner » l’individu, pour permettre sa réinsertion harmonieuse. Lui même ne nia pas d’ailleurs, sa propre responsabilité ! Il pensait que « cela se passerait bien » !
Il recommença le même type d'erreur lorsqu'il prit, de manière lyrique et quelque peu ampoulée, la défense de Gary Gilmore à la fin des années 70 (Le Chant du Bourreau). Faisant fi des sanglots attendris de l'écrivain qui prétendait plaider sa cause, le condamné choisit résolument, non sans panache, non sans courage, la peine de mort plutôt que l'emprisonnement à vie...
En matière de politique internationale, sa clairvoyance ne fut guère meilleure. Revenant en 1984 d’URSS, Mailer avait acquis la conviction que cette dernière était inoffensive, car les gens étaient « fatigués, déprimés et incapables de faire la guerre ». Au moment où les Soviétiques hérissaient la frontière est-allemande de missiles SS20, et où ils occupaient sauvagement l’Afghanistan, ses propos avaient quelque chose de comique. Rarement époque fut plus dangereuse, mettant face à face un gigantesque conglomérat lézardé, ruiné mais surarmé d'un côté, et une Europe avachie dans la prospérité et le pacifisme de l'autre.
En somme, Mailer fut constamment déchiré, il aimait son pays et dans le même temps il reconnaissait le détester. Il ne supportait pas l’american way of life, mais ne pouvait s’en passer. Il fut en quelque sorte la mouche du coche, inutile et horripilante. Certes, il vénèra tout de même Kennedy, et lui attribua quantité de qualités, mais il lui fut d’autant plus facile de les citer qu’elles ne purent jamais se manifester par des réalisations concrètes, vu la brièveté de son mandat ! Il ne s’appesantit pas naturellement sur les frasques de sa vie privée, sur la désastreuse opération de la Baie des Cochons, ni sur les raisons qui le poussèrent a entraîner son pays dans le bourbier de la guerre du Vietnam…
En revanche, pas un président républicain ne trouva grâce à ses yeux partisans; Nixon fut qualifié d’habile gangster, Reagan était « creux comme une calebasse »…
Où donc résida son talent de visionnaire ? Il fut habité par une aigreur perpétuelle, ridiculisant tout ce qui portait une aspiration. Il aimait humer le fumet des décompositions, respirer l’odeur de l’abjection ; il avait comme une délectation morbide pour la fange (son tout dernier ouvrage sur Hitler, "Un Château en Forêt" en témoigne encore).
Il imaginait que tout n’est
dans ce bas monde, que complots, calculs et manigances. A cause de celà, il passa à côté des réalités, les découvrant toujours après coup, dans le rétroviseur. Ou bien jamais. A 84 ans, quelques semaines avant sa mort, il restait persuadé que le communisme était un danger inventé de toutes pièces par son pays en mal d'ennemi ! Tout comme l'islamisme de nos jours, pour servir d'alibi à la « guerre sainte » de George Bush ! Il osa même qualifier les attentats du 11 septembre 2001 « d'égratignure sur la carapace » de son pays au motif qu'ils ne firent que 3000 morts sur 300 millions d'habitants !
Mailer s’est beaucoup impliqué dans la vie intellectuelle et politique de son pays, mais de son œuvre touffue et pestilentielle, il risque fort de ne rester que quelques débris fumants, sans grande utilité pour comprendre l’histoire.

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