30 août 2019

Y a Urgences...

Comme il existe une multitude de couleurs dans l’arc-en-ciel, on pourrait définir quantité d’états différents derrière la notion d’urgence, en matière médicale s’entend.
Un de mes bons maîtres affirmait que le concept était tout simplement inexistant, et qu’il n’y avait en fait que des gens pressés ! Les médias qui vivent dans l’immédiateté nous ont habitués quant à eux à galvauder le terme. Leur dernière trouvaille est celle “d’urgence absolue” dont ils nous rebattent les oreilles à chaque événement traumatique émaillant l’actualité.
A travers le prisme du sensationnalisme, tout devient excessif et par la même, insignifiant. Dans la même logique, pour mieux faire sentir l’effet du chaud ou bien du froid on invente la notion de température “ressentie” qui ne veut objectivement rien dire. Peu importe, l’essentiel est de marquer les esprits !

Revenons à nos moutons. A la porte des hôpitaux se pressent donc tous les patients “urgents”, de celui qui se plaint d’un rhume ou d’un banal bobo à celui qui est victime d‘une vraie détresse vitale, en passant par la noria infernale des problèmes sociaux : alcoolisme et toxicomanie, dépression nerveuse, perte d'autonomie, maltraitance, violences…
Ils sont tous urgents, nécessairement pourrait-on dire, puisque les services destinés à les accueillir portent sur leur fronton, l’appellation emblématique “Urgences” ! A l’instar de la météo, l’urgence est désormais avant tout celle qui est ressentie. Dans l’esprit des “usagers” du système de santé, tout ou presque devant être résolu au plus vite, ils sont toujours plus nombreux à y recourir à toute heure du jour ou de la nuit, s’apparentant de plus en plus à un raz-de-marée, face auquel les malheureuses équipes soignantes et les structures paraissent de plus en plus débordées.

Le problème n’est pas nouveau. On pourrait même dire qu’il est récurrent. Pour avoir travaillé six années dans l’un de ces enfers, il y a déjà un quart de siècle, je me souviens qu’il était déjà plus qu’aigu à l’époque. C’est dire qu’il a peu de chances de trouver sa solution dans les propos lénifiants de madame Buzyn vantant une n-ième réforme, ni dans l’aumône de 100 euros qu’elle accorde en guise de prime aux personnels épuisés, démotivés, brisés parfois...

En caricaturant à peine, on pourrait affirmer que ce désastre a été organisé, voire planifié par les Pouvoirs Publics, à force de contraintes, de normes, de réglementations, de lois en tous genres. C’est tout le système qui s’asphyxie.
Plusieurs facteurs se conjuguent, mais on pourrait en retenir trois principaux :
- La centralisation bureaucratique tout d’abord qui a conduit à discréditer les structures de taille modeste. Faisant fi des progrès de la télémédecine, une vaste campagne d’intoxication intellectuelle fondée sur des principes fumeux a fini par imposer l'idée qu’on ne pouvait se faire bien soigner que dans de grosses usines hospitalières. Des normes de fonctionnement ubuesques, des règles de facturation aussi complexes qu’absurdes, ont accompagné comme à dessein ce procès d’intention et abouti à vider les petits hôpitaux de leur substance, faisant converger en rangs serrés les patients vers les grandes métropoles.
- En parallèle, la médicalisation excessive qui a été promue durant des décennies par l’État a eu pour conséquence une pénurie apparente de médecins. Dans ce contexte, la planification arbitraire de leur nombre par une sélection aride à l’entrée des études, fut une vraie catastrophe. Résultat, la France qui dispose d’un nombre de médecins plutôt plus élevé que la moyenne des pays de l’OCDE, est confrontée au constat affligeant qu’ils ne sont ni dans les bonnes spécialités, ni dans les bons endroits ! Facteur aggravant, dans le même temps, les professionnels para-médicaux, dont les études deviennent également de plus en plus sélectives, longues et ardues, n’ont bénéficié d’aucune délégation de tâches, a contrario de nombre de pays autour de nous. Les médecins “de ville” sont débordés par quantité de contraintes administrative et une bonne partie de leur temps de travail est consacrée à des actes anodins qui pourraient être aussi bien réalisés et à moindre coût par des infirmiers, des kinésithérapeutes, des orthoptistes etc… Les Urgences n’échappent pas à cette lourdeur organisationnelle et à cette surmédicalisation. SAMU, SMUR, services d’Urgences fourmillent de médecins mais souvent jeunes et donc exclus de beaucoup de responsabilités par des ukases légaux irréalistes, tandis que le nombre des plus expérimentés n’est jamais suffisant pour répondre à l’objectif inepte de "seniorisation", face à une demande de soins toujours plus pressante. Quant à leurs confrères installés en ville, ils rechignent de plus en plus à s'occuper des soins urgents. Confrontés au risque croissant de poursuites judiciaires, et revendiquant à juste titre le droit aux 35 heures, ils sont de plus en plus rares à accepter de prendre des gardes et adressent de plus en plus souvent les patients à l'hôpital, à la moindre difficulté. Ces derniers de leur côté, ont tendance à shunter désormais cette étape en s'y rendant directement...
- Enfin nombre de mesures gouvernementales fondées avant tout sur la démagogie, ont provoqué une déresponsabilisation générale. L’utopie de l’égal accès aux soins pour tous dont le tiers payant généralisé est une des clés de voûtes, fait des ravages. Plus personne ne paie directement ses médicaments en pharmacie et dans bien des cas les gens ignorent même totalement le coût des soins. Dans leur immense majorité, ils sont d’ailleurs convaincus, grâce à l’inconséquence de l’État Providence, que la santé est gratuite ! Pourquoi donc se priver ? Non seulement ils en abusent, réclamant les prestations les plus sophistiquées, souvent les plus onéreuses, parfois de manière itérative, et se montrant de plus en plus exigeants en termes de résultats.

Ce n’est donc de toute évidence pas le manque de moyens qui est en cause dans la crise actuelle des Urgences, contrairement à ce qu’on entend de la bouche de syndicalistes peu inspirés. Des moyens, les hôpitaux n’en ont pas manqué assurément. Ni matériels, ni humains. La plupart des établissements français ont fait l’objet de vastes programmes immobiliers et les équipes ont très largement été étoffées depuis un quart de siècle. A tel point d’ailleurs qu’on peine de plus en plus à trouver des candidats pour occuper les postes vacants et qu’il faut souvent aller les chercher à l’étranger. Au surplus, leur temps de travail s’est considérablement allégé, tant pour les médecins que pour les personnels non médicaux. Réduction du temps de travail, repos de sécurité, récupérations, ont assoupli les plannings et diminué le temps de présence au travail.
Pourtant, sur le terrain, les équipes sont de plus en plus mal en point, démotivées, en perte de repères et de sens dans leur métier, soumis à toutes sortes de pressions, de bouleversements, de réorganisations épuisantes, de restructurations douloureuses, et in fine, de frustrations. Qui saura mettre à plat ces problématiques et qui aura assez de courage et d’esprit pratique pour affronter une réalité qui se fait chaque jour plus dure à force de démissions, d’abandons, de laisser-aller ? C’est bien là toute la question...

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