28 mai 2008

Smooth Operator

De ses doigts en vibrant s'échappe la guitare... Et dans le silence de la nuit profonde, les notes s'égrènent en chantant avec une douceur veloutée.
Comme une neige imperceptiblement parfumée, tombant moelleusement sur les grands arbres de Central Park, comme le bruit chuinté de patineurs qui s'élancent sur la glace en cabrioles joyeuses...
Mais dans la nuit, le jazz qui enrobe en réchauffant les âmes esseulées, s'évapore trop vite, avec les volutes suaves des fumées de cigarettes.
Maudite fumée qui sans doute causa la mort du musicien, foudroyé par une crise cardiaque à 45 ans.
Sa vie s'apparente à une trajectoire éphémère mais étincelante, qui cache dans sa clarté un nombre infini d'heures de travail, une énergie incroyable, pour donner le meilleur de lui-même, pour parvenir à capter et domestiquer cette grâce fragile et, last but not least, pour donner à sa famille un statut enviable...
Wes Montgomery (1923-1968) fut un autodidacte de génie, enragé de musique, qui transforma la médiocre banalité du destin auquel il paraissait condamné, en un parcours illuminé. Pendant des années, pour devenir un nouveau Charlie Christian, et surtout pour faire vivre sa femme et ses huit enfants, il cumula travail à l'usine 8 heures par jour, entrainement infatigable sur les cordes, et en plus, les prestations musicales, excitantes mais harassantes, en clubs et cabarets, de la soirée jusqu'à l'aube.

Il occupe toutefois une place de choix dans la nébuleuse noire et bleue du swing.
Inventeur paraît-il du Smooth Jazz, on retient avant tout son jeu inimitable au pouce, faisant voltiger avec une ineffable légèreté, les octaves et les accords feutrés, qui forment comme le contrepied sublime des épreuves de la vie, endurées avec une admirable et secrète détermination. Et toujours
, comme le fait remarquer Pat Metheny, admirateur inconditionnel, avec un sourire empli de gentillesse et de mansuétude...
Captées au cours de l'année 1965, dans l'intimité de répétitions en Hollande, et au cours de deux concerts magiques en Belgique et en Angleterre, ces images sont un vrai régal. S'il ne faut pas attendre ici, une qualité optimale d'enregistrement, l'ensemble est néanmoins très correct, bien restitué à partir de films d'époque.
On bénit les gens qui eurent l'idée géniale d'immortaliser ces instants précieux. Le guitariste, qui reste pour nombre d'amateurs comme l'un des plus fins et distingués de l'histoire du jazz, est au mieux de sa forme, très détendu. Avec des musiciens de rencontre qui l'accompagnent parfaitement, il se déleste de quelques bijoux magnifiques, indémodables, extraits d'un filon idéal : a love affair, twisted blues, full house, west coast blues. A ne manquer sous aucun prétexte.

Attention, d'autres productions semble-t-il de la même veine sont déjà disponibles dans cette collection bien nommée, Jazz Icons (chez Naxos ): Chet Baker, Louis Armstrong, John Coltrane, Count Basie, Duke Ellington, Dave Brubeck... Une avalanche black and white qui risque de faire beaucoup de bien !

24 mai 2008

La soupe libérale


A l'image de la photo de couverture, fortement retouchée pour rajeunir et dynamiser le personnage, cet ouvrage prend place sur la haute, très haute pile de livres, dont le seul but est de (re)dorer le blason d'un homme politique tenté par un « grand destin ».
D'un ouvrage de circonstance, il n'y a donc guère à attendre, et les prétendues révélations fracassantes sont en général des pétards mouillés. En l'occurrence, l'actuel maire de Paris démontre quant à lui une dialectique bien huilée de tartufe de la politique.
Bertrand Delanoë revendique tout à trac l'appellation de libéral, la belle affaire !
D'abord ce n'est pas très original puisque Ségolène Royal a déjà fait le coup il y a quelque temps (Dominique Strauss-Kahn l'avait précédée sur le chemin et maintenant d'autres proclament carrément la mort du vieux socialisme: Bockel, Valls...).
Ensuite, il a beau tenter de convaincre le lecteur que ses convictions à lui seraient très anciennes ("Je n'ai jamais été marxiste"), ce n'est pas très crédible. Car il noie sous des tonnes de pondérations oratoires, sa prétendue conviction, et la place bizarrement sous le parrainage quelque peu suranné du trio Jospin, Vaillant, Estier. Dans le genre libéral on a vu mieux.
De fait, la démonstration s'avère des plus confuses et ambigües.
Essayant de faire oublier la filiation longtemps revendiquée par ses amis, de Trotsky, Marx ou Che Guevara, le maire de Paris clame qu'à gauche, ils sont désormais « les défenseurs de la liberté, y compris dans le domaine économique », et qu'à titre personnel, il souhaite que le PS devienne un « parti de managers », s'appropriant au passage non sans un certain culot, les dividendes de la gestion de Tony Blair en Angleterre.
Mais dans le même temps, il récuse le « libéralisme sauvage », synonyme de « désengagement de l'Etat » et de « laisser-faire », et juge «inacceptable pour un progressiste, de hisser le libéralisme au rang de fondement économique et même sociétal ». Comprenne qui pourra...
Au bout du compte, il tue les dernières illusions en assénant lourdement que la Gauche doit « rester le parti de l'impôt ». Excitant programme, et réellement novateur...
Pour le reste, il se borne avec une solide mauvais foi, à discréditer méthodiquement les adversaires qui pourraient lui faire de l'ombre. Nicolas Sarkozy tout d'abord, traité de Bonaparte anti-libéral (!!), « pondéré par la désinvolture », Ségolène à laquelle il donne le coup de pied de l'âne en massacrant gentiment tout le dispositif de Démocratie Participative qu'il feignait d'approuver pourtant lors de la campagne électorale.
Sans oublier de se tresser une couronne de lauriers pour sa bonne gestion de la ville de Paris, et plus généralement de louanger sans réserve le travail du Parti : « C'est le respect de la vérité qui m'oblige à rappeler que les plus grandes réformes de ces trente dernières années, celles qui ont modifié en profondeur la société française, celles qui ont fait avancer notre pays, ont été inspirées par la gauche. » Au total une soupe vraiment fadasse, avec beaucoup de vilains grumeaux...
On se consolera en pensant que lui et ses coreligionnaires sont enfin engagés sur la bonne voie, qui les mènera peut-être, un jour lointain, à appréhender le vrai libéralisme. En tout cas c'est mieux que le temps où ils se gargarisaient des vieilles lunes collectivistes, de la révolution prolétarienne et où ils nous bassinaient avec l'ultralibéralisme...
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Addendum :
Un des poncifs les plus répandus au sujet du Libéralisme consiste à distinguer deux concepts, généralement pour mieux les opposer : le libéralisme philosophique et le libéralisme économique. Cette distinction désormais classique est artificielle. Le libéralisme bien compris n'est rien d'autre que l'amour de la liberté. Cette dernière est indivisible et toute conception qui établit des clivages est forcément néfaste. Le vrai problème est de ne pas confondre liberté et permissivité, démocratie et démagogie.
Nous savons bien hélas qu'à l'intérieur d'une société humaine, la liberté totale est impossible tant que les hommes ne parviennent à se gouverner eux-mêmes, comme le souhaitent tous les grands penseurs libéraux (Kant, Locke, Hume, Tocqueville, Mill, et j'en passe...). Et encore y parviendraient-ils qu'ils devraient s'imposer quelques contraintes individuelles, ne serait-ce que pour respecter les autres (le fameux Contrat Social...).
Pour un Libéral, chaque fois qu'il s'agit de rogner sur une liberté, il est fondamental de se poser la question de l'utilité de la contrainte. Si elle n'apparaît pas clairement, il faudrait y renoncer. Par exemple : est-il utile comme le prétend Delanoë, libéral opportuniste, de vénérer l'impôt par principe ? Y a-t-il une loi, à l'image des vases communicants, qui dise qu'en appauvrissant les riches on enrichit systématiquement les pauvres ? Y a-t-il une loi qui dise que l'Etat soit le meilleur garant de la redistribution et de l'utilisation efficaces des sommes prélevées sous contrainte ?
Autre exemple, s'agissant de l'interruption de grossesse pour convenances personnelles (IVG), y a-t-il une loi incontestable qui permette de savoir si et quand le foetus devient un être humain ? Y a-t-il un impératif évident en terme d'utilité publique à interdire cette pratique ? Y a-t-il une utilité à en faire prendre en charge le coût par la collectivité, via le remboursement « Sécurité Sociale » ?
Voilà le genre de questions que toute personne sensée devrait se poser en évitant surtout de recourir aux a priori idéologiques ou aux grands principes immanents...

22 mai 2008

Méditation transcendantaliste


Il y a des mots étranges, nimbés naturellement d'une sorte d'aura philosophique, qui les rend si ce n'est inintelligibles, pour le moins bardés de mystère. Transcendantal est de ceux-là. S'il donne à celui qui l'emploie une posture supérieure quasi séraphique, il intimide le béotien qui l'entend, et le plonge dans le désarroi. Car il comprend vaguement qu'il s'agit d'un concept extra-sensoriel, susceptible de traverser la réalité matérielle comme une sorte de diamant céleste, à la recherche de l'immanence absolue du Monde. Il comprend aussi que pour entrouvrir les portes énigmatiques de la Métaphysique il impose préalablement, de se soumettre à d'austères méditations et de s'imprégner de lectures hermétiques.
Au surplus, la définition qu'en donne Emmanuel Kant, maître en la matière, n'est pas faite pour apaiser les esprits inquiets : « J’appelle (transcendantale), toute connaissance qui s’occupe en général non pas tant des objets, que de notre mode de connaissance des objets en tant que celui-ci doit être possible a priori»
Pourtant, par un surprenant paradoxe, le transcendantalisme d'apparence inaccessible au commun des mortels, caractérise aussi la philosophie de l'Amérique naissante, rustique, triviale, celle des fermiers et des cowboys. Il est même devenu le point commun de toute une école d'écrivains tels que Ralph Waldo Emerson (1803-1882), Henry David Thoreau (1817-1862) ou Walt Whitman (1819-1892).
Mais, en quoi l'Amérique, pays réel s'il en est, peut-elle être transcendantale ?
Celui qui cherche la clé de cette énigme, constatera rapidement que ces gens, avec une âme de pionniers, s'étaient donnés pour mission première de transcender au sens propre, la notion de littérature, allant jusqu'à revendiquer tout simplement la re-création du genre.
De ce point de vue, il n'est pas indifférent de noter que le Centre de Gravité de cette nébuleuse intellectuelle qui vit le jour un peu avant le milieu du XIXè siècle, se situe à Concord, petite ville campagnarde du Massachusetts, proche de Boston.
Cette cité est emblématique aux yeux des Américains. C'est ici que débuta la Guerre d'Indépendance en 1775. C'est ici, selon le vers fameux d'Emerson, que retentit « Le coup de canon que le Monde entier entendit ».
Episode annonciateur de la libération américaine de ses attaches européennes, le début des hostilités contre l'Angleterre reste le vibrant symbole de l'émancipation du Nouveau Monde. Les transcendantalistes étaient imprégnés de cette aspiration gigantesque. Après celle du pays en 1776 dont Jefferson fut un des principaux artisans, Emerson se fit un devoir de rédiger « la déclaration d'indépendance des lettres américaines».
Non pas qu'ils fussent ignorants ou ennemis de l'Europe, mais les pères fondateurs de la Pensée Américaine entendaient inscrire leur oeuvre dans une vraie logique de rupture. Première explication à la transcendance : c'est le dépassement de l'ordre ancien des choses.



Si l'on voulait résumer cette nouvelle foi de bâtisseurs, à quatre notions cardinales, on pourrait y voir Dieu, l'Individu, la Nature, et enfin l'Optimisme.
S'agissant de Dieu
tout d'abord, il est difficile d'en avoir une conception plus libre que celle des transcendantalistes.
Emerson descendait d'une longue lignée de pasteurs unitariens, au service d'une secte chrétienne qui réfute le dogme de la trinité et considère le Christ avant tout comme un homme. Emerson rompit pourtant avec cette tradition familiale assez émancipée et déclencha pour sa part un beau scandale à Harvard en s'exclamant : «être un bon pasteur, c’est quitter l’église !»
Rejetant en somme ce qui fait l'essence même du christianisme, il s'affranchit de tout dogme, tout rite, et même de la notion de péché originel « Je ne souhaite pas expier, mais vivre» révèle-t-il dans « La Confiance en Soi ».
La conception de Dieu s'apparente chez lui à une sorte de panthéisme. Ce qu'ils appelle Dieu est l'unique réalité qui forme avec la nature un tout indivisible. Et l'homme se conçoit comme étant une parcelle de ce tout universel. Une de ses remarquables contributions à la philosophie repose sur la conviction que le fondement de l'Univers est la conscience, et non la matière.
En cela il est vraiment transcendantaliste, tout en se distinguant nettement de certains penseurs allemands desquels on le rapproche parfois, notamment les idéalistes Fichte, Schelling, Hegel, et, bien qu'il sublime dans son discours la force de l'Homme (« C’est seulement lorsqu’un homme rejette toute aide extérieure et qu’il lutte seul que je le vois fort et vigoureux »), il est à mille lieues de l'athéisme de Nietzsche.
Pas de surhomme ici. Le culte de l'homme fort, chez les transcendantalistes s'inscrit dans une démarche résolument individualiste, terriblement américaine. On a pu dire non sans raison qu'elle est à la racine du mythe qui anime le Western. Car c'est en lui-même et nulle part ailleurs que l'homme peut espérer trouver le plein épanouissement : « Celui qui sait que l’âme est le siège de la puissance, qu’il n’est faible que parce qu’il a cherché le bien en dehors de lui-même, et qui, s’apercevant de son erreur, se rejette sans hésiter sur sa pensée, reprend à l’instant son équilibre, se redresse, comme ses membres, et fait des miracles. »( Nature).
Quelle plus belle expression de cet individualisme universaliste, que celle de Walt Whitman, dans son « chant de moi-même » :
« Je me célèbre moi,
Et mes vérités seront tes vérités,
Car tout atome qui m’appartient t’appartient aussi à toi. »
Toutefois si Emerson s'en remet à l'Homme, il le fait avec on ne peut plus de modestie et de simplicité. Il ne réclame surtout pas trop de hauteur : « I ask not for the great, the remote, the romantic ». Au contraire, il veut « s’asseoir aux pieds du bas ».
Comme le fait remarquer très justement Sandra Laugier : « Emerson prend position du côté de ce que des philosophes comme Berkeley et Hume ont appelé le vulgaire, the vulgar, et contre toute une lignée de penseurs qui va de Platon à Heidegger en passant par Nietzsche, pour qui la véritable pensée requiert une sorte d’aristocratie spirituelle.

Cela dit, si l'individu ne doit compter que sur lui-même (« En chaque homme, un État »), il n'est pas dit pour autant qu'il ne puisse parfois s'appuyer sur les autres. Ou plutôt qu'il ne puisse aider les autres. puisqu'il est indissociablement lié à eux, faisant partie d'un seul grand ensemble, la Nature.
Il faut comprendre que c'est de cette manière et d'aucune autre, que peuvent pleinement s'exprimer les notions d'amour et de respect. On est assurément ici, très proche de l'Impératif Catégorique de Kant.

Par leur amour de la nature, Emerson et Thoreau furent des écologistes avant l'heure, c'est certain. On se souvient naturellement du « voyage » de 2 ans entrepris par Thoreau dans une cabane perdue dans la propriété d'Emerson, sur le site sauvage et isolé de Walden Pond. Mais leur perspective dépasse de loin le culte niais et rétrograde de l'environnement que l'écologie semble être devenue de nos jours. Emerson n'a jamais rejeté les bénéfices des découvertes scientifiques. Il manifestait la volonté d'une application raisonnée, responsable.
Car la Nature, bien que précieuse et belle, n'est pas une entité extérieure, qu'on doit vénérer sans y toucher. Elle interagit avec les êtres humains et donc évolue avec eux. Charge à ces derniers de pousser dans le bon sens...
En somme, on peut être tenté de réduire le transcendantalisme à une sorte de pragmatisme moral et poétique. Il est de toute manière selon Gérard Deledalle, « mal nommé, car ce que propose Emerson est une forme particulière d’empirisme, qu’on appellerait volontiers empirisme radical si la dénomination n’avait été proposée par William James. Mes perceptions sont plus fiables que mes pensées, car fatales, indépendantes de ma volonté d’agripper le monde. »
L'optimisme de cette théorie et sa foi en un monde en amélioration constante, recèle évidemment quelques lacunes. On peut reprocher notamment une tendance à l'égarement rousseauiste et surtout une grande naïveté. Selon Nietzsche, « Emerson a cette gaieté bienveillante et pleine d'esprit qui désarme le sérieux »...
Dans la bouche de l'auteur du "Gai Savoir" c'était un compliment; mais pour Nathaniel Hawthorne, disciple des premiers temps, l'expérience d'utopie rurale vécue à la Brook Farm, sorte de communauté hippie avant l'heure où chacun cultivait son potager en philosophant, fut un échec : « De tous les lieux haïssables, celui-ci est le pire. Je pense que l’âme d’un homme peut être enfouie et périr sous un tas de crotte ou dans un sillon, exactement comme sous une pile d’argent. »
En définitive la voie transcendantale, tracée par Emerson et ses disciples est parfois difficile à suivre tant elle est préoccupée avant tout par son « aversion de la conformité ». Pour tenter de conclure en quelques mots, je dirais que de manière éclectique elle prend sa source dans la morale Kantienne, est vivifiée par l'empirisime pragmatique de Hume, extrait le meilleur de Rousseau, se gorge d'idéalisme poétique, le tout pour donner naissance à l'homme simple et responsable, conscient de l'importance de son destin, à qui incombe la tâche immense de construire et de pérenniser le Nouveau Monde !


Pour ceux qui voudraient aller plus loin sur cette voie :
Revue Française d'Etudes Américaines
avec les contributions de Gérard Deledalle et de Sandra Laugier
Un peu de tourisme à Concord
Enfin les oeuvres en ligne d'Emerson.

18 mai 2008

Un peu de lumère à travers les nuages


Les chiffres et les faits tombent à la manière d'une averse de lumière à travers le gris de la morosité, prenant au dépourvu la multitude de prophètes au nez en forme de trompette (les « sachant ») qui arpentaient sans relâche depuis l'élection de Nicolas Sarkozy l'espace public, en claironnant la fin du monde. Pan ! 2,2 points de croissance l'an dernier au lieu des 1,9 annoncés par les experts en sinistrose. Déjà 0,64 pour le premier trimestre 2008. Paf ! Contre toute attente, le Pouvoir d'Achat des Français a augmenté de 3,3% en l'espace d'un an. Plouf ! Le chômage est au plus bas depuis 25 ans, et la hausse des prix, en dépit d'une conjoncture internationale difficile, reste contenue autour de 3,5% l'an...
L'ondée statistique arrose les têtes gluantes des colporteurs professionnels de mauvaises nouvelles. Ils sont contraints de s'éparpiller en bourdonnant méchamment leur déconvenue comme de grosses mouches pendant l'orage.
Alors quoi, tout ce qu'ils nous disaient était donc faux. Si certains prix augmentent, c'est donc que d'autres baissent forcément. Si les salaires stagnent, les revenus croissent tout de même. Et si la Pression Fiscale écrase les plus modestes, le Paquet Fiscal « pour les plus riches » redonne malgré tout un peu d'oseille au gens. Peut-être même en somme l'action volontariste du président commence-t-elle à produire avant l'été ses premiers fruits...
Il ne s'agit peut-être que d'une embellie passagère, et ne soyons pas naïfs, le rôle de l'actuel gouvernement ne doit pas être exagéré dans la circonstance. La tendance demande à être confirmée et le rythme, l'audace et la lisibilité des réformes doivent sans aucun doute s'en trouver stimulés. Mais on a tellement glosé, dès le lendemain de son élection, sur les méfaits que ne manquerait pas de provoquer la politique réputée "inique" de Nicolas Sarkozy, qu'il pourrait sembler naturel de lui accorder à la faveur de ces bons chiffres, désormais un minimum d'attention bienveillante...

17 mai 2008

Un oiseau de mauvais augure


Parmi les nombreux donneurs de leçons et autres chantres du Déclin qui pullulent impunément dans l'espace médiatique et fatiguent les oreilles à force de péroraisons ronflantes et de pseudo-prédictions sentencieuses, il en est un qui mérite assurément une palme : Emmanuel Todd. « Si les andouilles volaient, il serait chef d'escadrille », comme disait finement mon grand-père...

Fort de sa prétendue « prophétie » annonçant à grand bruit la « chute finale » de l'URSS, il y a une trentaine d'années (tant d'autres l'avaient faite avant lui...), ce Diafoirus de l'analyse politique, se plait avec la complicité niaise des médias, à jouer doctement les oracles devant des auditoires peu exigeants. Il est en quelque sorte à la politologie ce que madame Soleil fut à l'étude des Astres : un habile charlatan. Et par un étrange paradoxe il est convenu de qualifier ses prises de positions « d'iconoclastes », alors qu'elles s'inscrivent médiocrement dans le marais tiède des idées reçues.

C'est bien simple, il fait siens tous les poncifs de la pensée franchouillarde, chauvine et recroquevillée frileusement sur elle-même, niant pour ainsi dire le reste du Monde.
Par exemple, depuis un an, il joint sa voix au concert assourdissant des anti-Sarkozy, maniant à grands moulinets désordonnés, un argumentaire à peu près aussi raffiné et nuancé que celui des Communistes les plus rétrogrades et bornés. Rien ne trouve grâce à ses yeux dans l'action du chef de l'état : représentant le microcosme « hyper-riche de Neuilly », il est « anti-jeune », se situant "dans l'agression permanente", jusqu'à foutre sciemment « le feu aux banlieues »; il instrumentalise l'immigration de telle manière qu'on pourrait croire que « le Front National est au pouvoir »; enfin, il ne séduit les gens qu'en « faisant appel à ce qu'il y a de plus mauvais en eux », et s'échine par une politique ultra-libérale, à provoquer "la baisse des salaires" et celle du niveau de vie (9/5/08 France-Info). Le vibrionnant analyste emporté par son élan va même jusqu'à comparer l'actuel président de la république à un « Chirac lent » ou « au ralenti », au motif saugrenu, « qu'il renonce à son image d'homme du mouvement plus lentement que son prédecesseur ». Comprenne qui pourra...
En matière de prescience, il n'est pas inutile de rappeler qu'en avril 2007, Todd annonçait que Nicolas Sarkozy ferait lors de l'élection présidentielle un mauvais score...

S'agissant de la politique internationale, Todd manifeste un anti-américanisme d'une banalité et d'une vulgarité affligeantes : « Si la France devient le caniche des USA, elle cesse d'exister » (marianne2.fr 3/4/08). Naturellement il trouve stupide l'intervention militaire en Irak et qualifie celle en Afghanistan de « guerre perdue ». Obsédé par la grandeur et l'indépendance de la France, il se lamente de la voir cultiver des convergences avec les pays anglo-saxons, et suggère plutôt de le faire avec l'Inde, la Russie ou l'Iran (en feignant de croire que l'un exclut l'autre et en oubliant au passage que les USA eux-mêmes sont bien plus avancés dans ces relations que la France...).
Au plan économique, il se rabat sur des arguties confuses et contradictoires, empruntées à la bimbeloterie des alter-mondialistes, et propose en guise d'audacieuse stratégie, de revenir aux vieilles lunes protectionnistes qui condamneraient à coup sûr l'Europe à l'asphyxie, et porteraient immédiatement un coup fatal au fameux pouvoir d'Achat des Français les plus modestes.

Et lorsqu'il essaie d'être original c'est vraiment n'importe quoi : la montée de l'islam radical serait selon lui, "un signe de la modernisation du monde musulman" (Marianne2.fr 17/09/07). Quant aux émeutes dans les banlieues, elles sont le signe patent de la réussite de la politique d'assimilation française : « quoi de plus français pour un jeune que de balancer des pavés sur la police? » (Fête du Livre de Limoges en mars 2008)
Bref, A côté des plates réflexions d'Emmanuel Todd, celles de monsieur Jourdain pourraient sans peine passer pour de la haute métaphysique...


15 mai 2008

La France s'amuse


Mai le joli mois de mai. Retour des grèves dans la Fonction Publique. On ne sait plus trop bien pourquoi. Qu'importe, puisque c'est l'usage.
Et puis les vitrines des librairies se couvrent d'ouvrages commémorant avec émotion les grandes et riches heures de la petite révolution bourgeoise nombriliste de 1968. C'est follement tendance et si touchant cette nostalgie du doux bordel festif qui masque depuis des décennies la vacuité de la pensée et sert avec ses leitmotivs lénifiants d'ersatz philosophique à notre pauvre pays : « sous les pavés la plage », « il est interdit d'interdire ». Vaste programme comme dirait le grand Charles...
On continue envers et contre toute évidence, de croire que le Monde pourrait être meilleur grâce aux idéologies et aux bons sentiments.
Si la Gauche se raccroche avec une incurable idiotie aux vestiges fumants de ses illusions perdues, le gouvernement et sa majorité quant à eux cafouillent quelque peu. Il faut dire que la ligne stratégique est plutôt nébuleuse, erratique, mêlant les contraires et passant sans cesse du coq à l'âne.
La pantalonnade récente à l'Assemblée Nationale au sujet des OGM donne la mesure de ces atermoiements. Faute de détermination et d'assiduité des Parlementaires de la Majorité, un texte déjà très édulcoré et timoré (un simple projet de transposition d'une directive européenne datant de 2001...) se trouve rejeté pour un mot mal placé. Le lendemain, repêchage en catastrophe par une obscure « commission mixte paritaire », avant de repasser pour un vote devant le Sénat et la Chambre des Députés. Que de temps perdu pour des broutilles !
Vingt-quatre heures après, rebelote mercredi 14 mai avec le projet de loi sur la Réforme des Institutions, retoqué par des députés UMP en commission des Affaires Etrangères...
Pendant ce temps, le Chef de l'Etat semble lui-même bien perdu. Après l'enthousiasme guerrier des premiers mois et les frasques sans complexe façon « jet-set », le voilà qui fait profil bas. Il paraît selon les observateurs avertis, que cette nouvelle manière colle davantage au « style » qui sied à un président de la république. De fait, lors de sa dernière rencontre officielle avec les journalistes le 25 avril, tout ce qui fait le décorum propre à la fonction était là : salon élyséen, dorures rutilantes et lourdes tentures, plateau somptueux doté d'une table gigantesque, pompe et circonstance, questions empesées, et réponses déclinées en majesté, avec un brin de théâtralisme.
Hélas, pour ma part je préférais sa désinvolte décontraction, ses manières directes mais un peu triviales, et même ses fautes de goût, qui ne me choquaient guère. Il est vrai que je préfère de loin un dirigeant sans allure mais conduisant un vrai projet pragmatique, qu'un dignitaire plein de prestance, mais vide d'esprit pratique et de volonté.
Pour l'heure, bien malin celui qui pourrait décrypter le fin mot de la politique gouvernementale. Certes il y a bien quelques avancées (L'Europe, les relations internationales notamment avec l'Angleterre et les Etats-Unis ), beaucoup de réformes ébauchées (retraites, heures supplémentaires, service minimum, autonomie des universités, carte scolaire) mais peu d'aboutissement (rien de probant dans le domaine de la Santé par exemple, une bureaucratie toujours galopante, le grand principe stérile de l'Etat omnipotent toujours prééminent...), quelques reculades et des coups d'épée dans l'eau (le rapport Attali, l'affaire Bétancourt, les enfants martyrs de la Shoah), et surtout pas de cap lisible...
Il souffle certes un vent de réformes, mais obéissent-elles à une stratégie cohérente et déterminée propre à rénover et dynamiser le pays ?

30 avril 2008

C'est Kant qu'Onfray assassine


Michel Onfray a encore frappé. Après avoir tenté d'innocenter Nietzsche, son philosophe fétiche, de toute collusion spirituelle avec le nazisme qui s'en recommandait pourtant, il essaie aujourd'hui dans un essai théâtral, de style pompier néo-sartrien (Le Songe d'Eichmann), de faire porter le chapeau à Emmanuel Kant ! Au motif qu'Eichmann durant son procès, révéla (selon le témoignage d'Hannah Arendt) qu'il fut un lecteur attentif de l'auteur de la "Critique de la Raison Pratique" !
A la base, le fait est que Mr Onfray tolère à l'évidence difficilement qu'on puisse mettre en cause son maître en « athéologie » et en « gai savoir ». Il commence donc par flétrir sans nuance ceux qui colportent cette idée : « Du grand public dit cultivé aux philosophes postmodernes pourfendeurs de Mai 68, compagnons de route du libéralisme et des valeurs du catholicisme, en passant par quelques faux avertis mais vrais fourvoyés, l'auteur de Par-delà le bien et le mal fournirait la svastika, l'incendie du Reichstag, la nuit des longs couteaux, la moustache du Führer, les camps de la mort, les chambres à gaz et l'incendie de toute l'Europe. »
Certes, il paraît très excessif de faire de Nietzsche le responsable désigné de l'infamie qui se réclama de lui, et l'honnêteté exige qu'on ne confonde pas sa vision philosophique avec les monstrueux avatars qui en découlèrent et qui dénaturèrent notamment la notion emblématique de « surhomme ». Il y a infiniment plus de distance entre Nietzsche et Hitler qu'entre Marx et Lénine et Staline.
Mais à lire l'interprétation qu'en donne Onfray lui-même, il est impossible de ne pas s'interroger sur la responsabilité du Philosophe, et sur le pouvoir des mots et des idées. Dans un précédent ouvrage (« La sagesse tragique »), il dépeignait en effet le fameux surhomme de manière plutôt inquiétante, le faisant
évoluer dans un monde « dans lequel les oppositions entre bien-mal, vérité-erreur, responsable-irresponsable n'ont plus de sens », n'éprouvant « ni amour, ni amitié, ni tendresse, ni compassion », et n'étant en définitive, qu'une « bête de proie qui masque sous de multiples figures l'impérialisme de l'énergie brutale et aveugle qui le conduit ».
Passe encore l'indulgence et les faiblesses qu'Onfray manifeste pour son Grand Homme. Ce qui s'avère en revanche intolérable, ce sont les manoeuvres perverses qu'il emploie pour tenter de décrédibiliser et vouer aux gémonies un autre, totalement étranger à l'affaire.
En l'occurrence, vouloir “nazifier” le Kantisme, relève d’un indicible contre-sens (le seul fait de parler de “kantisme” doit d’ailleurs faire se retourner le cher homme dans sa tombe). Quoi de plus éloigné du nazisme que cette magnifique exclamation du sage de Königsberg: « Deux choses emplissent mon esprit d’un émerveillement sans cesse croissant à chaque fois que je les considère : la voûte étoilée au dessus de moi et la loi morale au dedans de moi »
Assimiler Kant, qui fut par toutes ses fibres l’être le plus moral qu’on puisse imaginer, à cette sorte d’amoralité absolue que fut le National-Socialisme, c’est sidérant. Jusqu’où peut se nicher la mauvaise foi…
Il n'est pas besoin d'être grand clerc ni exégète pour affirmer que jamais au grand jamais, Kant ne pensa que quiconque puisse se sentir autorisé à donner à ses actes une portée universelle et à prendre ses désirs pour le souverain bien. Il a recommandé au contraire, qu’avant toute action, on vérifie qu'elle puisse s’inscrire dans le contexte de la loi morale, qu'elle se soumette au célèbre « Impératif Catégorique ». Autrement dit qu’elle soit irréprochable !
Au surplus, Kant fut plus que tout autre, un homme attaché viscéralement à la paix et ses propositions dans le domaine sont à mille lieues de toutes les horreurs dont usèrent les impérialismes païens qui ont ravagé le monde au XXè siècle. S’agissant de son essai sur la Paix Perpétuelle, dont le titre dit assez le dessein, je me permets d’en extraire un passage qui me persuade pour ma part de la nécessité du fédéralisme démocratique (et donc de l’intérêt du modèle américain…) : « Si par bonheur un peuple puissant et éclairé en vient à former une république (qui par nature doit tendre vers la paix perpétuelle), alors celle-ci constituera le centre d’une association fédérale pour d’autres états, les invitant à se rallier à lui afin d’assurer de la sorte l’état de liberté des Etats conforme à l’idée du droit des gens. » Une Europe construite sur ce modèle n’aurait vraiment rien à voir avec le monstrueux empire que l’esprit dérangé d’Hitler voulait forger dans le feu et le sang.
En définitive, Michel Onfray, qui demeure en matière politique, crispé sur des schémas quasi staliniens (il appelle régulièrement à voter pour les candidats de la Ligue Communiste Révolutionnaire), fait une fois encore fausse route en philosophie. Son raisonnement cache derrière un style clinquant, les plus vains sophismes, les plus malhonnêtes assimilations et la plus fallacieuse logique....

28 avril 2008

Let There Be Blues

Moisson de blues pour se donner un peu de vigueur en ce printemps maussade. Du pur jus du Sud tout d'abord avec Smokin' Joe Kubek et Bnois King. A première vue on pourrait se demander ce qui peut bien faire point commun entre ce gros jojo tatoué, à casquette et barbichette blanches et ce petit piaf noir, chapeau et veste de cuir. Eh bien le Texas Blues bien sûr ! Et pas des moindres.
Dès les premiers accords de guitare on est dans le bain. Impossible de résister aux moelleuses cadences qui démarrent au quart de tour, acidulées juste ce qu'il faut par les riffs étincelants de Joe et le chant chaud et stridulant de Bnois. Pas de doute, ces deux là sont nés sous la même étoile.

La ligne rythmique est impeccable, soutenue par Paul Jenkins à la basse et Ralph Powers à la batterie, la prise de son quasi parfaite, et l'ambiance détendue en ce 31 décembre 2005, dans un petit club où le public s'enivre de cette musique en dansant, c'est le bonheur... Le titre ne ment pas : my heart's in Texas ! A ne pas louper enfin sur le DVD, en bonus, un excellent morceau en pur « acoustique » : tired of cryin' over you.


Même ambiance chaude et simple dans un club de Chicago en juillet 2005 cette fois, le Rosa's lounge, pour servir de toile de fond aux prouesses de Pierre Lacocque entouré de sa formation très « roots » dénommée Mississipi Heat avec la chanteuse Inetta Visor. Curieux itinéraire que celui de cet harmoniciste, né en Belgique, passé par Israël, la France et l'Allemagne et finalement converti à l'âge de 17 ans et des poussières, au Chicago Blues, et marchant depuis résolument sur les pas de Sonny Boy Williamson. Le moins qu'on puisse dire est qu'il en a parfaitement assimilé l'esprit. Bel exemple des bienfaits du melting pot. Et en l'occurrence belle prestation, magnifiée par la présence de l'excellent guitariste Lurrie Bell.

Le même Lurrie qu'on retrouve en 2006 toujours chez Rosa, à l'occasion de joutes musicales réunissant plus qu'opposant les Bell père et fils. Le premier, Carey, à peine remis d'une fracture du col du fémur, semble porter sur ses épaules quelque peu décaties toute l'histoire du blues, des ténèbres jusqu'à la lumière. Son visage émacié, édenté, meurtri par les années est illuminé par la douce et humble lumière de son regard un peu voilé. Quand il chante et joue de l'harmonica, c'est toute son âme qu'il met à nu. Quant au fiston Lurrie, qui lui donne la réplique à la guitare et au chant, il prend son rôle d'héritier très à coeur. L'ensemble est d'une rusticité de bonne aloi, chaleureuse et authentique.
Le même DVD permet de retrouver les mêmes musiciens, toujours empreints de la même verve et de la même spontanéité, dans le cadre du Buddy Guy's Legends (mention spéciale pour le pianiste très "boogie" Roosevelt Purifoy), et pour finir deux ou trois chansons chantées en duo, dans la maison familiale, devant les enfants mi étonnés, mi émerveillés. Let there be blues, vous dis-je...


25 avril 2008

Let the good times roll


Il y a une semaine à peine, par le plus grand des hasards, je tombai en me baladant dans cette bonne ville de Saintes, sur un disquaire, chez qui j'entrai afin de papillonner quelques instants. Et là je trouvai dans un rayon DVD plutôt modeste, au milieu de quelques banalités, l'enregistrement d'un concert donné en 2004 par le groupe Poco à Nashville Tennessee.
Je décidai d'en faire l'acquisition, un peu dubitatif compte tenu de son prix des plus modérés et de la quasi certitude que j'avais que cette formation avait disparu il y a belle lurette.

Malgré une notoriété assez confidentielle en France, Poco était dans mon souvenir un magnifique groupe, glorieux précurseur en 1968 du genre country rock sur la scène californienne, éclipsé par d'autres comme Eagles, mais de niveau comparable.
Douce et heureuse surprise quelques jours plus tard de voir à l'écran, réunis sur scène, quatre piliers de cette formation légendaire, quelque peu blanchis, mais toujours au meilleur de leur forme : Richie Furay, ancien de Buffalo Springfield, pétillant d'invention, Rusty Young délicat joueur de steel guitar, George Grantham indéfectible batteur, et Paul Cotton, guitariste talentueux et compositeur de subtiles ballades (inoubliable "Ride the country"...) Ne manque que le bassiste Timothy B. Schmit qui officie depuis la fin des seventies avec les Eagles (remplacé sans démérite par Jack Sundrud).

En définitive, ce DVD quasi introuvable en France est une perle. La qualité de l'image, quoique correcte, n'est pas d'une qualité irréprochable en format 4/3, mais la caméra suit les musiciens de manière très intelligente et la prise de son est équilibrée et fort agréable (surtout en version PCM stéréo). Quant au programme, il fait se succéder quelques uns des plus grands standards du groupe à l'écoute desquels on ne peut que se pâmer d'aise (plus une sublime version du "Magnolia" de JJ Cale). Absolument superbe, et trop méconnu hélas.

Il paraît que quelques mois après ce concert, le batteur George Grantham était victime en public d'un accident vasculaire cérébral dont il a encore aujourd'hui bien du mal à se remettre. Mon Dieu que le destin est cruel...

11 avril 2008

Au secours, encore un rapport !


Ça y est, le voilà le Rapport Larcher sur les "Missions de l'Hôpital" ! Un nouveau pavé de plus de 100 pages reprenant de fond en comble l'écheveau infernal du système de gestion des hôpitaux français. Mais que peut-on attendre d'une telle somme, venant après tant de réformes ? J'avoue qu'il m'est tombé des mains dès l'introduction, à la lecture de lieux communs et de voeux pieux tels que : "Favoriser l’adéquation des prises en charge", "Assurer la continuité du parcours de soins", "intégrer la dimension sociale et médico-sociale de l’hospitalisation", "Développer les formes d’exercice pluridisciplinaire","Améliorer l’organisation des soins non programmés"...

Les Pouvoirs Publics ont dépensé depuis quelques années, des milliards d'euros pour simplifier paraît-il la gestion administrative des établissements de santé et leur concéder une plus grand autonomie. Ils ont longtemps prêché la « déconcentration » et la décentralisation en vantant les progrès des techniques et les prouesses de la télémédecine. A l'intérieur même des établissements, ils ont promis une nébuleuse « contractualisation interne » puis une « nouvelle gouvernance » censées libérer l'esprit d'initiative.

Malheureusement, à force de vouloir trop bien faire et de réformer à tout crin, le système est devenu d'une complexité telle que plus personne ne s'y retrouve dans ce qui est devenu une impénétrable jungle réglementaire. Summum de l'absurdité, les emblématiques Agences Régionales de l'Hospitalisation du Plan Juppé sont régulièrement épinglées par l'Inspection Générale des Affaires Sociales et par la Cour des Comptes pour leur gestion à la fois approximative, rigide et hasardeuse. Or non seulement ces avertissements semblent négligés par les gouvernements successifs, mais ils ont semble-t-il décidé de renforcer encore ces inopérantes structures administratives en les rebaptisant pour la circonstance, Agences Régionales de Santé...

Quant aux hôpitaux eux-mêmes, ils doivent affronter un torrent ininterrompu de directives plus ou moins contradictoires, souvent irréalisables, et aussi changeantes que le climat breton. A coup de « seuils » minimum d'activité d'un côté et d'objectifs quantifiés, de plans quinquennaux de l'autre, ils sont littéralement pris en tenaille. Au surplus, ils s'épuisent depuis quelque mois à mettre en place une hallucinante Tarification à l'Activité dont les règles semblent improvisées au jour le jour et qui, sans alléger aucunement la lourdeur des anciens systèmes de gestion, pousse à l'inflation des dépenses en même temps qu'elle étrangle les budgets. Déjà pénalisés par une architecture interne extraordinairement compliquée, faisant coexister des « unités fonctionnelles », des « centres de responsabilité », des « services », des « départements », des « fédérations », ils sont tenus depuis quelques mois d'y ajouter la notion de « pôle » dont la définition et les objectifs sont aussi transparents que le brouillard londonien.

Enfin avec de dantesques « projets de territoires », d'abstruses « conférences sanitaires de secteurs », et de rigides « filières de santé » soi-disant « restructurantes », tout se passe comme si les Pouvoirs Publics s'étaient mis en tête, dans la plus grande confusion, de planifier à la manière soviétique la santé. Au surplus, on attend toujours quelque bénéfice palpable des myriades de gadgets et d'inventions tordues, sorties ces dernières années de l'imagination technocratique (accréditation, parcours de soins coordonné, carte vitale avec photo d'identité, dossier médical « personnel », tarification à l'activité, franchises...).

Bref, plus on simplifie plus ça s'obscurcit, plus on maîtrise les dépenses plus les déficits se creusent, et plus on déconcentre plus la centralisation progresse, c'est à se taper la tête contre les murs !

03 avril 2008

Le dilemme afghan

Le débat actuel sur l'envoi de troupes supplémentaires en Afghanistan permet de pointer l'étrange attitude de l'Opposition et de bon nombre de ceux qui invoquent si souvent les droits de l'homme. D'un côté ils exigent une grande fermeté, vis à vis de la Chine par exemple, eu égard à ce qui se passe au Tibet, de l'autre ils accumulent les arguties pour éviter un engagement plus conséquent de la France en Afghanistan.
Alors que, plus ou moins conscients de leur impuissance face au géant chinois, ils ne trouvent rien de mieux à proposer que le boycott de la cérémonie d'ouverture des jeux Olympiques, ils sont prêts à tirer un trait sur les succès chèrement acquis et encore fragiles pour libérer Kaboul.

La rengaine fataliste est bien rodée mais plutôt pitoyable tant elle est marquée par la mauvaise foi : La production d'opium n'aurait jamais été aussi importante que depuis l'intervention internationale, « l'occupation » étrangère ne ferait que renforcer les extrémismes, les soldats risqueraient d'être exposés aux combats, ce serait s'aligner servilement sur la position américaine, et pis que tout, ce serait le signe que la France envisage d'intégrer le commandement de l'OTAN....
Manifestement les fulminations vertueuses contre le régime taliban qui asservissait les femmes et démolissait l'éducation et la culture, sont bien loin ! Quant à la menace permanente que fait peser Al-Qaïda, elle est quasi niée...
Pourtant, si les choses restent problématiques en Afghanistan, ne serait-ce pas comme souvent, par manque de détermination et d'unité de la Communauté Internationale ? Et les bonnes âmes si promptes à militer pour un monde meilleur, ne pourraient elles pas profiter de cette occasion à la mesure de nos moyens, pour accepter le principe d'actions concrètes ? L'engagement actuel de notre pays dépasse à peine 1500 hommes alors que le Royaume Uni en aligne près de 5000 et l'Allemagne plus de 2000. L'heure ne serait-elle pas, après avoir rendu l'hommage qu'ils méritent, aux hommes déjà présents sur place, de leur apporter des renforts qui sans nul doute faciliteraient leur tâche ?

31 mars 2008

Tocqueville sous le scalpel des exégètes


Tocqueville deviendrait-il à la mode en France ?
Ségolène Royal
qu'on eut facilement imaginé fâchée avec lui s'en réclame au contraire en révélant notamment que « sa lecture est stimulante » et qu'il est à ses yeux l'un de ceux qui « ont le mieux analysé et anticipé les conséquences de la suppression des hiérarchies statutaires de l'Ancien Régime et les paradoxes de cette passion de l'égalité qui en résulte ».
Lucien Jaume, qui serait « l'un des meilleurs spécialistes du libéralisme », publie de son côté un ouvrage biographique sur l'auteur de la Démocratie en Amérique. Et Marc Fumaroli, de l'Académie Française, en fait cette semaine le sujet d'une analyse raisonnée dans la magazine Le Point.
Faut-il pour autant se prendre à espérer qu'enfin notre pays se mette à rendre l'hommage qu'il mérite à l'un de ses plus extraordinaires penseurs politiques ?
Je crains bien que non.
Non pas que je me fasse quelque illusion sur un éventuel revirement des idées au Parti Socialiste. Il faudra encore beaucoup d'eau à couler sous les ponts et de nuages à courir sur nos têtes pour voir se concrétiser cette interminable mutation.
Non ce qui semble plus préoccupant, c'est la présentation qui est faite de Tocqueville par des clercs réputés cultivés, modérés et réfléchis. Le titre de la chronique de Mr Fumaroli a lui seul en dit déjà long : « Tocqueville et ses arrières pensées ».
Mais de quelles arrières pensées s'agit-il ? Qui pourrait prétendre voir dans le magistral et limpide essai sur la démocratie moderne quelque obscur dessein caché ?
Tout d'abord, Mr Fumaroli, qui a lu le livre de Lucien Jaume, insinue qu'à travers son expérience outre-atlantique, ce serait en fait de la France dont Tocqueville parle. Plus fort il affirme que Raymond Aron et François Furet, qui ont puissamment contribué à propager la pensée tocquevillienne seraient en réalité passés à côté de l'oeuvre.
Grâce à une lecture « comparative plus poussée » des deux volumes de « De la démocratie », Lucien Jaume quant à lui, en aurait élucidé la vraie nature, et au passage mis à mal celle « plus ou moins naïvement célébrante dont se délectent les Américains » !
Il faut hélas se rendre à l'évidence, Mr Fumaroli et sans doute Lucien Jaume n'ont pas une très haute opinion des ces derniers, qui auraient fait de Tocqueville « le Saint-Thomas de l'orthodoxie néoconservatrice, préparant les esprits à l'invasion de l'Iran et au bombardement humanitaire de la Serbie » ! On croit rêver...

Le noble Normand n'aurait donc rien exprimé d'autre, dans son enquête que « ses intimes nostalgies, espoirs et angoisses, confinant au mythe personnel caché dans un langage à double fond ». Et derrière l'apologie de la démocratie américaine, qu'il est tout de même difficile de nier, ces deux professeurs prétendent qu'il soutenait en définitive, l'idéal plutôt tarabiscoté « d'une société féodale dont la démocratie américaine perpétuerait ou retrouverait les doux traits communautaires abolis en France par le Centralisme... »
Un peu fort de café tout de même.
Je n'ai pas eu l'occasion de parcourir en profondeur la thèse de Mr Jaume, mais quelques extraits suffisent pour s'émouvoir. A l'en croire, Tocqueville était assez indifférent ou pour le moins ambigu face à l'Amérique elle-même : « Tantôt il en fait l'éloge (dignité de l'homme, respon­sabilité personnelle, sentiments de sympathie et de sociabilité), tantôt il en dépeint des travers inquiétants (égoïsme, dissolution sociale, médiocrité des dirigeants, matérialisme des intérêts particuliers, tyrannie des majorités, État à la fois providentiel et écrasant). Le lecteur est donc conduit à se demander ce qu'il faut en penser. »
De là à interpréter ce qu'il a voulu dire il n'y a qu'un pas, qu'il semble franchir sans scrupule en s'interrogeant gravement : «Lui, Tocqueville, que pense-t-il de ce qu'il dépeint ?»
Mais l'art de lire entre les lignes, qui peut donner lieu à de belles exégèses philosophiques, paraît parfaitement déplacé dans une prose aussi claire et précise que celle de Tocqueville. Il a décrit et magnifié l'organisation politique américaine c'est sûr, mais il est allé beaucoup plus loin. Il a tout simplement compris que ce modèle, fondé sur le libre choix du peuple, allait inéluctablement gagner l'ensemble du monde et prévu par de sublimes déductions, la plupart des défis, des écueils et des dangers auxquels il serait confronté.
Naturellement son opinion est parfois nuancée car il n'avait pas pour objectif devant ses fabuleuses découvertes, d'abandonner tout esprit critique et son oeuvre n'était pas de circonstance, et encore moins celle d'un flatteur. C'est précisément ce qui en fait sa richesse et qui a fait qu'aux Etats-Unis, on l'a prise, contrairement à l'idée de Mr Fumaroli, davantage comme une leçon que comme « un livre culte de l'auto-idolâtrie américaine ».
Il est vrai que les cerveaux en Europe ont été tellement habitués à la suffisance sans limite des penseurs marxistes, à l'encensement philosophique sans mesure ni discernement, de cette abominable perversion, qu'ils peuvent éprouver de la peine à imaginer un mode de pensée différent.
Devant cette incompréhension et ces contre-sens apparents, il est intéressant de chercher quelque réponse auprès d'un vrai connaisseur du libéralisme. Comme par hasard, je tombe sur un texte que Jean-François Revel écrivit au sujet d'un précédent livre de Lucien Jaume. Je le livre ici tant il me conforte :
« J’ai lu avec beaucoup d’intérêt, lors de sa publication en 1997, le livre de Lucien Jaume, L’Individu effacé ou Le paradoxe du libéralisme français.
Membre du jury du Prix Guizot, je suis même de ses admirateurs qui, par leur vote, ont fait obtenir le prix 1998 à cet ouvrage.
Mais l’estime que j’exprimais ainsi pour l’auteur et pour l’érudition avec laquelle il embrasse son sujet ne signifie pas que son interprétation générale de l’héritage libéral français ne m’inspirait aucune perplexité.
Le but de Lucien Jaume est de nous persuader que les libéraux français du XIXe siècle, en réalité, étaient étatistes et que donc les néolibéraux actuels, pervertis par l’école austro-anglo-américaine, partisans de la privatisation et de la déréglementation, n’ont pas le droit de s’en réclamer. Nos libéraux du temps des Lumières et du XIXe siècle n’ont jamais voulu supprimer l’État.
Bien sûr que non, mais entre supprimer l’Etat et lui retirer les tâches qu’il exécute mal et au prix fort, il y a une différence, que Turgot, le premier, a inégalablement précisée. Ou encore Tocqueville, qui n’a cessé de se plaindre de l’excès du centralisme étatique français et de ses méfaits... »
Et pour donner le mot de la fin à Tocqueville, je ne peux résister à l'envie de livrer quelques réflexions qui disent assez son opinion et semblent éloignées du culte nostalgique de la féodalité auxquels certains semblent vouloir réduire le champ de sa pensée :
-Je ne crois pas à tout prendre qu'il y ait plus d'égoïsme parmi nous qu'en Amérique; la seule différence, c'est que là il est éclairé et qu'ici il ne l'est point. Chaque Américain sait sacrifier une partie de ses intérêts particuliers pour sauver le reste. Nous voulons tout retenir et souvent tout nous échappe.
-L'intérêt bien entendu est une doctrine peu haute, mais claire et sûre. Elle ne cherche pas à atteindre de grands objets; mais elle atteint sans trop d'efforts tous ceux auxquels elle vise. Comme elle est à la portée de toutes les intelligences, chacun la saisit aisément et la retient sans peine. S'accommodant merveilleusement aux faiblesses des hommes, elle obtient facilement un grand empire, et il ne lui est point difficile de le conserver, parce qu'elle retourne l'intérêt personnel contre lui-même et se sert, pour diriger les passions, de l'aiguillon qui les excite.
-Je ne craindrais pas de dire que la doctrine de l'intérêt bien entendu me semble de toutes les théories philosophiques, la mieux appropriée aux besoins des hommes de notre temps.
-Les Américains ont combattu par la Liberté l'individualisme que l'égalité faisait naître, et ils l'ont vaincu.
-Aux Etats-Unis, on s'associe dans des buts de sécurité publique, de commerce et d'industrie, de morale et de religion. Il n'y a rien que la volonté humaine désespère d'atteindre par l'action libre de la puissance collective des individus.
-Nul ne saurait apprécier plus que moi les avantages du système fédératif.J'y vois l'une des plus puissantes combinaisons en faveur de la prospérité et de la liberté. J'envie le sort des nations auxquelles il a été permis de l'adopter.
-Pour ma part, je ne saurais concevoir qu'une nation puisse vivre ni surtout prospérer sans une forte centralisation gouvernementale. Mais je pense que la centralisation administrative n'est propre qu'à énerver les peuples qui s'y soumettent parce qu'elle tend sans cesse à diminuer parmi eux l'esprit de cité. Nous avons vu qu'aux Etats-Unis, il n'existait point de centralisation administrative. On y trouve à peine la trace d'une hiérarchie. La décentralisation y a été portée à un tel degré qu'aucune nation européenne ne saurait souffrir.../...Mais aux Etats-Unis, la centralisation gouvernementale existe au plus haut point.
-Il arrivera un temps où l'on pourra voir dans l'Amérique du Nord 150 millions d'hommes égaux entre eux, qui tous appartiendront à la même famille, qui auront le même point de départ, la même civilisation, la même langue, la même religion, les mêmes habitudes, les mêmes moeurs, et à travers lesquels la pensée circulera sous la même forme et se peindra des mêmes couleurs. Tout le reste est douteux, mais ceci est certain. Or, voici un fait entièrement nouveau dans le Monde, et dont l'imagination elle-même ne saurait saisir la portée...
Le Point 1854 27/3/08
« Tocqueville », chez Fayard, par Lucien Jaume
« De la Démocratie en Amérique » Alexis de Tocqueville. Garnier Flammarion. Préface de François Furet.

30 mars 2008

La madone et le libéralisme


Le magazine Le Point, après avoir lâché quelques couvertures bien senties au sujet du Président de la République (« ce qui cloche », « ce qu'il mijote », « Peut-il encore changer ? »...), présente aujourd'hui « la nouvelle Ségolène Royal » ! Et les titres cette fois sont nettement plus enjoués, pour ne pas dire complaisants (« A la tête du combat anti-Sarkozy », « qui peut l'arrêter ? »).
Sous des photos aimablement choisies, la montrant tous sourires entourée de sa garde rapprochée, elle paraîtrait presque moderne et affable... A lire les propos qu'on lui attribue, son socialisme rénové serait même « iconoclaste » : « Le monde a changé, le socialisme doit changer pour rester fidèle à sa mission ».
A peine se dit-on qu'il était temps, qu'on lit non sans stupeur, plus loin qu'elle revendique dorénavant avec vigueur le libéralisme : « Les véritables héritiers de la belle tradition du libéralisme politique, l'autre nom de la démocratie, sont à gauche ». Elle affirme être inspirée par Montaigne et Montesquieu et cite même Tocqueville, dont elle trouve la lecture stimulante !
C'est le monde à l'envers, depuis qu'on sait Sarkozy touché par la grâce de Blum et de Jaurès !
Et l'économiste et « brillant chercheur », Philippe Aghion, qui semble avoir pris auprès de la madone du peuple de gauche, la place d'Eric Besson, précise de manière concrète cette nouvelle conception destinée à « en finir avec les conformismes », proposant notamment de « relancer la concurrence dans la grande distribution », ou de donner « davantage d'autonomie aux universités ». Pour un peu on retrouverait le canevas du programme de Nicolas Sarkozy....
Pourtant derrière ces jolies décorations de façade, il n'est pas besoin de gratter beaucoup pour voir réapparaître les poncifs décrépis du socialisme le plus archaïque. Du libéralisme tout d'abord, elle fait mine de croire qu'on pourrait n'en retenir que la dimension "politique". Pour en rejeter bien entendu de manière implicite, l'horreur économique. Comme si la Liberté pouvait être disséquée, émiettée au gré des croyances ou des religions. Si on accepte Tocqueville on ne voit pas pourquoi on rejetterait Bastiat, Say, Quesnay ou Turgot.
En fait de changement, il se situe toujours à mille lieues de la vision moderne et débarrassée de préjugés idéologiques de Tony Blair. D'ailleurs en déclarant ne pas être opposée au principe de s'inspirer des autres expériences européennes, scandinaves, ou anglaise, ou bien de celle de Schröder, ou de Zapatero, Ségolène fait l'aveu de l'incroyable retard de son parti pour se rénover. Au surplus de cette inertie, en déclarant aujourd'hui vouloir « aller voir ailleurs ce qui marche et ce qui ne marche pas », elle souligne le manque d'inspiration incurable caractérisant le PS français.
En définitive le fameux projet semble toujours aussi borné par l'idéologie. Et la bonne vieille Lutte des Classes sur laquelle ont proliféré tant d'impostures intellectuelles du socialisme, n'est jamais bien loin.
Ségolène Royal campe sur des positions inchangées et tient un discours fondé sur la duplicité, imprégné de rancoeur revancharde. Selon elle, seuls « les privilégiés et les héritiers » auraient « été choyés » par l'actuel Président. « L'initiative économique est en panne » et « les inégalités n'ont jamais été aussi insolentes ». On croirait entendre Besancenot.
Non, décidément la Gauche dans ce pays a encore d'énormes progrès à faire.
Quant à la Presse, particulièrement peu en verve ces derniers temps, elle gagnerait à cesser de promouvoir aussi servilement toutes les vieilleries rances de l'arrière boutique politique, en les faisant passer pour du neuf. A propos de Ségolène, ils ont d'ailleurs la mémoire courte puisqu'ils disaient déjà quasi la même chose sur son fabuleux destin à venir, un an avant l'élection présidentielle...

24 mars 2008

Mort où est ta victoire ?


Avec l'affaire Chantal Sébire, le douloureux problème de la fin de vie des malades incurables revient une nouvelle fois à la une de l'actualité. Difficile toutefois d'imaginer situation plus propice à bouleverser l'opinion, tant elle paraît insoutenable. On se bouscule pour en savoir plus, pour voir les ravages de la maladie sur ce visage supplicié. Et la médiatisation effrénée de ce cas épouvantable n'est pas loin d'évoquer l'exhibition morbide de difformités rarissimes, transformées en phénomènes de foire.
Mais derrière les apitoiements de façade, se déchaîne un flot de passions contradictoires. La malheureuse manifestement est dépassée par les évènements et son tragique destin devient le sujet à la mode, à propos duquel on s'étripe dans les salons. Beaucoup de bruit pour rien d'ailleurs puisqu'après 8 ans de souffrances, et quelques jours de grand tohu-bohu, celle qui voulait en finir à tout prix dans la dignité, est retrouvée morte, seule, sans même son médecin ni sa famille à ses côtés !
Aussitôt, les inconvénients de ce tapage invraisemblable apparaissent au grand jour. Chantal Sébire est morte sans que le droit à l'euthanasie lui eut été accordé. La Justice se trouve contrainte d'ordonner une autopsie. Et ce qui était à craindre est arrivé : elle ne retrouve en première analyse aucune cause naturelle au décès !
Pourquoi donc faut-il en arriver là ? Les unités de lutte anti-douleur et de Soins Palliatifs se sont multipliées ces dernières années à travers le pays pour procurer le maximum d'accompagnement et d'adoucissement aux peines des malades dont la vie est devenue un calvaire sans issue. En vain, car le noyau dur des partisans de l'euthanasie ne sera jamais satisfait. Ils veulent leur loi mortifère et maintiendront leur pression tant que les Pouvoirs Publics n'auront pas fléchi. Le zèle prosélyte de Marie Humbert dans ce contexte, est édifiant.
Pourtant rien n'est pire que de vouloir légiférer à partir d'un cas particulier, incarnant précisément une situation exceptionnelle. C'est la porte ouverte à tous les excès, et tous les débordements...
Hier soir, chez Laurent Ruquier, qui anime chaque samedi soir le podium de la pensée unique, François de Closets champion incontesté dans le domaine était venu rajouter une couche de promo à son dernier livre, déjà bien placé au box-office. Voulant dénoncer l'hypocrisie des adversaires de l'euthanasie, il déploya un argumentaire digne des pires jésuites. S'appuyant sur le cas de Chantal Sébire, il décrivit ce qui constitue pour lui une solution en définitive simple : il suffit pour un médecin, lorsqu'un patient le demande, de préparer dans un verre une solution léthale et de la poser sur sa table de chevet, et laisser ce dernier libre de la prendre ou non.
Evidemment, il ne dit pas ce qu'il faut faire lorsque le malade est dans l'incapacité d'ingurgiter le breuvage. Probablement pense-t-il qu'une âme charitable de la famille ou bien l'entourage proche puisse se substituer à lui...
Surtout, il se garde d'expliquer en quoi telle ou telle demande serait plus légitime que telle autre. Qui pourra dire de manière indiscutable que telle ou telle vie ne mérite plus d'être vécue ? Car si l'on suit ce raisonnement « démocratique », respectant la volonté de l'individu, pourquoi refuser ce droit à une mort douce à tous les candidats au suicide ?

15 mars 2008

Le diable est Monsanto


Parmi les bêtes noires des grands prêtres de la Pensée Unique, Monsanto occupe une position privilégiée. Cette firme cristallise en effet sur son nom à peu près tous les maux supposés dont souffrirait selon eux la société « ultra-libérale » : entreprise multi-nationale, d'origine américaine, faisant du profit, et comble du comble, produisant des organismes génétiquement modifiés (OGM) ! L'horreur absolue.
ARTE, « la petite chaîne culturelle », s'est fait un devoir de mettre son antenne citoyenne, indépendante (mais d'Etat...), à la disposition de la « Résistance » à cet immonde « biototalitarisme », en diffusant récemment un reportage édifiant sur le sujet.
Je me suis infligé l'épreuve de visionner ce petit chef d'oeuvre de mauvaise foi signé Marie-Monique Robin. Je parais peut-être un peu péremptoire, mais il faut dire que dès le titre, mon opinion était quasi faite. La rhétorique commence à être connue et ses ficelles un peu voyantes (entre autres balivernes, on avait déjà dans cette inénarrable collection le fameux « Monde selon Bush » de William Karel).
De fait, je n'ai pas été surpris.
Avec des arguments comparables à ceux de Thierry Meyssan sur le 11 septembre, cette soi-disant journaliste d'investigation entreprend de démonter pièce par pièce, l'empire malfaisant. La méthode est désormais classique : fragments d'interviews dont il est impossible même d'affirmer qu'ils se rapportent au sujet, témoignages mélodramatiques de gens présentés comme étant des victimes du fléau, et comme innovation, le surf sur internet via google, en entrant dans le moteur de recherche des phrases entières du style « Monsanto est méchant », « Monsanto est poursuivi en justice »...
Il serait épuisant de reprendre point par point l'argumentaire tant il est exclusivement à charge, évoquant le déterminisme implacable des procès staliniens. Tout est prémédité pour aboutir à la seule conclusion qui s'impose : Monsanto menace la planète.
Car pour madame Robin, c'est une évidence, Monsanto qui affiche sur son site une ambition louable
(« Une agriculture de qualité, compétitive et durable » ), serait en réalité un monstre pervers dont le seul souci serait de nuire. De l'Agent Orange en passant par les PCB et le Round-Up jusqu'aux semences issues du génie génétique, l'entreprise maléfique s'ingénierait à polluer l'environnement et à pervertir les Autorités de contrôle, dans un seul but : s'enrichir. Pas une bonne action selon son analyse, n'est à porter à son crédit.
Pour parvenir à réaliser ses sombres desseins, elle se livrerait à des pressions sur les Pouvoirs Publics. Il paraît même qu'elle serait parvenue à intimider le ministre de l'agriculture de Bill Clinton et à corrompre les experts de la très puissante et très redoutée Food and Drugs Administration !
Pas de doute, la théorie du complot trouve ici un nouveau champ d'application, puisqu'à croire l'investigatrice, les sbires de Monsanto sont infiltrés partout et le Monde est à leur botte, principalement les malheureux pays en voie de développement.
S'agissant des produits, le seul axe de l'enquête consiste manifestement à en démontrer l'effroyable toxicité. Peu importe qu'aucun effet indésirable significatif ne soit encore apparu avec les OGM depuis une vingtaine d'années. Il suffit de créer dans l'esprit du public crédule une psychose, en décrivant à la manière d'un mauvais film de science fiction les dangers à venir. Les nigauds sont tellement sujets à croire n'importe quelle fantasmagorie pour peu qu'elle ait un parfum d'intrigue ou de scientisme.
A défaut de faits tangibles sur les OGM, on ressort tout le passé de la firme. Les herbicides, les PCB sont condamnés pêle-mêle et sans nuance. On oublie au passage que les défoliants sont conçus pour tuer les mauvaises herbes, qu'ils sont par nature toxiques et pas faits pour être répandus sur les hommes. Ainsi les méfaits de l'Agent Orange durant la guerre du Vietnam, largement évoqués, furent liés au type d'utilisation qu'on en fit, bien davantage qu'à la nature du produit. On reproche au Round-up de n'être pas vraiment bio-dégradable, mais le paraquat, un des herbicides les plus efficaces l'était totalement
(précisons qu'il ne vient pas de chez Monsanto). Dès qu'il touchait la terre ses redoutables radicaux libres étaient totalement inactivés. Il fut pourtant abandonné en raison de sa terrible toxicité lorsqu'il était malencontreusement ingéré ou inhalé...
Quant aux PCB parmi lesquels on compte le tristement fameux pyralène, ils ont été conçus pour servir dans l’industrie en raison de leurs qualités d’isolation électrique, de lubrification et de d’ininflammabilité. Ils se sont hélas révélés toxiques et sont interdits depuis plus de 20 ans. L'amiante, cet autre poison (sans rapport avec Monsanto) a aussi été largement utilisé avant que sa toxicité soit reconnue et que des solutions alternatives soient disponibles. Plus récemment, on se souvient des ravages des farines animales, pourtant approuvées un temps par les Pouvoirs Publics en Europe et notamment en France. A quoi rime donc de ressasser ces errements de la technique et d'en faire la substance d'un procès en sorcellerie visant un seul accusé ? Les responsabilités sont multiples et c'est le défi qui s'impose dorénavant à une société moderne que de savoir avec bon sens peser le pour et le contre, face à toute innovation scientifique.
A ce jour, les bienfaits des OGM sont indéniables : ils aident des pays ne jouissant pas de bonnes conditions en terme de climat ou de sol, à devenir auto-suffisants en matière de production agricole. Ils permettent de réduire l'apport d'eau, d'engrais et de pesticides. Ils facilitent la conservation des végétaux après leur récolte...
Les OGM du monde agricole sont issus des techniques de génie génétique. Il faut savoir que ces mêmes techniques permettent à de nombreux laboratoires pharmaceutiques de modifier des bactéries afin de leur faire synthétiser des médicaments. La plupart des diabétiques leur doivent la fabrication de l'insuline qui les soigne. Quantité d'autres médicaments sont issus des mêmes procédés.
De son côté, le Téléthon, chaque année collecte des fonds destinés à la mise au point de thérapies géniques, consistant comme leur nom l'indique à s'interposer avec les gènes naturels. Certains traitements ont déjà été essayés et se sont révélés parfois plus nocifs que bénéfiques (induction de leucémie chez des enfants traités pour déficit immunitaire congénital). Pourtant chaque année les donateurs continuent d'encourager cette recherche et il vient à l'idée de personne de condamner sans appel cette initiative.
En définitive, ce qui est choquant, ce n'est pas le fait de s'interroger sur la nature d'une entreprise, ni sur le bien-fondé de sa production ou de ses méthodes. L'investigation et la critique sont indispensables naturellement pour une société soucieuse de progrès.
Mais lorsqu'elles sont portées à ce niveau de dénigrement, de parti-pris et de désinformation, elles se décrédibilisent bien plus que les prétendus agissements qu'elles condamnent. Ce qui est excessif est insignifiant.
Autre sujet d'étonnement : la naïveté ahurissante d'une grande partie du public, prêt à croire sans discernement et à colporter en les amplifiant, nombre de fariboles et de croyances plus ou moins bien intentionnées. Plus grave encore, dans les établissements scolaires, certains professeurs appuient manifestement leur « enseignement » sur de tels ragots, censés selon eux développer l'esprit critique !
Au XXIè siècle c'est un péché que d'être aussi influençable et crédule. Il est plus urgent
que jamais de revenir aux fondements de la critique rationnelle : " Ne rien admettre pour vrai que je ne le connusse être évidemment tel " conseillait Descartes. De lire ou de relire aussi sans doute la magistrale thèse de Jean-François Revel sur la « Connaissance Inutile »...
Je précise que je n'ai aucun intérêt ni de près ni de loin à défendre Monsanto, mais que j'estime du devoir d'un esprit libre d'apporter sur le sujet, après un minimum d'enquête personnelle, ne serait-ce qu'une réflexion contradictoire face au consensus vertigineux qui a envahi les médias et l'Opinion Publique.

10 mars 2008

spleen de fin d'hiver


Soirée électorale sans surprise. Pas d'élan, pas d'inspiration, pas de révolution, pas de grand soir. Il n'y avait pas lieu d'ailleurs pour un tel scrutin, un an à peine après l'élection présidentielle. Au grand dam de ceux qui ne la digèrent toujours pas et qui ont fait feu de tout bois pour tenter de faire croire que la France était mécontente, et qu'on allait voir ce qu'on allait voir...
Ils me fatiguent tous ces imbéciles qui veulent refaire le monde tous les quatre matins, qui proposent comme Marianne la semaine dernière, de « rejouer le match » par sondage interposé, tous contents qu'ils sont d'annoncer que la Ségo gagnerait aujourd'hui avec 51% des suffrages. Ineffable stupidité.
Ces derniers temps j'éprouve des difficultés à écrire : trop ou pas assez de choses à dire. L'actualité hexagonale est à ce point faite de potins, de ragots, de clichés, qu'on dirait un bouillon nauséabond à la surface duquel viendraient éclater sans cesse de grosses bulles répandant de méchantes odeurs. Ça pue et c'est vain.
La nébuleuse médiatique, plus stupide que jamais colporte et amplifie n'importe quel cancan dans une surenchère morbide. Je ne parle pas du montage en épingle de petites phrases de telle ou telle personnalité, ou des caprices de telle ou telle actrice.
Pris d'un vrai délire obsessionnel, on cherche à tout quantifier, tout évaluer de manière booléenne ("oui", "non", "ne se prononce pas"...). Nous sommes abreuvés de chiffres qu'on ne prend pas le temps d'analyser. Même le domaine de la Santé Publique paraît désormais bien galvaudé. Un jour on annonce le déferlement imminent d'une épidémie mortelle de grippe aviaire, un autre on carillonne que le nombre de cancers augmente, que la pollution s'aggrave, que Monsanto complote contre notre santé, que le climat s'y met lui aussi. Le lendemain on entend au contraire que l'espérance de vie croît sans discontinuer, que la moitié des petites filles qui naissent
aujourd'hui seront centenaires, que la mortalité par maladie diminue, que les hospitalisations pour infarctus du myocarde ont diminué à elle seules, de 15% en l'espace de deux mois, depuis l'entrée en vigueur de l'interdiction de fumer dans les restaurants, bars et boites de nuit ! Un vrai miracle ! Comme les radars sur les routes, c'est si simple... Comment diable, les experts n'y ont-ils pas pensé plus tôt ?
Le Pouvoir d'Achat, sujet récurrent entre mille, donne lieu à toutes sortes de supputations plus fantaisistes les unes que les autres. On déplore par exemple que les grandes surfaces soient en situation de monopole mais personne ne va plus chez les petits commerçants. Partout on centralise, on concentre, on désertifie, avec la bénédiction et les encouragements des Pouvoirs Publics (après les banques, les hypermarchés, même les hôpitaux s'y mettent). Et partout où elle passe, la meute hurlante des anti-libéraux s'échine à convaincre le bon peuple qu'il faut tuer définitivement toute concurrence.
L'Etat quant à lui feint de s'étonner. Il n'imagine pas un instant qu'une TVA désespérément accrochée à près de 20% soit un frein à la consommation. Il invoque toujours le prix du pétrole, acheté pourtant au rabais grâce à la dépréciation du dollar. Et il continue de prendre en toute tranquillité plus de 400% du prix brut en taxes...
Enfin les gens se plaignent de l'augmentation irrésistible du prix des macaronis, des tomates et du rôti de porc, mais déboursent bien souvent sans même s'en rendre compte des fortunes en téléphonie, télévision, et autres services superfétatoires prélevés en douceur, automatiquement sur leur compte...
Vivement le printemps !