On
n'est pas forcé d'apprécier l'humour de Charlie Hebdo pour lui
reconnaître le droit d'exister et de se livrer à son exercice de
prédilection : la provocation systématique. C'est souvent très
gras, très laid et en général peu contributif au débat, tant le
trait est outrancier, voire grotesque, indécrottablement ancré dans
le parti-pris gauchisant. Mais hormis les remugles du mauvais goût,
il n'y a franchement pas de quoi fouetter un chat.
L'effet
n'est de toute manière plus très souvent à la hauteur des
ambitions. Qui s'émeut de nos jours de voir le pape représenté en train
de sodomiser une taupe (hormis quelques grenouilles survivant encore dans
les bénitiers asséchés), ou bien le Front National symbolisé par
un étron fumant (sauf pour en rire bêtement chez Ruquier) ?
Mais
lorsque le magazine satirique se risque à marcher sur les plates
bandes de l'Islam, dans ce qu'il a pourtant de plus radical et
rétrograde, on dirait au vu des réactions que cela suscite, qu'il
ne met rien moins que la République en péril !
Les
politiciens qui nous dirigent, d'habitude plus prompts à se faire
les champions de la liberté d'expression et les ennemis de la
censure, font profil bas et semblent même gagnés par la panique.
Évoquant la publication récente des fameux dessins, le premier
ministre se crut obligé d'exprimer « sa
désapprobation face à tout excès », et d'en appeler « à
l'esprit de responsabilité de chacun ». Le
ministre des Affaires Etrangères a martelé de son côté qu'il
était « opposé à toute provocation », et le
gouvernement a procédé dans la foulée de la publication, à
l'interdiction de manifestations, et au renforcement tous azimuts des
mesures de sécurité. On se serait cru à la veille d'une guerre
civile...
Les
autres médias réunis ont joué quant à eux les hypocrites :
tout en se faisant les relais complaisants des dessins incriminés,
ils ont fait mine de s'interroger gravement sur « les limites
du genre bête et méchant » (l'Express).
Le
pire fut de lire certains éditoriaux renvoyant dos à dos sur un
pied d'égalité, la satire, la caricature, et la provocation d'un
côté, et de l'autre, l'intolérance, les appels au meurtre,
l'obscurantisme. Ne pas voir la différence est un signe navrant de
la dérive des mentalités.
Parmi
les exemples les plus frappants de ce dévoiement intellectuel,
figure l'opinion de Christian Makarian parue dans l'Express,
reprochant à Charlie Hebdo d'avoir surenchéri sur le fameux mais
anodin bout de film circulant sur le web, tournant en dérision les
musulmans. Il accuse le magazine « d’emboîter le pas d'une
vidéo qui est bien plus proche d'un manifeste politique
extrémiste », alors même que les réactions délirantes de
foules haineuses un peu partout dans le monde (même à Paris) ont
semblé donner raison aux mystérieux auteurs du film incendiaire!
Plus
forts encore furent les propos de Laurent Joffrin publiés dans le
Nouvel
Obs du 20/09 affirmant
« qu'en caricaturant Mahomet, nos confrères se retrouvent aux
côtés de fanatiques islamophobes. Et font des islamistes les
premiers défenseurs de l'Islam. »
On
pense à l'incroyable mauvaise foi (à moins que ce ne soit courte
vue) des gens qui accusaient d'anti-communisme primaire, tous ceux
qui osaient il y a quelques décennies s'attaquer à l'idéologie
asservissant tant de malheureuses populations derrière le rideau de
fer. Tandis que des peuples étaient opprimés aux portes du monde
libre, et qu'un effroyable totalitarisme se faisait de jour en jour
plus menaçant, il fallait selon ces culs bénis d'inspiration
munichoise, pratiquer la coexistence pacifique, jouer la détente
pour apaiser le monstre...
L'histoire
paraît se répéter. Ce qui est effrayant, en la circonstance, c'est
l'inversion des valeurs à laquelle on assiste. Est-ce lâcheté ?
Est-ce myopie ? Est-ce naïveté ? La question mérite
d'être posée. C'est le mérite de Charlie Hebdo de la provoquer.
Au
moins ses journalistes font leur métier ni plus ni moins, et on peut
au moins leur reconnaître le courage de ne pas faiblir lorsque tant
d'autres se défilent...