19 avril 2010
Quand sonne la retraite...
11 avril 2010
L'Esprit de Philadelphie
Évidemment c'est incongru, grotesque, intellectuellement véreux, et ça révèle une méconnaissance profonde, sous tendue sans doute par une aversion instinctive, pour tout ce qui touche au libéralisme. Mais c'est facile, pas besoin de trop argumenter, et ça permet de jeter le beau bébé de la liberté avec l'eau saumâtre du bain communiste. On pourrait ajouter que ça permet à certains de faire oublier leurs connivences longtemps entretenues avec le système soviétique...
Au premier abord, une telle référence appelle plutôt la sympathie de tout Libéral épris du message des Pères Fondateurs de l'Amérique. L'esprit de Philadelphie c'est bien sûr avant tout celui des auteurs de la déclaration d'indépendance de 1776, ou encore des Conventionnels qui élaborèrent la Constitution Américaine en 1789 : il n'y a pas de système au monde mieux organisé, plus stable, plus équilibré, et qui préserve autant les libertés individuelles.
L'ennui est que l'ouvrage se réfère en fait à une déclaration d'intention, moins connue, émanant de l'OIT (Organisation Internationale du Travail) datant de 1944 …
-La liberté d'expression et d'association est une condition indispensable d'un progrès continu,
-La pauvreté, où qu'elle existe, constitue un danger pour la prospérité de tous,
-Tous les êtres humains, quels que soient leur race, leur croyance ou leur sexe, ont le droit de poursuivre leur progrès matériel et leur développement spirituel dans la liberté et la dignité, dans la sécurité économique et avec des chances égales.
L'essentiel est que ce texte réaffirme l'importance de la liberté sous toutes ses formes. Force est de constater d'ailleurs, que si ces recommandations ne sont pas appliquées partout loin s'en faut, ce ne sont pas les pays démocratiques qui s'avèrent les plus répréhensibles en la matière.
Vu à travers le prisme déformant de la crise économique actuelle (la plus grave depuis 1930 nous répète-t-on à longueur de journée...) ce type d'argumentation peut avoir un semblant de vraisemblance.
Mais objectivement la thèse occulte bon nombre de réalités et rejoint peu ou prou les revendications confuses, agressives et destructrices de l'alter-mondialisme.
On peut reprocher à ce modèle bien des choses sans nul doute, mais il y a un grand danger à vouloir, par pure idéologie, lui briser les ailes ou simplement chercher à l'encager.
Le plus simple (mais pas simpliste pour autant...) est tout de même de considérer qu'il est fondé avant tout sur l'esprit de liberté.
Cela ne signifie aucunement qu'il faille se passer d'Etat et de Lois. Au contraire. De Montaigne à Popper, en passant par Montesquieu, Locke, Tocqueville etc..., tous les penseurs du libéralisme ont insisté sur l'importance de ces derniers pour garantir une vraie liberté, et prémunir de l'anarchie. On ne peut résumer mieux ce sentiment qu'en citant Karl Popper : « Nous avons besoin de liberté pour empêcher l’Etat d’abuser de son pouvoir, et nous avons besoin de l’Etat pour empêcher l’abus de liberté ». Le tout est de trouver le juste milieu.
Le vrai problème est donc bien davantage lié à la pléthore de la bureaucratie qu'à son insuffisance. Par voie de conséquence, ce n'est pas d'un excès de liberté dont le monde souffre, mais d'un manque. Et en terme de régulations, il conviendrait de procéder avant tout à un élagage, tout en cherchant à en améliorer la qualité, plutôt que de songer à en renforcer encore le nombre déjà extravagant.
Faudrait-il donc se lamenter que ces pays, grâce aux progrès de la liberté, puissent enfin accéder eux aussi à une certaine prospérité, même si nous devons un peu en souffrir, transitoirement ?
Par un paradoxe désolant, comme le déplore Nicolas Baverez, « Le libéralisme se trouve ainsi dans une position paradoxale de moteur des transformations de la démocratie et du capitalisme, mais aussi de bouc émissaire auquel sont imputées les injustices du monde. »
Il faut également se garder d'imaginer qu'en tuant l'aspiration libérale, pour faire renaître sur ses cendres de nouvelles idéologies, les choses seront plus roses (sans jeu de mot...). « Les libéraux ne proposent ni explication unilatérale, ni recette miraculeuse, mais opposent le travail de la raison au déchainement des passions extrémistes et du fanatisme, l'éloge de la modération à la tentation de la démesure et à la fascination pour la violence, la pédagogie patiente de la liberté au renoncement et au fatalisme. »
-Le Libéralisme n'oblige aucunement les employeurs à maltraiter leurs salariés bien au contraire, puisqu'il fait de la défense de l'individu un objectif cardinal. A l'heure actuelle, certains pays émergents n'ont pas encore de droit du travail digne de ce nom, tandis que d'autres nations dites développées ont mis en place des systèmes de protection sociale quasi asphyxiants. Il en résulte un déséquilibre fâcheux contre lequel il faut lutter, grâce notamment aux institutions internationales. La solution sera probablement un compromis, exigeant de chaque partie des concessions et des révisions douloureuses. La France est hélas un des derniers pays occidentaux à refuser de se réformer. Elle pourrait le payer cher.
-Le libéralisme ne propose pas une jungle commerciale mais des relations ouvertes, qui offrent les meilleures chances à une prospérité durable. Le commerce n'est pas un vilain mot. Il n'est pour s'en convaincre, que de relire ce qu'en disait Montesquieu : «L'effet naturel du commerce est de porter à la paix. Deux nations qui négocient ensemble se rendent réciproquement dépendantes : si l'une à intérêt à acheter, l'autre a intérêt à vendre, et toutes les unions sont fondées sur des besoins naturels...» (L'Esprit des Lois).
De ce point de vue, le protectionnisme, qui repose sur une conception égocentrique et chauvine des échanges, est néfaste, même si ses défenseurs font miroiter quelques avantages à court terme. Les gens qui comme M. Supiot fustigent un monde où circuleraient librement les marchandises, tandis qu'on freinerait la circulation des hommes, ont une vue embuée. En matière de brassage de populations, une fois encore les Etats-Unis ont montré et montrent l'exemple de manière stupéfiante. Il serait vain toutefois de prétendre qu'aucune régulation ne soit nécessaire. Encourager l'immigration de populations auxquelles on n'aurait rien d'intéressant à proposer, n'est guère plus sensé que de s'acharner à vendre des tenues de plage à des Esquimaux ou des couvertures polaires sous les Tropiques...
-Le Libéralisme bien compris n'encourage aucunement les fusions d'entreprises, la concentration, ou les monopoles. A l'inverse, il pose que la concurrence (libre et non faussée), ou mieux encore, l'émulation est la meilleure garantie de la qualité et du contrôle des prix. Il y a lieu de s'alarmer de la concentration hallucinante d'entreprises et de banques à laquelle on assiste depuis quelque temps. L'amélioration apparente et transitoire de la productivité que ces mouvements centripètes procurent, ont pour contrepartie une déshumanisation et une vulnérabilité de l'ensemble de la société. Les grandes faillites observées depuis quelque temps en sont l'illustration.
-Enfin, le Libéralisme n'exclut pas la solidarité. Simplement, il postule que l'Etat n'est pas le mieux placé pour la mettre en oeuvre. Sauf cas de force majeure, la solidarité ne relève en effet pas de l'obligation institutionnelle mais de l'initiative de chacun, particuliers et entreprises. Le rôle de l'Etat est dans un tel contexte, celui de catalyseur, et non celui de machine à redistribuer.
D'une manière générale, il n'est pas de liberté qui vaille sans qu'elle soit assortie de responsabilité. En démocratie, les citoyens doivent prendre conscience qu'ils sont des acteurs à part entière. Ils ont les gouvernants qu'ils méritent et ne peuvent tout attendre des Pouvoirs Publics. Ils doivent apprendre à se gouverner par eux-mêmes. «Le plus grand soin d'un bon gouvernement devrait être d'habituer peu à peu les peuples à se passer de lui» affirmait avec sagesse Tocqueville. On ne saurait mieux résumer l'état d'esprit libéral.
L'esprit de Philadelphie : La justice sociale face au marché total. Alain Supiot. Le Seuil 2010
02 avril 2010
Perles élyséennes
Il était tellement sûr de lui en pénétrant dans l'enceinte de l'Université de Columbia à New York où il était invité à discourir, qu'il crut bon d'écarter « ostensiblement » le texte préparé par ses services pour se lancer dans un show improvisé devant les étudiants américains.
D'abord on eut droit au refrain éculé : L'Amérique est un grand pays, dont la France est l'alliée... Mais les Américains doivent comprendre qu'au XXIè siècle, « il n'y a pas un pays au monde qui peut gouverner tout seul le monde ». Ce dernier a donc « besoin d'une Amérique généreuse, ouverte, à l'écoute... ». L'assistance a probablement apprécié à sa juste valeur le conseil d'ami...
Sur la crise et la politique économique, Nicolas Sarkozy fit étalage de ses connaissances lacunaires, relevant souvent de lapalissades ou de lieux communs fabriqués à l'emporte-pièce : « Nous ne pouvons plus accepter un système capitaliste où il n'y a pas de règles, où il n'y a pas de régulations ».
Devant les descendants des pères Fondateurs, qui donnèrent la Liberté au monde, il n'hésita pas à enfoncer le clou de manière quasi insultante : "Nous avons besoin que le grand peuple américain comprenne que l'absence de règles tue la liberté".
Emporté par l'élan, il ne put s'empêcher de choir dans les très vieilles lunes de l'utopie économique, notamment celle du contrôle des prix. Sans crainte du ridicule, il préconisa, afin qu'il cesse de faire le yoyo, que soit fixé une fois pour toutes le prix du baril de pétrole (donnant même le chiffre « idéal » : 80 dollars !)
Ah bon, un problème, où ça un problème ?
Suivirent quelques perles bien franchouillardes où le mépris le dispute à la bêtise et à la caricature : « Bienvenue au club des nations qui ne laissent pas tomber leurs malades. » « Chez nous, quand quelqu'un tombe dans la rue, on ne lui demande pas sa carte de crédit avant de l'emmener à l'hôpital » .
Probablement le président français ignore-t-il que les Américains ont créé leur sécurité sociale 10 ans avant la nôtre et qu'ils ont sans doute la meilleure médecine d'urgence du monde. Probablement ignore-t-il qu'ils ont créé une CMU près de 40 ans avant nous (Medicaid). Probablement oublie-t-il qu'il a lui-même dit pis que pendre à ses concitoyens, du système déresponsabilisant et gravement déficitaire qui règne en France. Sans doute oublie-t-il enfin qu'il s'efforce lui-même de mettre en oeuvre avec beaucoup d'opiniâtreté, une réforme conduisant à rémunérer les établissements de soins en tarifant l'activité et en fixant des franchises...
C'est peut-être à cause de ce genre de cafouillages et de contradictions que tant de Français le comprennent si mal en ce moment (et que dire des Américains...)
Somme toute ce discours ne restera pas dans les annales, c'est le sort le meilleur qu'on puisse lui souhaiter, car stricto sensu il ferait plutôt honte aux descendants de Tocqueville...
29 mars 2010
Déchirements
Fin longue d'hiver, début hésitant du printemps ? Lendemains d'élections empreints de lassitude et de doute ? L'ambiance est assez terne, voire encline aux déchirements... Le pays, enclavé dans l'ornière des utopies stériles et des rancœurs destructrices, semble plus que jamais dépourvu de ressort. Le Gouvernement aura-t-il la force et le temps dans les 2 ans qui lui restent, de redonner un peu de vigueur et de foi à ce peuple désorienté, divisé, déchiré dans les contradictions ?
Première mesure après les Régionales, l'abandon de la taxe carbone, révèle sans doute un sursaut de pragmatisme, mais annonce-t-il enfin l'arrêt du tourbillon versatile des ambitions ratées, et la déroute piteuse des desseins chimériques ?
L'écologie a dépassé les bornes. Le Président de la République est bien avancé d'avoir tenu des discours catastrophistes avec à la clé une détermination claironnée de faire la leçon au Monde. Son calcul, avant tout politique, a été vain. Il doit se résoudre à battre en retraite sans explication, au risque de récolter l'incompréhension, jusque dans ses propres rangs...
Jusqu'où aller dans les contradictions et l'incohérence ? Il y eut tant de promesses avortées, de desseins d'un jour vertueux, mais sans lendemain, de revirements démagogiques... Ni le ridicule, ni les renoncements ne tuent, mais à la longue ils font des dégâts dans les esprits. Qui croire ? Quand peut-on être certain que ce qui est dit, soit fondé sur de vraies convictions ?
Plus grave, face à l'Allemagne, le pays apparaît de plus en plus en position de faiblesse. La crise grecque révèle tout à coup un nouveau rapport de forces, peu flatteur pour la France. A force de chanter à tue tête comme une cigale les vertus de son modèle social, la moralisation du capitalisme, la beauté des dépenses publiques, et autres billevesées ronflantes, elle s'est laissée distancer par le débonnaire géant teuton. Devenu à la force des poignets, l'armature et le cœur battant de l'Europe, il n'entend plus se laisser dicter sa conduite. Il faudra s'y faire et en tirer si possible des leçons.
Après avoir patiemment réunifié ses forces disloquées par le glacis soviétique et corrigé quelques faiblesses structurelles, l'Allemagne est en passe de dominer de la tête et des épaules le conglomérat branlant et sans identité qui ambitionnait d'aller « de l'Atlantique à l'Oural ». Pour les gens sérieux c'est plutôt une bonne nouvelle, mais la France, championne des occasions manquées, plus dépourvue d'alternatives que jamais, saura-t-elle enfin affronter sans préjugé et sans orgueil mal placé la dureté des réalités ? Et qu'adviendrait-il si l'Allemagne excédée finissait par retirer ses billes ?
Nouvel et édifiant exemple de ce refus obstiné de voir la réalité, la polémique ridicule sur une phrase prononcée par Eric Zemmour, à propos de certaines caractéristiques ethniques de la majorité des petits trafiquants de drogue dans les cités. Le constat, qui portait avant tout sur le délabrement social et le laisser aller communautaire, n'avait pourtant échappé à personne, sauf peut-être aux aveugles d'esprit. Mais comme le thermomètre qu'on préfère casser plutôt que de voir la fièvre qu'il indique, il est de bon ton d'occulter la gangrène qui ronge... En déchirant un petit pan du rideau d'hypocrisie qui asphyxie la société, le journaliste s'est attiré les foudres des censeurs. Plus dure sera la chute...
17 mars 2010
Tristes politiques
-Soit l'absence de vrai enjeu, dans une démocratie apaisée et prospère,
-Ou bien la lassitude vis à vis de la classe politique dans son ensemble...
Tous les partis politiques en font l'amère expérience. Le parti présidentiel, victime de l'exercice du pouvoir dans une période morose s'effondre, offrant ainsi aux Socialistes une victoire en trompe l'oeil : Bénéficiant de la posture d'opposants mais ne portant rien de nouveau, ils s'affaissent simplement moins. Loin d'incarner une dynamique porteuse d'espérances, le PS qui parade en tête de ce malingre cortège, ne peut revendiquer plus de 15% de l'électorat : une misère...
Evidemment, le grand perdant de ce jeu déprimant est bien Nicolas Sarkozy. Sans doute paie-t-il une certaine impuissance face à la crise. Sans doute aussi des erreurs stratégiques et une gestion des affaires devenant quelque peu erratique. Parmi les causes de cette déroute, trois relèvent de l'évidence :
Elle n'est pas payante, car trop large, trop obstinée, trop systématique. A force de débauchage dans les rangs adverses, le Président de la République se trouve entouré d'une nuée de gens, dont certains ministres, qui ne sont ni dans son camp ni dans un autre, dont la fiabilité politique est plus qu'aléatoire, et qui ne savent plus trop quoi dire, ni quoi faire voter... Au total, cette politique de Gribouille a surtout pour effet de brouiller les pistes, de mécontenter l'électorat naturel et ne rapporte manifestement pas une voix...
L'idée saugrenue d'Eric Besson, figure emblématique de l'ouverture, est un échec. Le débat qu'il a piloté, n'a rien apporté de concret face à la désagrégation sociale qui mine le pays; il n'a levé aucun tabou bien au contraire, et s'est révélé ringard par rapport aux enjeux européens. En somme, il s'est apparenté à une manœuvre de racolage assez grossière et complètement ratée, de l'électorat du FN.
Plus grave, il n'est pas parvenu à masquer l'échec du gouvernement dans sa politique sécuritaire, dont l'efficacité aurait pourtant été la meilleure arme pour contrer l'influence de l'extrême droite. On n'a retenu de la lutte contre la délinquance, que la recherche « du chiffre » : assez calamiteux...
Enfin, la Droite s'étant définitivement interdit de longue date, le moindre rapprochement avec le FN, elle va assister selon toute probabilité au second tour, à nouveau à l'émiettement d'un électorat déchiré, tandis que la Gauche "plurielle" va pouvoir se livrer de son côté sans complexe à tous les acoquinements...
Le grand élan novateur a décidément fait un flop. Beaucoup de réformes bien intentionnées restent inachevées et peu lisibles (code du travail, enseignement, justice, fiscalité, retraites, Collectivités Territoriales...), d'autres apparaissent inutiles ou superfétatoires (suppression de la Pub à la TV, Pôle Emploi, Taxe Carbone, HADOPI) et enfin certaines restent envers et contre tout ancrées dans la plus noire bureaucratie centralisatrice (Réforme des Hôpitaux et de l'organisation sanitaire dite HPST).
Comme son prédécesseur, Nicolas Sarkozy, à force de pratiquer un double langage et de manier les contradictions, ne récolte que désapprobation ou incompréhension. Malgré une soumission grandissante au credo de l'Etat Providence, malgré des virements de bords répétés vers la gauche, et des dénonciations outrancières du capitalisme, il ne parvient pas à se défaire de l'étiquette d'ultra-libéral, suppôt du grand patronat... Il perd donc sur tous les tableaux !
Lorsqu'il était « lui-même », il était la cible de quolibets et d'invectives, mais au moins pouvait-on espérer qu'il aurait les coudées franches pour mettre en œuvre ses convictions. Aujourd'hui dans son nouveau costume sombre, qu'il tente d'imprégner de la « dignité de sa fonction », il semble abandonner l'audace et l'innovation, au profit d'une conduite certes plus politiquement correcte, mais qui le condamne à devoir patiner dans la semoule.
07 mars 2010
Kant et Madame de Staël
En recourant à l'aide d'un tiers, capable d'en faire une interprétation plus claire, là aussi le risque est grand que la pensée originale soit quelque peu trahie. Lorsque ledit tiers défricheur, ne propose, en guise d'analyse, une glose encore plus abstruse que le modèle...
Ces préliminaires sont des évidences, mais fondamentales, lorsqu'il s'agit de comprendre la pensée de quelqu'un qui attache tant d'importance aux différences de nature entre « l'objet en soi » et sa représentation « pour soi », entre le « noumène » et le « phénomène ».
Dans son étude intitulée De l'Allemagne, madame de Staël (1766-1817) tentait en effet d'expliciter cette philosophie aride, pour ses contemporains de 1810. En une dizaine de pages lumineuses, je crois bien qu'elle m'a donné des notions aussi solides que tout ce que j'ai pu retenir depuis les années de lycée...
Sur la forme de ses écrits, elle avoue avoir peiné pour en déchiffrer le sens, et n'hésite pas à reprocher au philosophe l'hermétisme de son langage : « Il s'est servi d'une terminologie très difficile à comprendre, et du néologisme le plus fatigant. Il vivait seul avec ses pensées, et se persuadait qu'il fallait des mots nouveaux pour des idées nouvelles, et cependant il y a des paroles pour tout.../... Dans ses traités de métaphysique il prend les mots comme des chiffres, et leur donne la valeur qu'il veut, sans s'embarrasser de celle qu'ils tiennent de l'usage. C'est, ce me semble, une grande erreur; car l'attention du lecteur s'épuise à comprendre le langage avant d'arriver aux idées, et le connu ne sert jamais d'échelon pour parvenir à l'inconnu. »
L'originalité de la réflexion kantienne fut de proposer une voie intermédiaire, empreinte d'humilité et de sagesse, où le philosophe a certes la tête dans les étoiles, mais garde bien les pieds sur terre...
Pour simplifier, Kant voit dans l'entendement humain, une double composante :
-Celle qui lui permet d'appréhender, d'expliquer et de mieux comprendre les phénomènes naturels au sein desquels il vit. La seule entité qui soit ici innée est la capacité à raisonner. C'est peu et c'est énorme, car c'est ce qui permet à l'Homme de discerner entre les faits et les choses des liens de causalité, et de progresser, au gré de conjectures et de réfutations, d'essais et d'erreurs.
Ce domaine est pourtant marqué par un terrible paradoxe : «les vérités acquises par l'expérience n'emportent jamais avec elles la certitude absolue; quand on dit : le soleil se lève chaque jour, tous les hommes sont mortels,etc., l'imagination pourrait se figurer une exception à ces vérités que l'expérience seule fait considérer comme indubitables.»
-L'autre composante est indicible. Elle relève à proprement parler de la spiritualité. Ici rien ne se démontre, rien n'est palpable ni vérifiable expérimentalement, mais pourtant tout est en nous, solidement ancré, de manière consubstantielle à la conscience. Il en est ainsi du sentiment du bien et du mal, de la morale, de l'immortalité de l'âme, de l'existence de Dieu.
Pour lui, toute métaphysique qui se présente comme science, n'est en effet qu'une imposture. Car «lorsqu'on veut se servir du raisonnement seul pour établir les vérités religieuses, c'est un instrument pliable en tous sens, qui peut également les défendre et les attaquer, parce qu'on ne saurait à cet égard trouver aucun point d'appui dans l'expérience. Il est possible de placer sur deux lignes parallèles les arguments pour et contre la liberté de l'homme, l'immortalité de l'âme, la durée passagère ou éternelle du monde; et c'est au sentiment qu'il en appelle pour faire pencher la balance, car les preuves métaphysiques lui paraissent en égale force de part et d'autre.»
Il existe d'ailleurs quelques parallèles intéressants dans cette double acception. Si la puissance du raisonnement se détériore lorsqu'on l'applique aux notions transcendantales, on dégrade de manière similaire la conscience et «la dignité du devoir.../... en les faisant dépendre des objets extérieurs» et des sensations. Par corollaire, «l'empire des sensations et les mauvaises actions qu'elles font commettre ne peuvent pas plus détruire en nous la notion du bien ou du mal que celle de l'espace et du temps n'est altérée par les erreurs d'application que nous en pouvons faire.»
Le scientisme qui gagna les esprits dans le sillage des Lumières, privilégiait de plus en plus les conceptions matérialistes, «ce fut une satisfaction vive pour des hommes à la fois si philosophes et si poètes, si capables d'étude et d'exaltation, de voir toutes les belles affections de l'âme défendues avec la vigueur des raisonnements les plus abstraits.»
D'un autre côté, «c'est rendre grand service à la foi religieuse que de bannir la métaphysique de toutes les questions qui tiennent à l'existence de Dieu, au libre arbitre, à l'origine du bien et du mal.» Et c'est la clé de la sagesse humaine que de parvenir à s'auto-limiter en matière de spéculation intellectuelle : «Des despotes et des fanatiques ont essayé de défendre à la raison humaine l'examen de certains sujets, et toujours la raison s'est affranchie de ces injustes entraves. Mais les bornes qu'elle s'impose à elle-même, loin de l'asservir, lui donnent une nouvelle force, celle qui résulte toujours de l'autorité des lois librement consenties par ceux qui s'y soumettent...»
Au surplus, la distinction qu'il établit entre les champs du rationnel et de l'irrationnel apparait plus fondamentale que jamais avec le recul du XXè siècle, si riche en progrès techniques et si calamiteux au plan des idéologies.
Ce portrait quasi contemporain du grand homme semble en tout cas bien plus fidèle à son modèle que certaines élucubrations vindicatives mais stériles, comme celles de Michel Onfray qui n'hésite pas en faire l'inspirateur du nazisme, ou bien de Bernard-Henri Levy qui avec l'aplomb d'un cuistre, ravale le « prétendu sage de Königsberg » au rang « d'enragé du concept », de « fou furieux de la pensée », et de «philosophe sans corps et sans vie par excellence»...
ou par Encyclopédie Agora
02 mars 2010
Un Français chez les Lincoln
Adolphe de Chambrun qui ne parle pas un mot d'anglais fait de rapides progrès, et grâce à quelques relations opportunes, peut s'approcher du gratin politique américain, jusqu'à être admis dans l'entourage immédiat du président Lincoln.
Il y est accueilli très chaleureusement : « on me parle politique avec une amicale franchise ; pour tous, je suis un ami chaleureux, pensant comme eux, et avec lequel on s'explique le plus naturellement du monde. »
Le contraste est d'autant plus saisissant que la France ne se montre pas sous un jour très avenant. Probablement en partie à cause des intérêts coloniaux que notre pays cherchait à préserver au Mexique, elle avait pris fait et cause pour les Confédérés. Parlant par exemple, de la légation officielle qu'il côtoie quotidiennement, Chambrun s'exprime avec férocité : « il est impossible de rêver situation plus bête, plus fausse est impolitique. Ces Messieurs vivent entre eux, n'ont de contact avec aucun indigène ; ils disent tout haut que la France ne fait qu'une faute : c'est de ne pas avoir reconnu le sud et déclaré, s'il le fallait, la guerre à l'Amérique. En guise de commentaires, ils ajoutent que l'Américain est mal élevé, que les femmes s'habillent mal, que sais-je encore ?... »
Lorsque celui-ci est assassiné le 14 avril 1865, il est bouleversé, et n'est pas loin de se ranger à l'avis de ceux qui réclament vengeance. D'autant qu'il entend dire que ce tragique événement n'est que le résultat de complots ourdis avec la bénédiction du président des Confédérés, Jefferson Davis. Il a connaissance également qu'en dépit de sa réputation de chevalerie, le général Lee n'hésitait pas « à laisser mourir les prisonniers fédéraux de faim... »
Mais dans ces moments il s'insurge aussi contre l'aveuglement ou plutôt le parti pris de l'opinion française : « Il arrive parfois de tomber sur des articles de journaux de Paris traduits et reproduits en Amérique ; il en est d'amusants par leurs bévues ; ainsi, La Patrie, arrivé par un des derniers paquebots, écrivait que le parti républicain, altéré de sang, se livrait décidément aux excès de la pire démagogie. J'ai rarement vu autant de bêtises, en aussi peu de mots. Ceux qui poussent à faire couler le sang de Davis, ce sont précisément les Démocrates...»
En définitive, en dépit de quelques représailles violentes ça et là, le peuple américain sera magnanime. Il n'y aura pas d'épuration et Jefferson Davis sera libéré après quelques mois de prison. Tout au plus sera-t-il déclaré inéligible.
Par exemple, alors qu'il est reconnaissant à Lincoln de l'avoir sauvée, il ne voit guère d'avenir à la Fédération : « Évidemment, l'unité fédérale qui est indispensable en ce moment au développement de la nation américaine ne pourra pas durer telle quelle éternellement : le jour où 200 millions d'hommes seront rassemblés dans ce continent, ce n'est pas de Washington qu'on les gouvernera ; on peut prédire à coup sûr des morcellements en États distincts... »
Plus que les séquelles de la guerre civile c'était selon lui l'émigration massive qui, en diluant l'esprit puritain des premiers colons, ne pouvait que conduire à l'effritement de l'union.
S'agissant de l'esclavage et du racisme, son opinion, qui n'est pas exempte de relents méprisants assez banals à cette époque, témoigne néanmoins d'une ouverture d'esprit laissant entrevoir l'évolution des mentalités. Parlant des Noirs : « Je crois cependant, à première vue, qu'ils sont moins intelligents que les blancs, qu'il faut leur expliquer bien plus ce que l'on désire.../... Je ne m'étais pas non plus imaginé qu'il put y avoir de beaux Nègres. Eh bien, il y en a, surtout des mulâtres superbes : taille élancée, bien prise ; oui, ce sont vraiment de beaux types d'hommes.
En ce moment, ils sont les héros du jour.../... Je crois que ce qu'il y a de mieux pour eux, c'est d'en avoir fait des soldats ; l'égalité sous l'uniforme a été le premier pas vers l'égalité tout court. Il n'y a rien qui rapproche autant les hommes que de vivre, de combattre, de vaincre, et de mourir côte à côte. En outre, ils se sont très bien battus ; on ne les a pas épargnés au feu, et ils l'ont très bravement supporté. »
Au moment de la mort de Lincoln, évoquant Tacite, parlant d'Agricola : « le bonheur que t'a fallu l'éclat de ta vie ne vaut pas la chance que tu as eue de mourir au bon moment. »
Sur la manière de s'exprimer aux Etats-Unis : « Ici, on va droit au but, sans périphrases, on frappe à coups redoublés ; une langue simple, sévère, rend merveilleusement la pensée et est on ne peut mieux adaptée au combat. »
Et enfin, rejoignant le sentiment de Tocqueville : « Pour tout dire, ce peuple barbare est plus civilisé que beaucoup d'autres... »
22 février 2010
Simple traversée des apparences
M. Fabius souhaite à l'évidence plus de souplesse, plus de liberté pour les Etats et il termine son réquisitoire en clamant haut et fort que « La banque centrale doit être responsable devant les autorités politiques »
A ses yeux, quelqu'un qui souhaite appliquer les règles avalisées et votées par les membres de la Communauté Européenne est donc par nature, néfaste. Très étrange tout de même, surtout dans la bouche d'un ancien ministre de l'économie et premier ministre, qui avec tant d'autres déplore le manque de sérieux des marchés et réclame régulièrement à grands cris « plus de régulations, plus de réglementations et de contrôles » !
Ah bon ? Faut-il comprendre qu'il appelle donc de ses vœux, une concurrence biaisée, et asphyxiée dans les contraintes ! Décidément les Socialistes étonneront toujours, par leur inconséquence et par le refus de voir la réalité en face, ou plutôt par leur désinvolture pour s'en accommoder en l'occultant quand elle les dérange...
Citant par exemple une enquête de l'Express titrée : "Violence : l'école désarmée", il citait pêle-mêle : « le quotidien, qui mine la vie des profs : les crachats, les pneus crevés, les bousculades, les doigts d'honneur, la peur de tourner le dos à la classe... »
Reprenant les propos du magazine, il évoquait ensuite "La violence qui change". "Elle est plus collective : des groupes s'attaquent à un individu. Du coup, les dégâts sont plus importants car à plusieurs on ose davantage. Autre particularité : on s'en prend de plus en plus aux institutions (l'école et ses représentants). Colère de personnes qui ne se sentent pas 'intégrées au système' (entre guillemets").
Puis, tout à coup, il changeait de cap « sans transition », se mettant avec force références sarcastiques, à évoquer le nombre croissant de gardes à vue, ébauchant une critique guère voilée de la « politique du chiffre ». Dans le même temps, comme pour enfoncer le clou, il insistait sur le jeune âge des personnes concernées : « Ce qui est en débat notamment, c'est le placement en garde à vue d'adolescents de plus en plus jeunes. » Pour alléger le climat, il citait alors le dessin de Pancho, à la Une du Canard Enchaîné cette semaine : Une maman promène son bébé dans une poussette. Elle croise une autre dame, qui se penche sur la poussette : "Oh qu'il est mignon ! Est-ce qu'il a déjà fait de la garde à vue ?"
Les gardes à vue ne constituent sûrement pas la solution au problème de la délinquance puisqu'elles n'en sont qu'une des conséquences, mais peut-être faudrait-il enfin se donner les moyens de restaurer l'autorité dans les écoles, dans les familles et d'une manière générale dans la société... Ni le laxisme lénifiant des théories de la prévention, ni la manie très actuelle de créer à tout bout de champ des régulations et des lois ne sauraient suffire à endiguer ce fléau croissant. Pour éviter une répression brutale qui serait le terme inévitable de la spirale, peut-être faudrait-il envisager de restaurer avec pragmatisme, le sens des responsabilités...