07 avril 2022

L'Affaire McKinsey

Le scandale des cabinets de conseils privés, travaillant au service de l’État, qui éclate en toute fin de campagne électorale, pèse comme un boulet aux pieds du président de la république, que tout le monde donnait déjà pour réélu.
C’est du pain béni pour ses opposants même s’il est peu probable que cela soit suffisant pour enrayer la machinerie macronienne, ce d’autant qu’une bonne partie du problème relève de la pléthore et de l'irresponsabilité étatiques, fléaux pas vraiment nouveaux dans notre cher vieux pays.

Le sujet n’en est pas moins croustillant, car en fait d’affaire, il y en a trois en une.
Il y a d’abord le fait que ce cabinet dont les conseils sont rémunérés à prix d’or par l’État ne paierait paraît-il pas d’impôts en France depuis une bonne décennie. C’est sans doute plus qu’une rumeur car on apprenait le 6 avril que le Parquet National Financier venait d’ouvrir une enquête pour "blanchiment aggravé de fraude fiscale”. Rien que ça !
Deuxième source d’embarras, il y aurait eu selon une commission d’enquête du Sénat, délit de favoritisme, voire de corruption, de la part de l’État, ledit cabinet ayant été maintes fois sollicité, sans que soient respectées stricto sensu les normes draconiennes des appels d’offres des marchés publics, par la seule grâce des liens d'amitié anciens noués avec le président de la république et son entourage.
Enfin le dernier et véritable souci se trouve dans les dépenses astronomiques supportées par l’État pour obtenir les précieux conseils et les mirobolants audits de ces modernes diseurs de bonne aventure. Le montant s’élèverait en effet à près d’un milliard d’euros, pour la seule année 2021. Il aurait doublé en trois ans et serait d’ailleurs largement supérieur si l’on y ajoute les débours de nombreux organismes publics faisant également appel à ces entreprises (Pôle Emploi, Caisse des Dépôts et Consignations, Assurance Maladie, Hôpitaux…).

On arguera que les dépenses de certains pays (Allemagne, Royaume Uni) sont encore plus importantes que celles de la France, mais le vrai scandale ici est qu’elles viennent en plus du budget faramineux consacré à la technostructure, dotée de brillants fonctionnaires, aptes en théorie à fournir le même accompagnement. Ayant travaillé pour l’administration hospitalière, je fus le témoin consterné de ces redondances absurdes.
Cette gabegie rejoint en quelque sorte celle consistant à multiplier les agences, hauts comités, commissions et autres succursales de l'État supposées le conseiller, l’aider, l’accompagner et le contrôler. Selon une enquête récente, la France ne compte pas moins de 1200 organismes publics de cette nature qui pèsent autour de 80 milliards €/an !

Pour animer ces structures, près d’un demi-million de fonctionnaires s’activent, trop souvent en pure perte. Parmi les exemples les plus récents et flagrants de cette incurie, citons les Agences Régionales de Santé (ARS), qui malgré leur fonction tutélaire, s’avèrent incapables d'organiser le bon fonctionnement des hôpitaux, qui ont montré une inertie criante face au COVID, et qui en dépit de leur mission de contrôle, furent indifférentes aux déviances de certaines sociétés de gestion d’EHPAD.
On pourrait évoquer également la Cour des Comptes. Contrairement aux ARS, elle fournit un travail remarquable et ses rapports sont très souvent pertinents, mais à quoi bon s’échiner à épingler les mauvais comportements de l’Etat, puisque personne n’en tient jamais compte, surtout pas les cabinets ministériels !

Moralité : malgré le tintamarre médiatique de ces derniers jours, il y a peu d'espoir que les choses changent avant longtemps dans notre pays de cocagne, et sans doute continuera-t-on à payer des gens pour qu’ils vous donnent l’heure qui s’affiche à votre propre montre, que vous ne voulez pas voir…

30 mars 2022

Anéantir, mais quoi ?

Michel Houellebecq avait révélé il y a quelques années, qu’il souhaitait écrire un “gros livre”. C’est chose faite avec "Anéantir*", ce pavé de 730 pages en forme d’assommoir, au titre désespérant si ce n'est franchement nihiliste.
Disons tout de suite que sa lecture n’impose paradoxalement pas un effort considérable. Non pas qu’il soit palpitant pour l’esprit, mais pas plus désagréable non plus qu’un flux d’eau tiède sur la peau… Ça s’écoule sans joie ni déplaisir.
Si l’on s’en tient à la forme, elle s’inscrit dans le style auquel nous a habitué l’auteur, fait d’une écriture plate et atone remplie de lourdeurs, de trivialités et de banalités stylistiques. La ponctuation est parfois erratique, la narration n’évite pas la vulgarité, mais tout ça est inodore, sans saveur, sans truculence (n'est pas Céline qui veut). Le récit, linéaire mais sans but, se perd en digressions interminables de peu d’intérêt : les rêves insensés du personnage principal, la description caricaturale de l’organisation des maisons de retraites qu’on appelle de nos jours Établissements D'Hébergement pour Personnes Âgées Dépendantes (EHPAD), les moyens insensés auxquels il faudrait paraît-il recourir pour s'en échapper, les méandres cabalistiques dans lesquels se perdent des menées terroristes un peu ridicules, le microcosme doré de la haute fonction publique incarné par un ministre de l’Économie sans chair ni épaisseur, quoiqu’il soit qualifié de génie à l’égal de Colbert (ce qui est pour celui qui en est l’objet, un compliment à double tranchant). Et pour finir, une pesante réflexion sur la mort et sur vanité de l'existence empreinte de réminiscences freudiennes (la tumeur pharyngée qui dévore l'être...), mais ici encore, on reste étranger au drame narré de manière insipide...
Tout cela est donc très “techno” et jamais on n’éprouve le moindre frisson, ni la moindre émotion pour les êtres de papier dont l’auteur nous narre avec application et force platitudes la vie monotone, bourrée de stéréotypes et de clichés. Est-ce l’expression du spleen romantique si bien mis en vers par Baudelaire, ou Musset (dont un des personnages se plaît à scander les vers de Rolla) ? J’en doute tant l’art est ici absent.
J’ai plusieurs fois tenté d’entrer dans l’univers houellebecquien, mais à chaque fois mon impression fut dominée par la déception et je m’interroge sur les raisons qui font de cet écrivain somme toute médiocre, un champion des best-sellers en librairie. Peut-être par sa faculté étonnante à épouser avec une molle servilité les remous de l’actualité de son époque et à en décrire de manière insipide tous les poncifs sociétaux. Il ne les approuve ni ne les critique, ni même ne les commente, tout au plus, se contente-t-il de surfer dans la mousse des vanités contemporaines. Spectacle insignifiant mais qui plaît à l’évidence, dans un monde abandonnant un à un ses repères et qui donne à l'écrivain la stature de visionnaire aux yeux de certains …

Je reprends à cette occasion, le commentaire que m’avait inspiré en 2011, la lecture d’un précédent bouquin, lui aussi, “acclamé par la critique” : La Carte et le Territoire.
Le plus navrant concernant cet ouvrage, est qu'il soit parvenu à rafler le prix Goncourt.
On subodorait que ce dernier récompensait davantage l'aura médiatique et le potentiel marchand que les qualités littéraires intrinsèques. On en a ici, la confirmation éclatante.
Car il s'agit d'une bien médiocre prose, mais si conforme aux mornes standards du moment... Le genre de produit qu'on met dans son caddie au super-marché sans même y penser...
Il n'y a pas de style dans ce collage insignifiant de fragments desséchés, d'un puzzle sociétal situé dans les sphères branchées du snobisme bobo. On y trouve quelques pesants truismes sur le monde surfait des "people", un aperçu peu reluisant du "marché" de l'art contemporain, une louche assez écœurante d'autobiographie prétentieuse et grinçante, et un grotesque ersatz de polar dans le genre gore. Le tout est assaisonné de quelques annotations inutiles sur les cartes routières, les chauffe-eaux, les radiateurs, les automobiles de marque Audi ou les appareils photo numériques, et surtout de laborieuses et vaines digressions néo-déconstructivistes sur le devenir de la société post-industrielle.
L'ensemble est débité comme une sorte de jambon pâle, inodore et sans saveur. A l'image de la découpe au sens propre de la chair humaine, dépeinte dans une mise en scène atrocement banale. Il y a de la viande froide, mais où sont les tripes ? Les personnages sont absolument inconsistants et en général très antipathiques. Il s'agit de stéréotypes inexpressifs errant dans l'existence, sans but, sans passion, sans aspiration. Bref, ce bouquin sinistre est à la littérature ce que les fleurs de cimetières sont à celles de Giverny...
 
* Michel Houellebecq. Anéantir Flammarion 2022

25 mars 2022

Rêves Perdus de Fédérations

Dans son petit mais puissant appel à la paix perpétuelle, le philosophe Immanuel Kant (1724-1804) évoquait la nécessité pour les pays désirant tendre vers cette issue idyllique, de se rassembler derrière le modèle fédératif.
On connaît effectivement la force de cette organisation qui préserve les intérêts de chacun tout en forgeant une solide unité basée sur un dessein commun, lui-même fondé sur la liberté, la responsabilité, la solidarité et le respect mutuel.
L'Amérique a fait la preuve de l'efficacité et de la stabilité de ce type d'alliance, saluée et magnifiée par Tocqueville. D’autres nations sont régies par des systèmes comparables au sein même de l'Europe, telles l'Allemagne et la Suisse qui ont démontré que le principe était applicable quelle que soit la taille de l'ensemble fédéré, du plus petit au plus gigantesque. A la fin des fins, Kant allait jusqu’à imaginer une gouvernance mondiale reposant sur une fédération de fédérations.
Malheureusement, l’actualité internationale est venue sérieusement doucher les espoirs que faisait entrevoir le sage de Königsberg et les perspectives d’extension du modèle paraissent à l’heure actuelle bien compromises.

Depuis que ses troupes ont envahi l’Ukraine, l’auto-proclamée Fédération de Russie semble plus que jamais éloignée de l’idéal kantien. Né sur les décombres de l’Union Soviétique, cet ensemble en apparence monolithique n’a jamais répondu au schéma fondé sur le libre choix de ses adhérents et le recours à la coercition et même à la guerre pour étendre sa domination fait éclater au grand jour les malfaçons de ses fondations. La crise actuelle anéantit les perspectives d’unité paisible du monde slave. Au surplus, elle menace gravement la paix du reste de la planète.

La Communauté Européenne donne à cette occasion l’impression d’un renforcement de sa cohésion mais les quelques décennies passées ont démontré qu’elle restait hélas elle aussi très loin de ressembler aux états-unis établis outre-atlantique. En dépit d’une convergence économique et d’une monnaie commune, les politiques nationales priment trop souvent sur celles de l’Union. Le Brexit a détaché le Royaume-Uni et le moins qu’on puisse dire est qu’il n’existe guère de grand dessein partagé par les nations restantes. Hormis les belles déclarations d’intention, peu de pays sont désireux d’abandonner une part de leur souveraineté. Emmanuel Macron, qui peut être considéré, au moins en parole, comme un des plus pro-européens des chefs d’État actuels de ce conglomérat peu inspiré n’a jamais osé prononcer le terme de fédération et reste pour son propre pays, très attaché au principe centralisateur, n’accordant aux régions qu’une autonomie symbolique. Il faut reconnaître que d’une manière générale, la doctrine des principaux partis politiques français n’a guère évolué sur le sujet. Elle est cramponnée à la centralisation bureaucratique étatique, et s’arrête au mieux au concept d’Europe des nations, mais sûrement pas à une entité supranationale. Pire, le mythe de "l’indépendance nationale", brandi régulièrement comme un totem, n’a fait qu’isoler la France et la tenir avec arrogance à l’écart des grandes alliances internationales et des échanges commerciaux.

En Asie, la sortie progressive de nombre de pays du communisme pouvait faire rêver à la montée en puissance de l'idée démocratique, à la convergence progressive des systèmes et à l'éclosion du libre échange. La ratification récente par l’Australie et la Nouvelle-Zélande du Regional Comprehensive Economic Partnership (RCEP) avec les pays de l’Asie du Sud Est (ASEAN) et la Chine pouvait préfigurer cette aventure. On caressait l’espoir qu’un jour se produise la réunification, dans la paix, des deux Chines (Pékin et Taipeh) ainsi que des deux Corées. Force est de constater que la tendance n’est hélas pas celle-là, la tension ne cessant de croître dans cette partie du monde.

Ailleurs enfin, point d’espérance précise, ni en Afrique, ni en Amérique du Sud hormis quelques accords économiques (ALEAC, ZLEA, MERCOSUR), ni au Proche-Orient. Du côté des deux géants que sont l’Inde et le Pakistan, l’hostilité reste palpable. Même en Amérique du Nord, la montée des communautarismes et l’exacerbation des passions politiques fait craindre que ne se fissure le merveilleux prototype élaboré par les Pères Fondateurs de la République Américaine.

Plus de deux siècles après la mort de Kant, rien ne permet de remettre en cause la beauté et la justesse de sa théorie, même si nombre de peuples n’ont à l’évidence toujours pas acquis la maturité nécessaire pour la mettre en pratique. Est-il encore possible d’imaginer que la fameuse et apodictique devise E Pluribus Unum soit l’avenir de l’humanité ?

14 mars 2022

Guerre des mots, guerre des images

Puisqu’il est affirmé et répété que ni l’OTAN ni aucun pays occidental n’interviendra militairement en aucun cas en Ukraine, il ne reste plus que les ripostes verbales, les sanctions économiques, et autres vœux pieux.
En France, ça commence par les postures présidentielles et avant toute chose, par l’art subtil de manier le langage et les concepts. Pour notre jeune mais jupitérien chef de l’État qui avait avec emphase déclaré la guerre au COVID-19, il ne s’agit plus du tout de cela face à la déferlante armée ravageant l’Ukraine. Le président prend un air martial pour condamner cette invasion et annoncer de terribles sanctions, mais de guerre avec la Russie il n’est surtout pas question !

Le ton est donné. L’Ukraine est devenue le sujet numéro un du moment, mais propice à toutes les interprétations, à toutes les hypothèses et à toutes les manipulations. Le COVID, même en recrudescence, n’intéresse plus guère. La campagne électorale, déjà anémique, est reléguée au rang des faits divers dont l’issue est réglée comme une partition sur du papier à musique. A la télévision les émissions spéciales se succèdent au rythme des combats et à la lumière des analyses d’experts en géostratégie et en poutinologie. Nourris d’informations parcellaires, répétitives jusqu’à l’écœurement, et de provenance souvent douteuse, tout nous porte à prendre position face à ce conflit mettant en scène de manière indiscutable un agresseur et un agressé. S’il n’est évidemment pas question de mettre en doute l’évidence de l’incursion armée moscovite, l’objet est ici de s’interroger sur l’interprétation qu’on en fait.

De réunions au sommet, et d’allocutions solennelles en entretiens plus ou moins confidentiels, on assiste au ballet ininterrompu des chefs d’États, des ministres et des plénipotentiaires et les sanctions et représailles vont bon train. Chaque jour un wagon de nouvelles mesures s’ajoute à celles d’hier, sans que pour l’heure, cela n’entame en rien la froide détermination des troupes russes. Dans le même temps, la charge punitive commence à peser économiquement sur les pays qui en sont les organisateurs, et fait l’objet de débordements discutables jetant le discrédit sur tout ce qui est russe, notamment les chefs d’entreprises, les artistes, les sportifs, et les médias. Au surplus, elle achoppe sur la délicate problématique du pétrole et du gaz. Hormis pour les États-Unis qui ont décrété un embargo symbolique sur leurs dérisoires importations, les affaires continuent envers et contre tout principe moral avec Moscou. Pire, dans le but bassement matériel de diversifier l’offre, le marchandage s'engage avec les réprouvés d’hier, l'Iran, le Qatar, l'Algérie et même avec le Venezuela. Les besoins énergétiques pressants amènent à relativiser le bien et le mal.

Dans ce contexte de tension internationale, la bonne vieille dialectique du bouc émissaire reprend vigueur. Les Russes sont devenus clairement les méchants et la honte échoit à toute personne qui aurait pu se compromettre avec Vladimir Poutine avant le conflit. La chasse aux sorcières est ouverte, très opportune pour le candidat-président de plus en plus largement en tête des sondages.
La thématique des réfugiés fait l’objet d’une récupération politique éhontée, afin de déconsidérer ceux qui réclamaient une maîtrise de l'immigration. L'exode des malheureux fuyant la guerre, dans l’espoir qu’on leur apporte un peu d’aide en attendant de pouvoir retourner chez eux, est assimilé à l'afflux ininterrompu et grandissant des migrants arrivant depuis des décennies en France pour des raisons économiques et sociales, sans projet de retour, et sans aucun souci de troquer leur culture, leurs coutumes ou leur religion pour celle du pays qui les accueille (mal au demeurant). Tout se passe comme si l'on pouvait comparer les malheurs d’une guerre aussi soudaine qu’imprévue avec le basculement civilisationnel qui s’opère sous nos yeux en raison de mouvements migratoires incontrôlés. La bien-pensance est plus sensible hélas au manichéisme qu’aux nuances…
La crise ukrainienne est aussi l’occasion inespérée de faire endosser au dictateur russe tous les maux de la terre. Ainsi, Poutine devient le seul et unique responsable de l’augmentation du prix du gaz et du pétrole, de la flambée des cours des céréales, des difficultés économiques en tous genres, de l’inflation, de l’endettement, de la dégradation du pouvoir d'achat, tous fléaux qui étaient apparus bien avant la conflagration ukrainienne. l’Inénarrable ministre de l'économie en profite même pour annoncer d’un ton grave que les choses vont s’aggraver, qu’il va falloir faire des efforts, que les temps seront de plus en plus durs…
Même si l’État continue de dépenser tant est plus, et réaffirme par la voix d’Emmanuel Macron sa volonté de “protéger les Français”, on ne parle plus du “quoi qu'il en coûte”. A la place, ce dernier propose un “plan de résilience”, en se gargarisant d’un mot-valise insupportable, qui attrape tout mais ne résout rien.
On ressort enfin la rengaine de l’indépendance et de la souveraineté nationales. Comme à leur détestable habitude, les politiciens n’hésitent pas à brûler aujourd’hui ce qu’ils ont adoré hier. On nous avait fait le coup des relocalisations lors de la pénurie de masques au début de la pandémie. Cette fois c’est l’enjeu énergétique qui s’impose. Alors qu’on vient de fermer la centrale de Fessenheim dans le cadre d’un vaste plan de réduction du nucléaire, le Président de la République fait part de sa volonté subite de semer des centrales un peu partout. Comprenne qui pourra... Des programmes s’étalant sur des dizaines d’années et occasionnant des restructurations et des coûts colossaux évoluent ainsi au gré de l’émotion. Aujourd’hui c’est la guerre qui commande, hier c’était l’utopie écologique et le principe de précaution. Va petit mousse où le vent te pousse…

Ce conflit au sein même de l’Europe est l’objet de beaucoup de propagande ou de non dits. Avant tout du côté russe sans nul doute, mais chez nous qu'en est-il ?
On nous montre les désastres occasionnés par les bombardements et l’infortune des populations civiles ne sachant que faire ni où aller, mais comment se faire une idée précise de ce qui se passe ? Durant des jours on nous a montré la fameuse colonne de chars russes s’étalant sur plus de 60 kilomètres sur la route menant à Kiev. On nous a répété que la ville était en passe d'être assiégée, sur le point d’être assaillie, mais on entend également que les troupes de Poutine seraient à l’arrêt forcé par manque du carburant, de nourriture et prises au piège des Ukrainiens qui leur auraient coupé le chemin en faisant sauter les ponts enjambant le Dniepr. Qu’en est-il réellement ?
S’agissant des pertes, le Pentagone les chiffre entre 2 et 4000 hommes au sein des troupes russes. Certaines sources anglaises parlent de 7000 tandis que les Ukrainiens évoquent le nombre de 11000 ennemis tués, chiffrant leurs propres pertes à 1300. Où est la vérité ?
On se révolte naturellement en apprenant qu’une maternité soit l’objet d’un bombardement, mais la nature et le nombre des victimes restent incertains et le Kremlin prétend qu’il s’agissait d’un repaire de nationalistes anti-russes. Qui croire ?
Quant aux objectifs de Vladimir Poutine, ils suscitent supputations et controverses. Lui affirme qu’il n’a aucune ambition territoriale en dehors de l’annexion de la Crimée et aucun projet de renverser le gouvernement en place, mais qu’il veut la démilitarisation de l’Ukraine, sa neutralité, et la reconnaissance de l’indépendance des républiques de Donetsk et de Lougansk. Peu de gens le croient et sont persuadés qu’il nourrit au contraire une ambition beaucoup plus vaste, ouverte à toutes les suppositions. L’alternative est cruciale. S’il dit vrai, il y a fort à parier qu’il ne démordra pas de ses exigences tant qu’elles ne seront pas satisfaites et le conflit est susceptible de perdurer de manière absurde jusqu'à l'asphyxie de l'Ukraine. Ce qu’il demande était en effet quasi acquis de facto avant même le début des hostilités, et aurait pu être ratifié dans le cadre d’une négociation. S’il ment, il est hélas probable que la guerre gagne en violence et s’étende quoi qu'on entreprenne au plan diplomatique. Dans ce cas, l’inertie occidentale, l’absence de détermination et de véritable ligne rouge, risquent comme en 1938 de conduire tôt ou tard à un désastre de grande ampleur.
On a beaucoup glosé sur le terme de dénazification employé par Poutine pour expliquer en partie les motifs de "l’intervention spéciale" en Ukraine. Cette rhétorique est évidemment choquante eu égard aux drames d’un passé pas si lointain, mais dans le même temps on apprend l’existence du bataillon Azov, rattaché à l’armée ukrainienne, qui revendique un féroce ultra-nationalisme anti-russe, arborant des blasons très proches de ceux des horribles cohortes SS. Imagine-t-on en France, un tel bataillon, intégré à la Garde Républicaine ?
Dernière interrogation, si le conflit actuel fait la une ininterrompue de l’actualité depuis plus de 15 jours, pourquoi ne vit-on quasi rien de la guerre dite du Donbass, qui n’est sûrement pas pour rien dans les hostilités actuelles et qui en 2014 fit 13000 victimes, occasionnant le déplacement de 1,5 millions de personnes ?
La manipulation des concepts et des images est telle qu’aujourd’hui même, le parlement ukrainien, qui réclame vainement une zone d’exclusion aérienne et cherche à provoquer une plus grande implication de l’OTAN, se croit autorisé à diffuser via Twitter un photo-montage de Paris sous les bombardements. Elle se termine par ces mots du président Zelensky: "si nous tombons, vous tombez aussi" !
Jusqu’où ira l’intoxication ? Jusqu’où ira cette guerre ?

09 mars 2022

Le Sentiment d'Impuissance

Quoi de plus désespérant que la lugubre litanie ressassant chaque jour en boucle sur toutes les chaînes télévisées, les bombardements et destructions qui frappent l’Ukraine ?
Quoi de plus désespérant que ce concert tragique des nations réunies dans la même impuissance à s’opposer vraiment à la guerre qui fait rage au cœur de l’Europe ?
Quoi de plus désespérant que cette léthargie dans laquelle s’enlisent tous ces peuples, révoltés par la brutalité de l’intervention militaire russe, mais qui n’ont d’autre choix que d’imaginer d'inopérantes et très coûteuses sanctions, tout en reculant devant un embargo sur le pétrole et le gaz, dont beaucoup sont devenus dépendants ?
Quoi de plus désespérant enfin, que cet affrontement fratricide, dont on perçoit de moins en moins les objectifs à mesure que le temps passe ?

Plus le conflit dure, plus il donne l’impression d’une absurde descente aux enfers. Que peut bien espérer Vladimir Poutine au terme d’un conflit de plus en plus meurtrier et dévastateur ? Ruine et désolation seront selon toute probabilité les piteuses conséquences de cette entreprise insensée, même si les troupes russes finissent gagnantes sur le terrain.

Les Ukrainiens se battent avec l’énergie du désespoir, et le drame est qu’en résistant héroïquement, ils poussent leurs adversaires à accroître la violence de leurs coups. Et les appels à l’aide militaire du président Zelensky restent sans réponse. Après Kharkiv, Kherson, Marioupol, verra-t-on Kiev s’effondrer sous les bombes ? Verra-t-on Odessa détruite ? Et puis quoi donc après ? Où peut s’arrêter cette fuite en avant ?
Au point où nous sommes rendus, aucune issue favorable ne paraît envisageable et les Russes ont désormais rassemblé la quasi-totalité du monde contre eux. A défaut de rayonner, la Grande Fédération s’isole de plus en plus, et sera placée durablement au ban des nations, sauf versatilité des opinions et des intérêts...
La question qui risque de se poser de plus en plus est : combien faudra-t-il d’horreurs pour qu’enfin une vraie détermination se fasse jour pour tenter de mettre un coup d’arrêt à ce qui devient de plus en plus intolérable ?
Échéance terrible qu’on voudrait conjurer tant elle fait peser de menaces sur le fragile équilibre de la paix du monde. On sait trop bien que l’homme, dans sa folie guerrière et idéologique, peut faire largement pire que les virus, les catastrophes naturelles et autres calamités climatiques…

Illustration: La chute de Phaéton par Jan Carel Van Eyck

28 février 2022

Que veut Poutine ?

S’agissant de l’issue de la crise ukrainienne actuelle, les supputations vont bon train, mais qui peut vraiment prévoir comment tout cela finira ?
En France, on se gausse de la complaisance manifestée par le passé par certains candidats à l’élection présidentielle, à l’égard du chef du Kremlin. On se moque du pari perdu d'Eric Zemmour qui jugeait il y a peu de temps, une intervention militaire russe improbable. Mais a-t-on oublié le cynisme avec lequel Emmanuel Macron disqualifiait il y a quelques mois l’OTAN, la décrivant comme étant en “état de mort cérébrale” ? Se souvient-on comme il faisait ami-ami avec le président russe lors d’entretiens très détendus à Brégançon ? Aujourd’hui il prétend qu’il ne s’agit plus du même homme, mais a-t-il vraiment sondé le secret de son âme ?

Le fait est que tout le monde s’est trompé à un moment ou à un autre sur Vladimir Poutine. On le voyait avec une belle unanimité comme un autocrate, mais qui en imposait par son calme, sa détermination, la justesse de beaucoup de ces vues, et qui était capable de surprendre nombre d’interlocuteurs par son humour caustique. Seul Joe Biden a pu paraître lucide, lui qui l’avait qualifié de “tueur” et qui avait crié au loup les jours précédents la conflagration, bien inutilement au demeurant. Clairvoyance étonnante pour une personne qui donne si souvent l’impression d’être à côté de la plaque. Les liens troubles que le président américain entretient depuis des années avec l’Ukraine sont peut-être la toile de fond d’une haine recuite et réciproque entre les deux hommes…

Pour l’heure, on loue la résistance inattendue et inespérée des forces ukrainiennes, qui freinerait paraît-il l’avancée des troupes russes. Peut-être est-ce vrai et cela contraste avec les images d’exode massif de la population, et la préparation d’assez dérisoires cocktails Molotov par des groupes d’hommes plutôt isolés. Les images sont si parcellaires et trompeuses qu’on peut tout imaginer.
Il est donc possible à l'inverse, de supposer que M. Poutine soit proche d’avoir atteint ses objectifs.
Sur les cartes, ses troupes se sont rendues maîtresses de presque tout l’Est de l’Ukraine, notamment la région du Donbass, faisant quasiment la jonction avec la Crimée via Marioupol. Et force est de penser que les frappes intensives qui se sont multipliées tous azimuts depuis le début de la guerre, épargnant le cœur des villes, ont ciblé avant tout les installations militaires et stratégiques essentielles du pays.
Tandis que l’Occident s’agite pour mettre en œuvre des sanctions massives et inédites, que la France étudie la saisie "des biens immobiliers, des voitures de luxe et des yachts", et que M. Lemaire, ministre de l’économie français, annonce avec une emphase un peu ridicule qu’il va dégainer “l’arme nucléaire financière”, M. Poutine peaufine peut-être la fin d’une opération qui pourrait mener de fait à la démilitarisation de l’Ukraine, au contrôle de la région du Donbass jusqu'à la Crimée, et in fine à dissuader définitivement Kiev d’entrer dans l’OTAN, pour adopter le statut de neutralité réclamé en vain par la diplomatie…
Hélas,  cette perspective est des plus incertaines. Elle repose sur l'hypothèse que l'esprit de M. Poutine soit encore accessible à la raison et qu'il ait gardé le sens des réalités. Au surplus, elle suppose que ses adversaires, de plus en plus nombreux et déterminés à en découdre, acceptent une telle issue. Si tel n'était pas le cas, on peut craindre que le point de non retour soit proche et qu'à tout moment les évènements puissent basculer vers l'horreur à grande échelle. A moins qu'une opposition interne au Pouvoir ou bien qu'une révolte populaire d'ampleur brise l'élan et le destin d'un dirigeant de plus en plus isolé, dont l'ambitieux fait d'armes sera le coup de trop...
Une lueur d’espoir s’allume toutefois avec la tenue de pourparlers entre délégations russes et ukrainiennes. Puisqu’il y a peu d'alternatives raisonnablement envisageables, fasse le ciel que cela soit enfin le signe du début d’une désescalade…

26 février 2022

Orages d'Acier

Une fois encore Vladimir Poutine a surpris son monde, et notamment l’Occident. Ni les chefs d'États ni les experts autorisés n’avaient semblé pressentir le vicieux coup de billard à trois bandes que le président russe réalisa le lundi 21 février en reconnaissant tout à trac l’indépendance des républiques de Donetsk et de Lougansk.
Depuis quelques semaines la pression était à son comble. On s’attendait à voir déferler l’armada bardée de chars, de missiles, d’avions et de fantassins qu’il avait massée le long de la frontière ukrainienne et dont le pauvre vieux Joe Biden annonçait l’offensive imminente tous les deux jours, sans rien proposer pour l'empêcher. Au lieu de cela on assista à la discrète infiltration de colonnes blindées supposées garantir la paix à ces régions nouvellement “libérées”...
Hélas, au moment même où l’on pensait le pire passé, car on veut toujours croire que la guerre sera évitée grâce à la diplomatie de la dernière minute, le diable d’homme lançait une attaque de grande ampleur, trois jours plus tard, à l’aube du 24 février.

Tout le monde est donc pris de court et personne ne sait plus trop comment réagir. Étant entendu, comme le président américain l’a révélé à plusieurs reprises, qu’il est hors de question de menacer la Russie d’une quelconque riposte militaire, il ne reste d’autre arme que les discours martiaux et quelques sanctions économiques. Le fait est que M. Poutine paraît s'en moquer comme d’une guigne. Il avance donc ses pions avec sang froid et méthode, donnant l’impression de parfaitement maîtriser sa stratégie de conquête, si bien réussie avec l’annexion de la Crimée il y a quelques années.
A cette occasion il se déleste de sa voix calme et monocorde d’un pensum historique rappelant que l’Ukraine n’est qu’une construction théorique, égratignant au passage Lénine et les bolcheviks, responsables selon lui d’avoir cédé en 1920 toute la région du Donbass à la nouvelle république socialiste soviétique ukrainienne. Il néglige de préciser qu’en fait de cadeau, il était virtuel puisqu’à peine créée, cette entité fut elle-même annexée sans ménagement à l’URSS et même affamée par Staline lors de la collectivisation insensée des terres agricoles. Ce qu’on appela Holodomor fut une abomination conduisant à la mort de faim de plusieurs millions de personnes.
Si l’on remonte le cours de l’histoire, on doit bien reconnaître toutefois que l’Ukraine faisait peu ou prou partie intégrante de l’empire russe du temps de sa splendeur. Au surplus, force est de constater qu’en matière de population, on a affaire à un meltingpot à dominance slave dont l’unité fut longtemps la langue russe. M. Poutine n’a donc pas totalement tort dans ses analyses.

Est-ce une raison pour assujettir à nouveau ce pays devenu libre, indépendant, et démocratique depuis l’écroulement de l’immonde machine soviétique ?
Certainement pas, et les condamnations morales ont fusé de toutes parts (à l’exception de Maduro au Venezuela, d’Assad en Syrie, et de Xi Jinping en Chine…)
Pour autant, puisque la communauté internationale se révèle une fois encore bien impuissante, et qu’en la circonstance l’ONU est tout simplement inopérante, il est permis de s’interroger sur les raisons de cette attaque. Est-elle aussi insensée qu’il y paraît ? Est-elle l’expression d’une volonté paranoïaque incarnée par un autocrate en plein délire, comme on présente habituellement Vladimir Poutine ? A-t-on encore des raisons d’espérer que le conflit se termine avant de causer d'atroces massacres ou qu’il ne s’égare dans une fuite en avant désastreuse ?

Un froid pragmatisme impose de prendre en compte les convulsions qui secouent la fragile démocratie ukrainienne depuis sa naissance. La corruption y est hélas endémique, et l’efficacité des gouvernements qui se sont succédé jusqu’à ce jour est plus que douteuse, tout comme la cohérence des partis politiques.
Leonid Koutchma, ancien dignitaire soviétique fut le premier président (1994-2005). A l'instar de Gorbatchev, il ouvrit le pays à l’économie de marché mais s’embourba dans les malversations financières et la restriction de la liberté d’expression. Pour lui succéder, son premier ministre Viktor Ianoukovytch tenta même de truquer l’élection à son avantage, ce qui conduisit à une révolte populaire qu’on appela la Révolution Orange. De nouvelles élections s’ensuivirent dont sortit vainqueur Viktor Iouchtchenko (2005-2010). Ce dernier voulut moderniser et libéraliser le pays mais son mandat entamé dans la liesse, s’acheva dans l’impopularité, occasionnée par l'irrépressible montée des difficultés sociales et il fut même prétendument empoisonné par ses opposants. A ses côtés la très charismatique Ioulia Tymochenko donna l’illusion du renouveau démocratique mais elle échoua à se faire élire et finit déchue et emprisonnée pour corruption. Viktor Ianoukovytch considéré comme étant l’homme de Moscou, revint alors sur le devant de la scène et fut cette fois élu démocratiquement en 2010, mais sa politique mena à la déroute économique et aux dérives autoritaires. Il s’opposa à tout rapprochement avec la communauté européenne et son mandat se termina piteusement dans les émeutes dites du Maïdan pendant lesquelles plusieurs dizaines de manifestants furent tués par les forces de l’ordre. A la même époque le Donbass s’embrasa et en quelques mois la guerre civile fit plus de 10.000 morts qui ne firent guère l'actualité des médias du monde libre. Contraint à la démission et à l’exil, Ianoukovytch laissa la place à l'homme d'affaires Petro Porochenko (2014-2019). Plutôt populaire à ses débuts car il avait soutenu la révolte, il tenta de ramener la paix au Donbass, mais il fut lui accusé de corruption et fut lourdement battu en 2019 par l’actuel président Volodymyr Zelensky. Celui-ci avait émergé sur l'échiquier politique du jour au lendemain. Issu du monde du spectacle, où il jouait le rôle d’humoriste, il fut élu de manière rocambolesque, avec un score de plus de 73%, à l’issue d’une campagne populiste, animée quasi exclusivement sur les réseaux sociaux. A la manière de Trump, il avait construit son personnage sur un show télévisé très prisé dont il reprit le nom, "Serviteur du Peuple", pour baptiser son parti, nouvellement créé. Mais son inexpérience et le flot insensé de promesses dont il s’était fait le garant le conduisirent rapidement dans une impasse. Sa politique s’est révélée incohérente, émaillée de ratages et de maladresses. Il fut accusé d’être le jouet d’oligarques plus ou moins mafieux, et fut pris en tenaille entre des factions ultra-nationalistes, pro-russes ou au contraire pro-occidentales, réclamant à corps et à cris l’adhésion à l’OTAN. Enfin le jeune président qui avait juré de lutter contre la corruption et d’être transparent, fit l’objet de forts soupçons de malversations (Pandora Papers). Pour couronner le tout il n’évita pas les dérives autoritaires et rogna comme certains de ses prédécesseurs la liberté de la presse en interdisant notamment plusieurs médias internet…

C’est dans ce contexte de dépérissement et d’incertitude que s’est installé un climat de tension croissante entre l’Ukraine et la Russie. Si l’intervention déclenchée par Vladimir Poutine doit être jugée comme illégitime, abusive, voire infâme, risquant de dégénérer à tout moment vers un cataclysme international, elle s’inscrit clairement dans un vaste dessein de reconstruction de la Grande Russie. La réintégration de l’Ukraine dans le giron moscovite relève d’une logique implacable. Qu’elle se fasse dans la violence est effrayant mais l’Occident semble découvrir cette stratégie pourtant maintes fois affirmée, et son impuissance est pathétique. Non seulement on a refusé de voir la réalité, mais on a systématiquement rejeté comme irrecevables, les exhortations répétées du président russe à mettre en œuvre un plan global de sécurité du continent européen, “de l’Atlantique à l’Oural”, pour reprendre l’expression du Général de Gaulle. Peut-être relevaient-elles de la supercherie, mais sans doute eut-il été opportun de s’y intéresser de plus près.
Il y a beaucoup d’hypocrisie à se prétendre aujourd’hui aux côtés du peuple ukrainien et à menacer la Russie de sanctions impitoyables, tout en clamant qu’on ne bougera pas d’un iota au plan militaire. Si Poutine est à ranger au rang des dictateurs conquérants et sanguinaires comme on entend souvent l’affirmer, cette inaction est aussi fautive et inconséquente que celle qui mena à l’abandon de tant de peuples par le passé. La fameuse déclaration en forme de serment qui émana du concert des nations après Nuremberg : “Plus jamais ça” semble décidément dérisoire.
Sans doute serait-il périlleux de s'engager aujourd'hui dans une contre-attaque armée, mais il eut peut-être été envisageable de mieux anticiper l'intervention russe, et par voie de conséquence de l'éviter, en fixant avec une détermination et une démonstration de force crédibles, une ligne rouge infranchissable à Poutine. Si vis pacem, para bellum...
Il ne reste donc plus qu’à espérer que ce dernier ne soit pas aussi fou que certains le prétendent et qu’il saura s’arrêter avant de commettre l’irréparable. Rien n’est moins sûr hélas…

NB : le titre de ce billet reprend celui d'un ouvrage d'Ernst Jünger

18 février 2022

Un sage en terre d'islam

C’est en regardant un documentaire retraçant la vie de Charlie Parker, passionnant au demeurant, que j’ai fait la connaissance du poète mystique Omar Khayyam, dont le saxophoniste était paraît-il un grand admirateur.
Ce personnage étonnant vécut probablement à la charnière entre les XIè et le XIIè siècle en Perse mais sa vie reste nimbée de mystère, faute d’informations précises. On peut donc rêver, à partir de quelques traces épargnées par le temps, autour d’une figure empreinte de liberté en pays d’islam.
Mathématicien, astronome, philosophe et poète, il incarna toutes les qualités qu’on prête à l’humanisme.
L’originalité de son approche spirituelle fut de s’inscrire dans le soufisme, version éclairée de l’islam, bien moins préoccupée par le dogme et les rites que par la nécessité d’établir un lien direct, purement intellectuel, avec Dieu. On trouve pareil cheminement dans la gnose, dans la kabbale ou encore dans le zen. Malheureusement cette belle aspiration est restée très minoritaire en terre musulmane et fut souvent condamnée par les autorités religieuses. Aujourd’hui encore elle est victime de la violence des plus radicaux, salafistes et wahhabites notamment.
Khayyam se qualifiait lui-même de “croyant mais infidèle”, ce qui lui valut semble-t-il d’être tombé en disgrâce à la mort du sultan de l’époque, qui l’avait pris en sympathie et auprès duquel il avait travaillé à l’élaboration d’un calendrier solaire.
Il reste de ce penseur un peu mythique quelques fragments poétiques, tournés sous forme de quatrains (cf quelques exemples ci-dessous), exprimant un certain scepticisme et beaucoup d’humilité, mais également une irréfragable aspiration à la liberté portée par l’ivresse de Dieu. “Enivrez-vous, envolez-vous sur les grands chemins”, comme on fait dire au poète dans le bel hommage au bopper de génie que fut Charlie Parker.
Comme quoi le jazz mène à tout !

Les cieux sont ils meilleurs de m’avoir mis au monde
Mon départ rendra-t-il leur majesté plus grande
Je n’ai jamais appris de personne pourquoi
Je suis venu, pourquoi je dois quitter ce monde

Toi qui de l’univers en marche ne sais rien
Tu es bâti de vent: par suite tu n’es rien.
Ta vie est comme un pont jeté entre deux vides
Tu n’as pas de limite, au milieu tu n’es rien.

Si je pouvais être le maître comme Dieu
Je saurais démonter le ciel au milieu.
Et je ferais alors au sein des étoiles
Un autre ciel où l’homme atteindrait tous ses voeux...
 

 

16 février 2022

Splendeur de Bach

Toujours revenir à Johann Sebastian Bach. Tout simplement parce qu’il représente l’alpha et l'oméga de tout itinéraire musical, et qu’il offre à ses admirateurs un constant soutien spirituel. Objet d’incessantes redécouvertes et de vivifiantes réinterprétations, Bach est toujours là, omniprésent comme un astre bienveillant qui offre un réconfort si précieux dans “l’existence brumeuse”…
Trois artistes illustrent l’éternel renouveau du cantor de Leipzig à l’occasion d'enregistrements récents d'œuvres pour clavier.

David Fray vient de revisiter les variations Goldberg. Disons le tout de suite, cette nouvelle version n’apporte rien de fracassant par rapport à toutes celles qui l’ont précédée. Le toucher est toutefois délicat, le phrasé souple et léger et David Fray adopte un jeu très sobre, sans fioriture inutile, mais non dénué de sensibilité, d’élégance et de liberté. Ce serait donc une version très honorable, parmi bien d’autres, si l’oreille n’était désagréablement écorchée par un grésillement qui parasite très souvent la mélodie. Il est particulièrement net à l’écoute de la première variation mais il sévit tout au long de l’œuvre, notamment dans les forte. Cette défaillance dans la prise de son, très étonnante à notre époque, gâche hélas singulièrement le plaisir. On pourra donc préférer les récentes versions de Lang Lang, Zhu-Xiao Mei, ou encore celle de Céline Frisch au clavecin. Une fois n’est pas coutume ce n=bon vieil instrument à cordes pincées est ici exploité de manière splendide.

Vikingur Ólafsson, jeune artiste islandais apporte quant à lui toute sa fougue pour proposer une vision très originale et décapante, de quelques préludes, fugues et autres variations, inventions et sinfonias. On retient notamment dans ce florilège rafraichissant et acidulé, presque iconoclaste, la version, transcrite pour piano par August Stradal, de la sonate pour orgue BWV 528. Non moins surprenant est l’arrangement du à Alexander Siloti du prélude en mi mineur BWV 855. Il se dégage de ces interprétations une quiétude enivrante, comme nimbée de froides mais cristallines vapeurs de banquise. Un vent de fraîcheur et de jeunesse souffle sur Bach dont on peut dire avec émerveillement avec Ólafsson qu’il est “un miroir pour toutes les générations”.

Rarement on vit plus de grâce mélodique enfin que dans la vision donnée par Piotr Anderszewski du second livre du Clavier Bien Tempéré. Au travers d’extraits choisis et ordonnés au gré de l’artiste on peut apprécier son toucher subtil, tendre, mais très sûr, servi par un legato parfait. La prise de son est ici sublissime, faisant admirablement ressortir la rondeur du piano et son aptitude magique à rendre toute la quintessence du génie musical et spirituel de Bach. On pourrait regretter que cette vision de l'œuvre monumentale de ce dernier ne soit que fragmentaire, mais on ne peut dénier à l’interprète le droit de faire un choix. On aimerait simplement, vu le bonheur qu’on éprouve, qu’il nous en donne davantage ! A écouter et réécouter indéfiniment…

30 janvier 2022

Summit One Vanderbilt


Dans New York, avenue Vanderbilt
Se trouve une tour sortie d’un rêve
Et parce que la vie est trop brève
Hâtez-vous de gagner son Summit

Pour plonger dans une féérie
De métal, de verre, et de miroir
Pur enchantement qui donne à voir
La ville en sa fantasmagorie

Montez gais et légers vers les cieux
Dansez enivrés de transparence
Au dessus du monde silencieux

Et planez sur cette effervescence
Avec un bonheur ouvert plein champ
Vers l'horizon du soleil couchant.
 

 

22 janvier 2022

Penser le communisme

A-t-il été un jour loisible de penser objectivement le communisme ?
Thierry Wolton dans un récent ouvrage*, ose répondre par l’affirmative. Il faut dire qu’il a quelques titres à faire valoir. Son histoire mondiale du communisme publiée en 2015 constitue une somme. Avec le livre noir du communisme paru en 1997 sous l’égide de Stéphane Courtois, ce sont à peu près les deux seuls ouvrages d’importance en français qui traitent en profondeur du sujet. Ce dernier avait déclenché de violentes polémiques, tendant avant tout à séparer l’idéologie des crimes commis en son nom. Le premier n’avait guère eu meilleur accueil. Il y eut beaucoup d’indifférence à son égard et certains n’hésitèrent pas à le juger trop anti-communiste… Comme si on pouvait qualifier un livre sur le IIIè Reich et la Shoah de trop anti-nazi !

A l’heure où le candidat du parti communiste français à l’élection présidentielle fait la une de l’actualité, non pour l’idéologie calamiteuse au nom de laquelle il parle, mais parce qu’il déclare aimer la viande, les fromages et le bon vin français, on mesure la mansuétude avec laquelle on juge de nos jours les émules du marxisme-léninisme.
Thierry Wolton s’interroge donc sur les raisons qui font que le communisme puisse encore jouir d’une telle indulgence, alors “qu’aucun mode de gouvernement n’a fait autant de victimes dans l’histoire”. Et puisqu’il faut bien admettre “qu’aucune idéologie n’a séduit autant les esprits dans le monde”, il essaie de comprendre “comment les meilleures intentions peuvent aboutir aux pires tourments”.
On peut dans cette analyse distinguer trois étapes majeures dans la description desquelles, on s’appuiera largement sur les propos de l’auteur.

Les racines du Mal
Si les théories de Marx sont indissociablement liées à l’avènement du communisme, on peut trouver chez nombre de penseurs qui l’ont précédé les germes du mal. A commencer sans doute par les philosophes holistes de l’antiquité, tels Platon et Aristote, qui affirmaient que le tout prévaut sur les parties. Cette idée fut soutenue par Saint-Thomas d’Aquin puis par Rousseau dont le fameux contrat social donne la primauté de la volonté générale sur les intérêts particuliers, allant jusqu’à considérer qu’une opinion personnelle contraire à celle du peuple, était nécessairement erronée. Rien à voir, faut-il le préciser avec le Social Contract de John Locke, empreint de pragmatisme…
Le babouvisme prôna quant à lui la répartition des biens selon le principe du “chacun à sa suffisance, mais rien que sa suffisance”, préfigurant le “à chacun selon ses besoins” du communisme (précisant que nul ne peut prétendre avoir plus de besoin que son voisin...). Enfin Hegel posa comme axiome que la dynamique de la révolution porte en elle le projet de “se fonder sur l’idée et de construire d’après elle la réalité”. Fatale mystification.

La Révolution de 1789 fut la première tentative pour faire passer dans les faits ces théories, associant dans la déclaration des droits de l’homme et du citoyen les principes antinomiques de liberté et d’égalité.
En 1830, un terrible sophisme permit d’assimiler la révolution au progrès, le progrès au socialisme, donc de conclure que la révolution, c’était en toute logique le socialisme !
C’est sur d’aussi bancales fondations, que s'installa la tyrannie des bonnes intentions qui permit à Marx d’asséner qu’il fallait dépasser les philosophies théoriques pour se donner un objectif ambitieux, celui de transformer le monde ! Le pire fut qu’il décréta ce projet au nom de la science, s’appropriant les thèses darwiniennes, ce qui fit dire à Engels que “si Darwin a découvert la loi du développement de la nature organique, Marx a découvert la loi du développement de l’histoire humaine” !

Les causes de la complaisance
Si le communisme s'inspire prétendument de belles idées et prône les valeurs de justice sociale, comment toutefois expliquer que le malentendu puisse perdurer après tant d’échecs dans son application, tant de massacres commis en son nom ?
Selon Thierry Wolton, l’aveuglement qui a si longtemps permis d’occulter la réalité du communisme s’explique en partie par l’instinct égalitaire qui anime tout être humain et par sa corollaire implacable : "dénoncer ce qui se fait au nom du socialisme, c’est y renoncer".
Cette aspiration est si forte qu’elle conduit le converti à s’infliger une discipline de fer allant jusqu'à dépasser sa propre condition humaine, à supprimer tout désir, tout plaisir, tout état d’âme, et in fine toute pitié (Tchernychevski puis catéchisme du révolutionnaire Netchaïev).
Dès lors, il n’y a ni méchanceté ni cruauté dans les sacrifices qu’exige le triomphe de la cause, et on comprend qu’une fois au pouvoir, le parti léniniste soit devenu l’instrument du totalitarisme "parce qu’il est intrinsèquement totalitaire".

"L’adhésion paradoxale des bourgeois et des intellectuels est logique dès lors qu’ils comprennent que le seul moyen pour eux de jouer un rôle est de suivre le train". Cela peut aller jusqu’à renier sa classe, à se faire fustiger et flageller par le Parti "pour gagner des galons de serviteur de la Révolution". "L’intellectuel renonce sincèrement et même voluptueusement à l’intellectualisme et avec lui à l’intelligence et aux exigences de la connaissance" (Lefebvre). Il en perd toute objectivité. Pour le compagnon de route, "le chemin du salut conduit à l’abêtissement" dans lequel on peut voir "une part de haine de soi".
"Assimilée à l’exaspération des plus opprimés, la violence révolutionnaire et celle du Parti-État est volontiers pardonnée dès lors qu’elle est perpétrée au nom du bien !"
De fait, "sans la complicité de fait des intellectuels occidentaux bercés d’illusions et de faux semblants, la vérité sur ce qui se passait derrière le rideau de fer aurait probablement été connue plus tôt" (et le premier témoin Kravchenko aurait pu être écouté au lieu d’être diffamé par la horde des intellectuels de l'époque).
En définitive, le capitalisme, grâce à la liberté d’expression qu’il offre et à la mauvaise conscience aux relents judéo-chrétiens qu'il suscite, a plutôt permis au socialisme de perdurer, et de continuer à promettre tantôt le Grand Soir, tantôt des lendemains qui chantent, tantôt le réenchantement du monde…
Malgré les défaites continuelles de l’application des grands idéaux, dans les esprits, l’opposition avec le capitalisme a toujours été inégale car elle repose d’un côté sur une réalité, de l’autre sur un imaginaire…
 
Mort et transfiguration du communisme
Le communisme, contrairement à ses proches cousins fascisme et national-socialisme, n’a jamais fait l’objet d’un procès. Les coupables n’ont quasi jamais été punis sinon par leur propre système d’épuration. Pire, dans son acception classique, le communisme est loin d’avoir disparu de la planète. Corée, Vietnam, Laos, Cuba, Venezuela, Erythrée… Nombreux sont les potentats résiduels, qui continuent de commettre leurs horreurs au vu et su du monde et de la communauté internationale.
Le cas de la Chine interroge. Le pays est revenu à l’économie de marché et la propriété privée a été rétablie, mais l’avenir est incertain car le Parti reste omnipotent et fidèle au dogme maoïste, faisant craindre un durcissement progressif de l’emprise étatique.
Parallèlement, d’innombrables avatars égalitaristes fleurissent de nos jours dans les pays démocratiques, et on voit monter en puissance l’islam "qui veut le même bonheur pour tous les hommes sous l’autorité d’une idéologie unique sous les commandements supposés d’Allah".
Un vent de pessimisme souffle sur les peuples libres, en dépit d‘une prospérité inégalée et d’un indice de gini qui s’améliore régulièrement (contrairement à une idée reçue véhiculée par l'intelligentsia de gauche, si le nombre de riches s'accroît, celui des pauvres diminue régulièrement).
Paradoxalement, "plus le système démocratique s’étend, moins il semble satisfaire ceux qui en jouissent" et "la croissance des pays en voie de développement est vécue comme une concurrence déloyale". Dans ce contexte, la doxa socialiste a évolué. La lutte des classes ne faisant plus guère illusion, c’est le souverainisme et le protectionnisme qui séduisent et permettent de pointer les coupables, à savoir le bon vieux capitalisme, le néo-libéralisme et le libre échange ! Tout change mais rien ne change. Les slogans éculés, une fois recyclés, restent en vigueur, et les théories altermondialistes qui fleurissent un peu partout agitent encore et toujours le mirage d’un autre monde…

D’autres périls s’ajoutent à ceux auxquels on était habitués, plus insidieux mais non moins délétères. La cancel culture et le wokisme, venus des Etats-Unis, qui prétendent du passé faire table rase, "singent le réalisme socialiste". "Climat, race, sexe, la lutte finale devient existentielle avec pour fonds de commerce commun, l’éternelle diabolisation du capitalisme". "L’usage du web joue sur des ressorts humains connus, les mêmes qui ont fait le miel des idéologies totalitaires du XXè siècle: envie, jalousie, haine".
"A la lutte des classes moteur de l’histoire, les écologistes les plus radicaux substituent le changement climatique, leur couteau suisse de la compréhension du monde". "Chez Marx, le capitalisme devait s'effondrer de lui-même victime de ses contradictions; pour les catastrophistes, c’est la planète entière qu’il entraîne dans sa chute inéluctable".
Un petit espoir demeure envers et contre tout pour les plus optimistes. Paraphrasant Lénine qui voyait dans le gauchisme une maladie d'enfance du communisme, Thierry Wolton suggère que ces avatars sociétaux prônant l’uniformisation générale insipide et la désintégration des valeurs en constituent la dégénérescence sénile...
 
* Penser le communisme. Thierry Wolton. Grasset 2021.

18 janvier 2022

Le règne des leurres

Les années se suivent et se ressemblent. Rien de nouveau ne semble vouloir surgir sous le ciel ténébreux des idées reçues. Les failles apparues dans les fondations du modèle sociétal dont nous sommes les héritiers gâtés ne cessent de s’élargir. Et les piliers de ce qu’on croyait être le sens commun s’effritent comme les colonnes du Parthénon.
Faut-il encore chercher à écouter la rumeur publique tant elle contient de leurres et de billevesées ? Y a-t-il encore une espérance de voir restauré ce monde en péril ?

Alors que la pandémie semble en voie d’apaisement, on voit toujours autant de folie à son sujet, venant de tous bords y compris de celui des Pouvoirs Publics. Les laborieux débats concernant le passe vaccinal, devenu inutile avec le nouveau variant, sont à l’image de l'inertie et de l’impuissance de l’État et plus encore de son incapacité à proposer des mesures pragmatiques.
Si l’on se penche au-dessus du chaudron des finances publiques, c’est un vertige qui vous étreint. L’ébullition chronique du budget de de la Nation échappe à tout contrôle et les dettes débordent de toutes part. Plus rien ne semble arrêter l’illusion de puissance de nos dirigeants, qui tels des apprentis sorciers, croient pouvoir tout décréter du haut de leurs chaires dorées. M. Lemaire,
notre bien mal nommé ministre de l’économie, croit avoir trouvé la corne d’abondance d’où sourd l’argent magique. Il imagine qu’il peut commander à la croissance un rythme de 4%. Comme premier résultat, on voit revenir en force l'inflation, dévoreuse de prospérité ! Il cherche à nous convaincre qu’il est capable de stopper l’augmentation insensée du prix de l’électricité en imposant à EDF, déjà déficitaire, de vendre son énergie à perte. Pire, lui et le gouvernement, sous la pression de lobbies écologiques déments, s’amusent à troquer des centrales nucléaires pour des moulins à vent. Politique tellement inconséquente qu’elle conduit ces gens à redémarrer pour éviter la pénurie d’antiques et polluants fours à charbon en important la matière première à prix d’or !

A quelques mois de l’élection présidentielle, les débats d’idées sont définitivement enlisés dans la médiocrité des petites phrases et des polémiques ineptes. il n’est pas nécessaire d’épiloguer sur le très jouissif désarroi de ce qu’il est convenu d’appeler le “peuple de gauche”. Il n’est que d’espérer qu’enfin cet infâme château de cartes s’effondre pour de bon. Pour l’heure, seul émerge encore le camarade Mélenchon, qui pour masquer l’inanité de son projet, tente d’épater les quelques gogos restant accrochés à l’idéologie, avec ses “meetings immersifs et olfactifs”. Derrière l’écran de fumée, le spectre grimaçant continue de réclamer avec cupidité revancharde un “partage des richesses ferme et assumé…”

Pour le reste, on assiste à la répétition usante des punchlines à deux balles. M. Macron a osé déployer sous l’Arc de Triomphe un drapeau européen sans y avoir associé la bannière tricolore. Scandale chez les bien pensants de tout poil et retrait penaud dudit pavillon quelques heures après… Européisme de pacotille d'un côté, nationalisme de mauvais aloi de l'autre.
Madame Le Pen se fait filmer de manière un tantinet histrionique devant la pyramide du Musée du Louvre. Panique chez les gardiens de la Culture qui exigent illico le retrait de cette vidéo offensante. Il est vrai que contrairement à M. Macron, dont elle imitait la mise en scène grandiloquente en 2017, la bougresse n’est pas encore élue !
M. Zemmour continue quant à lui à jeter des pavés dans la mare. Effet garanti. Ses déclarations relatives à la prise en charge éducative des enfants handicapés ont éclaboussé tout le Landerneau politico-médiatique. Haro sur le baudet ! Les ligues de vertu sont montées au créneau, pour jeter sur l'hérétique des tonneaux d’huile bénite, mais bouillante. Faute d’avoir écouté l’ensemble des propos, personne n’a pensé à argumenter sur le fond, qu’il est vraiment le seul à remuer.
A la fin des fins, ce ne sera pas celle des haricots, mais peut-être celle de la baguette de pain ! Le pays est arrivé si bas dans l’insignifiance, que l'initiative de Michel-Edouard Leclerc d’en bloquer le prix à 29 centimes a soulevé un tollé hallucinant. Plusieurs jours durant, on n'a parlé que de ça (et du COVID…) ! Il ne s’agissait pourtant pour le roi des hypermarchés que de contrer à ses frais (et non à ceux des contribuables), les effets de l’inflation sur un produit de première nécessité. Pour paraphraser M. Leclerc, combien faudra-t-il encore endurer de telles “polémiques à la con” ?

04 janvier 2022

Happy New COVID !

Il eut été étonnant que le COVID ne s'invitât pas à la fête !
De fait, en cette période charnière entre l’ancienne et la nouvelle année, on ne parla quasi que de l’épidémie. Et ce fut un feu d’artifice de polémiques, de contradictions et d’incohérences, comme on n’en avait pas vu depuis longtemps (ce d’autant que les vrais festivals pyrotechniques furent interdits…)
On peut avoir quelque indulgence pour les Pouvoirs Publics chahutés une nouvelle fois par les fantaisies darwiniennes du virus, mais comment ne pas être exaspéré par le déluge de réglementations derrière lesquelles ils ont continué d’affirmer leurs certitudes illusoires ?
Face au “raz de marée” OMICRON, le Président de la République a manifestement choisi de laisser filer les choses, au grand dam de nombreux experts rigoristes, dont probablement son ministre de la santé. Dans cette marmite sous pression, on ne peut que louer sa décision pragmatique d’avoir renoncé aux restrictions trop sévères, notamment à un couvre-feu qui aurait tué les réveillons, et d’avoir assoupli les durées d’isolement des cas contacts.

Mais alors, pourquoi avoir maintenu des jauges absurdes en matière de rassemblements ? Quels sont donc les critères scientifiques imposant de les limiter à 2000 personnes en intérieur et à 5000 en extérieur ? Et pourquoi avoir exclu de ces ukases les meetings politiques ? Cette interrogation n’a en tout cas nullement effleuré le ministre de la justice, qui tel un cuistre, s'est cru autorisé à qualifier par avance d’irresponsables les candidats à l’élection présidentielle qui oseraient profiter de cette incongruité pour réunir leurs partisans…

Grâce à une politique accommodante, on a donc pu festoyer les 24 et 31 décembre, mais à cause de règles ubuesques, pas au-delà de 2 heures du matin dans les bars, et à condition de ne pas danser, ni boire debout ! Plus que déroutant puisque dans le même temps, les rave parties illégales ont pu se dérouler impunément sur plusieurs jours dans un vacarme monstre, qui à lui seul aurait dû imposer l’intervention des forces de l’ordre !

Parmi les absurdités gouvernementales, figure également le retour de l’obligation du port de masque en extérieur, et ce, dès l’âge de 6 ans, sachant que l’inefficacité d’une telle mesure est prouvée depuis déjà longtemps.
Autre cocasserie, on autorise le rappel dans les établissements de santé des personnels soignants testés positifs pourvu qu’ils soient vaccinés et “peu symptomatiques”, tandis qu’on interdit aux non-vaccinés négatifs de travailler !
Dans les écoles, qui rouvrent fort heureusement à la fin des vacances, il est probable qu’on s'arrache les cheveux pour tenter de mettre en œuvre le bijou réglementaire annoncé en catastrophe quelques heures avant la rentrée par M. Blanquer. Pour résumer un fatras de consignes et injonctions supposées parer à tous les cas de figures imaginables, on retient l’impératif catégorique, lorsqu’un cas se manifeste dans une classe, de faire passer tous les autres élèves sous les fourches caudines de 3 tests négatifs réalisés à 2 jours d’intervalle !

Enfin, cerise sur le gâteau, alors qu’on commence à avoir de bonnes raisons de penser que la vague Omicron soit bénigne, quoique
 impossible à endiguer, alors qu'on constate que le vaccin n’a sur ce variant qu’une éphémère et médiocre efficacité, n’empêchant nullement la propagation du virus, on s’acharne à promouvoir un passe vaccinal qui n’aura sous peu selon toute probabilité plus aucune raison d’être !
Bien fol est donc celui qui dans ces conditions fait encore confiance à M. Véran lorsqu’il annonce que “cette cinquième vague sera peut-être la dernière” !

24 décembre 2021

Deux contes pour Noël

Lu récemment deux petits contes opportunément réédités sous forme d’opuscules par les Éditions Sillage : Ce Qu’il Faut de Terre à l’Homme par Léon Tolstoï (1828-1910) et La Légende du Saint-Buveur par Joseph Roth (1894-1939).
De ces deux courts récits que rien a priori ne rapproche, on serait tenté de dire qu’ils sont faits pour être lus ensemble tant ils font vibrer les mêmes cordes sensibles au fond de l’âme
On y trouve à la fois du merveilleux, du moral et du romanesque, ingrédients indispensables à toute bonne fiction, et leurs titres à eux seuls suffisent à enchanter l’imagination.
Les immenses plaines russes, offrent à l‘auteur de Guerre et Paix l’occasion de faire l’éloge de la propriété privée et de son acquisition par l’effort et la détermination. Mais en même temps, il met en garde contre la tentation de préjuger de ses forces, et de vouloir posséder plus qu’on ne peut maîtriser. Qui trop embrasse mal étreint en quelque sorte comme le découvrira le fougueux Pakhomm en payant finalement le prix fort pour un domaine qu’il voulait le plus grand possible, présumant de ses forces dans l’ivresse de la conquête, au-delà du raisonnable… James Joyce voyait dans cette nouvelle “ la plus grande histoire de la littérature au monde”. Excusez du peu…

Pour Roth, lorsque la magie des hasards de la vie se manifeste par un événement heureux, il faut savoir profiter de la chance qui s’offre à soi par ce qu’on pourrait tout aussi bien attribuer à l’intervention d’une mystérieuse providence. Mais il ne faut jamais oublier la précarité de l’existence et ne pas perdre de vue les engagements qu’on peut prendre à la perspective euphorique d’une vie nouvelle. En un mot, il faut veiller à ne pas gaspiller les fruits tombés du ciel et savoir rendre grâce à qui de droit de son bonheur, avant qu’il ne soit trop tard. Andreas, vagabond alcoolique, devenu presque riche après avoir croisé un généreux donateur anonyme, l’apprendra à ses dépens. Preuve de sa puissance narrative, ce récit inspira au cinéaste Ermanno Olmi un film récompensé par le lion d’or à la Mostra de Venise en 1988…

Écrites dans un style limpide, ces deux histoires se lisent d’un trait, comme on boit avec délice lorsqu’il fait chaud, une boisson bien fraîche. Ce qu’elles racontent est intemporel et la force de la morale qui s’en dégage s’impose à la manière d’une lumineuse évidence. Tout le reste est littérature…

20 décembre 2021

La Habana Para Un Infante Difunto 3

Un jour enfin, pour l'Infante pas encore défunt, vint l’amour, le vrai. Pas nécessairement celui né de relations durables. Comme celle nouée avec la femme qu’il épousa mais qui est restée fantomatique au sein du cortège des pasionaria peuplant son imaginaire érotique. Ni comme “les fausses amours avec une ballerine” vécues avec Douce Espina surnommée avec humour Rosa. Elle avait presque tout pour plaire, et avec elle, il parvint enfin au bout de l’acte, apprenant avec surprise qu'il venait de la déflorer sans aucune violence. Elle se révéla pourtant par la suite frigide et rétive aux pratiques non conventionnelles. Étrangère donc au sexe comme le sont parait-il beaucoup de danseuses, qui telles des “vestales de Terpsichore”, épousent le ballet comme les nonnes le font avec Christ. Pour elles “la barre d’exercice est le pénis”…

Il fallait donc quelque chose en plus, qui révèle une subtile alliance de l’esprit et de la chair. Il trouva cet idéal auprès de “la plus belle fille du monde” : Julia, qu’il appellera tendrement Juliette et de laquelle il recevra l’initiation la plus accomplie à “la Bona Dea du sexe”. Petite mais admirablement proportionnée, elle était “belle à lécher tout entière, en commençant par le pied du lit” ! Il fondait littéralement sous le charme de cette adorable Tanagra. La fête des sens avec elle semblait sans limite. Commencée dans la béatitude d’une audacieuse caresse buccale, elle fut suivie d’une étreinte aussi brève qu’intense, la nuit au bord de la mer, mais en public, ce qui valut aux amants d’être traités de "repugnantes cerdos" par des passants effarés.
Mue par un étrange caprice, elle voulut absolument faire l’amour en écoutant La Mer. Non pas celle qui berce les rêveurs de son doux va-et-vient, mais l'œuvre symphonique de Debussy ! Grâce à une amie compréhensive qui lui prêta un tourne-disques, il trouva le moyen d’assouvir le désir de sa déesse, et ce fut elle alors qui fit la mer, allant et venant, feulant et gémissant dans l'ivresse du plaisir. Suivirent maints ébats, moult frénétiques copulations, avant que l’enchantement finisse, lorsque l’amant comprit qu’il ne représentait pour celle qu’il considérait comme “la clé de ses songes” à peine plus qu’un pénis capable de s’ériger à plusieurs reprises...

Il y eut enfin Violeta du Val alias Margarita, sorte de tragique amazone, mutilée du sein droit par une brûlure survenue dans l’enfance. En dépit de cette infirmité, si bien cachée qu’il ne la découvrit pas de prime abord, la passion fut intense : “elle n’était pas seulement le sexe, elle était l’amour”.
Encline à la théâtralisation, elle aimait le griffer, le pincer pour laisser, disait-elle, "sa marque". Elle lui fit même croire un jour qu’elle l’avait empoisonné, avant de lui révéler qu’elle avait concocté quelque chose de plus terrible encore, à savoir une “amarre havanaise”, autrement dit un philtre magique pour qu’il l’aime toujours, éternellement. “Un jour je m’en irai”, lui dit-elle, et “je veux que tu continues à m’aimer après mon départ”… De fait, elle quitta Cuba pour le Venezuela, et il ne la suivit pas, marié qu’il était, et devenu père par la même occasion…
A la fin tout se brouille. Alors qu’il la croyait perdue, un jour, il se retrouve à nouveau auprès de cette femme dans un cinéma. Elle est plus aguicheuse, plus adorable que jamais. Elle se confond avec le souvenir qu’il a de “sa splendeur sexuelle, de ses yeux verts ardents, sa bouche écarlate, et aussi ce défaut de beauté, sa macule mammaire, le sein manquant qui faisait de l'autre une perfection rare, unique: la précieuse corne de l’unicorne”. Mais est-ce vraiment elle, ou bien sa sœur Tania ? Est-il dans le temps présent ou bien a-t-il remonté le cours de ses souvenirs ? Sont-ce les effets du fameux philtre d’amour ? Pourquoi tout à coup son alliance disparaît ? Il cherche dans le noir, elle fait mine de le guider, et c’est entre ses jambes qu’il se retrouve. Non seulement il ne met pas la main sur son alliance, mais c’est sa montre qui s'évapore à son tour. Est-ce une réminiscence trouble des heures durant lesquelles elle l'avait fait attendre autrefois ? Margarita semble pour sa part indifférente, happée par le film de Disney. Lui s’égare de plus en plus. C’est un grand vertige qui s’empare de lui, alors qu’il s’engage dans une plongée vaginale insensée. Il est tout entier entré en elle. Le monde s’efface, devient irréel, peuplé d’illusions et de mirages. Il se met à “tourner dans un tourbillon privé de centre”. “Stop !” s'écrie-t-il, avant de ressentir “comme un choc dans une faille, un râle dans la ravine”. Et il tombe, libre, dans "un abîme horizontal".
“C’est là que nous sommes arrivés”, écrit-il avant de lâcher de manière abrupte, son récit, les femmes, La Havane et toute une partie de sa vie sans doute...
C’est peu dire qu’on ne sort pas indemne de ce périple illuminé mais fou, qui risque de laisser chez le lecteur des stigmates, telle cette cicatrice témoignant d’une griffure passionnelle profonde que Margarita fit un jour au poignet de Guillermo...

18 décembre 2021

La Habana Para Un Infante Difunto 2

Trop souvent resté au stade de l’excitation, le jeune Guillermo Cabrera Infante, séducteur malhabile, incapable de conclure, en est réduit à se faire plaisir tout seul. Le spectacle volé d’une splendide femme nue aperçue endormie sur son lit, à travers une des fenêtres de l’hôtel d’en face, va lui offrir l’occasion d’une mémorable expérience onaniste…
Les tentatives reprirent cependant de plus belle avec Nela, “coquette à la limite de la putasserie”, dont les traits africains évoquaient une “déesse dahoméenne”. Comme elle était assez accueillante, il crut le grand jour enfin arrivé. Il l’approcha de si près qu’il faillit avoir avec elle sa première relation accomplie. Mais à cause de la réticence inexpliquée de la fille à retirer son dernier vêtement, cela finit en explosion intempestive, éclaboussant sa partenaire d’un jour jusqu’au visage…

Parmi les créatures croisées au cours de sa luxurieuse quête du Graal amoureux, certaines sont restées sans nom, telle cette putain à 1 peso, splendide “négresse pneumatique”, dotée d’un corps parfait, “véritable négatif de la Vénus de Cranach”. Hélas, la jouissance vint trop vite et la fête fut écourtée... Et pour finir ces chapitres lamentables, il y eut Beba à la seule voix excitante de laquelle il éprouvait de rapides érections, mais qui sombra dans la schizophrénie, puis Xiomara qui s’offrit à lui dans le cadre d’une relation tarifée, qui tourna à la débandade piteuse !
Au chapitre des actes manqués, les rencontres se succédaient donc, en apparence sans fin. Il y eut beaucoup d’allumeuses telles Nena l’édentée qui se précipita vers lui alors qu’il venait de faire une chute dans un escalier, mais qui en guise de secours, se mit à le branler de manière obscène. Il y eut Severa qui ne lui accorda qu’une étreinte furtive sur un balcon, Elvira “la couseuse” qui se plaisait à offrir sa poitrine avantageuse à la vue de celui qui manifestait quelque curiosité pour sa machine, puis Carmina qui jouait du piano et dont l’apparition radieuse coïncida avec la découverte du 4è concerto brandebourgeois de Bach. Elle le laissa s’approcher d’elle avant de lui révéler cruellement qu’elle avait une relation exclusive avec un autre… Enfin Lucinda l’aguicheuse, rétive à toute approche physique, mais qui faisait mine d’apprécier les ouvrages licencieux, à seule fin de voir l’excitation de son amant lorsqu’il en faisait la lecture à voix haute..

Il y eut également la période cinéma : il devint “l’un de ces prospecteurs, frôleurs, joueurs aux dames dans les salles obscures”. Hormis une certaine Esther Manzano avec laquelle la relation fut un peu approfondie, toutes ces aventures de l'ombre restèrent anonymes. Cela ne l’empêchait pas de s’enhardir toujours un peu plus, jusqu’au jour où une donzelle effarouchée lui planta une épingle à cheveux dans le bras…

On pourrait se lasser de ces péripéties quelque peu répétitives, si elles n’étaient racontées dans un style truculent, souvent hilarant, truffé de jeux de mots, à l’instar du titre faisant référence à Ravel, de pirouettes stylistiques, paronomases, antonomases, et semé de pétillantes références culturelles. Six cent pages ne sont donc pas de trop pour raconter cette odyssée libertine à la poursuite toujours recommencée de la volupté et de la passion introuvables.

L’engouement précoce du jeune Casanova des Caraïbes pour la musique et la littérature le conduisit dans les bras d’excentriques artistes. Il connut ainsi Catia, la collectionneuse insatiable de disques, mais avec elle l’amour se fit au rythme de la valse “plus que lente” de Debussy et s’acheva sans point d’orgue. Pareille déconvenue l’attendait avec Virginia, l’aficionada de Baudelaire. A cause sans doute de l’intrusion de son horrible compagnon Krokovsky, presque obscène tellement il était laid, l’invitation au voyage tourna court...
Il y eut celles qu’il n’a pas eues, qui n’ont fait que passer. Telle Magaly Fé, baby-sitter rencontrée par hasard, qu’il eut à peine le temps de connaître avant qu’elle disparaisse pour devenir star de publicités télévisées. C’était “plus qu’une femme: la beauté même”, “la copie cubaine d’Hedy Lamarr”, qui représentait à l’époque l’idéal féminin de notre Don Juan
(A suivre...)

17 décembre 2021

La Habana Para Un Infante Difunto 1

J’ai plongé dans la jungle luxuriante et lascive des mots de Guillermo Cabrera Infante (1929-2005). J’ai vécu au rythme solaire de son hymne caribéen à l’amour total. Célébration dionysiaque de l'instinct de survie, sublimée par les appels incessants à une fougueuse ardeur génésique.

Comme le titre le dit à demi-mots, La Havane est musique, fête et joie, mais elle porte aussi le désespoir et la mort. Ce sera celle de l’auteur - au figuré heureusement - puisque son destin finira par s’inscrire loin de cet éden dont il chanta non sans nostalgie les charmes capiteux. La Havane ici, est celle d’avant le désastre communiste et le récit raconte un rêve évanoui, mais vécu pleinement éveillé, tous sens aux aguets.

Retour donc dans le passé. De la touffeur moite de la ville s'élèvent d’ensorcelants effluves tropicaux et de languides fragrances féminines. Cuba s'exprime par la sensualité qui sourd de chaque maison, et qui diffuse par delà les rues et les carrefours, sillonnés infatigablement par les omnibus qu'on nomme affectueusement ici, wawa.
La rue Zulueta dans laquelle presque tout commence et tout finit est la suave commissure par laquelle les désirs et les fantasmes jaillissent au gré de la pulsation sanguine issue du cœur brûlant de la cité.
Dans cet univers de sensations à fleur de peau, l'éducation sentimentale, pour un jeune homme, passe avant tout par les femmes. Pour l’auteur, ça commence évidemment par sa mère, en tout bien tout honneur, qu’il honore du titre de “vraie beauté communiste”. Elle sera le modèle qu’il n’aura de cesse de poursuivre et d'idéaliser, sauf dans l’idéologie mortifère dont elle s’était faite prosélyte et à laquelle elle avait amené son fils, avant qu’il n’en paie le prix fort, celui de l’exil…

C’est avec trois sœurs, voisines de palier, Esther, Emilia et Fela, qu’il ressent ses premiers émois érotiques. Esther est sans doute la moins jolie. Boiteuse et légèrement prognathe, c’est pourtant sur elle qu’il jette son dévolu. “Elle se laissait embrasser doucement, les yeux clos sous ses longs cils, véritable image de la chasteté”. Malgré sa disgrâce, “elle avait quelque chose d’un ange”, comme dit la chanson...
Avec Fela les jeux sont moins innocents, la mutine jeune fille s'amusant à glisser coquinement sa main dans la poche de l’adolescent, moins pour se réchauffer que pour sentir Tom Pouce grandir sous l’effet de la stimulation.
Pour Emilia, l'aînée des trois, il n’avait guère de sentiments et celle-ci en éprouva quelque frustration. Elle était peu accessible car trop réservée, trop confite en dévotion pour sa mère qui se mourait lentement de tuberculose. Pourtant, comme si elle avait voulu conjurer le manque d’intérêt dont elle était l’objet, elle lui donna quand même “le premier baiser adulte de sa vie”...

Suivirent beaucoup de rencontres, toutes fugitives: Il y eut Dominica, trop âgée, mariée, et de surcroît d’une laideur repoussante, mais qui était dotée de “seins énormes qui ne laissaient pas d’impressionner”. Il y eut Etelvina la putain qui louait une chambre au même étage et dont sa mère était devenue l’amie. A son impudeur totale, le jeune Guillermo dut sa première vision extatique d’un “vagin velu”..
Vint ensuite Zenaida, avec laquelle il n’eut que le temps de partager une danse sensuelle, avant d’apprendre que son époux les regardait dans l’ombre. Delia, qui fit une apparition inattendue au sein d’un cortège de mulâtresses, riche de “sa splendeur asiatique”, Sonia “la polonaise” qui sombra dans la folie, Maria “la Majorquine” vite évaporée, Serafina, au charme sulfureux d’une prostituée de haut vol...
Il serait difficile de tenir un compte exact des conquêtes éphémères, parfois rêvées, du jeune garçon. Elles se révélèrent en règle des fiascos, se bornant à alimenter le plus souvent ses fantasmes et ses désirs.
Ce fut ensuite le tour de Trini et Beba, deux sœurs, encore des connaissances faites au 408 de la rue Zulueta. De la première il n’eut que la joie, à son invitation, de peloter la poitrine, avant de la voir filer au bras d’un certain Pepito. Peu importait au fond, car Beba l’intéressait davantage: “une vraie beauté au teint bistre avec des yeux en amande couleur de châtaigne…" L’aventure n’alla toutefois pas très loin, car après avoir vécu avec elle “un baiser parfait”, elle convola avec un affreux militant communiste... (à suivre)