De cette époque riche en excès et en contradictions, qui s’imposera, de la permissivité la plus débridée ou du puritanisme le plus intolérant ? Et s’il s’agit de deux périls, lequel est le plus à craindre ?
Question difficile à trancher bien que le second semble potentiellement le plus menaçant.
Si les deux fléaux coexistent, le premier s’est quelque peu banalisé. On est habitué depuis des décennies à voir étalées sur la place publique tant d’insanités et tant d’obscénités qu’on n’y prête plus qu’une attention distraite. Les enfants y sont sans doute plus sensibles, mais s’il faut parler à leur endroit de victimes, c’est plus la démission des parents face à leur devoir de protection qu’il faudrait probablement incriminer.
En revanche, le sectarisme moralisateur des bien-pensants, pour anodin qu’il paraisse au premier abord, s’avère un danger bien plus grand, tant il manifeste à mesure qu’il progresse, d’agressivité et d’intolérance.
On pouvait rire autrefois des ligues de vertus, et de leur pudibonderie surannée pour ne pas dire ridicule. Aujourd’hui, c’est autre chose. Personne ne rit plus. Les humoristes eux-mêmes sont pointés du doigt dès lors qu’ils “stigmatisent” par leurs saillies et leurs caricatures telle ou telle catégorie de personnes, tel ou tel groupe d’individus. Mais retirons leur la moquerie féroce et l'outrance qui sont les ressorts comiques essentiels, et les voilà réduits à déverser des platitudes ronflantes. Il ne leur reste pour cibles que les quelques boucs émissaires autorisés par le clergé régnant sur l’opinion publique. Non seulement il peuvent alors manier à la louche les truismes soi-disant hilarants, mais encore leur est-il loisible de se livrer aux plus abjectes critiques ad hominem.
Paradoxe troublant, ce sont souvent les défenseurs les plus ardents de la liberté d’expression et les pourfendeurs les plus hardis de l’ordre établi qui se montrent de nos jours les plus intransigeants en matière de normalisation, les censeurs les plus obtus, et in fine les plus étroits d’esprit.
Les exemples fourmillent au quotidien, qui attestent de la montée de ce dogmatisme bienséant. Comme par le passé il est fait d’un mélange de bonnes intentions et de torve démagogie, source de ce que René Girard nommait violence mimétique, dont le déchaînement en cascade prend rapidement des proportions inquiétantes.
Il en est ainsi de la fameuse “transition écologique” au nom de laquelle on pourfend les comportements jugés néfastes, sur la base de principes relevant de prévisions aussi apocalyptiques qu'aléatoires. Qu’on fasse de la défense de l’environnement un programme soit, mais qu’on la transforme en démarche culpabilisante si ce n’est terrifiante, c’est une autre histoire. Nicolas Hulot est le triste parangon de cette tyrannique vertu. Autrefois porté à l’exaltation des merveilles de la nature, il est devenu un sinistre sectateur, versé dans le catastrophisme et l’accusation. Son éphémère passage au gouvernement n’a laissé qu’une avalanche de réglementations coercitives et de taxes répressives dont l'efficacité est loin d'être prouvée.
Le féminisme a suivi la même pente. Tant qu’il s’agissait de magnifier la femme et d’en garantir la condition d’égale de l’homme en tant qu’être humain, c’était un objectif des plus louables. Mais lorsqu’il s’est agi de gommer toute différence et de tendre vers un horizon unisexe, on est passé du chevaleresque au mesquin, noyant tout idéal dans une froide comptabilité d'apothicaire. La place de la femme s’est mesurée à l’aune d’une parité absurde et d’une quantification tatillonne des prérogatives et des servitudes.
L’homme est quant à lui devenu la bête à abattre. Ravalé au rang de porc, il est accusé de tous les maux. Du comportement odieux de certains, on a fait une quasi généralité. En la matière, comme au bon vieux temps de la délation, il n’est besoin pour accuser, ni de fait ni de preuve, la parole “libérée” suffit. Même plus de quarante après les prétendus forfaits, il est devenu possible d’accuser tel ou tel mâle en vue, et de ruiner du jour au lendemain leur carrière.
Parallèlement, on pousse le zèle purificateur jusqu’à demander le bannissement de tout ce qui peut rappeler que la femme est femme, surtout s’il s’agit de ses atours séducteurs. La religion qui est l’art de faire parler Dieu, revient plus forte que jamais, sous ses formes les plus rétrogrades, pour cacher ces seins, ces corps et même ces visages qu’on ne saurait voir. Le monde laïque quant à lui n’est pas en reste et on a vu récemment lors d’émissions télévisées animées par quelques guignols médiatiques tels Laurent Ruquier ou Cyril Hanouna, proposer le plus sérieusement du monde le boycott de la cérémonie des Miss France !
C’est devenu l’essence de la nouvelle morale: on contraint préventivement les comportements de tous les individus, plutôt que de sanctionner les excès manifestes de quelques uns, et pour peu qu’on soit une “minorité agissante”, on se croit autorisé à juger a priori ce qui est bon ou non pour autrui, quitte à se livrer à des actions coercitives ou violentes.
On voit ainsi des végans enragés s’attaquer, au nom du “bien-être animal”, aux boucheries, aux charcuteries, et naturellement aux abattoirs. On voit des contempteurs de la “surconsommation capitaliste” barrer l’accès des clients aux magasins proposant des soldes et des rabais exceptionnels ( sans beaucoup de succès pour l’heure sur la population si l’on en croit les chiffres records de ventes...)
Les enseignes commerciales elles-mêmes croient utile de se rallier à la censure de ceux qui font des procès d’intention et en sorcellerie. Ils refusent ainsi que soient diffusés leurs spots publicitaires pendant les émissions prétendues inconvenantes.
A d’autres endroits on revisite l’histoire à l’instar des fanatiques qui déboulonnent les statues du général Lee aux Etats-Unis au motif qu’il combattit dans les rangs des sécessionnistes esclavagistes. Ailleurs, certains, qui ne voient aucun inconvénient à habiter rue Lénine ou Ho-Chi-Minh ou qu’on érige des statues à l’effigie de Mao, exigent qu’on débaptise les rues portant le nom de célébrités devenues hérétiques pour la bien-pensance. On a vu également réécrire des pièces de théâtre (Carmen) parce que l’intrigue contrevenait aux nouveaux dogmes.
Tout récemment, on a même pu lire dans le très influent New York Times, un réquisitoire contre le peintre Gauguin, qu’on envisage d’interdire de musée et d’exposition, en raison de son comportement immoral vis à vis de très jeunes filles lors de ses séjours à Tahiti !
Comment faut-il considérer cette nouvelle chasse aux sorcières ? Comme une lubie passagère de l’époque en mal de repère, ou bien comme un inquiétant mouvement de fond rappelant l’obscurantisme moyenâgeux ?
Parions sur la première option et puisqu’il est encore possible de citer Einstein, le mot de la fin lui revient sans hésitation: “Deux choses sont infinies, l’univers et la bêtise humaine, mais pour le premier je n’ai pas encore acquis la certitude absolue…”
Question difficile à trancher bien que le second semble potentiellement le plus menaçant.
Si les deux fléaux coexistent, le premier s’est quelque peu banalisé. On est habitué depuis des décennies à voir étalées sur la place publique tant d’insanités et tant d’obscénités qu’on n’y prête plus qu’une attention distraite. Les enfants y sont sans doute plus sensibles, mais s’il faut parler à leur endroit de victimes, c’est plus la démission des parents face à leur devoir de protection qu’il faudrait probablement incriminer.
En revanche, le sectarisme moralisateur des bien-pensants, pour anodin qu’il paraisse au premier abord, s’avère un danger bien plus grand, tant il manifeste à mesure qu’il progresse, d’agressivité et d’intolérance.
On pouvait rire autrefois des ligues de vertus, et de leur pudibonderie surannée pour ne pas dire ridicule. Aujourd’hui, c’est autre chose. Personne ne rit plus. Les humoristes eux-mêmes sont pointés du doigt dès lors qu’ils “stigmatisent” par leurs saillies et leurs caricatures telle ou telle catégorie de personnes, tel ou tel groupe d’individus. Mais retirons leur la moquerie féroce et l'outrance qui sont les ressorts comiques essentiels, et les voilà réduits à déverser des platitudes ronflantes. Il ne leur reste pour cibles que les quelques boucs émissaires autorisés par le clergé régnant sur l’opinion publique. Non seulement il peuvent alors manier à la louche les truismes soi-disant hilarants, mais encore leur est-il loisible de se livrer aux plus abjectes critiques ad hominem.
Paradoxe troublant, ce sont souvent les défenseurs les plus ardents de la liberté d’expression et les pourfendeurs les plus hardis de l’ordre établi qui se montrent de nos jours les plus intransigeants en matière de normalisation, les censeurs les plus obtus, et in fine les plus étroits d’esprit.
Les exemples fourmillent au quotidien, qui attestent de la montée de ce dogmatisme bienséant. Comme par le passé il est fait d’un mélange de bonnes intentions et de torve démagogie, source de ce que René Girard nommait violence mimétique, dont le déchaînement en cascade prend rapidement des proportions inquiétantes.
Il en est ainsi de la fameuse “transition écologique” au nom de laquelle on pourfend les comportements jugés néfastes, sur la base de principes relevant de prévisions aussi apocalyptiques qu'aléatoires. Qu’on fasse de la défense de l’environnement un programme soit, mais qu’on la transforme en démarche culpabilisante si ce n’est terrifiante, c’est une autre histoire. Nicolas Hulot est le triste parangon de cette tyrannique vertu. Autrefois porté à l’exaltation des merveilles de la nature, il est devenu un sinistre sectateur, versé dans le catastrophisme et l’accusation. Son éphémère passage au gouvernement n’a laissé qu’une avalanche de réglementations coercitives et de taxes répressives dont l'efficacité est loin d'être prouvée.
Le féminisme a suivi la même pente. Tant qu’il s’agissait de magnifier la femme et d’en garantir la condition d’égale de l’homme en tant qu’être humain, c’était un objectif des plus louables. Mais lorsqu’il s’est agi de gommer toute différence et de tendre vers un horizon unisexe, on est passé du chevaleresque au mesquin, noyant tout idéal dans une froide comptabilité d'apothicaire. La place de la femme s’est mesurée à l’aune d’une parité absurde et d’une quantification tatillonne des prérogatives et des servitudes.
L’homme est quant à lui devenu la bête à abattre. Ravalé au rang de porc, il est accusé de tous les maux. Du comportement odieux de certains, on a fait une quasi généralité. En la matière, comme au bon vieux temps de la délation, il n’est besoin pour accuser, ni de fait ni de preuve, la parole “libérée” suffit. Même plus de quarante après les prétendus forfaits, il est devenu possible d’accuser tel ou tel mâle en vue, et de ruiner du jour au lendemain leur carrière.
Parallèlement, on pousse le zèle purificateur jusqu’à demander le bannissement de tout ce qui peut rappeler que la femme est femme, surtout s’il s’agit de ses atours séducteurs. La religion qui est l’art de faire parler Dieu, revient plus forte que jamais, sous ses formes les plus rétrogrades, pour cacher ces seins, ces corps et même ces visages qu’on ne saurait voir. Le monde laïque quant à lui n’est pas en reste et on a vu récemment lors d’émissions télévisées animées par quelques guignols médiatiques tels Laurent Ruquier ou Cyril Hanouna, proposer le plus sérieusement du monde le boycott de la cérémonie des Miss France !
C’est devenu l’essence de la nouvelle morale: on contraint préventivement les comportements de tous les individus, plutôt que de sanctionner les excès manifestes de quelques uns, et pour peu qu’on soit une “minorité agissante”, on se croit autorisé à juger a priori ce qui est bon ou non pour autrui, quitte à se livrer à des actions coercitives ou violentes.
On voit ainsi des végans enragés s’attaquer, au nom du “bien-être animal”, aux boucheries, aux charcuteries, et naturellement aux abattoirs. On voit des contempteurs de la “surconsommation capitaliste” barrer l’accès des clients aux magasins proposant des soldes et des rabais exceptionnels ( sans beaucoup de succès pour l’heure sur la population si l’on en croit les chiffres records de ventes...)
Les enseignes commerciales elles-mêmes croient utile de se rallier à la censure de ceux qui font des procès d’intention et en sorcellerie. Ils refusent ainsi que soient diffusés leurs spots publicitaires pendant les émissions prétendues inconvenantes.
A d’autres endroits on revisite l’histoire à l’instar des fanatiques qui déboulonnent les statues du général Lee aux Etats-Unis au motif qu’il combattit dans les rangs des sécessionnistes esclavagistes. Ailleurs, certains, qui ne voient aucun inconvénient à habiter rue Lénine ou Ho-Chi-Minh ou qu’on érige des statues à l’effigie de Mao, exigent qu’on débaptise les rues portant le nom de célébrités devenues hérétiques pour la bien-pensance. On a vu également réécrire des pièces de théâtre (Carmen) parce que l’intrigue contrevenait aux nouveaux dogmes.
Tout récemment, on a même pu lire dans le très influent New York Times, un réquisitoire contre le peintre Gauguin, qu’on envisage d’interdire de musée et d’exposition, en raison de son comportement immoral vis à vis de très jeunes filles lors de ses séjours à Tahiti !
Comment faut-il considérer cette nouvelle chasse aux sorcières ? Comme une lubie passagère de l’époque en mal de repère, ou bien comme un inquiétant mouvement de fond rappelant l’obscurantisme moyenâgeux ?
Parions sur la première option et puisqu’il est encore possible de citer Einstein, le mot de la fin lui revient sans hésitation: “Deux choses sont infinies, l’univers et la bêtise humaine, mais pour le premier je n’ai pas encore acquis la certitude absolue…”